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           Mon rapport avec la psychanalyse et l'université a commencé, ça fait quinze ans,   avec un DEA de psychanalyse et médecine, car je voulais travailler sur une question et je ne voyais pas comment je pourrais la travailler, autrement que dans un cadre universitaire, qui mettait en étude un dialogue possible entre la médecine et la psychanalyse. A l'époque, je pratiquais la psychiatrie - depuis, déjà, une douzaine d'années - mais je n'étais pas encore installé comme analyste, ce qui  devait se faire deux ans plus tard. Ce travail théorique  était en rapport avec mon installation comme analyste, qui était - d'une certaine manière -  en jachère  à cette époque. Car, formuler cette question et, a fortiori,  arriver à y donner une réponse, représentait, également, pour moi une séparation de la psychiatrie. Mais, pour me permettre cette séparation, je devais  produire un savoir en rapport avec ma pratique de psychiatre, qui témoignait, en même temps, de quelque chose sur la différence entre  l'objet de la psychiatrie et celui de la psychanalyse. Cette question portait sur la psychogénèse et l'organogénèse, et j'ai fini par  la formuler de la manière suivante : "Existe-t-il des affections psychosomatiques du cerveau?" Phrase qui  peut paraître un oxymore, je sais, mais qui me semblait comme une clé susceptible d'ouvrir la serrure de la porte qui se posait devant moi. Enfin, je ne vais pas entrer dans les détails de ce travail, car ce n'est pas le thème de cette rencontre.  Je vais juste  dire que  je fais partie d'une génération de psychiatres qui ont assisté à  la transformation de leur discipline par les neurosciences ;  je considérais la plupart des apports des neurosciences  à la psychiatrie peu opportuns, et très fréquemment ridicules,  mais - en même temps -  il me semblait que  tout ce qui venait de la part des  neurosciences n'était pas à le jeter. Parallèlement,  j'apprécie énormément les textes psychiatriques classiques qui ont su faire - à leur manière - la différence  entre la neurologie et la psychiatrie. Mais, il me semblait, aussi, qu'il fallait actualiser cette différence et que la bonne manière pour le faire c'était avec les outilles  psychanalytiques et à l'aide du concept de la neuroplasticité -  car celui-ci permettait de concevoir la neuropathologie comme effet de la parole. Donc, je voulais participer à ce débat actuel, et le seul milieu, qui me paraissait comme étant susceptible de recevoir ce type de questionnement, était le milieu universitaire. Et, pas n'importe lequel, mais celui que j'ai pu trouver auprès d'Alain Vanier, à Paris 7, qui  l'a accueilli en DEA, puis -dans un deuxième temps -  en thèse. Et, suite à un long parcours -  de  presque dix ans au total - j'ai pu donner une réponse à la question que je me posais, en même temps que j'ai pu - à travers mon analyse - la mettre en rapport avec certains signifiants et certaines lettres, qui traversent mon histoire personnelle. Car, ce travail était loin d'être, bien sûr,  sans rapport avec ce qui m'avait déterminé dans mes choix personnels et professionnels, même s'il visait-  en même temps -   à une certaine universalité et à l'objectivité. Dans ma thèse, je me suis occupé de  la question du comment le signifiant peut se réduire en signe, et induire - par là même - un effet d'induction sur la chair? et pourquoi cet effet - ce phénomène psychosomatique - peut-il être, parfois, un effet de neuroplasticité, voire de neuropathologie? Et pour ne pas trop délirer, je vais m'en tenir à  ici à ce qui concerne ce travail de thèse.

            A l'université, j'ai appris plusieurs choses, dont l'ouverture interdisciplinaire et  l'exercice du  débat d'idées. L'université manque de complaisance - quant à l'attachement affectif aux idées - tout en ayant certains désavantages, à cause justement de ce manque d'attachement transférentiel. Car l'attachement transférentiel à une ligne doctrinale, voire à une école psychanalytique, permet de dépister ses limites, et en même temps les limites du savoir doctrinal, comme du savoir tout court, y compris celui de l'inconscient. Pour arriver à l'impossible à connaître il faut engager sa subjectivité, durant un premier temps, dans le transfert au sujet supposé savoir, donc avec une seule référence, et cette unicité de la référence est esquivée dans le travail universitaire. C'est le cas, par exemple,  quand on tente de transmettre quelque chose de la psychanalyse, ou quelque chose venant de la psychanalyse - pour reprendre cette distinction de Freud - sans passer par le discours psychanalytique, et - en même temps -  en faisant fi de sa propre division subjective. Ceci, je  l'ai constaté  surtout,  quand je me suis retrouvé à enseigner, dans la même faculté qui avait accueilli - jusqu'alors - ma recherche doctorale. A ce moment-là, mon sentiment était mitigé - quant à la possibilité de transmettre quelque chose de la psychanalyse à partir de cette place -  d'autant plus que cet enseignement imposait mon éloignement du lieu de ma pratique analytique à Athènes, mais aussi,  de ma langue maternelle. Cette nouvelle voie n'était pas sans affecter même ma voix, qui s'est fragilisée par la tentative d'une transmission de ce que je ne pourrais transmettre qu'en me laissant affecté par  l'Autre, celui qu'on appelle "le grand Autre". La tentative de maîtrise de cette transmission est venue,  alors, barrer ma voix, par une sorte de dysphonie  fonctionnelle,  qui témoignait - par son effet cacophonique - mon ambivalence, ou de ma dysharmonie dans mon travail à l'université. Il a fallu une période d'ajustement, pour accorder, pour harmoniser,  l'enseignement à l'université avec ma position d'analyste, ajustement qui ne s'est pas fait qu'au moment où je me suis installé dans la ville où j'enseignais, c'est à dire à partir du moment où je pourrais exercer aussi comme analyste, dans cette même ville et dans la langue de mon enseignement à l'université. Cette installation m'avait  laissé, à nouveau,  exposé à ce grand Autre - lequel, autrement, je n'aurais pas pu que tenter de le maitriser par ma voix d'enseignant, sans avoir un effet de retour sur cette boucle, qu'on a l'habitude d'appeler pulsionnelle. Être affecté par cet Autre, par le biais de la place de l'analyste, était - paradoxalement -  le moyen de regagner un bout de  ma voix à l'université. Occuper la  place de l'analyste  était, la livre de chair que je devais acquitter, pour avoir droit à ma voix à l'université. C'est pour des raisons semblables que les cours magistraux - ex cathedra - de psychanalyse posent, me semble-t-il,  un problème. Voici, donc, l'expérience initiale de ma tentative d'enseigner la psychanalyse à l'université.

            L'enseignement de la psychanalyse à l'université me paraît,  pourtant, important pour certaines raisons - que je vais essayer d'exposer brièvement, par la suite - concernant les facultés de psychologie clinique. Il y a, évidemment,  d'autres champs disciplinaires à l'université - dans le cadre desquels la psychanalyse a une place qui devrait être défendue - mais, pour des raisons de manque d'expérience dans ces domaines, je vais me limiter à ce qui commence à m'être familier ;  à savoir, l'enseignement de la théorie psychanalytique,  l'encadrement de mémoires  et la pratique de supervision de groupes, dans le cadre de l'enseignement de la psychologie à l'UFR d'études de psychanalyse, mais aussi, dans le cadre de la formation continue,  organisée par ce même UFR.

            Je vais commencer par ce qui pourrait être problématique dans ce type d'enseignement, pour arriver, ensuite, à ce qui me paraît être intéressant. L'enseignement de la psychanalyse, - dans les facultés de psychologie -  ne me paraît pas sans poser certains problèmes ; et mes embarras initiaux se poursuivent, dans une certaine mesure, en rapport, sans doute, avec ces problèmes. La psychanalyse est, en effet, une pratique qui se transmet, surtout, par la cure et l'analyse de contrôle, et de ce fait, déplacer sa transmission dans un lieu autre - en dehors du cadre propice pour le discours psychanalytique - ne peut que créer  un effet de décalage, si ce n'est d'impossibilité. Mais cette difficulté s'atténue partiellement si, d'une part,  celui qui  enseigne a une pratique d'analyste et, d'autre part, si les étudiants vont, eux-mêmes,  se trouver sur le divan. Avoir une pratique d'analyste permet, je crois, de parler de la théorie psychanalytique sans tenter de l'arrondir, c'est à dire,  en prenant en compte la clinique, afin de faire - à tout moment-  interrogation à la théorie ;  laquelle - du coup - arrête d'être linéaire. C'est à dire que ce type d'interrogation -  par la clinique  - amène à parler avec une certaine discontinuité, pour rendre compte de la discontinuité des formations de l'inconscient et de l'asphéricité du transfert. Discontinuité que l'on ne peut pas saisir sans l'expérience de la cure, que ce soit du côté de l'analyste  ou de celui  de l'analysant. L'UFR d'études psychanalytiques forme, en priorité - dans le cadre de sa formation initiale - des cliniciens, donc des personnes qui, en institution ou dans leur cabinet privé, vont s'occuper de patients. Pour une bonne part - que je ne saurais chiffrer -, ces futurs cliniciens se soumettent à une cure personnelle. ll y en  a plusieurs en tous cas, parmi eux,  à le faire -  même s'ils ne font pas tous cette cure dans le cadre de la formation d'une association psychanalytique, ou dans le but d'exercer comme  psychanalystes. L'intérêt, bien sûr,  de la cure personnelle est considérable, même pour ceux qui ne vont pas exercer comme analystes, car celle-ci permet l'évitement de la fermeture dans l'armure du savoir psychologique.

            Au delà de l'intérêt de la cure personnelle - et même pour ceux qui ne vont pas la faire-  l'enseignement qu'ils reçoivent, par les cours à Paris 7 et les autres travaux dirigés - à type de séminaires, de note clinique,  de mémoire et de supervision -  a une visé de familiarisation avec la théorie et - de manière indirecte -  avec  la clinique psychanalytique. La tentative d'explicitation de l'état mental d'un patient par des concepts psychanalytiques - même quand celui-ci ne va pas être abordé par la technique psychanalytique - a une certaine valeur : exemple, l'analyse de l'état du président Schreber par Freud et - bien plus tard - par Lacan. Ceci, parce que - même si la théorie psychanalytique risque d'être utilisée, dans ce cas,  comme une théorie psychologique -  elle permet un mode d'observation qui reste très près du texte du patient, plus que tout autre mode d'observation clinique. Elle contribue, aussi, à maintenir une clinique du sujet - où l'histoire du patient compte plus que l'inventaire de symptômes -  et confronte au non savoir du clinicien et à l'opacité irréductible  de l'individu. Opacité qui renvoie à ce que Lacan disait à propos de la non-transparence de nous mêmes et des patients dans son 'Petit discours au psychiatres', tout en critiquant le concept d'Einfullung de Jaspers.[1]" Donc, quand j'anime le TD de la note clique en licence 3  ou de  supervision en M2Pro, j'essaie, justement,  de transmettre ceci : comment faire une observation d'un cas, sans recours à cette tendance spontanée qui consiste à s'identifier par empathie au malade et, de surcroît,  à combler les trous de la compréhension par la théorie? A Paris 7  chaque enseignant est libre de choisir ses références théoriques et, pour une large part, le contenu de ses cours. Donc, de ce fait, ce qui est enseigné,  est, à priori, en rapport avec les références qu'il a pour sa pratique clinique, et pour plusieurs d'entre nous il s'agit d'une  pratique de la psychanalyse. Néanmoins, je pense que la clinique lacanienne apporte quelque chose de fondamental à cet égard.

            Le dernier point que je vais soulever, très brièvement, est celui de la formation continue, où j'ai l'expérience d'un DU d'introduction à la psychanalyse et d'un autre, qui porte sur l'interdisciplinarité entre psychanalyse et médecine. Les participants au DU d'introduction à la psychanalyse ont déjà une expérience professionnelle - fréquemment en rapport avec la clinique - comme psychologues, éducateurs ou professionnels de la santé, surtout dans les métiers paramédicaux. L'intérêt, là  encore, est d'introduire quelque chose de la théorie psychanalytique, comme Freud le faisait  dans ses leçons introductives. Il soulignait, quand même, les difficultés que rencontre une transmission de la psychanalyse dans le contexte de ces leçons, du fait de sa différence avec la médecine - qui est une clinique du regard,  à laquelle était formée la plupart de son auditoire. Car, la transmission de la psychanalyse, disait-il, repose sur  un échange de paroles - auquel il n'est pas possible d'assister - mais aussi,  sur l'aspect inconscient des processus psychiques liés à la sexualité qui  heurtent les  principes éducatifs et les sentiments moraux, communément admis. Mais, nous pourrions soutenir qu'ouvrir des interrogations, relevant de la logique de l'inconscient dans le cadre des pratiques, médicales, paramédicales ou éducatives -   qui tendent  à négliger, de plus en plus  par leur aspect technique la subjectivité des personnes - est une démarche justifiée. Et ceci, d'autant plus que cette subjectivité est récupérée, à un rythme accéléré, par des pratiques de la médecine dite parallèle ou d'autres disciplines, qui redécouvrent la suggestion, par des biais variés. Dans ce type de pratiques, le manque de transparence des processus inconscients devient, du coup - par un déplacement qui va du côté de la passion de l'ignorance -  opacité dans la production de leur effet thérapeutique. On peut espérer que la psychanalyse pourra continuer à interroger cette opacité.

Voici, donc, quelques mots sur ma petite expérience à l'université.

Yorgos Dimitriadis

[1] Je le cite : " la psychanalyse n’est nullement une technique dont l’essence soit de répandre la compréhension, d’établir, même, quoi que ce soit entre l’analysé et l’analyste qui serait de cet ordre, si nous donnons au mot « compréhension » un sens, qui est le sens jaspersien, par exemple ; cette communauté de registre, ce quelque chose qui va s’enraciner dans une sorte d’Einfühlung, d’empathie, qui ferait que l’autre nous deviendrait transparent, à la façon naïve dont nous nous croyons transparents à nous-mêmes, ne serait-ce que pour ceci que justement la psychanalyse,  ça consiste à découvrir que nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes ! Alors, pourquoi est-ce que les autres nous le deviendraient ? S’il y a quelque chose que la psychanalyse est faite pour faire ressortir, pour mettre en valeur, ça n’est certainement pas le sens, au sens en effet où les choses font sens, où on croit se communiquer un sens, mais justement de marquer en quels fondements radicaux de non-sens et en quels endroits les non-sens décisifs existent sur quoi se fonde l’existence d’un certain nombre de choses qui s’appellent les faits subjectifs. C’est bien plus dans le repérage de la non-compréhension, par le fait qu’on dissipe, qu’on efface, qu’on souffle le terrain de la fausse compréhension, que quelque chose peut se produire qui soit avantageux dans l’expérience analytique

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