Aller au contenu principal

Stéphane Thibierge
25 octobre 2010

Effectivement, mon but, à l’occasion de ces conférences que je ferai régulièrement, c’est de vous montrer pourquoi il n’est pas évident, il n’est pas simple, aujourd’hui, dans la situation qui est la nôtre, il n’est pas évident de faire de  la psychopathologie une pratique, et une pratique qui, comme toute pratique digne de son nom, une pratique qui soit orientée de manière correcte. Pratique qui ne soit pas, à quoi on ne puisse pas opposer qu’elle est, qu’elle serait n’importe quoi. Il y a quelques jours, vous avez pu entendre Monsieur Melman, Charles Melman, dans sa conférence inaugurale, dans la conférence qui inaugure les enseignements de cette École.

Il y a donc quelques jours, vous avez pu entendre Charles Melman évoquer comment, dans l’époque qui est la nôtre, la pratique, une certaine pratique dite clinique – vous savez que n’importe quelle pratique peut se dire clinique – se réclamer de la clinique, et, Marcel Czermak vous l’a également fait entendre, que se réclamer de la clinique n’est pas en soit un gage de sérieux, d’orientation correcte.

Je veux dire, par exemple, que le DSM-IV est un excellent manuel clinique. La question qui se pose à son sujet c’est comment cette clinique a été fabriquée et à quel usage ?

Marcel Czermak aussi vous a expliqué, de façon je trouve très précieuse et très précise, il vous a expliqué comme un fait clinique, ça se construit. Et comment il faut parfois des années, beaucoup de temps, c’est d’ailleurs ce que nous allons faire ensemble pendant 2 ans, il faut parfois beaucoup de temps avant que l’on puisse parler avec ceux avec qui on travaille de façon à pouvoir en être entendu, de façon à pouvoir élaborer un langage commun.

Je vais vous justifier le titre que j’ai donné à l’ensemble de ces conférences : « Éléments de psychopathologie pour en faire une pratique ».   Ce n’est pas évident d’en faire une pratique et toutes les pratiques ne se valent pas. C’est pourquoi j’ai ajouté : « Une introduction contemporaine à la psychanalyse ».

Parce que j’essayais effectivement de vous montrer pourquoi aujourd’hui une présentation correcte de la clinique, eh bien, ne peut pas faire l’économie de ce qu’a apporté, à cet égard, lapsychanalyse. Le choix de passer par la psychanalyse, pour vous présenter les éléments les plus fondamentaux de la psychopathologie, ce choix ne correspond pas de ma part ou de notre part à une fantaisie individuelle ou à un caprice, ce choix est dicté par, justement, le sérieux avec lequel nous souhaitons aborder la clinique dans cette École et aussi, le souci que nous avons d’en faire une clinique qui soit articulée au réel, à la fois du patient et au réel qui est le nôtre dans le lien social, dans la société, dans le monde comme on dit, dans l’expérience qui sont les nôtres.

Charles Melman dans sa conférence inaugurale vous a montré, enfin vous a dit, c’est quelque chose que l’on peut constater facilement, comment aujourd’hui on peut donner sous le terme de pratique clinique à peu près n’importe quoi. Et ce n’importe quoi porte un nom, ça s’appelle les psychothérapies. Vous trouvez aujourd’hui sous le terme de psychothérapie une multitude de pratiques de la clinique et de la psychopathologie qui ne permettent absolument pas de s’y retrouver d’une manière que l’on puisse qualifier de correcte. J’y reviendrai mais, à propos de cette façon d’aborder la psychopathologie, que je vous proposerai, comme une façon qui puisse en faire réellement une pratique.

Je voudrais vous rappeler ce que Melman a très fortement souligné en commençant l’enseignement de cette École, en l’inaugurant par sa conférence, je vous rappelle qu’il a évoqué la clinique pour nous, pour cette École qui démarre et nous démarrons avec l’ambition, et c’est ça aussi notre chance et la vôtre, et la nôtre, nous démarrons avec l’ambition de fabriquer une clinique, une clinique qui manque.

Nous démarrons avec l’ambition de fabriquer une clinique, qui, pour reprendre la façon dont Melman la définit l’autre jour, qui me paraît extrêmement précieuse et intéressante dans sa brièveté, dans sa rigueur, il a dit : « Une clinique des situations concrètes qui en appellent à la responsabilité du sujet »,  il a dit ça comme ça.

Ça suppose, bien sûr vous l’entendez tout de suite, ça suppose et j’y reviendrai dans quelques instants, ça suppose bien sûr de pouvoir apprécier correctement ces situations ; une clinique des situations concrètes. Quelles situations concrètes ? De quelles situations s’agit-il ? De quoi s’agit-il ? Qu’est-ce que nous visons sous ces situations ? Évidemment, nous avons la situation où se trouve le sujet auquel nous avons affaire. Comment est-ce que nous repérons ça ?

Et puis d’autre part, le propos de Melman pose aussi la question de savoir comment nous apprécions la manière dont la responsabilité du sujet est engagée ? Ce qui pose également la question de savoir si elle est engagée. Est-ce que la responsabilité du sujet est engagée ? Première question. Et deuxièmement, si elle est engagée, à quel titre est-elle engagée ? De quelle manière ?

Alors justement, à propos d’engagement, je voulais vous souligner, peut-être comme ça en commençant, le contexte de la création de cette École, de notre École – l’École Pratique des Hautes Etudes en Psychopathologies – à laquelle vous êtes venus vous inscrire.

Je voudrais vous évoquer le contexte dans lequel se crée cette École, contexte dont Melman a également parlé, dont Marcel a parlé. Dont vous avez entendu parler aussi à l’occasion d’une discussion, que ceux d’entre vous qui sont parisiens, c’est-à-dire vous qui êtes réunis dans cette salle, mais je parle aussi pour ceux qui sont en province, pour ceux qui sont ailleurs qu’à Paris. Ceux d’entre vous qui étaient là ce soir où Melman a fait sa conférence, vous avez assisté ensuite à une discussion un petit peu vive et animée entre Marcel Czermak et Émile Janet. Et, j’en suis content d’une certaine façon, parce que cette discussion, comme le sujet de cette discussion, c'est-à-dire ce qu’ont pu être les attitudes respectives des différentes communautés analytiques, des différents groupes analytiques au cours des dernières années, cette discussion à mon avis était très bien venue dans la mesure où elle montrait comment peut être une discussion scientifique, certes un peu vive, entre deux personnes qui sont à la fois savantes, cultivées, courtoises et vives aussi quand il s’agit de l’être, courageuses quand il s’agit de l’être parce que l’un et l’autre ont eu à certains moments difficiles des positions courageuses.

Je dis ça parce que, quand vous vous êtes inscrits à cette École, et bien, que vous le vouliez ou non, je pense que vous l’avez fait, comme toujours, on sait jamais tout à fait ce qu’on fait quand on réalise un acte, enfin c’est de votre part un acte, et comme tout acte, vous ne savez pas exactement de quelle façon et vers où il vous engage et de quelle manière il va vous engager. Mais ce qui est sûr c’est que vous êtes engagés dans cette École. Si vous avez lu attentivement les textes qui en annoncent la création, vous avez vu qu’il est indiqué, qu’elle engage autant ceux qui reçoivent l’enseignement que ceux qui le dispensent. Autrement dit, vous êtes, par cette inscription sous le nom de cette École, vous êtes engagés dans quelque chose qu’il importe de repérer. Et ce qui, je vais commencer de vous en parler ce soir, ce qui me paraît vous engager et nous engager, nous qui nous mettons en position de vous enseigner quelque chose dans cette École, et bien c’est la nécessité où nous nous trouvons d’essayer de repérer et d’identifier correctement ce à quoi nous avons affaire, aujourd’hui, dans l’ambiance qui est la nôtre, ce à quoi nous avons affaire tout d’abord sous ce terme de psychopathologie, de quoi s’agit-il ?

C’est le nom sous lequel nous nous plaçons hein - École des Hautes Études en Psychopathologie – nous devons effectivement, identifier correctement ce qui est à apprécier sous ce terme de psychopathologie. Quitte éventuellement à le questionner, à l’interroger, à le critiquer. Ça va donc nous obliger, pour commencer à avancer, comme ont fait dans leur conférence Charles Melman puis Marcel Czermak lundi dernier, ça va donc nous amener à tenter de clarifier un certain nombre de choses, d’en poser d’autres, d’en identifier correctement un certain nombre, dans une ambiance, l’ambiance d’aujourd’hui, ambiance contemporaine qui je dois vous le dire est très confuse.

C’est une ambiance confuse, et c’est une ambiance dont la confusion est préoccupante, est inquiétante, puisque, pour le dire très simplement, quand l’ambiance d’une société, d’un lien social est comme ça préoccupante sur des questions fondamentales, comme par exemple celle de savoir les situations concrètes où est engagée la responsabilité d’un sujet. Ce n’est pas une question abstraite, ça, ce n’est pas une question théorique ou seulement de cours, c’est une question qui nous intéresse tous de savoir comment et dans quelle situation et de quelle manière notre responsabilité est engagée. C’est ça, la clinique. Mais, justement, cette question aujourd’hui est particulièrement confuse et je me permets de vous dire, c’est une situation pour nous inquiétante. Pour nous, je veux dire en tant que citoyen d’abord, pas seulement en tant que clinicien.

Pourquoi c’est inquiétant ? Parce que ça rend difficile l’appréciation correcte du réel qui est en jeu pour nos patients, pour nous-mêmes qui intervenons auprès de ces patients et pour, ce que j’évoquais à l’instant, c'est-à-dire les situations concrètes où nous nous trouvons engager ces patients. Ce qui est donc difficile et je me permets de l’écrire au tableau, parce que c’est un terme important, qui me paraît important et, il n’est pas indifférent de temps en temps d’écrire les choses. Vous savez, j’en parlais toute à l’heure avec Alain Fourcade, parce que je ne voulais pas l’embêter en écrivant des choses au tableau qui seraient difficiles à montrer à ceux qui nous écoutent d’ailleurs que de Paris. Mais, j’aurais l’occasion d’y revenir aussi, dès que vous essayez de faire passer quelque chose en psychopathologie, vous êtes obligés d’en passer par l’écriture, vous êtes obligés de passer par l’écrit ; vous ne pouvez pas passer que par la parole, c’est étonnant mais c’est comme ça. Je vous montrerai pourquoi.

Melman d’ailleurs dans sa conférence, je vous le rappelle, évoquait comment ce qui se soutient, ce qui s’appuie sur la parole, par excellence sur une voix, ça s’appelle, j’y reviendrai, la magie. La magie se soutient d’une parole, elle a besoin d’une parole pour fonctionner. Nous en principe, nous n’avons pas besoin seulement d’une parole, nous avons besoin d’autre chose, justement nous avons besoin de l’écriture et j’essayerai de vous montrer pourquoi. En tout cas je vais tout de suite écrire ce terme qui me paraît important. Il me paraît important de l’écrire, alors je vais me taire pendant que je l’écris, sinon on n’entendra pas.

J’ai écrit IDENTIFICATION. Identifier quelque chose.

J’ai écrit « identification » dans un sens transitif, pas dans le sens réfléchi et intransitif où on l’entend d’habitude, surtout dans les cercles psychanalytiques, qui sont ceux auxquels nous sommes souvent habitués. La j’ai écrit identification au sens d’identifier quelque chose.

Nous aurons à essayer. Nous avons à essayer, en tant que nous interrogeons la psychopathologie, nous avons à essayer d’identifier correctement ce à quoi nous avons. Et, je vous disais à l’instant, l’ambiance dans laquelle nous sommes est préoccupante dans la mesure où elle rend difficile l’identification correcte des faits auxquels nous avons à nous intéresser.

Marcel Czermak, lundi dernier, évoquait comment cette question – qu’est-ce que c’est qu’un fait clinique – est une question pour nous fondamentale. De quel fait partons-nous ? Vous aurez à vous poser cette question, chacun d’entre vous que vous ayez déjà l’expérience de patient ou que vous n’ayez pas encore cette expérience. Vous devrez vous poser cette question. A propos de ce patient que j’écoute, que je reçois, de quel fait vais-je partir ? Qu’est-ce que je vais relever comme fait ? Qu’est-ce que je vais entendre, qu’est-ce que je vais distinguer ? Qu’est-ce que je vais, en un mot, identifier ?

Ça ne veut pas dire du tout que je vais comprendre, hein.

Marcel disait bien l’autre jour : il ne s’agit pas de comprendre. Il ne s’agit pas du tout d’abord de comprendre. Ni d’abord ni même principalement. Il s’agit d’identifier correctement.

 C’est pour ça que nous serons amenés à insister sur l’écriture.

Quand vous essayez d’appréhender quelque chose par l’écriture, vous vous apercevez vite que vous êtes emmenés dans des zones, vous ne comprenez plus rien.

Y a qu’à faire l’expérience d’écrire une lettre à quelqu’un qui nous importe un tout petit peu, vous avez peut-être tous fait cette expérience : on commence une lettre, une vraie lettre hein, écrite sur un papier avec de l’encre, avec la main, qu’en on commence une lettre sur un sujet qui nous importe, on est tous surpris de constater, toujours, qu’en on arrive très vite dans le cours de cette lettre, et bien, on écrit tout à fait autre chose que ce qu’on imaginait avoir envie de faire passer. Et à la fin, la lettre bien souvent surprend complètement.

Et il en va de même avec la clinique, quand on fait l’effort de coucher sur le papier ce que l’on trouve devoir être remarqué, et bien, bien souvent on ne le comprend pas, et j’irai même jusqu’à dire que, une des conditions nécessaires d’appréhension correcte des faits cliniques c’est justement d’avoir la modestie d’accepter de ne pas comprendre ce que l’on remarque. C’est souvent cette modestie et cette méthodologie, c’est souvent la condition indispensable pour pouvoir, je le dis tout de suite comme cela, j’y reviendrai, pour pouvoir se rendre compte de ce à quoi on a affaire. Comprendre quelque chose et se rendre compte de quelque chose c’est complètement différent, ça n’a même rien à voir. Quand vous comprenez quelque chose ou que vous croyez comprendre quelque chose, vous êtes en train de vous imaginer que vous vous éclairez avec quelque chose qui porte un nom en psychopathologie justement, ça s’appelle le Moi. Quand vous vous imaginez comprendre, eh bien vous prenez le Moi et vous vous en servez comme si c’était une boussole, mais c’est pas une boussole le Moi, c’est même exactement fait pour, oui, déboussoler, absolument. Seulement le problème c’est que quand on est déboussolé justement on se précipite sur le Moi et sur tous ses dérivés et ça nous rend complètement incapable d’identifier.

Je tenais aujourd’hui à vous montrer sur pièce en quelque sorte, pourquoi j’ai choisi, pour ma part, de vous présenter un apport de la psychopathologie qui explicitement se présente comme une introduction contemporaine à la psychanalyse.

Je me suis dit, je ne vais pas leur apporter ça comme si c’était une évidence. Je vais leur apporter ça comme il se doit. C'est-à-dire en jouant cartes sur table.

J’ai apporté un manuel de psychologie clinique et de psychopathologie cognitive et comportementale. Et pour vous, pour moi aussi, j’ai fait l’effort, parce que ça ne va pas toujours avec facilité, de lire intégralement le premier chapitre dans lequel on présente l’histoire, les théories et les méthodes de la psychologie clinique et de la psychopathologie cognitive et comportementale. C’est un livre qui date de 2006. Donc vous voyez, j’ai pris des références récentes. Et je vous montrerai pourquoi, si j’avais aujourd’hui devant moi et avec nous un interlocuteur qui soit partisan ou qui utilise ces outils-là, les questions que je souhaiterais lui poser, en lui disant – pourquoi vous vous référez à, disons, ce corpus là, ces méthodes-là, cette façon là d’aborder la clinique ? Je vous montrerai tout à l’heure pourquoi j’aurais quelques questions à lui poser, très tranquillement hein, puisque justement, l’intérêt de l’écriture c’est que ça permet aussi de juger sur pièces, ça permet de juger sur travaux.

Précisément ça me fait aborder un autre point que je souhaitais vous évoquer ce soir, c’est précisément, c’est celui,  puisque vous venez d’avoir, je suppose, des travaux dirigés qui portaient sur un texte de Jules Seglas, qui est un texte qui évoque, je reprends les termes de Seglas – la seule manière possible de connaître ce qu’il en est de la situation concrète d’un aliéné ou d’un patient, à savoir l’interrogatoire, dit Seglas, c'est-à-dire le fait de l’interroger, il y a dans le terme d’interrogatoire aucune connotation péjorative ou inquisitoriale dans un sens policier, l’interrogatoire c’est le fait d’interroger. Et bien, je vous parlerai tout à l’heure de la fonction capitale dans notre discipline, la psychopathologie, justement pour en faire une pratique, de l’entretien clinique. Et je vous montrerai, parce que ça me paraît extrêmement important, de quelle manière l’entretien clinique est abordé et présenté dans ce manuel de psychopathologie cognitive et comportementale. Ce n’est pas pour être polémique, c’est au contraire pour dire voilà pourquoi nous pouvons légitimement nous référer à la psychanalyse. C’est pas encore une fois pour des questions de chapelle. C’est parce que nous prenons position, d’une façon très précise par rapport à un certain nombre de questions sur lesquelles nos collègues cognitifs ou comportementaux prennent position d’une toute autre manière, que je vous présenterai tout à l’heure pour que nous sachions un peu de quoi nous parlons.

Alors l’entretien clinique, vous savez qu’aujourd’hui on parle beaucoup d’évaluation dans tous les domaines. Il faut évaluer ce à quoi on a affaire, il faut évaluer les pratiques, il faut évaluer les résultats, il faut évaluer les méthodes etc. – L’ÉVALUATION –

Nous,  notre outil d’évaluation – mais je préconise pas pour ma part ce terme d’évaluation, mais je suis certain que ni Melman ni Czermak ni aucun de mes collègues qui auront à vous enseigner dans le cadre de notre École, ne sont favorables au terme d’évaluation. Pourquoi ? Eh bien, nous préférons généralement le terme d’appréciation : apprécier une situation, apprécier le point où en est quelqu’un, apprécier son rapport au réel. Ou apprécier le nôtre, ou tenter de l’apprécier. C’est-à-dire : pourquoi est-ce que ce n’est pas pareil évaluation et appréciation ? Parce que, vous l’entendez je pense très bien, appréciation fait référence dans la langue, de façon très audible, à un jugement, à un jugement raisonné. Quelqu’un qui apprécie une situation, c’est quelqu’un qui s’en fait une représentation raisonnée et, autant que possible, articulée. Alors que, et du même coup, l’appréciation fait référence aussi à l’engagement de celui qui apprécie, il engage sa responsabilité dans son appréciation. Tandis que lorsque vous parler d’évaluation, vous pouvez très facilement, comment dire, en arriver à l’idée d’un calcul qui à la limite pourrait s’opérer de façon automatique sans que vous y soyez.

Et ce qu’il y a très curieux dans ce manuel de psychopathologie cognitive, c’est que dans ce premier chapitre : méthodologie introductive – je ne peux pas vous le commenter dans le détail, mais je vous en commenterai certains passages – il est  remarquable que, sans cesse les auteurs disent, nous notre préoccupation centrale – nous nous centrons sur le sujet et sur l’entretien clinique. Ils mettent sujet toujours entre guillemets, je ne sais pas pourquoi, peut être qu’ils prennent le sujet avec des pincettes comme ça. Mais, nous, nous le mettons en général sans guillemets mais eux le mettent toujours avec des guillemets. Ils disent : notre souci constant c’est l’entretien avec le sujet. On ne peut que souscrire à ce souci. Mais ils disent : attention, ce sujet, il faut se garder de lui nuire ou de l’influencer de quelque façon. Donc à côté de cet entretien avec le sujet, et bien, nous allons faire appel à toutes les théories existantes pour être sûr qu’on l’éclaire bien de la bonne façon, puis nous allons faire appel aussi à des tests et à des échelles de mesure pour que nous ne risquions pas d’intenter à la singularité du sujet, à sa souffrance en y mettant quelque chose qui y serait étranger. Pour nous garantir le mieux, il faut nous donner des instruments valides et objectifs.

Et vous vous apercevez, mais j’y reviendrai tout à l’heure plus précisément, vous vous apercevez que d’une façon subreptice, dans une espèce de brouillard – complètement désorientant d’ailleurs – vous vous trouvez dans un discours qui d’un côté vous dit : on est attentif à l’entretien clinique, c’est même le centre et c’est ce dont nous partons, et qui de l’autre vous dit : il faut laisser de côté l’entretien clinique, il faut se doter d’outils objectifs, valides pour pouvoir justement ne pas se laisser déporter par ce qui serait la subjectivité du psychologue, et, il n’ajoute pas –  et du patient – mais c’est pratiquement cela qui est visé.

Avant de revenir au manuel, je voudrais encore faire une remarque concernant ce que j’ai donné comme titre à savoir une introduction contemporaine  à la psychanalyse.

Je vous disais que ce n’est pas une fantaisie, ce n’est pas arbitraire, mais pour des raisons qui sont articulables, qui sont argumentables.

Et je précise tout de suite que, une de ces raisons majeures, c’est notre rapport à la science. Quand je dis notre rapport, c’est les rapports des psychanalystes mais c’est aussi les rapports de notre École. C’est le même. De ce point de vue.

Nous ne tenons pas la science comme une référence que nous puissions négliger, au contraire. Nous ne pouvons pas non plus prendre la science telle qu’elle se présente et encore moins, nous ne pouvons pas prendre l’idéologie scientiste contemporaine pour ce pourquoi elle se donne, pour telle qu’elle se présente. Mais nous sommes, et notre École au premier chef,  éminemment attentif à la science et au caractère, j’ajouterai même ceci, scientifique de notre démarche. Je ne dirais pas forcément de nos résultats ou de notre propos. Notre propos, il a une visée scientifique. Il respecte la tradition qui est celle qui a vu naître les recuisîtes, les conditions de possibilité de la science. Nous respectons cela. Et notre visée est scientifique. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire, parce que ça a un enjeu pratique immédiat, ça veut dire que nous ne sommes pas du côté, que Melman a évoqué l’autre jour, de la magie.

Qu’est-ce que c’est pour nous que la magie ? Je vais revenir sur quelques points qu’a évoqués Melman l’autre jour. Je vais les expliciter tels que je les ai, pour ma part, entendus.

En psychopathologie, qu’est-ce que c’est que ce qu’on pourrait appeler une approche tributaire de la magie, pour ne pas dire magique ?

Et bien, si nous disons que les psychopathologies, ce sont les différentes manières de concevoir et d’articuler ce dont témoigne l’animal humain, autrement dit l’animal qui parle, le seul animal qui parle, qui cause et qui est tout embarrassé, comme vous le savez, comme nous le savons, de cette parole. Les psychopathologies, puisqu’il n’y en a pas qu’une, il y en a beaucoup, ce sont les différentes manières d’articuler ce qui chez l’animal humain, chez l’animal parlant, ce qui ne va pas. Vous savez comme quand on dit « ça va pas, ça ne va pas », et bien souvent, le rôle des praticiens, leur place, leur fonction, c’est de dire « Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qui ne fonctionne plus ? » Sauf que nous, nous ne nous disons pas seulement qu’est-ce qui ne fonctionne plus, parce que nous ne sommes pas, nous n’interrogeons pas les gens comme s’ils étaient uniquement des fonctions en activité, tout au contraire. L’abord psychanalytique de l’animal parlant ça consiste justement à montrer que du fait qu’il parle, il ne peut pas être complètement fonctionnel, pas du tout même. Il dysfonctionne nécessairement. Et enfin en tout cas, les psychopathologies, ce sont les différentes manières d’aborder ce qui ne va pas chez l’animal parlant.

Et ce qui ne va pas, et ça Melman, l’autre jour l’a évoqué de façon très parlante, ce qui ne va pas, il y a une manière presque spontanée et que toutes les civilisations, toutes les cultures connaissent : c’est effectivement la magie. Qu’est-ce que la magie ? C’est une invocation. On invoque, la voix est tout de suite sollicitée, on invoque quelque chose qui est à situer dans lanature, autrement dit dans le réel auquel on a, en espérant – il y a toujours un espoir dans la magie – en espérant que ça va répondre et que ce couple – l’invocation d’un côté et la réponse de l’autre – soit propre à réparer un désordre, à réparer une crise. C’est ça la magie. Ou, sinon à réparer, le désordre ou la crise – nous dirions éventuellement le symptôme nous dans notre langage – au moins à en marquer les limites, à en circonscrire les effets. Souvent c’est ça les pratiques magiques, ça consiste à arrêter, à limiter ce qui fait crise, désordre ou catastrophe.

Cette façon de procéder, elle a sa valeur. Je veux dire que je ne pense pas qu’il est dans notre esprit ou dans notre façon d’apprécier justement les choses, de dire que la magie n’aurait pas sa valeur. Bien sûr qu’elle a sa valeur. Et, je pense qu’on pourrait montrer que les magies peuvent produire à leurs manières une clinique descriptive, et des protocoles aussi, des protocoles de réponses à des situations concrètes, qui peuvent avoir leur valeur.

Le problème, et ce qui fait que pour nous la magie n’est pas quelque chose du côté de quoi nous puissions nous situer, c’est qu’elle repose principalement sur la suggestion et en particulier sur la puissance, sur le pouvoir, Melman l’a bien souligné, de la voix. Et de la voix qui, je l’évoquais, invoque. C'est-à-dire qui recherche, qui demande dans le réel, un signifiant qui réponde. Un signifiant, c'est-à-dire un élément de langage. Là aussi, Melman a souligné cette différence avec l’approche scientifique qui s’appuie principalement, comme vous le savez, sur les lettres. Les lettres, c’est encore plus fragmenté que les signifiants. La magie ne cherche pas un appui sur une littéralité, elle cherche un appui sur un signifiant, sur un élément de langage qui réponde.

Nous pouvons donc dire que, du point de vue qui est le nôtre, la magie peut tout à fait désigner – pas toujours certes, il faut être prudent – mais elle peut tout à fait désigner la force, la puissance avec laquelle, ce qui ne va pas, le symptôme, peut susciter pour l’homme, pour l’être parlant, très facilement, une invocation extrêmement suggestive – et nous en voyons des exemples tous les jours – une invocation extrêmement ductile. Ductile, c'est-à-dire qui peut se laisser entraîner par n’importe quelle voix. Et fondamentalement, une invocation qui, si vous poussez les choses jusqu'à leur terme, cette invocation magique, ce qu’elle demande – je ne dis pas que toutes les pratiques magiques relèvent de cela, mais si vous poussez les choses dans une logique un tout petit peu développée, vous vous apercevez que ce qui est recherché par cette invocation d’un signifiant dans le réel, c’est une autorité, c’est la demande d’une autorité univoque. C'est-à-dire une autorité qui n’ait pas trente-six sens, mais qui ait un sens. C’est ça qui est invoqué.

L’autorité de quoi ? Et bien l’autorité d’un signifiant qui répond dans le réel. C'est-à-dire là aussi, d’une voix. En ce sens on peut dire que la plupart des psychothérapies sont des pratiques issues directement de la magie, et qui ont un usage magique du signifiant. Ce n’est pas le nôtre.

Je voudrais dire un mot là, peut-être pour préciser les choses. La religion n’est pas tout à fait la même chose que la magie – encore que dans certains cas les deux se recoupent, voire même sont indissociables. Certaines religions s’apparentent de très près à la magie. Mais, il est important je crois, au moment où nous commençons cet enseignement, de distinguer la place de la religion et en particulier de la religion monothéiste. Des religions monothéistes. Il est intéressant de remarquer que ces religions monothéistes présentent un trait très remarquable concernant l’approche du réel – je vous disais tout à l’heure que la magie, ça consiste à invoquer un signifiant qui répond dans le réel. C’est Lacan d’ailleurs qui évoque cela. À cet égard les religions monothéistes ont ceci de très remarquable qu’elles désignent le réel, que nous interrogeons comme étant un. C’est-à-dire, c’est tout à fait lié à ce que j’évoquais tout à l’heure de l’identification. L’identification de quelque chose. La religion, vous voyez j’ai du mal à dire les religions, c’est sans doute parce que je suis sensible à l’aspect, au coup de force énorme qu’a représenté l’introduction du monothéisme dans, disons, les cultures méditerranéennes, pour dire les choses simplement, dans la mesure, et c’est en cela que le monothéisme, d’une certaine façon, à préparer le terrain pour ce que nous appelons la science, la science la plus authentique. C’est que le coup de force du monothéisme, en son départ, c'est-à-dire chez les juifs puis repris par les chrétiens et par les musulmans, au départ c’était ce coup de force, disons de la religion juive, avec ce que vous connaissez, je ne vais pas rentrer dans l’histoire, c’est une histoire passionnante qui mériterait d’être dépliée mais, avec ses antécédents dans l’histoire de l’Égypte ancienne etc. Mais, le coup de force c’est de dire : le réel est Un. Autrement dit, l’identifier, parce que c’est ça dont il s’agit. Il s’agissait de l’identifier comme étant un. Ça veut dire que vous ne pouvez pas changer de réel toutes les fois que vous n’êtes pas content dont les choses se passent, vous comprenez. Vous ne pouvez pas vous dire : cette divinité la, elle ne me plait pas, elle ne m’a pas rendu service, elle n’a pas fait pleuvoir alors je vais aller trouver une autre divinité, je vais aller à la source d’à côté, non vous ne pouvez plus comme ça vous promener comme ça dans un réel où l’invocation pourrait être multiple, comme c’est toujours le cas dans la magie. Vous êtes obligés de vous référer à un réel qui est un, il n’y en a pas trente-six, il n’y en a qu’un. Et ça c’est déjà quelque chose qui annonce la démarche scientifique et qui même, d’une certaine manière, en constitue une condition nécessaire.

Alors maintenant, je reviens à l’entretien clinique, puisque nous notre façon de pratiquer avec le réel, c’est l’entretien clinique. C’est notre méthode. C’est notre mode opératoire principal, fondamental. Et je voudrais vous montrer, simplement comme c’est écrit, c’est ça l’intérêt des choses écrites, ça permet ensuite de ne pas dire tout à fait n’importe quoi mais de s’appuyer sur ce que les gens soutiennent par écrit.

Alors là, vous avez le premier chapitre de cette « Psychologie clinique et psychopathologie» publiée par Monsieur Serban Ionescu, Professeur de psychopathologie – Directeur de l’institut d’Enseignement à Distance – Directeur du centre de recherche Traumatisme, Résilience, Psychothérapie à l’université Paris 8 de Vincennes, et Monsieur Alain Blanchet qui est une principale figure de la psychologie cognitive qui est directeur de l’UFR de psychologie et de l’École Doctorale Paris 8 Vincennes. Donc, ce sont des autorités dans ce domaine.

Alors, comme je vous l’ai dit, l’entretien clinique est tout à fait valorisé chez ces auteurs, dans leur manuel. Mais alors, vous allez voir comment ils y adjoignent ce qui tout d’un coup, je vais vous le montrer, va en faire tout autre chose, que ce que vous avez pu expérimenter, je suppose tout à l’heure, quand vous avez travaillé sur le texte de Seglas.

D’abord sur l’étude de cas, je voudrais vous lire une phrase de ce manuel. Je ne peux que vous inviter à vous y reporter, il faut savoir un petit peu ce que disent les autres. Moi si j’étais, ça m’arrive d’ailleurs de l’être, en conversation et éventuellement en dialogue ou même en polémique avec un collègue cognitiviste, je lui dirais, est-ce que vous pouvez m’expliquer cette phrase, comment vous l’entendez ?

L’étude de cas, n’est pas un monologue, mais bien l’effet de la rencontre entre un sujet qui présente un problème  – vous voyez la formulation, le gars il présente un problème, c’est quoi son problème ? C’est une façon de dire les choses quand même un petit peu désinvolte.  L’étude de cas, n’est pas un monologue – on est quand même content de l’apprendre –  mais bien l’effet de la rencontre entre un sujet qui présente un problème, en parle, et un psychologue qui l’écoute.  

Vous remarquez que c’est un psychologue qui l’écoute, ce n’est pas un médecin, ce n’est pas un psychanalyste. C’est un psychologue. Ça a son importance.

Donc, rencontre entre quelqu’un qui présente un problème, en parle, et un psychologue qui l’écoute, alors écoutez bien, justement, parce que ça c’est quelque chose qui mérite tout de même d’être souligné. Un psychologue qui l’écoute donc,  et qui restituera ses éléments sous la forme d’une construction dotée de sens. Vous voyez ? Autrement dit, ce que va apporter le gars qui a un problème, c’est un peu brouillon, un peu fouillis, on va le prendre, on va le laisser parler parce que c’est quand même important, sinon on passerait pour des gens qui n’écoutent pas des gens, mais ensuite on va le restituer, c’est-à-dire qu’on va accomplir un travail, là-dessus, d’élaboration et on va le restituer  sous la forme d’une construction dotée desens. Vous voyez que le grand mot ici, le mot important, il y en a beaucoup, mais c’est le mot « sens » et c’est le mot « construction » également. Et puis « dotée », c’est un terme technique, je veux dire que quand vous lisez le texte de Seglas sur l’entretien clinique, vous n’imaginez pas Seglas en train de dire à son patient « ah ! C’est intéressant ce que vous dites, c’est même, on peut dire, doté d’un certain sens. C’est doté de sens ce que vous dites. »

Non, on ne parlera pas comme ça. Et puis surtout, si nous sommes attentifs, je vous le disais tout à l’heure, à identifier correctement ce que nous dit un patient, nous ne chercherons pas à doter ce qu’il nous dit d’un sens, au contraire, nous chercherons à identifier correctement ce qu’il nous dit. Et c’est d’ailleurs, soit dit en passant, pour quoi notre École nous mettons un tel accent sur ce qu’on appelle la présentation de malades. Une présentation de malades, c’est quelque chose qui engage tout autant le malade – celui qui est dit le patient – que celui quil’écoute. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit des deux côtés, aussi bien du côté du patient que du côté de celui qui l’interroge et essaye de l’entendre correctement, il s’agit des deux côtés d’identifier justement correctement ce qu’il y a qui ne va pas. C’est quand même autre chose que ce qui est dit dans la phrase que je vous ai évoquée tout à l’heure. Et ce n’est pas tout.

Alors, puisque je parle de la présentation de malades, nous devons à Lacan d’avoir redonner à cette pratique la dignité éminente qui lui revient, puisque c’est une pratique qui est exemplaire de ce que, l’autre jour Melman désignait comme la pratique clinique, je reprends ses termes : « Une clinique des situations concrètes qui en appelle à la responsabilité du sujet.»Une présentation de malades, où,  parce que c’en est l’équivalent, un premier entretien de quelqu’un qui vient nous voir, c’est toujours une tentative d’identifier correctement à quelle situation concrète vous avez à faire et de quelle manière ça en appelle à la responsabilité du sujet, et si ça en appelle à la responsabilité du sujet. Quelquefois la responsabilité du sujet elle est absente, ça arrive. C’est très important.

Alors pour revenir à cette présentation très brève, je ne vais pas vous en infliger beaucoup, mais je voudrais quand même vous faire entendre quelques points importants.

Je vous ai dit que, sans cesse, dans ce premier chapitre qui présente l’histoire des théories et de la méthode de la psychopathologie cognitive et comportementale, sans cesse les auteurs disent : pour nous ce qui est central, ce qui est le point le plus important, c’est l’entretien clinique.

Mais alors, cet entretien clinique, ils expliquent à un moment donné, qu’il faut quand même le nourrir, l’alimenter, le bonifier avec des instruments valides et objectifs.

Il y a de quoi être complètement perdu parce qu’on ne voit pas très comment on peut à la fois… je veux dire qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

Alors, après la section sur l’entretien, la section 2, il y a une section 3 qui s’intitule « les tests et les échelles », et, les tests et les échelles sont présentés de la façon suivante. Je vais vous le lire parce que c’est important de l’entendre très précisément.  Les tests et les échelles, ce sont des instruments standardisés d’évaluation des phénomènes psychiques, permettant le plus souvent, de mesurer les composantes psychologiques. Autrement dit, vous faites de la psychopathologie, si vous voulez savoir ce que vous faites et à quoi vous avez affaire, vous devez avoir des instruments de mesure des composantes sur lesquels vous travaillez ; ça vous sera donné par les tests et les échelles : Mesurer les composantes psychologiques, comparer les sujets entre eux et les comparer à une norme statistique.

Voilà, le mot central est lâché. C’est la norme statistique. Vous allez donc découper le réel auquel vous avez, à partir d’outils qui sont eux-mêmes formés sur une norme statistique. Ça n’a l’air de rien, mais ce que je viens de vous évoquer… Alors, je vous donne encore un aperçu parce que c’est important, je ne vous en parlerai plus après, mais quand même… Encore une fois, il y a des psychopathologies, il est important de pouvoir apprécier ce que font les méthodes de l’une et de l’autre et pourquoi nous dans notre École nous pratiquons de la façon que nous pratiquons.

Leurs buts (de ces échelles et de ces tests), c’est de faire apparaître certains éléments que les entretiens ne permettraient pas de repérer précisément (production d’informations inaccessibles) – ça veut dire qu’il y a des informations qui restent cachées à l’entretien, et ces informations inaccessibles on peut y avoir accès par les tests et les échelles – fournir des résultats valides et objectifs, c'est-à-dire non soumis à la subjectivité du psychologue, et ainsi d’enrichir l’examen clinique, ils ont alors le statut d’examens complémentaires.       Exactement comme une IRM ou un scanner.

Alors, le problème ici, n’est pas l’usage en lui-même des tests ou des échelles, parce qu’après tout, il peut y en avoir qui sont utiles dans la mise en œuvre de la clinique, le problème n’est pas là. Le problème c’est l’usage qu’on en fait et le statut qu’on leur donne, méthodologique. Or ce statut, et c’est là que je voulais en venir à propos de cet ouvrage, ce statut, il nous présente quelque chose qui va à l’encontre de toute la tradition, non seulement médicale mais également humaniste, qui sont les nôtres, et je dirais même toute notre tradition tout court. À savoir que, et je vous propose de le dire comme ceci : c’est la première fois dans notrehistoire, à ma connaissance, c’est la première fois – et il importe que vous mesuriez la violence que ça suppose et que ça implique – que l’on part du normal pour aborder lenormal. On n’a jamais fait ça, jamais. Je dis bien, on part du normal pour aborder et même définir le normal. C’est contre toute méthode médicale, mais même épistémologique, philosophique et d’une manière générale, humaniste.

Jamais on a osé faire ça. Pourquoi ? Ben parce qu’on est toujours parti de ce qui faisait symptôme, de ce qui faisait pathologie pour approcher une notion qui reste une sorte d’épure idéale, parce qu’à la limite un individu normal vous n’en rencontrez jamais dans la vie, vous ne rencontrez que des approximations plus ou moins singulières de ce qu’on appelle les pathologies, de ce qu’on appelle les symptômes. L’hystérie, par exemple, elle a été identifiée comme un symptôme. Elle ne permet pas de distinguer… À partir de l’hystérie on peut parfois l’imaginer, on peut parfois raisonner sur ce que serait un rapport qui ne serait pas hystérique, au réel. Vous entendez bien que les auteurs comme Seglas – que je vous ai fait découvrir en TD – ce sont des gens qui n’ont jamais, n’ont jamais au grand jamais pris comme départ le normal pour définir le pathologique.

Il y a là dessus des différences entre la tradition clinique française et la tradition clinique allemande, par exemple. C’est vrai que dans la tradition clinique allemande – il y a une grande tradition clinique allemande mais qui a eu, parfois, et ce n’est pas tout a fait étonnant que le cognitivo-comportementalisme soit principalement parti de pays anglo-saxon, il y a parfois cette tendance à partir des facultés de l’âme, des facultés de la raison pour définir leurs perversions dans les pathologies et quelques fois, on perçoit dans cette clinique comment, le soucis de systématicité théorique prend le pas sur ce qui est recueillit du langage des patients. Et c’est un grand mérite de la clinique française, je ne dis pas ça de façon chauvine, parce que la clinique allemande est une grande clinique, ce n’est pas le problème, mais il est très important que vous remarquiez, et vous le remarquerez en lisant les textes de Seglas, de Clérambault, de Chaslin et d’autres, vous remarquerez que ce sont des gens qui ont toujours préféré l’identification correcte, justement, du langage des patients à une présentation trop bien cadrée de ce qui serait le sens de leurs symptômes. C’est une clinique qui accepte de ne rien comprendre.

Et d’ailleurs, quand vous lisez les meilleurs ouvrages de la clinique française vous avez l’impression, je l’ai expérimenté sur certains syndromes sur lesquels j’ai travaillé, vous avez vraiment l’impression de vous déplacer dans un paysage absolument incompréhensible. Mais c’est précisément parce qu’il est incompréhensible qu’il a été bien relevé. Ou, plus exactement, c’est parce qu’il a été bien relevé qu’il est incompréhensible.

Alors cet entretien clinique… je vois que l’heure tourne, donc j’annonce simplement maintenant, je voudrais que vous ayez le temps pour des remarques ou des questions ou des objections pourquoi pas. La prochaine fois, j’évoquerai plus précisément ce que c’est un entretien clinique. C'est-à-dire pourquoi pour nous, c’est, comme je vous le disais tout à l’heure, le socle méthodologique sur lequel nous nous appuyions et ce qui nous permet d’aborder la clinique, dans les termes que Melman évoquait l’autre jour, c'est-à-dire autrement que l’invocation magique, et autrement aussi qu’une croyance trop naïve en une scientificiténon raisonnée. Notre démarche est scientifique, mais elle ne peut pas l’être intégralement, etpour des raisons qui sont elles-mêmes scientifiques. C’est parce que nous devons être à même de repérer le point où notre pratique ne peut pas se clore sur elle-même. Ce n’est pas possible.Nous devons, parce que nous sommes conscients de ce point, nous avons une visée, un esprit, une méthode scientifique mais nous ne sommes pas intégralement tributaire d’une écriture scientifique.

Alors, la prochaine fois, je vous proposerai d’entrer dans le concret, le précis et le vif de ce que nous désignons sous le nom de l’entretien clinique.

Voilà, je m’arrête là. Merci de votre attention. Je voudrais garder du temps pour des questions, des remarques ou des objections.

ÉTUDIANT : « Juste une remarque. Vous avez employez le mot « correct » plus de vingt fois ou « correctement », par rapport à identification et je ne doute pas que vous nous préciserez par l’enseignement qu’est-ce que vous entendez par correct et à partir d’où vous parlez pour pouvoir employer ce terme, parce que c’est un terme très fort, quand même. »

S.THIBIERGE : C’est vrai, vous avez raison. J’emploie le terme « correct » pour une raison très simple. C’est que quand vous parlez de quelque chose – votre question est très légitime – quand vous parlez de quelque chose, vous devez être en mesure d’indiquer les raisons pour lesquelles vous avez remarqué et mis en valeur ce dont vous parlez. Si vous ne le faites pas, et bien on peut dire que vous n’êtes pas correct. J’ai peut être dit correct un peu souvent, mais si vous ne le faites pas, vous ne jouez pas cartes sur table. Vous voyez par exemple, on reproche très souvent à la psychanalyse de ne pas être scientifique, notamment du côté des collègues qui sont cognitivistes ou comportementalistes, on nous dit plutôt vous n’êtes pas scientifiques, alors que, je trouve qu’il y a quelque chose qui n’est pas correct justement dans cette accusation, dans la mesure où nous publions régulièrement des études de cas. Qu’est-ce que c’est qu’une étude de cas ? C’est le recueil des propos d’un patient, c'est-à-dire que c’est du matériel, c’est quelque chose de réel, et nous, nous nous nourrissons à publier ce que nous avançons là dessus, c'est-à-dire comment nous apprécions, effectivement, la situation concrète de ce patient et ce que nous pouvons en augurer si nous avons un propos pronostique, et ce que nous pouvons en dire si nous avons une visée diagnostique, ce qui n’est pas toujours d’ailleurs le cas, parfois on n’en a pas. Je vais vous donner l’exemple justement, vous m’y invitez. Ces auteurs, comme ils se réfèrent beaucoup au cas clinique, il dise sans cesse – vous pourrez vous y reporter – l’importance qu’ils y attachent, ils disent à la fin de leur chapitre : on  pourra se reporter aux cas cliniques présentés par untel et untel. Alors j’ai cherché où étaient les cas cliniques, j’étais très curieux de voir comment c’était présenté. Et effectivement, j’ai trouvé deux présentations de cas cliniques, ce qui n’est pas énorme pour un manuel de psychopathologie, qui faisaient respectivement 15 et 22 lignes de présentation et je vais vous en lire un, pour que vous voyez quand même l’aspect de ce qui peut être correct ou pas tout à fait correct dans l’identification du réel auquel on a affaire. Vous allez voir, c’est tout à fait, quand même, singulier. Parce que c’est encore une fois très important que nous soyons au fait de ce que soutiennent nos collègues justement. Alors il y en a deux, il y en a un à la page 32 et un à la page 34. Alors, je vais vous donner par exemple celui de la page 34. Je vous le donne tel qu’il est.

 Sophie, âgée de 8 ans et 9 mois, bénéficiait depuis un an d’une rééducation orthophonique pour un trouble sévère de la lecture. Lorsqu’elle souffrit de malaises spectaculaires avec perte de connaissance qui entraînèrent une hospitalisation. (Au passage, vous ne savez pas qui parle, vous ne savez pas qui est Sophie, d’où elle sort, quelle est sa famille, si elle a des frères et sœurs, c’est juste Sophie âgée de 8 ans 9 mois.) Après le diagnostic d’un malaise vagal, il fût décidé de procéder à de nouveaux bilans psychologiques (décidé par qui, pourquoi ?) Lors de la première consultation psychologique, Sophie se présenta comme une petite fille très inhibée avec un visage triste et pâle. Cette petite fille intelligente et perfectionniste ne pouvait apprendre à lire, plongeant dans la perplexité et l’impuissance totale l’orthophoniste qui tentait de l’aider. (Ça a un côté comique quand même.) Depuis plusieurs mois, l’enfant n’avait fait aucun progrès. (Ça veut dire quoi ça, qu’est-ce qu’on entend par là tout simplement ?) Sophie ne connaissait pas toutes les correspondances entre les phonèmes et les graphèmes (ça effectivement ça fait une raison), elle peinait pour associer une voyelle et une consonne, elle ne reconnaissait globalement qu’un petit nombre de mots (lesquels ? ce serait intéressant de savoir) Elle était convaincue d’être sotte et anormale, ne comprenant pas pourquoi en dépit de l’aide attentive de son institutrice de ses parents et de l’orthophoniste. Elle n’arrivait pas à acquérir une compétence somme toute banale. L’enfant souffrait d’un profond sentiment de dévalorisation, elle avait perdu toute estime de soi et s’enfonçait dans une forme de dépression. Lors de consultations diagnostics régulières, la psychologue et Sophie cherchèrent à comprendre comment elle s’y prenait pour lire. L’enfant présentait un trouble dyslexique de type phonologique (ça veut dire quoi ?), elle n’utilisait pas la médiation phonologique (ça veut dire quoi ? moi, je parle français, je lis le français mais je ne comprends pas), elle identifiait les mots plutôt sur un mode logographique (là aussi j’aimerais bien qu’on m’explique tout simplement). Elle bénéficia alors, de toutes sortes de tests cognitifs et d’épreuves linguistiques, dont tous les résultats lui furent communiqués ainsi qu’à ses parents. Sophie compris qu’elle n’était ni sotte ni anormale, elle avait une difficulté d’apprentissage, dont un certain nombre d’autres enfants souffraient. L’orthophoniste essaya une nouvelle méthode plus interactive et Sophie réamorça très activement ses processus d’apprentissage de la lecture, ce qui lui permit de progresser. Les consultations psychologiques cessèrent lorsque Sophie annonça, rayonnante, qu’elle avait commencé à écrire son journal secret.

Vous voyez quand je dis une identification correcte de ce à quoi on a affaire, je veux dire un relevé qui nous permette de savoir d’où ça vient, comment ça se présente et à qui on à faire, à quelle situation, à quel sujet on a affaire. Ce que je vous ai lu là, est-ce que ça peut sérieusement passer pour un cas, une étude clinique correcte ? Je ne crois pas, je ne pense pas. Et si je vous l’ai lu, c’est pas pour être désobligeant, d’ailleurs vous aurez dans vos enseignements des présentations de la psychopathologie cognitive. Mais, il me paraît important de pouvoir partir de ce qui a été établi dans des ouvrages qui sont publiés et accessibles à tous. Comme ça, on se fait effectivement son idée. Ensuite, quand effectivement on oppose à notre tradition psychopathologique le fait qu’elle n’est pas scientifique et qu’on nous propose des études de cas comme ça comme des modèles d’études de cas scientifiques, je dis qu’il y a quand même quelque chose qui mérite notre attention. En tout cas merci pour votre, tout à fait juste question. Est-ce qu’il y en a d’autres ?

ÉTUDIANT : « Bonsoir. Il y a un terme que vous n’avez pas dit mais que j’ai entendu dans ce que vous avez dit, et qui est le terme politique et je voulais vous demander s’il ne fallait pas l’employer, parce que dans la comparaison que vous faite entre l’approche psychanalytique, qu’il y a dans cette École, et les psychologies comportementales et cognitives, j’ai le sentiment qu’il y avait une différence entre une approche qui se base sur quelque chose qui existe, ici et maintenant, celle de la psychanalyse et celle des TCC qui aurait un projet dont ce serait le résultat qui importerait, ce vers quoi cela va et non pas ce d’où ça vient. Et, j’entendais la politique derrière ça. Je me demandais si on pouvait employer ce terme et si c’était le lieu dans cette École de dire ce terme ? »

S.THIBIERGE « Bah, je ne l’ai pas employé de façon délibérée, ce n’est pas mon souci premier. Mon souci premier n’était pas ce soir de vous présenter de façon essentiellement polémique les choses, mais de vous dire, quand nous avançons quelque chose nous devons être en mesure de jouer cartes sur table, c'est-à-dire de dire pour quelles raisons, avec quels arguments et à partir de quel matériel nous avançons, c’est tout. En suite, ce que vous évoquez à propos des TCC, je n’ai rien de principe contre les TCC en elles-mêmes. Je veux dire que simplement, je relève, comme quiconque peut le faire qu’elles sont parfois articulées, non seulement à des présupposés, ce n’est pas des présupposés mais des jugements cliniques, éthiques, pratiques et méthodologiques que j’estime pouvoir être discutés. Et je pense que c’est important que notre École soit attentive à ces discussions et à pouvoir discuter ces questions. Nous sommes en quelque sorte ouverts, nous ne sommes pas du tout enfermés sur ce qui serait nos méthodologies, mais nous tentons d’aborder la clinique d’une manière responsable, d’une manière où chacun ait à rendre compte de façon argumentée, de façon raisonnée de la façon dont il progresse, de la façon dont il avance. Alors, est-ce que c’est politique ça ? Je ne pense pas spécialement ou alors c’est plutôt citoyen que politique, vous voyez, c’est citoyen dans le sens où un citoyen peut … il est légitime d’apprendre de quelqu’un qui exerce la psychopathologie, qu’il motive son exercice et sa pratique. »

Transcription : Nelly Garnier ; relecture/réécoute : Sébastien Delannoy

« Texte établi sous la responsabilité des étudiants »

Dans ce dossier

Notes