Introduction au travail de l'année 2023-2024

Actualité des paranoïas

 

par Claude Landman, doyen de l’EPhEP

Le groupe clinique des psychoses paranoïaques a été isolé par les auteurs classiques du XIX e siècle, principalement allemands et français. Il désigne différentes formes de délires chroniques systématisés, sans hallucination ni déficit intellectuel ou lésion organique, pouvant se combiner entre eux, délire d’interprétation, de jalousie, de grandeur, de revendication ou érotomaniaque.

Freud, en 1911, dans ses Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (le Président Schreber), a cru pouvoir rendre compte des différentes formes du délire dans la paranoïa, à partir de la négation et des déclinaisons grammaticales d’une phrase, d’une proposition unique articulant un fantasme de désir homosexuel : je l’aime lui. Selon que cette contradiction porte sur le sujet : elle l’aime lui, c’est le délire de jalousie ; l’objet : c’est elle qui m’aime, c’est l’érotomanie ; ou le verbe : c’est lui qui me hait et c’est le délire de persécution.

Avec Lacan et le stade du miroir, nous y reviendrons dans le détail, le moi se constitue pour chacun à l’image d’un autre, objet d’une passion narcissique érotique et agressive, le moi idéal. Cette passion est habituellement tempérée par l’inscription du sujet dans une filiation paternelle et la mise en place d’un Idéal du Moi et d’une identification sexuée. Lorsque cette filiation par le Nom-du-Père est rejetée, forclose, une métaphore délirante, prolifération d’un imaginaire en cascade, se substitue à la métaphore paternelle qui assure pour le sujet l’accès à la signification communément partagée.

Mais c’est avec Charles Melman que la dimension sociale de la paranoïa sera actualisée. Nous serons amenés à développer cette dimension en reprenant notamment son invention clinique, le phénomène du mur mitoyen, qui spécifie le rapport entre le persécuté et son persécuteur dans la paranoïa. Ce phénomène, décrit pour la première fois par Melman en 1963, sera repris et généralisé dans son séminaire sur Les paranoïas (2000 et 2001), à l’aide de la référence à la figure topologique de la bande de Mœbius et à ses transformations possibles, ouvrant la voie à l’analyse structurale de manifestations sociales et politiques telles que la xénophobie, la ségrégation, le harcèlement, le complotisme, le nationalisme, etc.