Préambule
- L’histoire des psychothérapies dites « psychanalytiques »
• Naissance et développement, des Etats-Unis à l’Europe
• Michael BALINT et la psychothérapie focale
• Peter SIFNEOS et les psychothérapies à court terme provocatrices d’anxiété
• Edmond GILLLIÉRON et les psychothérapies psychanalytiques brèves
- Psychothérapie « psychanalytique » : question technique ou épistémologique ?
- L’ « inspiration » psychanalytique dans le cadre des P.A.R.A. (« Psychothérapies À Référence Psychanalytique ») ou la tentation psychanalytique
- Le « psychothérapeute d’Etat » comme ectoplasme juridique
Préambule
Suffit-il, pour être dans une posture dite d’inspiration psychanalytique, de faire appel aux notions d’inconscient, de refoulement, de prise de conscience, de transfert et de contre-transfert ? Par ailleurs, il se dit souvent que la psychothérapie psychanalytique est soit une forme compliquée de psychanalyse soit le reflet d’une pratique de la psychanalyse au rabais… Pour certains, la ligne de démarcation ne repose pas sur la différence entre psychothérapie et psychanalyse mais sur les pratiques recourant à la suggestion et celles qui la refusent.
Quant au statut du symptôme comme élément de différenciation, il apparaît que la majorité des psychothérapies sont centrées sur le présent du symptôme et sa réduction, alors que, sacrifiant à la guérison de surcroît énoncée par LACAN, qui indiquait par là que la réduction du symptôme y est marginale, la psychanalyse se démarque d’une position médico-centrée que l’on retrouve notamment dans la classification nosographique nord-américaine du DSM. Il existe néanmoins des pratiques psychothérapiques se réclamant de l’appareil conceptuel psychanalytique telles que certaines méthodes de relaxation, le psychodrame analytique ou encore le rêve éveillé analytique. Je n’évoquerai pas, dans ce catalogue à la Prévert incomplet, les tentatives de rapprochement et d’intégration des diverses orientations (psychanalytique, systémique, cognitive et comportementale) ni l’association de plusieurs méthodes allant jusqu’à la posture de l’éclectisme.
Faut-il alors souscrire à la définition de Charles MELMAN selon lequel « ce que l’on nomme psychothérapie est l’action tentée frontalement sur le symptôme allégué par le patient sans analyse du texte qui l’a déterminé ni de l’influence – le transfert – dont l’action suggestive peut être décisive », définition l’amenant à conclure qu’il n’y a que des « actions psychothérapiques » tentées par des praticiens de formation psychanalytique, ce qui rendrait caduc le fait de parler de psychothérapie psychanalytique ? [1]
Sur le plan de la formation, est-il pertinent de reconnaître la compétence psychothérapique de praticiens ayant déjà effectué un travail analytique personnel – sans pour autant qu’ils n’appartiennent à une société de psychanalyse - en leur proposant un complément de formation à la psychothérapie dite psychanalytique sur trois ou quatre ans, comme le fait par exemple la Fédération Européenne de Psychothérapie Psychanalytique, formation centrée notamment sur l’observation directe analytique des bébés selon la méthode d’Esther BICK, la participation à des séminaires théorico-cliniques et la supervision de deux cas de psychothérapie d’enfants, dont l’un, au moins, au rythme de trois séances par semaine ? [2]
Sur le plan de la recherche sur les psychothérapies, faut-il cautionner le rapport de l’INSERM de 2004 sur l’évaluation des psychothérapies [3] qui s’appuie, en ce qui concerne la psychanalyse, sur une revue de la littérature anglo-saxonne portant sur l’approche psychodynamique, expression désignant en fait les thérapies brèves dites d’inspiration psychanalytique, rapport qui conclut néanmoins sur l’efficacité moindre de la psychanalyse, comparée aux approches systémique et cognitivo-comportementale, du fait qu’il joue sur le glissement sémantique entre approche psychodynamique et approche psychanalytique et fait l’impasse sur les fondements épistémologiques de ce que représente le changement en psychothérapie ?
Enfin, du point de vue de la réglementation relative à la protection légale de l’usage du titre de psychothérapeute, le fait que certaines associations de psychothérapeutes non-médecins et non-psychologues aient ajouté à leur sigle le terme psychanalyse, dans le but de voir dispensés leurs membres de la formation complémentaire en psychopathologie exigée par la loi, soulève davantage des questions mercantiles qu’une soi-disant meilleure protection des usagers contre les dérives sectaires… [4]
Nous associerons à une perspective historique - incomplète et trop schématique - de la conception des rapports entre psychanalyse et psychothérapie une réflexion de type épistémologique portant sur les modalités d’application de la théorie psychanalytique et des aménagements techniques de la cure-type, ce que nombre d’auteurs – nord-américains et européens, sauf les français dans leur majorité – désignent par les expressions de psychothérapie d'inspiration ou d'orientation psychanalytique (les PIP ou les POP, au choix…). Nous poursuivrons par l’évocation de la posture des acteurs concernés par ces différences (réelles ou imaginaires...) entre psychothérapie et psychanalyse, en lien avec un questionnement sur le fait de se désigner comme psychothérapeute associé au fait de se réclamer de la psychanalyse ; nous ferons évidemment le lien avec la réglementation actuelle. Nulle prise de position partisane ici quant à ces différences – celle-ci est du ressort des sociétés analytiques – mais une ébauche d’analyse anthropologique de qui dit qu’il fait quoi et sur la base de quels fondements…
L’histoire des psychothérapies dites « psychanalytiques »
Naissance et développement, des Etats-Unis à l’Europe
« Tout porte à croire que, vu l’application massive de notre thérapeutique, nous serons obligés de mêler à l’or pur de la psychanalyse une quantité considérable du cuivre de la suggestion directe », disait FREUD en 1918 au congrès de psychanalyse de Budapest. [5]
René HELD, citant ces propos, soulignait, dans son rapport sur les psychothérapies d’inspiration psychanalytique, lors du XXIVe Congrès des Psychanalystes de langues romanes à Paris en 1963, les effets dommageables de la mauvaise traduction de BERMAN de 1953 qui avait substitué le cuivre au plomb... : « Les psychothérapies d’inspiration psychanalytique ne sauraient se voir réduites à un mode particulier de suggestion, ni se voir comparer à un métal aussi vil que le plomb, lequel, cependant et après tout, compte parmi ses ancêtres des métaux de haute lignée radioactive et dignes de la plus grande considération ». [6] WIDLÖCHER reprend d’ailleurs cette comparaison minérale en notant qu’il n’y a rien de péjoratif dans l’idée d’un tel alliage, or et cuivre constituant au contraire un alliage robuste et efficace… [7] Mais encore aujourd’hui, tout se passe comme si cette erreur de traduction reflétait les résistances de bon nombre de psychanalystes à l’égard de cet alliage… Il est vrai que le plomb symbolise la lourdeur et est associé à sa toxicité depuis l’identification du saturnisme à la fin du XIXe siècle - à la même époque, d’ailleurs, que l’invention de la psychanalyse - alors qu’en joaillerie, par exemple, le cuivre est mélangé à l’or pour en augmenter sa rigidité, ce que l’on appelle l’or rouge…
Maurice BOUVET proposait déjà, lors du XXe Congrès International de Psychanalyse en 1957, de distinguer ce qui est psychanalytique et ce qui cesse de l’être. Pour lui, est psychanalytique tout ce qui concourt à l’objectivation aussi complète que possible puis à la réduction de la névrose de transfert. [8] Cette question de la délimitation réciproque de l’or et du cuivre a été débattue à de nombreuses reprises entre 1950 et 1956 dans le cadre des colloques de l’Association Américaine de Psychanalyse consacrés aux rapports entre psychanalyse et ce qu’ils nomment psychothérapie dynamique. Dès 1950, les américains partent du point de vue que la psychothérapie recourt à la réassurance active, qu’elle n’exige pas la règle de l’association libre, qu’elle prévient ainsi la régression libre et fait obstacle à la pensée fantasmatique, qu’elle coupe l’approfondissement du transfert en le maintenant à un niveau superficiel, qu’elle se centre sur la discussion des problèmes actuels, qu’elle ne recourt à l’interprétation qu’en vue du but adaptatif poursuivi et qu’elle favorise activement tout essai de sublimation. En 1951, JOHNSON propose de distinguer psychanalyse et psychothérapie à l’aide d’une échelle mobile d’insight. STONE, à la même époque, compare la psychothérapie à « l’aide accordée pour le passage d’une rivière », alors que la psychanalyse correspondrait à une « traversée de la mer »... Il ajoute que la psychothérapie, contrairement à l’analyse, ne travaille pas à rendre les défenses inutiles mais à les renforcer. [9] En 1952, JOHNSON, toujours, souligne la tendance des psychanalystes pratiquant la psychothérapie à centrer leur intérêt sur la dimension contre-transférentielle. En 1953, KNIGHT considère que l’accroissement de la demande sociale de psychothérapie constitue un brouillage, en particulier chez les thérapeutes n’ayant suivi qu’une orientation analytique abrégée (en d’autres termes une formation accélérée…), ce qui reflète d’ailleurs assez bien la situation française actuelle pour de nombreux cliniciens, psychologues et psychiatres qui ne sont pas psychanalystes. [10]
Franz ALEXANDER tentera ensuite de délimiter une frontière entre les psychothérapies dites de soutien et les psychothérapies analytiques. [11] Il ressort de ces discussions un facteur commun, celui de l’exclusion, au sein des psychothérapies analytiques, du principe de la prise de conscience par l’intermédiaire de l’interprétation du transfert. La distinction psychothérapie-psychanalyse a néanmoins toujours été l’objet de débats difficiles. Se pose alors la question de savoir si un enseignement de la psychothérapie analytique pourrait se transmettre indépendamment de la formation du psychanalyste et s’il est pertinent par exemple d’effectuer des supervisions de pratiques psychothérapiques se réclamant de la psychanalyse mais qui sont pratiquées par des thérapeutes non analysés, telles qu’elles ont lieu dans de nombreuses institutions de soins psychiatriques ou médico-psychologiques… S’agit-il en effet de cautionner des pratiques sauvages ou d’encourager les cliniciens non psychanalystes dans leur inspiration ? Ces pratiques ont-elle en outre quelque légitimité aux yeux des sociétés analytiques ?
Pour revenir à l’aspect historique, c'est vraisemblablement la pratique psychothérapique auprès des enfants qui ouvre la voie à cette notion, du fait de la nécessité technique de recourir à d’autres médiations que purement verbales, comme l’ont montré notamment Anna FREUD, Mélanie KLEIN et plus tard WINNICOTT. Il faudrait également citer JUNG, ABRAHAM et FEDERN qui ont poussé FREUD à étudier l’application de la psychanalyse aux psychoses. La Première Guerre Mondiale sera l’occasion d’appliquer les principes de la psychanalyse à la psychothérapie de ce que l’on nommait les névroses de guerre, les névroses traumatiques donc, du point de vue analytique ou les post-traumatic stress disorders, pour parler la langue du DSM. Les propos déjà cités de FREUD encourageront les aménagements techniques de la cure. Mais il faudra attendre la montée du nazisme et l’émigration de psychanalystes aux Etats-Unis pour voir se développer les psychothérapies analytiques. Je pense en particulier à DEUTSCH, ALEXANDER et FRENCH. Félix DEUTSCH élabore sa pratique de l’anamnèse associative dérivée de l’association libre freudienne. Il s’intéresse aux troubles névrotiques, y compris ceux incluant des manifestations psychosomatiques. Cet ex-médecin de FREUD s’attache à montrer comment il est possible de relier certains symptômes à des conflits anciens qui doivent être perlaborés en psychothérapie analytique de façon à amener l’amélioration de la symptomatologie fonctionnelle du patient. Il conçoit cette psychothérapie comme une psychothérapie de secteur, au sens où il s’agit de soigner une partie ou un secteur de la personnalité du patient, par opposition à la psychanalyse qui vise à prendre en compte l’ensemble de la psyché. [12]
Quant à ALEXANDER, il a été immolé sur l’autel de son expérience émotionnelle correctrice, expression qu’il employait pour désigner les effets de la psychothérapie d’inspiration psychanalytique… malgré sa proposition d'adapter la technique à la nature des problèmes psychiques du patient (ce qu’il a nommé flexibilité technique). Pour lui, la reviviscence émotionnelle des conflits infantiles dans le transfert a un effet correctif, au sens où le patient se rend compte que le thérapeute ne réagit pas comme ses parents. Il préfère qualifier en ce sens sa psychothérapie de dynamique plutôt que psychanalytique, du fait qu’elle vise des buts thérapeutiques limités. Ce qui lui a été reproché consiste en fait d’avoir réduit la psychothérapie psychanalytique à une expérience nouvelle avec un thérapeute bienveillant censé corriger les erreurs de la relation parents-enfant…
Une littérature abondante tente, dans les années 1950, de définir le concept et la diversité des méthodes selon le mode d'expression, le type de relation, la durée et les indications en termes psychopathologiques. Les variantes techniques sont envisagées sous l’angle matériel du cadre, en terme de mode de communication et en terme de processus. Quelles relations établir en effet entre la fréquence des séances et le développement du transfert, les effets attendus de l’abstinence ou les capacités d’insight ? Dans la mesure où le modèle de la névrose de transfert reste le paradigme de la cure analytique, la question du maniement de l’abstinence se pose car elle apparaît comme la condition nécessaire à la constitution de la névrose de transfert.
La position allongée facilite chez le patient l'auto-observation de l’état mental et l’insight grace à la prescription de la règle fondamentale. En revanche, le face-à-face facilite le récit et développe des interactions, verbalisables ou non, qui pourront être tenues pour un avantage ou un inconvénient selon le type d’expérience que l’on veut favoriser chez le patient. C'est du point de vue du mode d’intervention que s’observe la plus grande flexibilité des pratiques inspirées de la psychanalyse. Elles ont en commun de chercher à rendre conscients des représentations et des affects inconscients. Ces psychothérapies reposent donc sur la démarche interprétative. Mais cela recouvre des réalités cliniques diverses. Clarification, verbalisation, interprétation, construction seront utilisées différemment d'un cas à l'autre et selon des moments différents d'une même cure.
FREUD envisageait deux situations. L’une est liée à la règle d'abstinence : il s’agit alors pour lui de forcer le patient à rechercher dans le transfert les gratifications qui autrement nourrissent sa névrose. L’autre situation est liée à une certaine catégorie de population dont les conditions d’existence ne peuvent donner l’espoir d'une vie meilleure et ne les inciteront donc pas à renoncer aux bénéfices secondaires de la névrose. Une technique dite active est alors pour lui le seul moyen de lutter contre la résistance.
On mesure ainsi combien sont entremêlés technique active et principe d’abstinence, lui-même étroitement lié à la théorie de la névrose de transfert qui consiste en un déplacement de la névrose clinique. Sandor FERENCZI, analyste contemporain de FREUD, joua un rôle important avec sa technique active qui n’avait pas pour but de renforcer la névrose de transfert mais d’en compenser l’insuffisance et de pallier l’incapacité chez le patient de respecter la règle fondamentale, approche se situant en réaction à l'allongement des cures psychanalytiques. [13] Les auteurs dont les idées correspondent le mieux à la ligne tracée par FERENCZI sont ceux qui ont mis essentiellement l'accent sur les problèmes techniques généraux et non sur les symptômes dans les années 1950 à 1970, à savoir Michael BALINT, David MALAN ainsi que Peter SIFNEOS. Ces auteurs se sont plus particulièrement penchés sur les rapports pouvant exister entre technique et organisation psychique, c'est-à-dire entre technique et indications. SIFNEOS s'est intéressé aux possibilités de psychothérapies brèves adaptées spécifiquement aux conflits œdipiens. En fait, on s'aperçoit que les notions de focalisation et de motivation sont présentes chez tous les auteurs.
Michael BALINT et la psychothérapie focale
BALINT, élève de FERENCZI, a mis l’accent sur l'interaction dynamique patient-thérapeute. En 1954, il fonde un groupe de travail pour explorer les possibilités de traitement bref d'orientation psychanalytique. La technique mise au point dans le groupe fut la suivante :
- fixer d'emblée un terme au traitement en signalant que si le résultat cherché n'était pas obtenu, on pourrait envisager une autre forme de psychothérapie par la suite;
- établir une hypothèse psychodynamique de base expliquant la problématique principale du patient;
- faire appel à une technique d'interprétation plus active consistant en une attention sélective portant sur les éléments se rapportant à l'hypothèse psychodynamique de base et en une négligence sélective des éléments étrangers à ladite hypothèse; il a désigné ce type d'intervention la psychothérapie focale. [14]
Peter SIFNEOS et les psychothérapies à court terme provocatrices d’anxiété
SIFNEOS s’est intéressé, comme BALINT, à la psychosomatique (il a développé le concept d’alexithymie) et aux psychothérapies brèves. Tout en gardant une activité psychanalytique classique, il a effectué des recherches sur des psychothérapies analytiques de brève durée, qu'il désigne comme des psychothérapies à court terme provocatrices d'anxiété. Il centre son argumentation sur la notion de crise émotionnelle, considérée comme point focal: « La compréhension d'une crise émotionnelle éclaire les différents stades de formation des symptômes psychiatriques avant même qu'ils ne se cristallisent en névrose, grace à des interventions psychothérapiques ». Il distingue deux types de psychothérapies :
- la psychothérapie anxiolytique ou supportive, autrement dit le soutien en crise chez un patient souffrant de difficultés émotionnelles de longue durée; le but en est de diminuer l'anxiété ;
- la psychothérapie provoquant l'anxiété, c’est à dire destinée à provoquer, par la prise de conscience, la résolution d'un problème.
L'auteur accorde une place primordiale aux critères d'indication à la psychothérapie provoquant l'anxiété, à savoir essentiellement les patients souffrant de névrose génitale, où la problématique œdipienne est au premier plan. SIFNEOS a étudié de manière approfondie le problème de la motivation aux changements chez ces patients. Cette psychothérapie dynamique orientée vers un but se fonde sur l'idée que le patient est capable de travailler en collaboration avec le thérapeute, en vue de la résolution d'un problème précis, le focus.
Les critères de sélection sont les suivants :
- confrontation, éclaircissements et questions provoquant de l'anxiété pour inciter le patient à l'introspection ;
- élaborer le transfert positif pour favoriser une expérience émotionnelle correctrice ;
- lutter activement contre les solutions caractérielles telles que dépendance, passivité, « agir » utilisés par le patient pour éviter l'angoisse ;
- terminer précocement la thérapie, après l'obtention de signes clairs de résolution du problème. SIFNEOS indique que le traitement sera de brève durée : 12 à 18 séances environ, mais il ne fixe pas de date limite. [15]
Les caractéristiques communes des formes de psychothérapie brève préconisées par MALAN [16] et SIFNEOS peuvent être ainsi résumées :
- référence claire à la psychanalyse ;
- accent essentiellement mis sur des conflits intrapsychiques, inconscients et reliés au passé des individus traités;
- attention particulière portée aux conflits actuels et au degré de motivation des patients;
- modification du dispositif technique de la cure : réduction du nombre des séances, face à face, temps plus ou moins limité d'emblée;
- comportement plus actif du thérapeute : planification et attention sélectives, soutien plus actif du Moi du patient.
A propos des aspects contre-transférentiels, on peut ajouter que, dans ce cadre psychothérapique, le psychanalyste a déjà une idée préconçue de ce qu'il attend de ce dernier et de ce qu'il va lui offrir. Si l'on examine les différentes techniques sous cet angle, on remarque que :
- FERENCZI avait oscillé entre une position paternelle active et une position maternelle accueillante;
- ALEXANDER proposait d'offrir au patient la relation corrective dont il avait besoin;
- MALAN se proposait comme un guide éclairé;
- SIFNEOS s'appuyait sur un transfert paternel très positif.
Cette attitude est donc en nette contradiction avec le modèle théorique de la psychanalyse qui veut que l'analyste s'efface devant son patient pour offrir la plus large place à la subjectivité de ce dernier.
Edmond GILLLIÉRON et les psychothérapies psychanalytiques brèves
Les psychothérapies psychanalytiques brèves, telles que conçues par le psychiatre suisse Edmond GILLIÉRON à partir des années 1970 [17], se fondent sur deux notions :
- l'étude de l'influence du cadre thérapeutique sur le fonctionnement psychique;
- l'étude de la dynamique interactive conditionnée par l'organisation psychique du patient.
Ainsi, la seule règle formulée est celle des libres associations. En revanche, le dispositif temporel est clairement défini. La durée préétablie oscille entre trois mois et douze mois. Il fixe, dès le début, la date de la fin et non un nombre déterminé de séances. La fréquence est d'une séance hebdomadaire, parfois deux. Pour lui, l'allongement inconsidéré de certains traitements sont, pour l'essentiel, dûs à la méconnaissance des interactions dynamiques unissant le psychisme à son environnement culturel et biologique. Par conséquent, pour gagner en efficacité, il s’est donné pour tâche de mieux théoriser la question des rapports unissant ces différents aspects de la personnalité. Et, en particulier, ne pas se contenter de dire : telle affection est une contre-indication à telle thérapie, mais d'ajouter : si telle affection est une contre-indication à telle forme de psychothérapie, c'est une bonne indication à telle autre forme de thérapie.
Ceci l’a amené à insister sur la nécessité d'une distinction claire entre cadre et relation intersubjective. Le cadre comprend les formées fixes de la cure (setting) : fréquence des séances, limite de temps, face à face, divan, fauteuil, etc. Il est aussi délimité par des données moins concrètes mais fondamentales, telles que le statut socioculturel de la psychothérapie et les déterminants sociaux du traitement. La relation définit ce qui se passe entre le thérapeute et le patient, en particulier la nature des échanges (comme l’association libre, la neutralité du thérapeute) et la nature des interventions (interprétations, suggestions, etc.). GILLIÉRON ajoute que ces psychothérapies mettent au premier plan des représentations ayant trait à la séparation, c’est à dire aux racines de l’angoisse de castration. Leur caractère bref permettrait paradoxalement à la fois une attitude moins interventionniste par rapport aux psychothérapies d’inspiration analytique traditionnelles et une accélération du processus thérapeutique, du fait que le thérapeute serait davantage poussé à réintroduire du sens, à la faveur des mouvements transférentiels. Pour en revenir à la question des indications, même si ces dernières sont assez larges, c'est essentiellement la problématique œdipienne qui apparaît dans ce contexte, ce qui peut avoir l'avantage, dit-il, dans certains cas, de pousser des patients, même régressés, vers une plus grande autonomie.
Comme le souligne GILLIÉRON, on peut d’ailleurs se demander si chaque thérapeute ne crée pas sa propre méthode en fonction de son économie personnelle, en choisissant les patients correspondants. En ce cas, il s'agirait bien d'un mouvement de résistance du thérapeute au processus psychanalytique global. Ainsi, les différentes formes de psychothérapies brèves seraient surtout des choix contre-transférentiels liés aux personnalités de ceux qui les proposent. Certains auteurs ont d'ailleurs relevé que le focus, en psychothérapie brève, était choisi en fonction du contre-transfert du psychothérapeute.
Les recherches effectuées sur les effets des psychothérapies ainsi que les méta-analyses de ces recherches mettent en évidence que celles-ci ont des effets thérapeutiques et que les principaux changements surviennent dans les premiers mois des traitements. Les recherches souvent citées de LUBORSKY effectuées au cours des années 1970 [18] montrent en effet que le fait de se demander si la psychothérapie est efficace ou bien si telle forme de psychothérapie est plus efficace que telle autre revient à mal poser le problème, questions auxquelles l’étude récente de l’INSERM a cru pourtant pouvoir répondre. Depuis LUBORSKY, les recherches se sont orientées vers l’étude des facteurs communs à toute psychothérapie, au sens où les changements observés sont plutôt attribués à la qualité humaine de la relation - l’alliance thérapeutique - et à l’adhésion, partagée par le patient et le thérapeute, en une théorie quelconque. [19] Il semble donc que l’étude des résultats thérapeutiques doit être reposée sous la forme de la question suivante : quelles interventions psychothérapeutiques spécifiques produisent des changements spécifiques chez des patients spécifiques dans des conditions spécifiques ?
Psychothérapie « psychanalytique » : question technique ou épistémologique ?
Si les psychothérapies psychanalytiques se sont rapidement développées aux Etats-Unis, le monde francophone et particulièrement les analystes français sont toujours resté assez sceptiques vis à vis de ce mode de traitement. René HELD est le psychanalyste français qui a tenté de leur redonner leurs lettres de noblesse au cours des années 1960. Il dénonce en effet le fait que la psychothérapie psychanalytique apparaisse pour les psychanalystes comme une forme bâtarde ou corrompue de la psychanalyse. Un analyste français disait que la psychothérapie psychanalytique est à l’analyse ce que la masturbation est au coït… HELD rejoint le point de vue d’analystes comme Sacha NACHT, Paul-Claude RACAMIER [20] ou René DIATKINE sur les caractéristiques communes de cette approche :
- la souplesse dans l’espacement des séances ;
- la prudence dans l’utilisation des fantasmes prégénitaux ainsi que du transfert, qui est plus manipulé qu’interprété ;
- l’accent mis sur l’identification du patient au thérapeute, du fait que ce dernier se présente comme une image parentale bienveillante et sécurisante.
Charles ODIER, dans les années 1930, avait proposé de distinguer trois niveaux d’interprétations : le premier, qui ne va pas au-delà du plan phénoménologique, à savoir qu’elles ont pour fonction d’ordonner ce vécu en l’explicitant ; le second niveau, baptisé par lui phéno-analytique, qui procède déjà de la dissolution d’une résistance pré-consciente, donc plus facile à mettre en évidence ; le troisième niveau, spécifiquement psychanalytique, qui passe par la découverte d’une résistance inconsciente. Cette façon de voir a une incidence directe sur le réglage de la distance interpersonnelle ainsi que sur le degré de frustration imposé au patient, ce qui implique une centration davantage sur les problèmes posés par le patient vis à vis du monde extérieur que sur son économie intrapsychique. [21]
Aujourd’hui, en France, le débat psychanalyse-psychothérapie ne semble pas porter sur les aspects techniques. Certains différencient le champ de la psychothérapie psychanalytique non par son contenu mais par la formation de celui qui la pratique. Ne seraient ainsi psychanalytiques que les psychothérapies effectuées par des psychanalystes et non celles effectuées par des thérapeutes qui ne sont pas membres de sociétés de psychanalyse. D’autres, comme Marilia AISENSTEIN, vont même jusqu’à déclarer que la psychothérapie psychanalytique n’existe pas et elle dénonce la pratique de la psychothérapie psychanalytique par des non-psychanalystes : « Imaginer que puissent travailler avec des patients des praticiens qui ne disposeraient que d’une part de l’expérience analytique et n’auraient recours qu’à certaines notions théoriques me paraît folie. Il s’agit d’une dérive selon laquelle le savoir psychanalytique évoluerait pour son propre compte comme discipline culturelle mais serait coupé de l’expérience intime de ce qu’est une séance, du déploiement du transfert et plus encore de ce qu’interpréter veut dire ». Elle ajoute que la non-interprétation du transfert est une décision technique et que la psychothérapie dite de soutien est une modalité selon laquelle est privilégiée la relation au détriment du transfert. Il s’agit donc d’un temps d’abstention interprétative qui n’est en aucun cas isolable comme méthode elle-même. Ainsi des psychothérapies sur le divan peuvent-elles s’effectuer tout comme des psychanalyses en face à face. [22]
Pour d’autres comme Bernard BRUSSET, devenir psychanalyste consiste à un abandon, par les analystes en formation, des attitudes psychothérapiques : « Ils sont amenés à se rendre compte que certaines de leurs interventions en analyse sont d’ordre pédagogique, de réassurance, de suggestion, de séduction ou encore des interprétations prématurées ou arbitraires ». [23]
Quant à Jean LAPLANCHE, il distingue au sein même de la cure-type le psychothérapeutique et le psychanalytique. La première activité correspond selon lui à la remise en forme historicisée de ce que l’analyse découvre. C’est la conscientisation d’éléments inconscients. La seconde activité est représentée par le traitement des défenses liées aux fantasmes inconscients, travail psychanalytique rendu possible par la libre association et les interprétations. [24]
L’« inspiration » psychanalytique dans le cadre des P.A.R.A.
(« Psychothérapies À Référence Psychanalytique ») ou la tentation psychanalytique…
Ceci nous conduit à évoquer ce que nous appellerons, pour faire le contre-point de l’intervention de Charles MELMAN cet après-midi, la tentation psychanalytique… Nous avons déjà évoqué la question de la légitimité éthique des cliniciens non-psychanalystes qui disent pratiquer des psychothérapies d’inspiration psychanalytique, alors qu’ils n’ont pas obligatoirement eu l’exigence de suivre une analyse personnelle. De nombreux psychologues, un peu moins de psychiatres, disent par ailleurs pratiquer la psychothérapie en s'appuyant sur une démarche psychanalytique personnelle (plus ou moins longue) complétée éventuellement par une supervision clinique de leur pratique, sans pour autant se dire psychanalyste... C'est le cas de nombreux collègues s’inscrivant dans une frange de la mouvance lacanienne, autre que la vôtre (avec un petit a …) et grossissant ainsi de façon illusoire les effectifs des adhérents de certaines écoles analytiques… Tout se passe en effet comme si le fait d’effectuer une tranche d’analyse, comme l’on dit, suffisait à leurs yeux pour pratiquer la psychothérapie alors qu'ils pensent appliquer les principes freudiens à une situation clinique baptisée écoute analytique, sans pour autant selon nous maîtriser ce qu'il en est des aménagements techniques de la cure.
D'autres ne se posent pas de questions: ils estiment avoir reçu à l'université des connaissances suffisantes en psychopathologie psychanalytique et prétendent faire des psychothérapies dites analytiques, ce qui pose le problème de la psychologie clinique dans sa tradition française, liée à l’influence que l’on connaît notamment de Daniel LAGACHE et Juliette FAVEZ-BOUTONIER et à l’introduction d’enseignements sur la psychanalyse à l’université. Nous plaidons coupable car nous nous inscrivons dans cette tradition ! Mais il nous semble plus pertinent de prendre en compte le fait que les mises en garde réitérées que nous adressons aux étudiants vis à vis de pratiques sauvages para-psychanalytiques sont impuissantes face à la fascination qu’exerce la psychanalyse sur certains d’entre eux. Jacques GAGEY soulignait déjà le danger en 1975 :
« Chacun parle de psychothérapie, personne n'envisage vraiment qu'elle fasse l'objet d'une discipline. Il n'en est question qu'à titre d'objet absent, honteux ou mirifique, à cause de la prégnance du modèle psychanalytique. Comment le clinicien échapperait-il à l'attraction du psychanalytique, soit qu'il s'y rallie, soit que, se tenant à distance, il s'en ressente le parent pauvre, l'imitateur honteux ou encore le faux-monnayeur? Comment pourrait-il poser la psychothérapie en tant qu'objet digne d'intérêt face à la prestigieuse cure orthodoxe? La citadelle psychanalytique, retranchée sur elle-même, tout occupée à cultiver son jardin, entend bien en tout cas ne pas cautionner cet objet. Elle craint ceux qui, hors de la citadelle, s'en feraient les ambassadeurs sans titre. » [25]
L’existence d’un département universitaire de psychanalyse - le seul en France - a par ailleurs pour effet de répondre à l'aspiration de certains étudiants à acquérir une compétence pratique en recevant seulement un savoir psychanalytique, puisqu’il s’agit en l’occurrence d’un master recherche qui a le privilège exorbitant d’être le seul de sa catégorie à être reconnu par la loi comme l’un des critères de base pour accéder au titre de psychothérapeute…
Quant aux psychiatres, leurs organisations professionnelles défendent une position que l’on peut qualifier de type mégalomaniaque… La stratégie politique de ces organisations a en effet consisté à proclamer que la consultation psychiatrique était par essence psychothérapique, comme s’il suffisait à un patient de s’asseoir face à un psychiatre pour qu’un cadre psychothérapique soit établi ! Le Livre Blanc de la Psychiatrie soulignait déjà en 1965 le fait que tout peut être psychothérapique : la poignée de main, l’attitude, le sourire, le cadre offert au malade... La dimension psychothérapique de la consultation psychiatrique est ainsi présentée comme inhérente à la fonction du psychiatre, position découlant des recommandations de l'U.E.M.S. (Union Européenne des Médecins Spécialistes) en 1995. Cette position est défendue en particulier depuis l’adoption de la loi de 2004 relative à l’usage du titre de psychothérapeute qui présuppose que la formation universitaire initiale du psychiatre lui attribue de facto une compétence psychothérapique, entretenant ainsi la confusion entre les divers aspects de la relation médecin-malade et une relation psychothérapique spécifiée par son cadre théorico-technique particulier et le processus induit, ce qui revient à réduire le psychothérapique à une dimension nébuleuse génériquement dite thérapeutique. D’après le décret de la loi de 2010, les psychiatres seront donc automatiquement psychothérapeutes labellisés par l’Etat s’ils en font la demande auprès des Agences Régionales de Santé.
Le dernier projet de maquette en cours d’élaboration par le Collège National Universitaire de Psychiatrie (C.N.U.P.) décrit onze items relatifs aux bases théoriques en psychothérapies et précise les principes de ces enseignements : « L’internat doit permettre l’acquisition d’une expérience et d’une compétence en psychothérapie ; tous les champs de la psychothérapie doivent être ouverts à l’interne, en particulier la psychanalyse, la psychothérapie systémique ou familiale et la psychothérapie cognitivo-comportementale ; le principe de base retenu pour la formation pratique est celui de la supervision et de la discussion sur les aspects psychopathologiques, psychodynamiques et thérapeutiques des cas auxquels les internes sont confrontés ; sur le plan théorique, le principe retenu est celui de séminaires spécifiques ». [26] La formation universitaire en psychiatrie valide ainsi une formation psychothérapiquegénéraliste, qu’elle soit psychanalytique ou non.Quant à la perspective d'intégrer une expérience psychothérapique personnelle dans le cursus psychiatrique, l'Union Européenne des Médecins Spécialistes la recommande fortement mais ne la souhaite pas obligatoire. Celle-ci précise que le but de la formation est de placer l'étudiant dans une position telle que « sa façon de penser et de ressentir le contact interpersonnel avec les patients puisse être explorée et utilisée de manière thérapeutique ». [27]
Le « psychothérapeute d’Etat » comme ectoplasme juridique
Un dernier mot sur la protection légale du titre de psychothérapeute. La plupart des psychanalystes pratiquent des psychothérapies dans le cadre de leur activité de psychanalyste ; ils n’ont donc nulle nécessité de se dire psychothérapeutes mais le problème se pose pour certains psychologues qui considèrent que cette appellation sera un plus aux yeux de leur employeur, appellation labellisée par l’Etat qui représente une prothèse identitaire ayant à voir en fait avec une problématique purement narcissique, ce label ne déterminant aucune augmentation de salaire, puisqu’il ne s’agit que d’un titre protégé et non de la création d’une nouvelle profession. [28] Certaines de leurs organisations leur ont laissé le choix de porter ou non cette prothèse ; d’autres les encouragent au contraire à en faire usage, soi-disant au nom du principe de précaution, de crainte que la pratique de la psychothérapie ne leur soit ultérieurement interdite ; ainsi cet objet de revendication phallique s’est-il vu attribué la fonction d’une sorte de préservatif, censé contribuer à l’érection de leur identité professionnelle et les protéger contre de futures mesures réglementaires potentiellement transmissibles. [29]
Quant à la réalité que revêt le titre désormais protégé de psychothérapeute par la loi, il s’agit en fait d’un tour de passe-passe du législateur influencé par les débats du Sénat lors de l’examen de la loi en 2004, loi qui opère un glissement sémantique du titre de psychothérapeute à la référence à une formation en psychopathologie… Cette loi fonde en effet la protection légale du titre sur une absence de définition de la psychothérapie et de toute formation psychothérapique pratique en y substituant la seule exigence d’une formation en psychopathologie. Ainsi le psychopathologue se trouve-t-il adoubé légalement psychothérapeute, comme si ses connaissances psychopathologiques étaient suffisantes. L’un des textes complétant la loi, à savoir l’arrêté du 8 juin 2010 relatif à la formation, précise en effet : « Cette formation académique ne saurait se substituer aux dispositifs spécifiques d’apprentissage et de transmission des méthodes psychothérapiques », dispositifs évidemment absents de la réglementation. Les représentants de l’Etat, dans leur intention première de lutter contre les dérives sectaires (comme l’annonçait l’exposé des motifs de la proposition de loi de Bernard ACCOYER en 1999), se sont contentés de se référer à des critères de formation universitaire, faisant ainsi l’impasse sur la protection des usagers en matière de pratique psychothérapique, même s’il semble pertinent que le Ministère de la Santé ne s’arroge pas le pouvoir de définir ce que devrait être une formation à la psychothérapie ou de bonnes pratiques, sur le modèle des recommandations dont est friand le corps médical.
Les publications de psychopathologie soulignent pourtant la différence : Jean MÉNÉCHAL définit ainsi la psychopathologie comme « l’épistémologie de la psychiatrie et de la psychologie clinique, elle se place donc dans la catégorie des théories de la connaissance ». [30] Jean BERGERET va dans le même sens : « L’objet de la psychopathologie demeure l’étude de l’évolution et des avatars du psychisme humain, sans s’intéresser aux aspects techniques des thérapeutiques ». Il ajoute : « Il n’est pas question que des personnes n’ayant pas reçu de formation spécialisée complémentaire puissent accepter la responsabilité d’une cure psychothérapique, encore moins que des études psychologiques même très poussées puissent suffire ». [31]
Nous considérons pour autant qu’il n’est pas du ressort de la loi de définir de ce que devrait être une formation à la psychothérapie (expérience personnelle, supervision, formation théorique et clinique complémentaire, etc.) sous peine d’en faire une psychothérapie d’Etat mais il est intéressant de constater que la réglementation ouvre la voie à des dérives psychothérapiques légalisées. Il y a là confusion entre les effets thérapeutiques implicites éventuels d'une intervention clinique et les psychothérapies structurées s'appuyant sur un cadre explicite, à la fois conceptuel et méthodologique. En témoigne cet extrait d’un mail reçu d’un collègue psychologue siégeant dans la commission d’une Agence Régionale de Santé chargée d’examiner les candidatures au titre de psychothérapeute : « Je suis frappé de voir défiler des demandes de collègues qui décrivent dans leur dossier une pratique qui ne recouvre en rien une pratique psychothérapique mais tout au plus un accompagnement chaleureux évidemment salutaire mais totalement aspécifique. A moins de considérer toute neutralité bienveillante comme psychothérapeutique en soi, je propose alors que ma boulangère, extrêmement bienveillante et se gardant toujours de tout jugement hâtif (et très disponible) puisse être inscrite comme candidate au titre ». Ce à quoi nous lui avons répondu que nous nous réjouissions que ce collègue ait une boulangère si bienveillante à son égard !
Il est vraisemblable que les organismes de formation ayant demandé un agrément auprès des Agences Régionales de Santé de façon à être reconnus comme dispensant une formation correspondant aux critères de la loi pour l’accès au titre de psychothérapeute auront dans leur clientèle soit des praticiens intéressés par la qualité de la dite formation - comme c’est le cas pour l’EPHEP - mais non intéressés par l’obtention de ce titre, soit des praticiens désireux d’avoir ce titre, c’est à dire certains médecins non psychiatres et certains psychologues non cliniciens. Nous excluons les psychanalystes ainsi que les médecins psychiatres et les psychologues titulaires d’un master ou d’un DESS mention psychologie clinique ou psychopathologie qui, suite à l’assurance qu’ont reçu récemment du Ministère de la Santé les organisations professionnelles de psychologues - via la réécriture du tableau annexe du décret d’application de la loi - pourront accéder directement au titre de psychothérapeute s’ils en font la demande. [32] Quant aux autres professionnels que ceux cités, travailleurs sociaux et autres ni-ni, la loi ne prévoit pas pour eux l’accès au titre. Le Conseil d’Etat devrait rendre prochainement son avis consultatif quant à ce projet de modification des dites annexes, soit sous forme de circulaire soit sous forme de décret modificatif, explicitant en particulier le fait que la formation universitaire initiale en psychopathologie des psychologues peut être prise en compte comme validant l’exigence de formation définie par la loi et son décret pour l’accès au titre, ce qui aura pour conséquence directe la désaffection par la majorité des psychologues des formations complémentaires en psychopathologie mises en place par certaines UFR de médecine ou de psychologie et certaines sociétés psychanalytiques.
En dépit du moindre mal représenté par l’obligation légale d’une formation minimale en psychopathologie imposée désormais aux usagers du titre de psychothérapeute, cette réglementation constitue la chronique d’une mort annoncée de ce que représentait auparavant la psychothérapie et l’aube d’une catastrophe sanitaire programmée, à savoir l’irruption sur le marché du travail de praticiens formés à la psychopathologie, prétendant être compétents en matière de psychothérapie et reconnus comme tels par l’Etat, autrement dit une incompétence légalisée. Rappelons ici que la loi ne protège que l’usage d’un titre et non l’exercice de la psychothérapie qui, lui, reste libre et donc ouvert à toutes les dérives.
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* maître de conférences en psychopathologie, anthropologue de la santé, Institut de Psychologie et Sociologie Appliquées (IPSA), Université Catholique de l’Ouest - Angers,
co-responsable du centre de consultations psychologiques et psychothérapiques de l’IPSA (Centre de Psychologie Clinique),
chargé de mission « psychothérapie » pour la Fédération Française des Psychologues et de Psychologie (http://www.psychologues-psychologie.net),
membre du Conseil d’Administration de la Fédération Internationale de Psychothérapie (http://www.ifp.name)
[1] MELMAN C. Edito. La suite au prochain numéro, La Revue Lacanienne, 2008, 1, p. 7-8.
[3] Coll. Psychothérapie : trois approches évaluées, INSERM, Paris, 2004.
[4] Cf. les textes publiés en ligne sur les sites de la Fédération Française de Psychothérapie (FF2P: www.ff2p.fr) , du Syndicat National des Praticiens en Psychothérapie (SNPPsy: www.snppsy.org), de l'Association Fédérative Française des Organismes de Psychothérapie (AFFOP: www.affop.org)
[5] FREUD S. (1904-1918) La technique psychanalytique, Paris, Presses Universitaires de France, 6e ed., 1977, trad.
[6] HELD R. Les psychothérapies d’inspiration psychanalytique freudienne in Psychothérapie et psychanalyse, Paris, Payot, 1968, p. 5.
[7] WIDLÖCHER D., ABEL PROT V. Psychanalyse et psychothérapie in WIDLÖCHER D., BRACONNIER A. (dir.) Psychanalyse et psychothérapies, Paris, Flammarion, 1996, p. 11-17.
[8] BOUVET M. Les variations de la technique, Revue Française de Psychanalyse, 1958, 22, p. 145-203.
[9] STONE L. Psychoanalisis and brief psychotherapy, Psychoanalytic Quaterly, 1951, 20, p. 215-236.
[10] GRESSOT M. Psychanalyse et psychothérapie, leur commensalisme in Le royaume intermédiaire, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 205-380.
[11] ALEXANDER F., FRENCH T.M. (1946) Psychothérapie analytique. Principes et applications, Paris, Presses Universitaires de France, 1959, trad.
[12] DEUTSCH F. Applied psychoanalisis, New York, Grune & Stratton, 1949.
[13] PRADO DE OLIVIERA L.E. Sándor Ferenczi, Paris, Armand Colin, 2011.
SABOURIN P. Sándor Ferenczi, un pionnier de la clinique, Paris, Campagne Première, 2011.
[14] BALINT M. et E., ORNSTEIN P.H. (1972) La psychothérapie focale. Un exemple de psychanalyse appliquée, Payot, 1975, trad.
MOREAU-RICAUD M. Michael Balint, le renouveau de l'école de Budapest, Paris, Erès, 2007.
[15] SIFNEOS P. (1972) Psychothérapie brève et crise émotionnelle, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1977, trad.
[16] MALAN D. H. (1963) La psychothérapie brève, Paris, Payot, 1975, trad.
MALAN D. H. (1979) Psychodynamique et psychothérapie individuelle. Une perspective scientifique, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1981, trad.
[17] GILLIÉRON E. Aux confins de la psychanalyse. Psychothérapies analytiques brèves, Paris, Payot, 1983.
GILLIÉRON E. Les psychothérapies brèves, Paris, Presses Universitaires de France, 1983.
[18] LUBORSKY L., SINGER N., LUBORSKY Lise. Comparative studies of psychotherapies. Is it true that « everyone has won and all must have prizes ? », Archives of General Psychiatry, 1975, 32, 8, p. 995-1008.
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[20] RACAMIER P.C. Le psychanalyste sans divan, Paris, Payot, 1970.
RACAMIER P.C. De psychanalyse en psychiatrie, Paris, Payot, 1979.
[21] ODIER C. La phéno-analyse et les critères de l’interprétation psychanalytique, L’Evolution Psychiatrique, 1939, II, p. 39-83.
[22] AISENSTEIN M. Contre la notion de psychothérapie psychanalytique in WIDLÖCHER D. (dir.) Psychanalyse et psychothérapie, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2008, p. 119-132.
[23] BRUSSET B. L’or et le cuivre (la psychothérapie peut-elle être et rester psychanalytique ?) Revue Française de Psychanalyse, 1991, LV, 3, p. 559-579.
BRUSSET B. Psychanalyse et psychothérapies in WIDLÖCHER D. (dir.) Psychanalyse et psychothérapie, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2008, p. 93-99.
[24] LAPLANCHE J. Psychanalyse et psychothérapie in WIDLÖCHER D. (dir.) Psychanalyse et psychothérapie, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2008, p. 57-64.
[25] GAGEY J. (1975) La psychologie clinique. Encyclopédie Médico-Chirurgicale/Psychiatrie, 37032 A 10.
[26] DANION-GRILLIAT A., SCHMITT L., LEJOYEUX M., THIBAUT F. Usage du titre de psychothérapeute : la position du Collège National Universitaire de Psychiatrie concernant la formation à la psychothérapie, La Lettre de Psychiatrie Française, 2010, 193, p. 5.
[27] Recommendations for training in psychotherapy as part of training in psychiatry, UEMS European Board of Psychiatry, 1995, 2p.
[28] GROSBOIS P. Évaluation et projet de réglementation des psychothérapies in FISCHMAN G. (dir.) L’évaluation des psychothérapies et de la psychanalyse. Fondements et enjeux, Paris, Masson, 2009, p. 209-221.
[29] GROSBOIS P. Décret relatif à l’usage légal du titre de « psychothérapeute » : incompétence légalisée pour tous, Le Journal des Psychologues, 2010, 279, p. 10-12.
GROSBOIS P. Titre de « psychothérapeute » : revendication phallique chez les « psy »…, Le Journal des Psychologues, 2011, 289, p. 6.
[30] MÉNÉCHAL J. Introduction à la psychopathologie, Paris, Dunod, 1997.
[31] BERGERET J. (dir.) Psychologie pathologique théorique et clinique, Paris, Masson, 1972.
[32] Cf. le communiqué du 11 décembre 2011 de la Fédération Française des Psychologues et de Psychologie : “La modification des annexes du décret portant sur le titre de psychothérapeute est en cours de signature dans les deux cabinets des ministères concernés (Santé et Enseignement Supérieur). La dispense est totale pour les titulaires du titre de psychologue qui ont accompli le stage professionnel prévu à l'article 1er du décret n°90-255 du 22 mars 1990 dans les conditions de l'article 4 du présent décret. Pour les titulaires du titre de psychologue ne pouvant justifier de l'accomplissement du stage professionnel prévu à l'article 1er du décret n°90-255 du 22 mars 1990: ils devront réaliser un stage de 2 mois dans les conditions de l'article 4 du présent décret.“