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Ephep, le 12/01/2016 

            Les différentes méthodes psychanalytiques... Les différentes méthodes, ça ne veut pas forcément dire que nous pensons que dans le même type de cas par exemple, on aurait la possibilité ou la nécessité de choisir entre des formes de pratique qui s’opposeraient, des choix donc que le praticien devrait faire dans telle ou telle situation. Cet aspect va être présent dans cette série de conférences, mais on peut aussi prendre les choses autrement, il y a de toute manière dans la pratique du thérapeute, de l’analyste, une diversité de situations, névroses, psychoses, adultes, enfants, et cette diversité peut suffire par elle-même à poser la question de plusieurs méthodes différentes. On n’a sûrement pas la même façon de faire avec un sujet psychotique qu’un sujet névrosé. Donc voilà, pour un peu situer la façon dont on prend les différentes méthodes psychanalytiques.

            Alors, par ailleurs, à titre plus personnel, je dois dire que ça fait plusieurs fois qu’on me propose d’intervenir dans ce module, et non seulement d’y intervenir mais de l’organiser. Et, à chaque fois, je commence par des considérations assez générales. Ça varie, bien sûr, je ne répète pas à chaque fois la même chose, mais il me semble qu’il faut quand même poser la question même de ce qu’on peut appeler méthode psychanalytique. C’est un terme qu’on trouve chez Freud. Freud utilisait d’ailleurs aussi bien les termes, enfin je ne vais pas vous dire les termes allemands, mais aussi bien ce qui correspond à méthode que à technique psychanalytique. Et d’ailleurs, ce qui est resté le plus connu de Freud là-dessus, c’est un livre, un petit recueil d’articles, que je vais tout de suite vous citer, qui s’appelle, publié en français sous le titre La technique psychanalytique, qui regroupe un ensemble de textes sur cette question. J’en profite au passage pour vous donner des éléments de bibliographie, sans doute les collègues qui participent au module vous en donneront d’autres. Considérez donc comme essentielle la lecture de ce petit ouvrage. Vous pouvez aussi vous référer au Séminaire I de Lacan, qui porte sur les Écrits techniques de Freud, c’est le titre du séminaire, et aussi, vous verrez l’usage que j’en ferai, si vous avez l’occasion de le trouver mais ce n’est pas facile à trouver, un petit livre de Rank et Ferenczi, qui s’appelle Perspectives de la psychanalyse. Alors comme celui-ci n’est pas facile à trouver, vous pouvez éventuellement aller lire un article de Ferenczi qui s’appelle L’élasticité de la technique psychanalytique. C’est dans les Œuvres complètes, je ne sais pas dans quel tome d’ailleurs, mais enfin bon, c’est un article auquel Lacan se réfère dans les Écrits.

            Puisque je vous parle tout de suite du livre de Freud qui s’appelle donc, La technique psychanalytique, enfin le livre composé d’articles de Freud, je dois dire que je peux pas commencer cet enseignement sans indiquer que j’ai des réticences. Enfin plutôt que j’aurais des réticences si le titre de ce module était par exemple La technique psychanalytique et non pas Les différentes méthodes psychanalytiques. J’aurais des réticences parce qu’il y aurait à la fois le singulier, la technique, et puis peut-être également ce terme de technique, et donc peut-être c’est une façon de commencer cet enseignement en essayant de vous expliquer, peut-être de m’expliquer à moi-même, cette réticence. Pourquoi ? Pourquoi une réticence par rapport à l’expression technique, ou la technique, psychanalytique ? Je peux me donner assez vite quelques raisons. Je peux tout de suite dire que l’idée de technique évoque un peu trop, au moins pour moi, celle d’un savoir qu’il n’y aurait qu’à appliquer. Et donc au fond un ensemble de procédures, toujours contrôlables, on peut toujours à tout moment savoir ce qu’on fait, voire reproductibles, on sait pourquoi on fait ça, on reproduit une technique qui aurait fait ses preuves. Et voilà, une fois dit cela, je suppose donc, comme beaucoup d’analystes sans doute, que je ne souhaite pas penser que je suis un technicien de la psychanalyse. Seulement, qu’est-ce qu’on peut opposer à technique ? Il y a d’autres choix possibles mais les arguments, même s’ils sont apparemment rationnels, les arguments du choix ne sont pas neutres. Les arguments du choix qu’on pourrait avoir d’une autre expression peuvent toujours laisser percevoir un fantasme sous-jacent. Et sans doute dans un premier temps nous allons essayer d’explorer un peu les fantasmes que nous pouvons avoir quant à ce métier que nous faisons, et c’est avec ça que je vais avoir à m’expliquer.

            Parce que, au fond, qu’est-ce qu’on peut opposer à « technique » ? Il y a le terme de « méthode » que j’ai employé il y a un instant, enfin j’ai signalé que chez Freud on trouve les deux, il est peut-être un peu plus satisfaisant, il donne l’idée d’un ensemble de règles qui sont plus générales, que techniques, enfin en tout cas qui déterminerait l’action d’une façon moins étroite, vous sentez que c’est une façon d’aborder les questions plutôt que de les résoudre, dans un dispositif pratique, et donc ça laisserait ainsi plus de responsabilité au praticien, ce qui est toujours positif. En même temps, voilà, pour continuer dans cette question des termes mêmes, le terme de méthode ne concerne pas forcément une action. Ça ne concerne pas forcément une pratique, la pratique psychanalytique en l’occurrence. Le Discours de la méthode, chez Descartes,  a pour sous-titre Pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, méthode ça a aussi bien une dimension théorique. Alors, si on veut rester quand même un peu plus sur le plan de la pratique, la pratique de la psychanalyse, du praticien justement comme on dit, et si on essaie de saisir comment se débrouiller pour ne pas rester avec le terme de technique, comment faire ? Une autre référence qui m’est venue à l’esprit, c’est aussi une référence philosophique, mais vous savez peut-être qu’à l’EPHEP nous ne nous enfermons pas dans une approche clinique étroite, quand il y a un éclairage par la philosophie, ou d’autres abords, nous n’hésitons pas ! Et donc il m’est venu une référence qui est une référence à Kant, Emmanuel Kant, philosophe, et c’est plus précisément tiré d’un livre qui s’appelle  la Critique de la faculté de juger. C’est un livre où Kant parle de l’art, mais je vous le dis tout de suite pour que vous suiviez ce que je veux en faire, le questionnement de Kant n’est pas seulement, au sens étroit, esthétique. Bien sûr Kant parle du Beau, du Sublime, c’est une analyse assez intéressante, mais son questionnement va au-delà de ces catégories de l’esthétique, c’est-à-dire de la philosophie de l’art, et j’en viens à ce qui va m’intéresser, c’est un paragraphe qui est le paragraphe 43, dans ce livre, où Kant propose une distinction entre l’art et la science, qui sans doute permet de donner une première définition, en passant, et par opposition à l’art, vous allez le voir, une première définition de ce qu’on peut appeler technique. Que dit Kant en effet ? Il dit que l’art, comme habileté de l’homme - vous voyez c’est assez large, ce n’est pas seulement l’art et les beaux-arts - l’art est aussi distinct de la science que la faculté pratique (il entend par faculté pratique la faculté d’agir, prendre une décision morale, faire un acte qui a une portée quelconque) est distincte de la faculté théorique (faculté de penser, de concevoir des problèmes). Et alors pour avancer, par rapport à une définition de l’art, il explique que ce que l’on peut réaliser à condition simplement de savoir ce qui doit être fait, de connaître l’effet recherché, ne s’appelle pas de l’art. S’il suffit de savoir ce qu’on cherche et ce qu’on veut faire pour que ça marche, ce n’est pas de l’art. Seul ce que l’on ne possède pas l’habileté de faire, même si on le connaît de la manière la plus parfaite, relève de l’art. Vous saisissez ça ? Donc on pourra savoir que c’est de l’art lorsque même si on sait parfaitement ce qui doit être fait, ça ne prouve pas pour autant qu’on va le faire, qu’on peut le faire. L’art, au sens large, c’est une habileté particulière que le savoir, fût-ce le savoir le plus exact, ne suffit pas à acquérir. Kant illustre cela d’un exemple qui est resté célèbre –  je vous le donne pour son côté distrayant : il parle de quelqu’un qui s’appelait Camper, Pierre Camper (1722-1789), anatomiste hollandais, qui, dit-il, décrit très exactement les propriétés que devrait avoir la meilleure chaussure, mais il ne pouvait assurément pas en faire une. L’anatomiste n’est pas un cordonnier, donc il n’a pas l’art de la fabrication de la chaussure, quel que soit le savoir très précis qu’il peut avoir sur la bonne chaussure. Alors, voilà, peut-être qu’au passage cela nous permet de voir ce que nous pourrions appeler technique. Et ce par rapport à quoi, justement, j’ai quelques réticences. Disons que nous pourrions appeler technique ce qu’il suffit de bien connaître pour pouvoir le réaliser. Donc, voyez, je me demande si ma résistance à parler d’une technique analytique ne vient pas d’une réticence à penser que le savoir suffit ? Réticence à penser qu’il suffit en quelque sorte de savoir pour savoir faire. Et voyez, par là même j’en viens à une notion, je ne sais pas si on vous l’a dit, mais c’est une notion qu’on trouve souvent chez Lacan à propos de la psychanalyse, qui est la notion de savoir-faire, le savoir-faire en tant qu’il n’est pas l’application d’un savoir. Il aborde plusieurs fois cette notion-là, parlant d’ailleurs aussi, à l’occasion, d’un «savoir-y-faire». L’analyste doit savoir-y-faire. Ce sont de toutes petites choses mais Lacan était très attentif à la façon de parler et aux implications de, par exemple ce petit mot qui tient dans une lettre, «y», ce petit mot qui marque une indétermination relative : à la rigueur, savoir-faire, ça pourrait glisser plus ou moins vers le savoir, mais savoir-y-faire, vous sentez bien que c’est plus indéterminé. Ça interroge le praticien dans quelque chose qui est très difficile sans doute à préciser, ça ne veut pas dire qu’il ne fallait pas tenter de le faire, mais il faut savoir dès le départ qu’on n’a pas le système codifié de ce que serait un savoir-y-faire. Savoir-y-faire, c’est aussi bien ce qu’on trouve dans les relations trans-individuelles, les relations d’un individu avec un autre, quand quelqu’un, par exemple, a envie d’aider quelqu’un d’autre, de lui montrer son affection, son amouretc. Il y a des gens qui savent mieux y faire que d’autres.

            Donc, tout cela nous éloigne de l’idée d’un savoir qui viendrait en toute circonstance fournir l’indication de ce qui serait la bonne réponse à un problème qui se poserait dans la cure. Alors cela a des implications : je vous le dis au passage, dans une formation d’analyste, il y a un moment qui est sans doute important, où l’analyste qui commence sa pratique parle avec un autre analyste de cette pratique. Et comment est-ce qu’on peut concevoir ce moment ?  On l’a appelé supervision, ou même parfois contrôle ; vous sentez bien par rapport à ce que je vous ai dit que ce n’est pas la meilleure façon de parler, parce qu’il ne s’agit en aucune façon de contrôler ce que l’analyste débutant aurait à faire, s’il respecte les bonnes règles apportées par le bon savoir. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. On estime plutôt qu’en parlant de ce qu’il fait, l’analyste qui commence, qui prend en charge un analysant - personne qui vient consulter - l’analyste en parlant va percevoir un peu mieux les enjeux, la problématique de l’analysant, mais aussi d’ailleurs la sienne ! Parce que, s’il n’y a pas de savoir qui dicterait à l’analyste sa conduite, par exemple ses interprétations, il n’y a pas de savoir qui va lui dire ce qu’est la bonne interprétation et surtout à quel moment la faire. Il y met forcément du sien, dans le moment où il va intervenir, dans la forme de ses interventions, le contenu de ses interventions. À chaque moment, ça me paraît important à souligner dès aujourd’hui, je pense que j’y viendrai peut-être un peu plus encore la prochaine fois, à chaque moment le psychanalyste met en jeu non seulement ses choix conscients (l’idée qu’il se fait de la cure, de ce qu’il en attend) mais aussi il met en jeu certains effets de son propre inconscient. Lacan reconnut cela notamment vers la fin de son enseignement. C’est une époque où par ailleurs pour nommer l’inconscient lui-même, il fit un jeu de mots trans-linguistique, un jeu de mots passant d’une langue à une autre, c’est-à-dire qu’il partit pour ce jeu de mots de ce qui chez Freud, en allemand, désigne l’inconscient, das Unbewusste, l’inconscient simplement si on traduit, mais lui a traduit autrement, du fait des sonorités mêmes du mot, il a traduit, si on peut dire, l’Unbewusste par Une-bévue. Voilà, l’Une-bévue, l’inconscient qu’est-ce que c’est, c’est une bévue : par exemple le lapsus, on n’emploie pas le mot qu’on pensait employer, on en emploie un autre, c’est une bévue, une bévue c’est toujours intéressant une bévue de ce genre, un oubli, un acte manqué...etc. Et donc voilà, au moment où Lacan parlant de l’inconscient peut le désigner comme Unbewusste, en même temps c’est le moment où dans l’un de ses derniers séminaires il dit que le savoir-faire de l’analyste ne va pas sans possibilité de l’Une-bévue. Donc voyez le savoir-faire, cela suppose que l’analyste accepte en lui-même cette mise en jeu du savoir inconscient, qu’il va peut-être faire des lapsus, et que au fond peut-être ce qu’il dira, en faisant un lapsus, dira  davantage quelque chose de la vérité de la personne qui lui parle, que la phrase bien raisonnable qu’il pensait avoir réfléchi quand il pensait à ce patient.

            Voyez, donc dans tout cela, nous sommes assez loin de l’idée de l’application d’un savoir calculable. Savoir-faire, savoir-y-faire, on voit qu’il ne s’agit pas de ce qu’en commentant Kant nous avons appelé à proprement parler technique, application d'un savoir technique au sens où il suffirait d’avoir un savoir théorique pour savoir-faire. Et alors, si vous vous souvenez de ma question, quel est le terme, si on n’aime pas le terme de technique quel est le terme que nous allons employer ? Est-ce que c’est art ? Est-ce qu’on aurait dû intituler cette série de conférences L’art de la psychanalyse, même au sens de Kant, non pas les beaux-arts, pas non pas le caractère esthétique, encore qu’on peut parler par exemple d’une belle interprétation, à l’occasion. Mais prenons-le au sens de Kant, ce qu’il ne suffit pas de savoir pour faire. Mais néanmoins, la poésie n’étant pas uniquement le « beau », souvenons-nous que vers cette époque-là Lacan a pu rapprocher l’interprétation de la poésie. La poésie, c’est une attention au langage qui n’est pas simplement une attention au contenu, au sens, à la signification des mots employés, mais une attention aux résonances, aux connotations, aux métaphores, aux métonymies, à ce qui passe d’un signifiant, de la forme acoustique d’un mot, à un autre voisin, voisin sur le plan du matériel sonore. Donc Lacan a vraiment pu rapprocher l’interprétation de la poésie, et donc on pourrait vraiment entrer dans toute cette dimension-là, et nous demander si finalement ce terme d’art ne pourrait pas être un bon terme ? Il me semble toutefois que ça serait une façon un peu trop partielle de poser le problème.

La façon dont je poserais le problème ce soir serait plutôt de vous dire : qu’est-ce que ça risque d’impliquer dans notre pratique, dans notre travail, mais aussi je dirais dans ce qui fait résistance dans notre travail, ce qui - pour l’instant disons-le simplement comme cela - fait que ça bloque l’avancée de notre travail ? Qu’est-ce que ça peut impliquer de définir cette pratique comme l’application d’un savoir d’un côté, ou de la définir comme un art, un art c'est à dire une démarche que d’une certaine façon nous opposerions à la connaissance théorique ? J’emploie le terme de résistance. Est-ce qu’il y aurait des résistances spécifiques à une conception, et à l’autre ? Et vous verrez que le terme de résistance va prendre une grande place dans mes deux interventions. Ce terme de résistance qui, disons, désigne d’abord tout ce qui chez l’analysant s’oppose à l’accès de celui-ci à son inconscient,  ce terme de résistance peut aussi se situer du côté de l’analyste, parce que parfois  - on pourra s’interroger là-dessus, il y a une résistance du côté de l’analyste au sens où il y a quelque chose de son côté qui risque de bloquer le travail de l’analysant. Donc, ces conceptions que je mets en avant tout de suite de la technique analytique, est-ce qu’il y en a une qui fait résistance plus que l’autre, ou inversement ? Pour avancer sur le fait que la résistance peut exister d’un côté comme de l’autre, je vous dirais que si on suit bien ce que dit Freud, on peut trouver le moyen d’avoir une position pas trop tranchée, on peut se garder d’avoir une position unilatérale.

            Et, pour commencer à m’engager là-dedans, je vais me référer à une lettre de Freud que j’ai trouvée à la fin du chapitre que Jones consacre aux Écrits techniques de Freud. Certains connaissent peut-être un grand ouvrage d’Ernest Jones, un des plus proches compagnons de Freud, ouvrage en trois tomes, qui s’appelle La vie et l’œuvre de Freud. Eh bien, au tome III, dans un chapitre qui s’intitule Travaux techniques, Jones insère une lettre de Freud à Ferenczi. C’est une lettre qui date du 4 janvier 1928. Dans cette lettre, Freud parle à Ferenczi d’un article que ce dernier a consacré à L’élasticité de la technique psychanalytique, donc ce texte, cet article, que je vous ai cité tout à l’heure. Freud dit à Ferenczi que son titre est excellent avec ce genre d’humour qu’on peut trouver chez des analystes ou enfin chez n’importe qui, il lui dit que son titre est excellent et que son ouvrage mérite une élaboration plus poussée ! À cette occasion, il revient sur ses propres conseils concernant la technique, il lui dit : moi vous savez j’ai écrit un certain nombre de textes sur la technique, conseils écrits, dit-il, il y a longtemps. Et Freud affirme à ce moment-là que ses conseils ont essentiellement un caractère négatif. Intéressant, ça ! Comment caractériser les règles, enfin les règles, la technique ? Là, il dit : moi ce que j’ai fait, c’est que j’ai donné des conseils négatifs, j’ai considéré, écrit Freud, qu’il fallait avant tout souligner ce qu’on ne devait pas faire et mettre en évidence les tentations capables de contrarier l’analyse. J’ai négligé, ajoute Freud, de parler des choses positives, qu’il faudrait faire, et en ai laissé le soin au tact. Je n’ai pas dit ce qu’il fallait faire, j’ai dit ce qu’il ne fallait pas faire, et pour ce qu’il fallait faire, j’ai laissé le soin de ce qu’il faut faire au tact. Vous voyez cette métaphore, le tact : ça peut bien relever d’un savoir-y-faire, le tact ! Quand on parle avec tact c'est à dire « savoir comment parler à l’autre », cette notion que développe Ferenczi se retrouve dans un article d’un élève de Ferenczi, qui s’appelle Lœwenstein, l’analyste de Lacan. Il y a un article de Ferenczi qui s’appelle Remarques sur le tact, si je me souviens bien, dans La technique psychanalytique. Freud rappelle qu’il a donné surtout des règles négatives, il en est résulté que les analystes dociles ne saisirent pas l’élasticité des règles qu’il avait formulées, et qu’ils y obéissent comme si elles étaient taboues. C’est surprenant, si vous y réfléchissez : Freud d’abord dit que les analystes sont trop dociles, ils considèrent ce qu’il a dit comme un tabou, c’est-à-dire il faut le respecter absolument, c’est une loi, ce sont presque des lois primitives, et s’ils font ça c’est parce qu’il les a présentées seulement comme négativement. On peut se demander si les analystes ne se seraient pas montrés encore plus soumis aux règles si elles avaient été présentées comme des règles positives ! Ça aurait conditionné encore plus leurs réactions, mais enfin voilà, ça peut être surprenant mais vous voyez que Freud, en tout cas, ici au moins, est sensible au risque que les analystes soient exagérément soucieux de conformité, du respect de règles taboues. Il a inventé une science et une pratique, il y a des gens qui veulent le suivre, des disciples, et apparemment là il s’inquiète du fait que ses disciples sont trop conformistes. Alors on peut peut-être se dire que l’idée de faire de la pratique analytique un art, un art au sens de Kant, donc qui ne relèverait pas de l’application, peut-être pourrait préserver la possibilité de l’invention, et éviter le risque du conformisme ?

            Mais c’est là que, pour ne pas en rester à cette vision unilatérale, puisque je vient de faire état d’un risque, je peux faire état d’un risque inverse, en me demandant, en me demandant avec vous, s’il n’y aurait pas, dans la façon dont j’ai principalement abordé les choses jusqu’à présent, s’il n’y a pas un risque aussi, auquel Freud d’ailleurs était encore plus sensible. Parce que là il écrit ça à Ferenczi mais ce n’est pas forcément l’essentiel de ce qu’il a eu comme position par rapport aux analystes. Il y a un risque auquel il était plus sensible, dont il parle plus souvent, qui était que chacun des analystes se mette à suivre une voie totalement singulière. Si en quelque sorte il n’y a pas de conseils un tout petit peu généralisables, qu’est-ce qui va se passer ? Chacun va, comment dire, pratiquer l’analyse à sa façon, complétement à sa façon, et à la limite au bout d’un certain temps on pourrait se demander ce qui dans telle ou telle façon d’agir relèverait encore de l’analyse ou non.

Il faut savoir que c’est arrivé très vite. Lacan cite dans les Écrits qu’une enquête avait été faite et que l’analyste Glover avait relevé que les analystes n’étaient pas d’accord entre eux sur la plupart des grandes questions concernant la pratique. Et donc voyez, Freud était très sensible aussi à ce risque, et il me semble que par rapport cette question-là, faire de l’analyse simplement un art qui aurait une certaine indépendance par rapport à tout savoir pourrait aussi être une résistance à l’analyse, à ce qu’elle implique, à ce qu’elle commande éventuellement.

Un côté comme l’autre peut sembler problématique, est-ce qu’on peut sortir de cette contradiction ? Peut-être si nous parlons de la pratique analytique dans ces termes si contradictoires ou si apparemment contradictoires, peut-être, et c’est là-dessus que je voudrais quand même avancer quelque chose, peut-être est-ce parce que ce que nous appelons technique psychanalytique, ou méthode, mais là dessus je vais peut-être moins distinguer, ça recouvre au fond deux réalités assez différentes. Qu’est-ce que je veux dire par là ? Je viens de me référer, pour introduire cette distinction, à une distinction que Freud fait dans un des textes de ce recueil. Ce texte s’appelle Le maniement de l’interprétation des rêves en psychanalyse. Dans ce texte Freud oppose deux choses, il oppose d’un côté ce qu’il appelle l’art d’interpréter les rêves, et d’un autre côté précisément ce qu’il appelle le maniement de l’interprétation des rêves. L’interprétation des rêves, dit-il, ne doit pas être pratiquée au cours du traitement psychanalytique comme un art en soi, son maniement reste soumis aux règles techniques auxquelles doit obéir tout l’ensemble du traitement. Alors comment comprendre ça ? C’est quelque chose dont on se rapproche quand on est analysant. Il y a des analystes qui sont assez sensibles, une fois que l’analysant a raconté un rêve,  ils sont à même d’entendre dans un rêve qu’on leur rapporte, et c’est quelque chose qui peut être très attirant, l’art d’interpréter les rêves, c’est-à-dire de percevoir des mots un peu particuliers, des associations, tout ce à partir de quoi le rêveur peut illustrer son rêve. Il y a cette dimension de l’art d’interpréter des rêves, dont Freud dit que ce n’est peut-être pas l’essentiel, l’essentiel c’est de savoir comment l'utiliser, comment le manier. Par exemple, si chaque fois que l’analysant apporte un rêve, on essaie d’aller le plus loin possible dans l’interprétation, donc pousser l’analysant à faire des associations, des hypothèses, revenir sur le rêve très longtemps etc. il se pourrait, dit Freud, qu’il faille en continuer l’analyse sur plusieurs séances successives ;  pourtant à l’époque les séances étaient longues, plus longues que maintenant, et cela risquerait, dit Freud, de faire négliger d’autres contenus qui peuvent venir occuper l’esprit du malade - entre guillemets, puisqu’à l’époque c’était un malade qui consultait - et ça pourrait donc fonctionner comme résistance, c’est-à-dire ça empêcherait d’être attentif à ce qui peut venir sans préméditation, ce qui est le principe le plus important de la psychanalyse : accueillir les pensées incidentes.

 Autre chose, toujours sur le maniement de l’interprétation des rêves. Freud dit qu’il faut généralement se garder de montrer un trop vif intérêt pour l’élucidation des rêves. Ne laissez pas percevoir que ça vous intéresse car ça risquerait de faire croire au malade que le reste a moins d’importance ; le travail stagnerait s’il n’apportait pas de songes, et en pareil cas, dit Freud, la résistance pourrait se porter sur la production onirique et provoquer son arrêt. Voyez la finesse de la réflexion, si vous êtes en tant qu’analyste trop attentif aux rêves, le patient va le sentir et pour peu qu’il y ait quelque chose qui fasse résistance chez lui à ce moment-là, la résistance va provoquer un arrêt des rêves, ou du moins des souvenirs des rêves. Alors, qu’est-ce que je tire de tout cela ? Je ne pense pas que l’opposition que fait Freud dans cet article sur les rêves soit exactement superposable à celle que j’ai introduite avec Kant. Cependant on peut se dire qu’il y a dans la façon dont l’interprétation peut venir à l’analyste quelque chose de non codifiable, de non prévisible, quelque chose qui relève seulement d’un savoir-y-faire. Mais, à un autre niveau, pourquoi ne pas penser que l’utilisation de ce qui peut lui venir pourrait être interrogé de façon plus systématique. Et donc, au fond, le maniement peut-être de l’interprétation des rêves, par exemple, pourrait relever d’une technique qui, elle, pourrait s’apprendre. L’art est davantage lié à la sensibilité de chacun, et peut-être qu’il pourrait y avoir une technique. En tout cas là il y a une règle.

            Alors, vous avez vu qu’en prenant cet exemple des rêves, j’ai tourné aussi autour de la notion de résistance, puisqu’il peut y avoir une résistance si on essaie de pousser trop loin l’analyse d’un rêve, il faut bien dire que le thème de la résistance a une place importante dans le livre de La technique psychanalytique. Et c’est un des premiers thèmes sur lesquels Lacan s’attarde dans son Séminaire I, Les écrits techniques de Freud. Je commence rapidement par le livre de Freud. Si vous le lisez un peu systématiquement, vous verrez que la résistance est une notion importante de ce livre. Je crois qu’il ne doit pas y avoir un seul article où ce terme n’intervient pas. Je ne vais pas le présenter d’une manière systématique. Dès le premier article, un article daté datant de 1904, Freud dit que le facteur de la résistance est devenu l’une des pierres angulaires de sa théorie. Dans toute névrose, dit Freud, il y a en effet une amnésie qui se manifeste quand le patient tente de faire une histoire de sa maladie. Cette amnésie est due à un refoulement, et les forces psychiques qui ont permis le refoulement sont perceptibles dans la résistance qui s’oppose à la réapparition des souvenirs. Or à partir de cette thèse centrale, les premiers des articles techniques amènent entre autres deux types d’idées. La première c’est qu’il y a dans les buts intermédiaires visés pour obtenir la guérison, toute une évolution. Et cette évolution amène à mettre de plus en plus l’accent sur la résistance. Mais il y a une autre idée, à propos de la résistance, et Freud en parle dans l’article sur la psychanalyse dite sauvage. Dans cet article Freud discute entre autres l’illusion d’un praticien qui croirait qu’il suffit d’expliquer à un patient la cause de sa névrose, souvent d’ailleurs de façon bien grossière, pour que cela aide le patient. Il suffirait par exemple de lui dire qu’il souffre d’aspirations sexuelles insatisfaites, et qu’il ferait donc bien de les satisfaire, pour que tout s’arrange. Outre qu’une telle intervention méconnaîtrait complétement totalement la complexité de la dimension psycho-sexuelle, c’est-à-dire que le sexe n’est pas simplement un acte physique, ce que le praticien sauvage ne voit pas, c’est qu’à supposer qu’il ait levé une ignorance chez le patient ce n’est pas l’ignorance en soi qui constitue le facteur pathogène. Cette ignorance a son fondement dans les résistances intérieures qui l’ont d’abord provoquée et qui continuent à maintenir la névrose. Il appartient donc à la thérapeutique de combattre ces résistances. Voyez, c’est une façon d’illustrer ce que je vous dis à savoir que dans ce livre il y a une importance, grande, donnée à la résistance, et avec ce terme peut-être de combattre la résistance, qui a, comment dirais-je, des conséquences pas toujours positives. Voilà, avec néanmoins cette idée qui me paraît très juste, en revanche, c’est que ce n’est pas le savoir qui permet la guérison. Ça, c’est une idée de Freud qu’il faut relever dans ce texte.

            Alors, je pourrais m’attarder sur ce qui a conduit Freud à insister sur la question des résistances, disons plutôt que ce qu’on appelle, à partir de Freud, l’analyse des résistances, a pris,  dans les premières décennies du XXème siècle disons, la première place dans la pratique analytique. Et c’est du coup la situation que Lacan trouve lorsqu’il commence son enseignement. C’est-à-dire l’analyse au moment où Lacan commence à faire ses séminaires, Séminaire I, Les écrits techniques de Freud, c’est en grande partie l’analyse des résistances. Je vais essayer de vous expliquer comment, pourquoi, qu’est-ce que ça implique parce que là pour le coup c’est une vraie question sur les méthodes psychanalytiques : est-ce que la bonne méthode, c’est l’analyse des résistances ? Il faut bien dire que l’importance de l’analyse des résistances a constitué à un moment donné une sorte de point de vue officiel sur ce que c’est que la psychanalyse, avec cette remarque, que je vais quand même faire tout de suite, c’est que c’est pas pour autant qu’elle était systématisée uniquement par des disciples sans originalité, qui auraient ramené l’analyse à des modèles standardisés,  bureaucratisés, et donc bien éloignés de l’audace des premiers temps. Si vous voulez, ne croyez pas, parce que je vous dis « c’est le point de vue officiel », que c’était tout de suite un point de vue de fonctionnaires de la psychanalyse. Je vais vous le montrer. En tout cas pour ma part, lorsque j’ai commencé à travailler sur ce genre de questions il y a vraiment très longtemps, je m’étais étonné, qu’un des analystes qui ait le plus réfléchi sur cette question de l’analyse des résistances, et dont je vais vous parler, c’est quelqu’un qui n’a rien d’un fonctionnaire de la psychanalyse, qui applique un savoir, c’est quelqu’un qui était plutôt disons aventureux, au point que son oeuvre s’achève d’une façon un peu triste dans une théorie biopsychologique de l’énergie d’orgone cosmique sur laquelle il pensa pouvoir agir directement. Ça vous dit quelque chose ? Qui c’est ? Oui, Reich, exactement, absolument Reich qui est connu d’ailleurs pour d’autres raisons, peut-être, que l’analyse des résistances ; il est connu parce qu’il a voulu très tôt avant d’en arriver à ce qui est un peu délirant, cette histoire d’énergie d’orgone, il est connu pour avoir voulu concilier la psychanalyse avec une approche sociale révolutionnaire, il a voulu faire de la prévention des névroses en luttant contre le patriarcat et la répression sexuelle,  il a insisté sur la fonction libératrice de l’orgasme, on le connaît pour ça, mais, il faut savoir aussi que c’est quelqu’un qui a joué un rôle très officiel, il a été vice-directeur du dispensaire psychanalytique de Vienne, c’est-à-dire que les analystes avaient organisé aussi un lieu de soins, où les gens pouvaient venir être soignés gratuitement ou presque, et il était vice-directeur de ce dispensaire entre 1928 et 1930, et il a été surtout responsable, entre 1924 et 1930, du séminaire de technique psychanalytique de Vienne. Séminaire où sans doute il s’est montré plus directif que ce que l’on attendrait de la part d’un libertaire qu’il était par ailleurs, c'est à dire que voilà ce qu’il écrivait à cette époque-là c’était plutôt des sortes de directives, je vais vous en parler. Je vais vous parler un petit peu d’un de ses ouvrages qui s’appelle L’analyse caractérielle. Je laisse de côté les préfaces aux différentes éditions, où il relie un peu ses idées sur la technique avec ses idées plus générales sur la société, dont je viens de vous parler. Dans le premier chapitre, Reich dit que la question fondamentale pour la psychanalyse c’est de savoir si et dans quelle mesure la théorie des névroses permet l’élaboration d’une technique sûre de l’analyse thérapeutique. Alors Reich décrit un aller-retour entre pratique et théorie, mais tout de même vous avez bien entendu : la pratique est l’application d’une théorie, est-ce que la théorie des névroses permet l’élaboration d’une technique sûre, et la théorie devrait garantir que la technique est une technique sûre. Alors comme toujours c’est plus complexe, c’est-à-dire que dans la même page, la première page du premier chapitre, Reich affirme qu’il existe autant de techniques individuelles que d’analystes. Il ne dénonce pas d’emblée une telle situation, mais il faut bien voir que lorsqu’il donne ses conseils lui aussi aux analystes, il le fait à partir de ce qui lui paraît est important, et qui est l’analyse des résistances, une idée très systématique, et donc finalement très rigide. Pour expliquer notamment les erreurs que peut faire - que devrait éviter l’analyste, il se sert, et c’est très louable, pour démontrer la thèse, des erreurs qu’il a pu faire lui-même. Mais  justement en lisant on s’aperçoit que toujours ça renvoie  à une même problématique, c’est-à-dire que les erreurs viennent toujours pour lui du fait que l’analyste a tenté des interprétations de ce qu’il appelle les couches profondes de l’inconscient avant d’analyser ce qu’il y avait à la surface, et qui défend l’accès à ce niveau profond. On n’est pas dans la topologie lacanienne, il y a la surface, la profondeur, et il y a donc en surface des résistances qui se présentent en plusieurs couches, et il faut aller dans le bon ordre, c’est-à-dire qu’il faut aller de plus en plus vers les profondeurs. Avec cette idée que si on donne trop vite une interprétation des profondeurs, elle ne marchera pas, parce qu’il faut d’abord vaincre les résistances, et qu’elle ne sera plus utilisable - le lion ne peut bondir qu’une fois. Pour vous donner une idée de ces différents niveaux, je vais vous lire quelques lignes dans le 3ème chapitre, pages 48-49 : un exemple schématique illustrera notre propos : si un malade a d’abord aimé sa mère, puis détesté son père, puis, par peur, abandonné sa mère pour transformer sa haine du père en amour passif féminin, le premier transfert (parce que voyez, ce qui s’est passé dans sa vie va se répéter sous forme de transferts et là aussi, il y aura plusieurs mouvements de transfert) le premier transfert sera, pour peu que l’analyse de la résistance soit faite correctement, une attitude passive féminine. C’est-à-dire que ce qui va se manifester dans le transfert, c’est d’abord ce qui est le plus en surface, ce qui est le plus récent. Donc une attitude passive féminine représentant le dernier stade de l’évolution libidinale. Une analyse systématique des résistances mettra au jour la haine du père qu’elle cache. Donc première chose qui apparaît, cette position passive féminine. Mais elle cache elle-même la haine du père. Ce n’est qu’ensuite que survient un nouvel investissement de la mère, d’abord sous forme d’amour de la mère, transféré à l’analyste. De là il peut se porter sur une femme réelle. Vous voyez un peu comment tout ça fonctionne. Donc, de ce texte, on retient trois ou quatre idées : les conflits infantiles se reportent dans la cure au niveau du transfert, sous forme de résistances, si on les analyse on débouche sur les conflits psychiques essentiels de l’histoire du sujet, et donc aussi les résistances qui les expriment, sont organisés. Une couche en recouvre et donc en dissimule une autre. Il faut, je vous l’ai dit mais je le répète, Reich est très normatif, il faut les analyser dans le bon ordre, de ce qui est le plus en surface vers ce qui est le plus profond. Il y aurait également à vous dire, même si ce n’est pas développé aussi explicitement dans cette page, que ce qui s’organise dans telle ou telle couche de psychisme a comme fonction de défendre le Moi contre une motion pulsionnelle qui serait insupportable. Si vous voulez, de même que l’attitude passive féminine protège le Moi contre la perception de la haine du père, au fond, il y a ce que Reich, mais pas seulement Reich, la psychanalyse appelle une défense du Moi, c’est à dire que le Moi se défend contre un certain nombre de tendances, de pulsions, ici par exemple la haine du père. Nous reviendrons sans doute la prochaine fois sur la notion de défense du Moi.

            Alors bon j’en viens tout de même à Lacan puisque je vous ai dit que Lacan commence sa réflexion, et notamment sa réflexion sur la technique, par une discussion de cette notion d’analyse des résistances. Lacan revient à la démarche originelle de l’analyse, celle qui se centre sur l’accès à l’inconscient, non pas sur ce qui défend l’inconscient, ou ce qui empêche cet accès, mais l’accès à l’inconscient. L’accès à l’inconscient serait ce qui est légitimement visé quand on donne la parole à l’analysant. Si vous lisez cela, et si par ailleurs vous avez déjà lu des textes de Lacan plus récents, vous verrez, c’est un petit peu curieux, Lacan ne craint pas de parler à l’époque en parlant d’une révélation, ou encore d’un aveu de l’être, ce qui serait visé par la psychanalyse ce serait l’aveu d’un désir inconscient, l’aveu de l’être, de l’être du sujet, et Lacan dit, je cite donc une phrase de ce Séminaire I, « C’est dans la mesure où l’aveu de l’être n’arrive pas à son terme que la parole se porte tout entière sur le versant où elle s’accroche à l’autre ». L’autre qu’il écrit là avec un petit a. Il faut savoir que Lacan distinguait l’autre, le petit autre, le semblable, et le grand Autre, du langage, la détermination par le signifiant. Mais donc, quand l’aveu de l’être, autrement dit la révélation du désir inconscient n’arrive pas à son terme, la parole va s’accrocher sur le rapport avec l’autre, et donc ça va constituer le niveau à proprement parler que les théoriciens de l’analyse des résistances perçoivent comme transfert et résistance de transfert. Cette résistance à ce sens-là elle est une sorte de conséquence d’un mouvement par quoi la parole de l’analysant se rabat sur la relation duelle. Au moment où l’analysant ne peut plus avancer par rapport à l’inconscient, il est tenté d’entrer dans une sorte de querelle d’opposition avec l’analyste. Donc il faut situer les deux choses car les résistances sont là néanmoins et ce n’est pas que Lacan en nie l’existence, mais il les situe d’une manière plus élaborée, en montrant une résistance liée au fait que le sujet s’approche du noyau pathogène (c’est à dire du conflit inconscient  du désir et de l’interdit). Quand le sujet essaie de s’approcher de ce qu’il aurait à dire sur ce plan là, il y a une résistance. Mais à ce moment-là son discours se rabat sur un axe imaginaire, le rapport qu’il entretient avec l’analyste comme semblable, et c'est là qu’apparaît facilement un mouvement paranoïaque où l’analysant aura toujours quelque chose à reprocher à l’analyste. Mais aussi peut-être parfois l’analyste aura quelque chose à reprocher à l’analysant. Parce que, souvenez-vous de ce terme sur lequel j’ai insisté deux fois, combattre les résistances, c’est là qu’on en vient à l’idée que dans l’analyse des résistances il y a aussi quelque chose de dangereux, puisque c’est l’idée d’un combat.

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