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Approche clinique et théorique du morcellement spéculaire

Extrait

26 septembre 2011

En ce qui me concerne, cette deuxième année d’enseignement de cours dans notre École Pratique et pour cette deuxième année, comme vous le savez, l’enseignement que je donnerai, donc le cours que vais faire, le programme en sera le suivant, comme l’année derrière : Éléments de psychopathologie pour en faire une pratique, et puis, j’ajoute cette fois-ci comme spécification, ce sera le programme de cette année : approche –  je vais vous le dire comme ça, c’est un petit peu différent je crois, de ce que j’ai annoncé il y a quelques semaines – nous allons le dire comme ça : approcheclinique et théorique du morcellement spéculaire. Le morcellement spéculaire, c’est-à-dire les diverses façons dont l’image spéculaire, plus couramment appelée l’image du corps, peut se trouver morcelée, en morceaux. Il y a là une diversité clinique et en même temps un certain nombre de repérages à faire qui – j’espère vous le montrer – sont à la fois d’une très grande importance pour la psychopathologie, mais également d’un très grand intérêt pour nous, intérêt de recherche et intérêt de relation à la clinique contemporaine. C’est aussi pour ça que j’ai souhaité aborder, pour ma part, ce sujet. Parce que la clinique contemporaine, enfin le réel contemporain, il est justement marqué – je vais y revenir au cours de notre réunion d’aujourd’hui – le réel contemporain, et donc notre rapport à ce réel, il est marqué précisément par cette difficulté que nous présente, et c’est une difficulté plutôt nouvelle – on n’y est pas nécessairement habitués, que nous présente justement ce caractère éclaté, morcelé, difracté, du registre – appelons-le comme ça pour démarrer, de ce qui touche à l’image du corps.

(…)

L’année dernière – pour faire le lien avec les propos que je vous tenais l’année dernière – j’ai passé une partie de l’enseignement que j’ai fait ici, à essayer de vous rendre sensible le point suivant : j’y ai passé plusieurs séances, vous vous en souviendrez, pour ceux qui étaient présents, certainement très bien. J’ai insisté sur le fait que le corps de l’animal humain, le corps réel… le corps réel, je ne vois pas très bien d’ailleurs quel autre corps il pourrait y avoir. Mais quand je dis le corps réel, je veux dire ce à quoi nous avons affaire réellement, en tant que nous… j’allais dire : nous nous sentons exister, en tant que nous percevons quelque chose de réel, et que nous visons sans trop savoir d’ailleurs parfois ce que nous disons par là, mais que nous visons en disant « mon corps ». « Mon corps », dont souvent nous n’avons pas beaucoup d’idées précises de ce que c’est. Mais enfin, c’est un réel, ça c’est sûr ! Un réel qui se signale donc par diverses excitations, tensions, douleurs, plaisirs. Ce réel du corps, j’avais donc insisté sur le fait que pour l’animal humain, ce réel du corps il est affecté, il est en proie on pourrait dire, qu’il le veuille ou non, cet animal, par le langage. Et donc – et c’était ça le point difficile – ce corps il est affecté… Nécessairement, s’il est affecté par le langage, il est affecté par les effets de la structure de ce langage. Être affecté par le langage, ça veut dire porter en quelque sorte les effets de ce qui fait la structure du langage.

(…)

R (Réel)

D’ailleurs, j’en profite pour vous faire cette remarque que si j’écris volontiers au tableau –pour ma part, chacun fait comme il peut, si moi j’écris volontiers au tableau, c’est que quand on écrit, justement, on a affaire, on a recours à des lettres ou à des schémas, des formes d’écriture. C’est bien parce que… Pourquoi est-ce qu’on a besoin d’écrire quelquefois ? C’est bien parce que justement, on ne peut pas être toujours dans le registre de l’image, c’est-à-dire de ce qui fait sens. J’y reviendrai tout à l’heure. Si on a besoin de temps en temps, en tout cas si pour ma part j’ai besoin, mais je pense ne pas être seul comme ça, c'est-à-dire je pense que quiconque enseigne a recours à un moment donné, qu’il le veuille ou non, à de l’écrit, et même s’il n’écrit pas cet écrit. Il y a des gens qui enseignent et qui n’écrivent pas au tableau. Mais je crois qu’on ne peut pas enseigner si on ne prend pas appui d’une certaine manière sur de l’écrit, c’est-à-dire sur quelque chose qui ne peut pas être entièrement de l’ordre de l’image. Et c’est vrai que quelqu’un qui enseigne, vous en avez des exemples nombreux et réguliers à l’École Pratique, quelqu’un qui enseigne, eh bien, ce qu’il dit comporte toujours une part d’écrit, c’est-à-dire une part qui ne peut pas être reçue directement dans un sens qui s’imposerait comme une image. C’est absolument pas possible, ou alors c’est pas un enseignement, ou alors c’est quelque chose, ce serait de l’ordre d’un dressage univoque, vous voyez, qui procéderait par signalisation. Mais quand on parle et quand on enseigne, on ne procède pas comme ça. Ceci pour vous dire que cette dimension de l’image, dont je vais vous parler cette année, a ceci de remarquable qu’elle est régulièrement quand nous parlons, quand nous sommes dans l’échange de la parole, elle est régulièrement et nécessairement, s’il y a échange, trouée par quelque chose qui est de l’ordre de l’écrit. Trouée, ou pour le dire autrement, interrompue par quelque chose qui est de l’ordre de l’écrit.

Alors là justement, je vais interrompre mon propos par un peu d’écrit. Je vous avais donc évoqué et je l’ai fait sur plusieurs séances, si je me souviens, je vous avais évoqué le réel du corps et j’avais évoqué également cet autre registre, celui justement qui affecte ce réel et qui est… Alors : le réel, je mets corps :

Réel (corps)

Et puis le langage. Et le langage, nous le désignons dans notre langage justement à nous et en particulier chez Jacques Lacan, nous le désignons comme le symbolique :

Le Symbolique (langage)

Le Symbolique, ce sont les éléments – pour ceux d’entre vous qui n’ont jamais entendu parler de ces questions sous cet angle-là (il y en a probablement) – le Symbolique, ce sont tous les éléments qui composent ce que nous appelons le langage, que ces éléments soient minimaux, par exemple une lettre dans les langues qui utilisent l’alphabet. Si je prends  la lettre a ou la lettre b, c’est l’élément le plus petit que je peux obtenir en regroupant le langage justement dans ces éléments constitutifs, mais ça peut être… le Symbolique, ça peut être formé d’une unité beaucoup plus longue qu’une lettre. Une phrase, ça peut être une unité symbolique, tout un roman ou un simple mot, une partie de mot. Voilà, ça c’est le Symbolique.

Je vous disais donc que le corps humain, le corps qui parle, puisque ce qui spécifie le corps humain c’est que c’est un corps qui parle – même quand il ne parle pas il est éloquent d’une certaine manière, il dit quelque chose, eh bien, ce corps il est affecté par du Symbolique, c’est-à-dire par les effets de la structure du langage, les effets que le langage avec sa structure cause dans… enfin pas dans, pour ce corps.

(…)

Parmi les effets que met en place donc pour ce corps, la structure du langage, il y a ce que j’avais longuement évoqué comme une différence fondamentale, principielle, initiale, une différence entre des places distinctes, différence même entre ce que nous pourrions appeler des lieux distincts. Dès lors que se met en place pour le corps humain, dès lors que prend effet pour le corps humain la structure du langage, dès lors qu’elle prend effet pour ce corps, elle peut aussi – nous allons voir – ne pas prendre effet, c’est-à-dire que le corps est bien pris dans le langage, mais la structure du langage ne prend pas effet. Ça existe, des corps comme ça. Et dès lors que cette structure prend effet, eh bien, il se passe quelque chose sur quoi je m’étais arrêté l’année dernière assez longuement – je ne vais donc pas y revenir longtemps – il se passe qu’il y a une différence qui  s’effectue entre deux places, une place que nous pouvons dire être la place du sujet de la parole, disons celui qui parle ou quelqu’un qui parle : S.

Et puis une autre place que nous pouvons dire être celle de l’Autre à qui cette parole est adressée, à qui cette parole s’adresse : A.

Je vous avais dit, l’an dernier, qu’une parole est toujours adressée − non, pas une parole − je vous avais dit qu’une parole dans l’échange humain est adressée, mais que justement toute parole n’est pas prise dans cet échange où elle serait adressée. Il y a des paroles, il y a de la parole parfois qui est sans adresse, et ça fait partie de ce que nous avons à travailler et à élucider au titre de la psychopathologie. Dans les présentations de malades que vous suivez ou que vous allez suivre, eh bien, c’est toujours une question pertinente de se demander si la parole de celui qui parle et qui est interrogé lors de l’entretien, est-ce que son propos est adressé ou pas ? Et s’il est adressé, eh bien, de quelle façon s’adresse-t-il à l’autre ? Et s’il n’est pas adressé, eh bien, que pouvons-nous en dire et de quelle manière pouvons-nous dire qu’il n’est pas adressé ?

En tout cas, dès lors qu’une parole se réalise dans un échange adressé, comme c’est disons la règle dans l’échange humain, il y a cette distinction de places qui prend effet, cette distinction de lieux qui permet de distinguer le lieu d’où la parole s’énonce et le lieu de son adresse, et ce ne sont pas les mêmes lieux. Ou plus exactement, il y a entre ces deux places une différence réelle, une différence qu’il est impossible de ne pas prendre en compte dès lors qu’on est dans l’échange.

Comme je vous le disais tout à l’heure, il arrive que cette différence, pour certains sujets, ne soit pas présente. Alors, la conséquence en est que ces sujets-là ne sont pas pris dans l’échange. Ils y sont forcément, puisqu’on ne peut pas ne pas dire qu’ils ne sont pas pris dedans, et ça a des conséquences sur leur corps aussi bien. Vous savez que c’est fréquent dans ce qu’on appelle les psychoses. C’est fréquent, c’est pas toujours le cas. Ça dépend. 

Cette différence entre ces places, c’est-à-dire cette place d’où la parole s’adresse et cette place qui est celle de son adresse, le lieu de son adresse, cette différence, je vous l’avais écrite également d’une autre façon qui n’est pas contradictoire avec la première, je vous l’avais écrite d’une façon qui rappelle la structure la plus simple peut-être du langage, c’est-à-dire l’échange de la parole, l’échange du langage suppose toujours qu’il y a une parole première ; dans n’importe quel échange, il faut qu’il y ait une parole première, une première parole. Cette première parole, je l’avais écrite en suivant Lacan, signifiant premier, parce que c’est un élément signifiant une parole. Ça peut même être juste : « Oh ! » Presque rien : « Eh ! » Si on dit : « Eh !» et que vous marchez dans la rue, que vous entendez ça derrière vous, vous vous retournez, ça veut dire que vous êtes pris dans l’échange, vous avez entendu ce qu’on appelle un signifiant-maître, c’est-à-dire qui déclenche en quelque sorte l’échange. Le signifiant-maître comme l’appelle Lacan, j’y ai longuement insisté l’an dernier, donc je vous fait grâce de cela ce soir, ce soir je vous parlerai d’autre chose, mais c’est pas sans rapport, c’est lié aussi. Le signifiant-maître, comme le dit Lacan, il ne… comment dire… faut pas le confondre avec celui qui commande. C’est une chose très simple, mais encore faut-il bien être clair là-dessus. Le signifiant- maître c’est seulement ce morceau de symbolique qui déclenche l’échange. Et il est toujours nécessaire, même dans une conversation avec… Vous êtes avec des amis, vous êtes en conversation dans un dîner, il faut bien que ça parte de quelque chose, il faut que ça parte d’un premier mot ou d’une première opinion qui s’énonce. Et puis ensuite, on va être contre ce qui s’est énoncé, ou on va être d’accord, pas d’accord, etc. Peu importe ! Il faut partir d’un premier signifiant. Ce premier signifiant, Lacan l’écrit S indice 1 : S1.

 Justement parce que c’est le premier. Il faut qu’il y en ait un premier. Et il l’appelle signifiant-maître.

Ce signifiant indice 1, eh bien, il va, du seul fait qu’il s’énonce, qu’il est proféré, qu’il est articulé, et d’où que ça vienne, il va produire en réponse, en corrélation… Vous savez que Lacan – je vous l’avais dit aussi ça – quelque part écrit, je ne sais plus où : toute question appelle réponse. Eh bien, d’une certaine manière un signifiant tout seul a une valeur de questionnement, il déclenche quelque chose, et il va déclencher quelque chose qui va prendre la forme de signifiants qui vont venir soit en réponse, soit en corrélation avec ce premier signifiant. Et ça, eh bien, ça va être ce qui, à une autre place où à la place autre que celle de ce premier signifiant, va venir en quelque sorte répondre. Encore une fois, vous êtes dans la rue, vous entendez : « Eh ! », vous vous retournez. Le fait de vous retourner, même si c’est pas articulé dans une parole, ça a une valeur signifiante, c‘est une conduite qui a une valeur signifiante. Vous répondez au signifiant-maître, nous y répondons tous !

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