Ch. Melman : Pathologie du normal

Conférencier: 

TOPOLOGIE ET CLINIQUE (Conclusion des troisièmes journées ALI, le 23 juin 2013)

Malgré la modestie de notre effort, il est certain qu’il y a un enjeu dans cette affaire, et un enjeu qui déborde considérablement et l'importance de notre groupe et l'importance de sa possible intervention, sa possible action. Cet enjeu, il est extrêmement simple : il concerne le fait de savoir si la psychanalyse aura été un épisode dans l'histoire des idées, ou bien si elle sera parvenue à faire acte dans l'évolution de la culture. Il semble pourtant que  ce qu'elle mette en jeu soit suffisamment radical et essentiel pour que, enfin je dirais, nous puissions sortir du marasme ordinaire qui concerne la vie privée et aussi bien la vie publique. C'est quand même formidable : notre vie publique, sa pathologie a été repérée depuis l'Antiquité et depuis l'Antiquité cette pathologie à été analysée, disséquée, élaborée, réfléchie,  révolutionnée etc., et nous en sommes toujours au même point ; je veux dire que nous sommes toujours  dans ce qu'il en est de la souffrance sociale ordinaire, nous avons tous mal à la société. C'est quand même bizarre que  cela appartienne à notre condition et il est clair que si jusqu'ici toute tentative d'élaboration ou d'action a fait échec, c'est peut-être bien que, justement, elle n'a pas pris en compte ce que la psychanalyse vient, là, éclairer sur ce qu'il en est des conditions de notre condition et donc, je dis bien, elle peut parfaitement, cette psychanalyse, s'effacer ‒ on voudrait déjà la faire passer comme vieillie, comme étant un article du XIXe siècle, alors que cette pathologie que j'évoquais tout à l'heure est toujours aussi vive, toujours aussi présente.

Il est aussi remarquable dans cet effort que nous faisons, que vous faites, nous laissons au bord du chemin un certain nombre de camarades ; c'est intéressant, c'est sans doute désagréable mais c'est aussi intéressant,  puisque cela marque que  ce dont il est question, sous cette forme apparemment si abstraite que le nœud borroméen touche en réalité chacun au cœur, et je regrette en particulier que ce soient bien souvent les camarades  de ma génération qui se montrent aussi répugnés par le nœud borroméen, voire soirnt amenés à le dénoncer comme étant un article dangereux. Ça peut être formulé par d'excellents amis, et, je dis bien, c'est au fond à inscrire au compte de ce qui est touché, concerné par ce nœud et qui est assurément essentiel, la question étant de savoir  si nous sommes en mesure de nous détacher du transfert que spontanément nous accordons au verbe. J'ai un ami, chaque fois que je lui rapporte quelque difficulté, que ce soit avec un enfant, que ce soit avec un ami, alors il me répond : mais est-ce que tu lui as dit… ? Est-ce que tu lui as dit… ? (Rires). Comme si le fait de lui dire devait forcément du même coup, n'est-ce pas,  c'est passionnant je veux dire, parce qu’effectivement c'est l'une… cette foi dans le verbe, cette connexité de la foi et du verbe et du pouvoir et du verbe, nous avons autant de peine à nous en détacher que finalement du transfert sur l'écrit, bien sûr en plus  si c'est l'écrit de Lacan. Mais à aller accepter que la condition de l'animal que nous sommes puisse être réglée par une géométrie, aussi sourde à tout appel,  aussi indifférente,  aux organismes que nous sommes et dont des agencements purement géométriques puissent venir régler notre destin, notre parcours,  je dois dire qu’effectivement, il y a là quelque chose qui mérite de paraître répugnant. Mais ceci étant, si c'est le cas, je dois néanmoins reconnaître que malgré ce caractère répulsif nous n'avons pas le choix ou alors il faut continuer à ratiociner comme de coutume.

 

La topologie, la topologie je dois dire que rien évidemment n'a jamais pu, ni dans nos études, ni ailleurs dans notre libre parcours de disciplines diverses, n'a pu  nous orienter  vers la topologie. Je me permets de le rappeler succinctement : c'est quoi, la topologie. La topologie c'est la science du continu, c'est en tout cas l'une des définitions qui en est donnée.

La science du continu, et tout de suite surgit la question suivante : est-ce que, avec cette science du continu, nous serions en mesure de donner de la psychanalyse une écriture qui serait non plus livrée au fantasme et au charisme de tel ou tel, ce qu'elle a régulièrement été jusqu'ici,  mais qui serait une écriture, je ne dis pas scientifique ‒  je ne m'engage pas dans ce débat, mais une écriture qui serait rigoureuse.

Pourquoi ? Eh bien parce que le continu, c'est précisément la structure de l'inconscient, l'inconscient à la structure du continu, c'est ce que Lacan appelle aussi bien  lalangue en un seul mot, évidemment. La puissance du continu, c'est, comme vous le savez, un ensemble constitué d'éléments rassemblés par une relation dite de voisinage,  et qui veut donc dire que entre deux de ces éléments vous pouvez toujours faire surgir un troisième, et entre le troisième et le premier, un quatrième, et ainsi de suite jusqu'à l'infini.

Pourquoi est-ce que cela nous intéresse ? D'abord, évidemment, parce que ‒  je viens de le dire à l'instant, c'est la structure même de l'inconscient, et c'est pourquoi lorsque vous interprétez un rêve, vous n'arrivez jamais jusqu'au bout, il y a toujours, je dirais, le trou final, l'ombilic du rêve, comme s'exprimait l'auteur, mais ce qui nous intéresse, c'est que vous avez affaire là, à un ensemble qui tient, par,  en tout cas, une consistance ‒ j'insiste sur le terme de consistance,  qui lui est propre et qui ne doit rien à quelque existence, ex-sistence qui lui serait extérieure. Ça tient par cette relation dite de voisinage, et j'insiste, si vous le voulez bien sur ces termes de consistance et ex-sistence, puisque au cours de ces séminaires sur les nœuds, vous allez voir de quelle manière Lacan insiste en permanence sur son souci de vérifier la consistance de ces dimensions en cause,  le Réel,  le Symbolique et l'Imaginaire, et dès lors, s'ils ont une consistance qui leur est propre, le fait que l'ex-sistence, devient dès lors d'un tout autre ordre, d'abord elle se multiplie, il y a des ex-sistences, et elle devient d'un tout autre ordre que celui qui nous est familier et qui est pour nous habituellement occupé par le « Au-moins-Un ».

J'ai été très intéressé par l'exposé que Corinne Tyszler nous a fait de son cas, du cas de cette patiente présentant une paranoïa sensitive et de sa recherche très bien faite des pathologies envisageables des nœuds qui seraient responsables de ce cas de paranoïa sensitive. Il y a un nœud pourtant qu'elle a évité, et on comprend pourquoi, alors que c'est le nœud du sinthome, et alors qu'il est facile de montrer que cette femme, ce qui fait sa souffrance, c'est le noeud à quatre, le nœud à quatre,  dans la mesure où justement il fonde tout ensemble sur l'existence d' un « Au- moins-Un », et que, dans votre vie sociale, vous avez tous fait l'expérience directe ou indirecte qu'il n'est pas de communauté qui se constitue sans l'expulsion d'au moins un de ses membres ‒ vous vérifiez ça absolument depuis le bas âge dans les cours d'école jusqu'à la constitution des sociétés psychanalytiques, c'est absolument, c'est absolument imparable ‒ et celui qui se trouve ainsi en position, je dirais, de malaise, et qui a le sentiment du risque permanent de son éviction et du fait qu'il n'est là présent dans le champ de la réalité que de façon très précaire, voire indue, eh bien je pense qu'à vous le présenter comme ça, vous pouvez reconnaître, même si Kretschmer a appelé ça « paranoïa sensitive », une condition très ordinaire de notre rapport au monde ; qu'est-ce qu'il y a de plus répandu ? Autrement dit, ce dont souffre cette patiente, c'est de la normalité, voilà, et je dirais, puisque j'avais donné au titre de mon exposé la pathologie du normal, combien je pourrais ici le développer et combien ce normal c'est-à-dire, ce rond quatrième, celui du Nom du Père, dans la mesure où il vient occuper la place de toutes les jouissances par exemple ‒  jouissance Autre voilà ce qu'on vous donne, vous avez à jouir du Un dans l'Autre, jouissance phallique, bien entendu, cela va de soi ‒  mais aussi le fait que, sous le nom de ce qui s'appelle castration et que vous êtes bien en peine à chaque fois de préciser ‒ quand on vous demande la castration, vous en parlez tout le temps, il y en a même qui disent, qui parlent de l'efficace de la castration, je ne sais pas quoi, je n'ai pas très bien compris ‒ eh bien, c'est quoi la castration ? Qu'est-ce que vous en savez ? C'est quoi pour vous, la castration ? C'est nodal ? C'est quoi la castration ?  Eh bien, la castration, en voilà, en tout cas en l’occurrence, une bonne façon, me semble-t-il, de l'éclairer : c'est le fait de remettre l'exercice de votre désir à l'autorisation, vous Lui remettez votre instrument pour qu'Il vous le restitue avec son autorisation ; le Un dans l'Autre, le rond à quatre, c'est la maladie du Un, c'est- à-dire par excellence, évidemment, celle du névrosé puisque ce dont il souffre, c'est de ne jamais parvenir à être parfaitement Un ; par exemple, il est divisé bien sûr, comme tout le monde, mais quelle souffrance d'être divisé, non ? Vous êtes heureux, contents d'être divisés ? Et lorsque cette division se manifeste dans l'exercice  de votre désir et de votre amour y compris à l'endroit de celui ou de celle qui vous paraît la plus chère ou le plus cher et que néanmoins vous êtes divisé, comment  vous faites ?

Ce qui est étrange, quand même, ce qui est étrange, c'est que cette pathologie ordinaire, psychopathologie de la vie quotidienne, c'est normal, ce dont souffrait cette patiente, c'est rentré dans le chapitre de la pathologie ; pourquoi ? Je n'en sais rien, mais quoi de plus normal ‒ et c'est vrai la remarque de Jean-Jacques Tyszler que Kretschmer il rassemble des cas qui sont ceux de paranoïas avérées et puis de cas qui manifestement, je dirais,  relèvent de ce qu'il y a de plus banal à considérer ‒ est-ce que le nœud à quatre ce n'est pas la confirmation de la paranoïa ? Eh bien oui ; il y a du Un, point barre, c'est du Un dont je me réclame, moi, je suis un Un,  j'ai pas dit un nain (rires), un Un.

 

Ce qui est étrange aussi, et je l'adresse particulièrement à ces camarades qui restent en marge de nos travaux, c'est que il faut les interroger sur le fait qu’avec la géométrie qui nous est incarnée, c'est-à-dire la géométrie euclidienne, incarnée, et comment rendez vous compte de l'existence de l'inconscient, vous le mettez où et comment ? Les psychanalystes ‒ alors évidemment vous tombez  dans toutes les métaphores qu'induit le plan euclidien, c'est en bas,  c'est dessous, c'est en dehors,  c'est derrière. Il faudrait faire ‒ je suis vraiment obscène, une pathologie du derrière, il n'y a pas de pathologie plus ordinaire, une fois qu'on est, comme ça, épinglé comme un papillon sur un bouchon, épinglé par le plan euclidien, il y a forcément des trucs derrière et on ne sait pas très bien quoi ;  alors il y avait le génie de Picasso qui, le derrière, lui le mettait devant, comme ça au moins… Lui, il avait très bien pigé qu'il n'y avait aucune raison qu'on témoigne qu'on le mettait derrière.

 

Donc, ce plan euclidien dans lequel nous pensons tous et y compris ‒ vous voyez bien ce que fait remarquer sans cesse Lacan, y compris avec le nœud borroméen ‒ nous ne pouvons le penser qu'à plat, ne peut pas le penser dans l'espace. Il faut le mettre à plat pour le penser ; mais ce plan euclidien, on peut croire  qu'il prend son importance, je dirais, à cause du stade du miroir. C'est en même temps que la fixation de mon image qu’enfin je sais ce que je représente aux yeux de ma mère. Voilà, c'est là. Bon.  L'inconvénient, je  dirais, immédiat,  de cette normalité de cette phase du miroir, c'est que d'abord ça se trouve organisé par une découpe, celle de la forme dans l'espace et du rejet hors frontière de tout ce qui est caca, ce qui fait donc que je vis, je dirais, dans un environnement, forcément menaçant ; la fameuse méconnaissance paranoïaque,  c'est celle là, c'est là qu'elle est, avec ce plan euclidien et la phase du miroir, j'organise mon rapport au monde sur le mode paranoïaque, outre le fait que ce moi, eh bien dès qu'une rencontre d'un autre vient faire vaciller la certitude de son identité, holà c'est l'ennemi, il veut me changer, il veut me perturber, il veut m'effracter. Je suis dans la physiologie ordinaire, celle du nœud à quatre qui semble comme ça… là au moins, au moins quoi, je ne sais pas quoi.

 

Je vous ai parlé tout à l'heure de la puissance du continu et la relation de voisinage. La relation de voisinage, c'est donc qu’entre deux éléments, il y a un espace, il y a un trou ‒ pas un faux trou, il y a un trou, et il y a une opération par laquelle, pour les raisons que l'on voudra je peux faire passer, par ce  trou, un autre continuum. J'avais été fasciné un temps par ces travaux que j'avais découvert sur le métier de Zeus, c'est-à-dire sur l'activité du tissage et en tant que c'est une activité qui marque toute l'humanité, c'est comme la fabrication des peaux. Il n'y a pas de tissage dans la nature ; il y a des superpositions de fibres, des juxtapositions de fibres, mais il n'y a rien qui soit l'union d'une chaîne et d'une trame. Non ; ça, nulle part, jamais, c'est spécifique, et tout de suite fait pour recouvrir quoi ? Le sexe ; ça aussi, quelle bizarrerie vraiment, tout le monde n'avait pas peur de prendre froid quand même (rires). Donc, un autre continuum passant par le trou, continuum qui est lui même marqué par cette relation de voisinage entre ces éléments, et puis ce deuxième continuum, vous pouvez en faire passer un troisième.

Le bouleversement opéré par l'avancée de Lacan avec le nœud, c'est que nous partons tous évidemment avec la discontinuité que nous devons au signifiant. Le signifiant, c'est une chaîne discontinue. L'opération que fait Lacan, c'est ce retournement qui consiste à dire : moi, je pars du continuum constitué par l'inconscient  c'est-à-dire le dépôt, je pars du dépôt opéré par le discontinuum du signifiant, je pars de ce dépôt dans la mesure où le Réel, il est constitué par ce continu et que ce qui prime manifestement dans la conduite de chacun et dans la vie de chacun, c'est ce Réel marqué par le continu de l'inconscient. C'est de là que je reçois mes ordres, c'est de là que je reçois à peu près ce que je dis ou ce que je dis pas. Et puis souvent d'ailleurs je ne sais pas, je suis comme tout le monde, je ne sais pas toujours forcément ce que je raconte, ce que je dis, et donc, c'est de lalangue en tant qu'elle est déterminante de la conduite de chacun et donc de sa géométrie particulière, qui n'est plus celle de la découpe, du coup de ciseaux, comme il  le fait remarquer, qu'il va partir. Dans lalangue en un seul mot, il n'y a pas de signifiant maître, il n'y a pas de S1 et de S2. Et comme vous le savez, il va passer la fin de son parcours à parler, faire ses séminaires en  lalangue. Ce qui leur donne, à ses derniers séminaires un air absolument primesautier, on ne peut pas s'y fier, quoi ! Quelqu'un qui passe son temps à faire des jeux de mots vaseux, c'est pas très sérieux ‒ le sérieux, c'est du Un.

 

Ce qui fait qu’évidemment, avec cette histoire de nœud à trois, et que très justement, vous vous êtes inquiétés pour savoir comment ça venait se raccorder avec les discours. Dans le nœud à trois, où elle est la place du maître, la place de l'agent, la place de… on va dire du patient, où elles sont ; et puis, bien évidemment, l'écriture que va donner Lacan de ce qu'il en est de la différence des sexes : avec cette écriture du nœud à trois elle paraît pas évidente et en général on l'escamote. J'apprécierais beaucoup qu'un jour, nos amis, qui se consacrent avec beaucoup d'intelligence à ces analyses, à ces questions reprennet ceci : comment s'inscrit la différence des sexes avec le nœud à trois ? En tout cas, il n'y a plus de place qui vient séparer l'Un et l'Autre. Ça, ça alors, alors quoi ? Comment on se débrouille dans ce cas là ? Comment on fait pour se parler ? Comment on fait pour se rencontrer ?

Évidemment quand Lacan a fait tout ça, c'est-à-dire il y a trente ans, il ne savait pas qu'il allait être rattrapé par l'évolution des mœurs, car vous voyez bien, chaque jour ça se manifeste sous nos yeux, c'est en train de s'écrire autrement que dans la référence au père. L'histoire du mariage pour tous, ça ne veut rien dire d'autre que dire : le père, on en a plus rien à faire, barré on s'en fout, il nous fait bien rigoler car on va même caricaturer les cérémonies supposées l'honorer, alors vraiment, on en fait le clown number one, le roi des clowns, papa le roi des clowns ! C'est ça... 

La seule question dans ce qui est cette NEP, qui a été en ce qui me concerne écrite il y a déjà dix ans et dont aujourd'hui ceux qui le découvrent disent  comme c'était prémonitoire ‒ ce n'était pas prémonitoire, c'était d'une certaine manière déjà là le problème ‒ c'est que cette NEP, elle s'écrit actuellement manifestement avec un nœud de trèfle, c'est-à-dire le nœud assurant sa continuité du Réel, du Symbolique, de l'Imaginaire. Quelle est la propriété du nœud de trèfle ? La propriété du nœud de trèfle, c'est évidemment d'assurer la confusion de toutes les jouissances, toutes. Toutes les jouissances se trouvent confondues dans le même pot, dans le même trou, vous ne passez pas d'une jouissance à l'autre, vous n'allez même pas dire qu'elles sont équivalentes, je ne sais même pas de quels termes on pourrait se servir pour les qualifier lorsque, je dirais, nous sommes devenus, comme les oursins, après tout, un orifice unique et avec le fait que, comme les oursins, nous réagissons en sortant les épines,  dès que cette jouissance risque d'être menacée ou amputée, parce qu'elle doit être totale : donc, la menace le caractère intolérable de tout ce qui voudrait, comme on disait autrefois de mon temps, faire limite. Faire limite !

Je plaisante : faire limite à la jouissance ! C'est un scandale, un scandale éthique ; vouloir faire limite à la jouissance, ça donne évidemment des structures, du même coup, non seulement fondées sur la revendication, la jalousie et le délire de grandeur, c'est amusant,  mais, bien évidemment, le politiquement correct,  c'est quoi ? Eh bien, c'est partir de ce principe qu'il n'y a pas de jouissance qui soit récusable et qui puisse avoir sa limite : on vous met, partout on vous affiche « Fumer tue »,  il est bien évident que ça en fait une promotion publicitaire ; faut pas là-dessus, faut pas se tromper.

 

Donc, donc, est-ce que ça veut dire que la pathologie que nous rencontrons aujourd'hui, outre celle, comme ça, pour m'amuser, que cursivement j'évoque, est-ce qu'elle n'est pas néanmoins marquée par ce qui est d'un seul coup, cette éclipse du Un paternel ? Bien sûr que oui, bien sûr que oui. Moi, les nombreux jeunes que je suis amené à voir, ils ont mal où ? Ils ont mal au fait que là où il aurait dû y avoir un papa, il n'y en a pas. Et que donc, pour se tenir vertical, c'est compliqué, pour avoir une vocation c'est compliqué, pour avoir une identité c'est compliqué, pour avoir de la volonté c'est compliqué, pour avoir un parcours etc. Bien sûr, assurément.

Mais ‒ et je vais m'arrêter là-dessus, il n'est pas ‒ ça concerne la clinique, il n'est pas de système de référence au titre de système venant guider notre conduite qui ne comporte sa symptomatologie, c'est-à-dire ce qui ne va pas. Il n'y a, à ce jour, aucun système dont vous puissiez dire ça tourne en rond tout va très bien, et ce n'est pas parce que nous serons passés  d'un nœud à quatre à un nœud à trois que du même coup on aura effacé la symptomatologie ‒ une certaine forme assurément, mais ça n'en constitue pas pour autant le système parfait,  il comporte son impossible.  Et Lacan était très soucieux de ça, de vérifier ‒ Marc (Darmon) s'en souvient, je dois dire sa vigilance, il harcelait Machin et Machin, Thomé et Soury (rires), pour vérifier ce qu'il y avait d'impossible, où était l'impossibilité dans le nœud à trois.

Évidemment, ça ouvre une autre pathologie, ça veut dire que notre clinique ce n'est pas le réel aussi immuable que le réel géologique et  qui attend que nous arrivions pour faire l'analyse des roches, la pathologie, elle est évidemment… elle bouge, elle change, avec chacun des abords, je dirais,  qui a ses impossibilités propres, et donc du même coup, ses souffrances propres, et une pathologie qui lui est propre.

Cette fameuse histoire du trait du cas ‒ moi je suis quand même très surpris, alors  le trait du cas, on va faire le trait du cas, on se réunit pour le trait du cas, mais attendez camarades, c'est quoi le trait du cas ? (Rires). Qu'est-ce que vous entendez par le trait du cas ? Vous savez ce que c'est le trait du cas ? Est-ce que vous êtes capables de résumer, de ramener un cas à un trait ? S'il vous plaît. Aidez-moi, me  laissez pas dans la souffrance (rires).  Vous pouvez faire ça ? Lacan parle le trait du cas. Non mais attendez, c'est énorme. Vous le pouvez, vous ? Marc (Darmon) rappelait tout à l’heure que, quand Lacan faisait des présentations, on ne comprenait pas grand chose finalement à ce qui allait être son diagnostic. Le trait du cas, si je ne me trompe pas, c'est chez Lacan de façon très précise, l'endroit où, chez un patient,  au niveau d'un croisement, le nœud  foire, et que c'est là, de façon spécifique, que se dégage ce qui pourrait peut-être être pour la thérapeutique le genre d'épissure qu'il y aurait à opérer si c'est possible, si c'est concevable dans cette géométrie des nœuds.

 

C'est là que se situe, je dirais,  l'affaire ; et pour conclure, il est bien évident que chez Lacan, le nœud à trois, a une vocation qui est celle de déplacer l'impossibilité qui, à ce jour, avec le nœud à quatre est celle du rapport sexuel, voire si c'est possible, que l'impossibilité soit ailleurs, que dans ce qu'il en est de la différence des sexes, quitte bien évidemment à subir, à avoir à évaluer, ce que c'est cet ailleurs et ce qu'il y a à payer comme  prix, je dirais,  à ce genre d'opération.

 

Donc peut-être, puisque je le vois dans la petite note que j'ai gribouillée, en quoi le nœud de trèfle se différencie-t-il du nœud borroméen  à trois ? Il se différencie en ceci, c'est qu'il n'y a pas de dessous dessus. Est-ce que nous prenons toute la mesure de l'importance de ce dessus dessous  dans l'écriture du nœud ? Comme je l'ai évoqué, le plan euclidien ne comporte évidemment que deux dimensions, sur le plan euclidien nous sommes une silhouette. Nous nous résumons à être une silhouette, nous sommes une ombre sur le plan euclidien. C'est sans doute la première fois que, de façon significative, une écriture va venir mettre en place cette dimension troisième,  la profondeur de l'espace et en tant qu'elle est décisive. En tant qu'elle est l'organisatrice, et je pose la question à nos amis qui se consacrent à cette tâche, ce dessus dessous, l'importance de ce dessus dessous, et en tant qu'il viendrait régler la pathologie du nœud à trois, ce dessus dessous, vient-il marquer dans l'écriture du nœud une propriété mœbienne, autrement dit, inscrire ce nœud avec l'espace euclidien sur lequel il est fixé dans le plan projectif, une propriété mœbienne essentielle et dont, je dirais, l'effacement de cette propriété mœbienne, a des conséquences que je viens d'évoquer en tant qu'elle sont propres au nœud de trèfle. Voilà donc ce que pouvait m'inspirer ces journées, et en vous remerciant encore pour votre travail.

Marc ?

 

Marc Darmon : Je voudrais rebondir sur le dessus dessous.

 

Charles Melman : Oui, vous savez qu'aujourd'hui la mode, et en particulier la mode féminine, c'était de mettre les dessous dessus ?

 

Marc Darmon : La propriété mœbienne du nœud de trèfle, que l'on puisse inscrire un nœud de trèfle sans aire appel au dessus dessous, je ne vois pas très bien.

 

Charles Melman : D'accord, bon, eh bien écoutez, on ne va pas le développer là, on reprendra ça. Voilà, alors, nous restons sans dessus dessous.

 

Rires et applaudissements.