M.Czermak : À quoi reconnaît-on un fait clinique ? - 1

Conférencier: 


Extraits

10 mars 2011

Alors comme je parlais de l’oralité, je partais du trou. Le langage. À quoi assiste-t-on dans un accès maniaque ? Ça s’appelle dans la tradition, et spécialement dans la tradition allemande : Ideenflucht, la fuite des idées - c’est comme ça qu’on le traduit. Et Georges Daumezon dont j’ai eu l’honneur d’être l’élève et l’adjoint, disait : c’est l’un des rares signes pathognomoniques en psychiatrie. C’est rare, des signes pathognomoniques qui signent quelque chose, mais il n’y en a pas des paquets. Un jour je ferai la recension de ce qui à mes yeux sont des signes pathognomoniques, ça signe un problème clinique et c’est irréductible. Or, de quoi s’agit-il quand on parle d’une fuite des idées ? Parce qu’évidemment les mots sont glissants. Le maniaque c’est quelqu’un d’accéléré, alors on a l’idée que c’est comme si, du côté du canal Saint-Martin, on avait ouvert un peu les vannes et que le débit de la flotte était accéléré. Ce qui n’est pas faux, avec cette nuance : c’est que si on y regarde d’un tout petit peu plus près, on voit que la chaîne signifiante elle n’est plus vectorisée, qu’elle se dévide en vrac, comme les classiques l’avaient repéré homophoniquement et par assonance sans plus aucune métaphore ; et Lacan dans son séminaire sur l’angoisse avait pu parler de la métonymie infinie et ludique pure de la chaîne signifiante. Et ça signifie, si on le traduit correctement, qu’on n’a plus affaire à un discours, ce n’est plus une accélération du débit. Si vous ou moi nous avons un peu trop bu, nous pouvons accélérer notre débit, c’est pas pour autant que nous ne soyons plus dans un discours ! Là, on n’a plus affaire à un discours. En d’autres termes, un maniaque ne dit rien vraiment, même si en apparence sa parole coule à flot, il ne transmet rien, il n’échange rien, il n’informe sur rien. Au vrai, on ne peut pas en tirer grand-chose ; ou pour le dire autrement, avec quelques repères supplémentaires, on peut se demander si ce n’est pas lui qui serait entièrement soutiré par l’Autre.