Il n’est peut-être pas inutile, à l’occasion de la venue au jour du nouveau site de notre école, de nous interroger sur les raisons qui font que contrairement aux autres espèces animales qui n’ont pas affaire à la catégorie de l’objet, la nôtre les accumule bien au-delà de la satisfaction des besoins.
Nous dirons dogmatiquement avec Lacan qu’à la différence de l’animal chez qui l’imaginaire double comme un halo le réel de l’organisme et lui permet de survivre, l’ordre du symbole propre à notre espèce y introduit la dimension du manque d’un objet. Logiquement, cet objet qui manque dans l’imaginaire n’est pas représentable dans la réalité, mais il est la condition de sa mise en place. Il existe ainsi une inadéquation foncière et une déception caractéristique des rapports du sujet humain à ladite réalité.
Ce manque constitutif d’un objet que le Symbolique met en place dans l’imaginaire, désormais troué, a plusieurs conséquences.
À commencer par l’intérêt suscité chez l’enfant dès l’âge de 6 à 9 mois par son image, à la différence de ses cousins les petits chimpanzés. L’investissement massif et érotisé de notre propre image, repéré par Freud dès son Pour introduire le narcissisme (1914), puis théorisé par Lacan avec le stade du miroir (1936) vient en effet répondre au manque évoqué de l’objet, pour tenter de le combler en l’habillant. C’est ce qui fait le prix de l’image du corps, image idéale d’unité sur laquelle le moi va se régler, à condition qu’elle soit reconnue par l’Autre, la mère le plus souvent : « Oui, c’est bien toi ! ».
Cependant, la généralisation de la prévalence accordée aujourd’hui en tout au narcissisme et à l’illusion de maîtrise qu’il entraîne grâce aux avancées de la technologie et à la multiplication des pharmakon disponibles, mériterait une analyse psychopathologique approfondie de ses effets sur le lien social.
Sur le plan économique, ce manque d’un objet dans l’imaginaire, c’est-à-dire dans la réalité, fait qu’il en manque toujours un dans le compte. Ce qui entraîne la multiplication, dès lors toujours insuffisante, des objets d’échange et de jouissance. Ces objets de substitution à l’objet manquant primordialement, sont désormais stockés et numérotés dans les immenses entrepôts que nous connaissons, sous le contrôle de la robotique, des algorithmes et de l’Intelligence Artificielle.
Sur le plan politique, ce défaut irréductible d’un objet explique le succès électoral des promesses idéologiques de satisfaction et de bonheur, comme l’échec annoncé de leur mise en œuvre.
Est-ce qu’un abord rationnel de la psychopathologie, en référence à cet objet, écrit par Lacan a (petit a), nous permettrait de mieux rendre compte de la clinique et d’introduire une dimension de tempérance dans nos échanges ?
Claude Landman