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EPhEP, MTh1- ES1-5, le 10/10/2016 

Je ne vais pas faire cours tout à fait, au sens où il y aurait des choses à réciter, mais je vais vous parler de l’adolescence, avec les questions que je me pose aujourd’hui, qui sont des questions fondamentalement cliniques, et qui vont renvoyer à la théorie avec laquelle je travaille. C’est-à-dire avec la théorie de la psychanalyse, freudienne et lacanienne.

Donc pas moyen, je dirais, de penser, pour moi, la question de l’adolescence aujourd’hui sans passer, sans mettre à l’épreuve la théorie qui me sert de réflexion et qui est ce qui me permet de penser le travail dans mes entretiens dans les prises en charge avec les adolescents.

J’ai donné, à la demande de Sandrine CALMETTES, à sa demande pressante, un titre à cette présentation extrêmement pompeux et prétentieux, mondialisation et identification.

La question qui soutient ce titre est la suivante : quels sont les effets subjectifs, sur les adolescents, de la mondialisation ? Et par mondialisation, j’entends la généralisation de l’outil : smartphone, tablette, ordinateur, ces outils qui réalisent en quelque sorte une distribution des images et des textes, chez les individus. Ce sont ces outils, effectivement, qui font qu’un individu va se trouver sans frontière, sans limite, dans son rapport à la fois à l’espace et aux autres.

Ces limites, bien sûr, on le verra un peu plus loin, elles touchent à la fois la temporalité et la répartition de l’espace lui-même. Chaque individu,sur le net, peut exposer le privé le plus intime et s’offrir en quelque sorte, aux regards multiples, et pas seulement : aux lectures multiples. Les réseaux sociaux, comme facebook, et comme d’autres réseaux sociaux dans lesquels les adolescents participent, viennent modifier la question de l’adresse, de l’adresse à l’autre, au petit autre semblable et de l’adresse aussi à ce que l’on appelle dans notre jargon le grand Autre.

La question de ce qu’on donne à voir, à lire sur les réseaux sociaux met en place une construction particulière pour le sujet, qui a des conséquences. La question que je me pose, et je ne suis pas seule à me poser, c’est vraiment ce qui est en débat aujourd’hui, est-ce que la manière d’être pris dans ces réseaux sociaux, d’être pris dans cette forme particulière, en tant qu’individu solitaire, dans des rapports aux petits autres qui sont complètement désincarnés, est-ce que ça a des conséquences subjectives, et en particulier sur la question des identifications qui sont remises en jeu à l’adolescence.

Ça pose aussi la question du narcissisme, et du même coup de la clinique de la paranoïa, on y viendra.

Pour l’adolescent, la question du je, du je de la subjectivité, du je de l’énonciation, comme dit Lacan, et de son rapport au moi, au moi qui est cette instance imaginaire, construite dans le miroir, cette question, cette dialectique entre le je et le moi est tout à fait essentielle. Je vais essayer de la reprendre avec des outils analytiques, avec cette question de l’adolescence et pour l’aborder je vais passer par un cas clinique tout à fait récent.

Martine Lerude expose un cas où une jeune adolescente est amenée à se poser la question de savoir si « elle est une ado »

Alors, bien sûr, « est-ce que je suis bien une ado », c’est là la formulation d’une jeune adolescente – c’est assez amusant, quand je dis « jeune adolescente », vous savez que si on va voir le dictionnaire des idées reçues de Flaubert et qu’on va lire à « adolescent », il dit « toujours commencer une distribution des prix par jeunes adolescents » comme s’il y avait de vieux adolescents. Mais oui, il y a de vieux adolescents, c’est ce néologisme d’adulescent, qu’on connaît tous, c’est-à-dire ces adultes qui restent dans ce moment de passage, très très longtemps avant de s’engager de différentes façons dans leur existence.

Donc c’est sa manière pour elle de formuler la question « qu’est-ce que je suis ? » ce que je vais traduire, en termes lacaniens : « est-ce qu’il y a un signifiant sous lequel je puisse me ranger ? »,  « est-ce qu’il existe un signifiant pour englober le sexuel, le féminin, et qui me permette de m’instaurer en relation de miroir avec les petits autres ? ». Notons, avec ce terme ado, la valeur neutre de l’abréviation. Pourtant ado est féminisé par « une » ou par « un », voilà donc un mot « je suis une ado » ou «  je ne suis pas une ado » qui inscrit le sujet ado à la fois socialement, dans son rapport à sa fratrie, dans son rapport à son propre corps, au sexuel, et dans son rapport au social, c’est-à-dire, à dire « je suis ado » on appartient aussitôt à un groupe, à un groupe d’âge, et aussi a un groupe qui est reconnu socialement, on verra comment.

Ado, on peut le remarquer, c’est aussi, et là je me réfère à Lacan, un signifiant à tout faire, Lacan emploie ce terme à propos du rôle du cheval dans le cas du Petit Hans. Il nous dit que le cheval est pour Hans le signifiant à tout faire, le signifiant de sa phobie. Eh bien, adolescent est aussi un signifiant à tout faire, un signifiant qui à la fois, recouvre des sens multiples tout en étant lourd du sens sexuel. Pour Freud il n’y a pas d’autre sens que le sens sexuel. Tous les sens aboutissent à ce sens sexuel. Ado c’est une nomination que le sujet endosse, une nomination qui dirait son être, et qui d’ailleurs, peut virer à l’injure. « Tu n’es qu’un ado », pas grand-chose, des injures qui peuvent terrifier. Les injures, en général, sont envoyées par SMS par les réseaux sociaux. Car si une jeune fille est une ado, du même coup elle ne se range pas sous le signifiant « pute ». Une ado ou une pute ?

J’insiste là-dessus pour souligner l’importance, pour souligner l’importance de la nomination au moment de l’adolescence, c’est-à-dire qu’un « tu es ceci » ou « tu es cela »vient ranger le sujet sous une nomination qui peut être à la fois imaginaire – c’est souvent imaginaire pour les autres – mais que le sujet lui, peut recevoir comme visant ce qu’il y a de plus réel en lui. C’est-à-dire cet objet qu’il constitue, qui constitue son être.

J’attire donc votre attention sur la vigilance à l’égard de certaines nominations. Par exemple quand un grand frère tape tous les jours, matin et soir, sur les fesses de sa sœur, en lui disant « tu as un gros cul », ce n’est pas sans effet sur la fille en question. Il y a des paroles qui ont des effets de fixation et qui viennent désigner chez vous l’objet le plus moche, le plus médiocre, l’objet…  celui qu’il faut foutre à la poubelle.

Alors, si on revient sur ce mot « ado », d’abord un ado c’est un individu. C’est une classe d’âge, un collectif, pris en compte socialement, « les ados », c’est une classe d’ados, c’est une colonie pour ados, et puis c’est surtout pour nous un processus, un processus physiologique, c’est ce que la médecine nommait : puberté (lça désigne la capacité sexuelle, les transformations), et puis la nubilité (c’est la capacité à se reproduire). Donc, ce processus physiologique, que la médecine a nommé, qui doit se dérouler, et qui doit permettre au sujet de se reconnaître comme homme ou comme femme, ce processus physiologique il est complètement noué, intriqué au processus psychique.

Ce processus psychique de l’adolescence, il y a eu beaucoup de termes pour le nommer, on peut parler très classiquement de crise, « crise de l’adolescence » et puis au point que ça pouvait faire symptôme. Quelqu’un qui ne faisait pas de crise, il m’est arrivé de recevoir des ados dont les parents disaient « ils n’a fait aucune crise, ça va pas ! ». La crise étant en quelque sorte une sorte de repère temporel. Avant la crise, après la crise – une crise c’est ça, ça sert à ça, à marquer le temps, il y a un avant et un après.

On parle aussi très classiquement de passage, passage adolescent. Ce passage il a une durée variable. Ce n’est pas fixe. On va dire que ça commence de plus en plus tôt « ces jeunes adolescents » et puis ça se termine de plus en plus tard, et là encore une fois, il n’y a pas de règle, alors que la société peut en déterminer, des règles. D’une façon, au début du XXème siècle, il n’y avait pas d’adolescent, pas de crise d’adolescence, il y avait la guerre de 14-18, un million cinq cent mille morts de chaque côté, les jeunes gens ils avaient 18 ans, 20 ans, il faut garder ça en mémoire, donc s’il n’y avait pas d’adolescent à cette époque-là, c’est parce que il y avait un traitement social de la jeunesse qui était d’une radicalité absolue.

Ce passage met en jeu le corps et ses transformations. Transformations qui doivent être subjectivées, qui ne sont pas seulement des transformations, je dirais, physiologiques. Il y a là une façon de changer, effectivement, son rapport à sa propre image, de nouvelles identifications qui doivent se mettre en place. Ce processus concerne la libido, les circuits pulsionnels qui étaient organisés d’une façon plus ou moins indépendante les unes des autres, la pulsion orale, la pulsion regard, la pulsion anale, ces circuits pulsionnels vont se retrouver en quelque sorte converger sous l’autorité de la pulsion génitale. C’est comme cela que Freud parle au départ, que toutes les pulsions vont se ranger, plus ou moins dit-il, mais il y a une tendance, effectivement, à ce que les pulsions soient réunies sous l’autorité de la génitalité.

Ce qu’il y a de formidable, c’est que Freud parlait de génitalité puis à un moment donné, dans un article de 1921, il reprendra ce même terme, en parlant du phallus. C’est-à-dire qu’il va substituer au mot génital, qui est un terme médical, il va lui substituer la référence symbolique, le phallus, que Lacan lira, que Lacan saura lire dans Freud et extraire. En tout cas, ce moment de transformation physiologique est pour Freud, et pour Lacan qui le reprend, le moment où les pulsions, au lieu de travailler de leur côté de façon autonome, vont tenter de se réunir sous l’autorité phallique. Sous le primat du phallus.

Bien entendu cette libido pose la question du désir et du rapport à l’autre sexe, à l’altérité.

Le rapport au langage aussi se modifie, puisque vous savez qu’il y a chez les adolescents, et ça, de toutes les époques, la création de mots nouveaux, d’un langage nouveau. Nous avons eu il y a 20 ans le rap qui a commencé, qui a été une manière de scander la langue de manière tout à fait autre, mais à chaque fois la langue, la langue elle-même est en mouvement, et c’est vrai que les adolescents s’en emparent, dans un temps tout à fait créatif. Alors la création n’est pas toujours reconnue, on va dénoncer, par exemple les mauvais usages. Ceux-ci ont quand même leur part créative. On ne dit plus aujourd’hui : « c’est très beau » on dit « c’est trop beau ». Ce « c’est trop beau » qui vient du langage adolescent se trouve validé dans la langue générale, de tout le monde y compris dans la mienne.

Alors la question de la temporalité : ce moment de passage inscrit effectivement un temps, un temps qui est un temps - on pourrait dire … qui peut être terrifiant. Pour certains ce sera un temps de désespoir absolu, mais qui est aussi un temps d’ouverture, de création, un temps qui peut être rempli de mille, mille et une choses et en particulier le désespoir dont vous avez dû entendre parler par Fetih Benslama, le désespoir n’est pas indépendant de la question de la création. Mais il faut retenir ce terme de passage, parce que c’est la version je dirais soft de la crise.

A propos de la crise, Lacan avait une formule que je trouve formidable qui réunit tout ce que je viens de vous dire là. Il parlait de crise de  « métamorphose libidinale ». Crise de métamorphose libidinale. C’est un terme qu’il emploie en nommant un certain nombre de crises de l’existence du sujet, c’est-à-dire l’adolescence, la maternité, la sénescence, la ménopause qu’il va classer comme crise de métamorphose libidinale…. Alors effectivement, la libido, elle, continue, elle est là, c’est une force, c’est une énergie vitale, ce n’est pas la libido qui va être modifiée, mais il y a des métamorphoses dans la manière dont la libido va investir le corps du sujet, son image, sa parole, sa manière, effectivement, d’être au monde. On ne va pas rester avec les mêmes identifications, il y a un changement même si on peut garder pendant peut-être 30 ans de sa vie la même identification, néanmoins, ces changements du corps, parce qu’ils mettent met en jeu la physiologie induisent, effectivement, un autre rapport à l’image de soi, et d’autres identifications. Par exemple j’aurais l’air bien ridicule si aujourd’hui je prétendais garder les mêmes identifications que celles que j’avais quand j’avais 30 ans, les mêmes vêtements, les mêmes cheveux, la même manière de se comporter etc. La question des identifications est prise dans une dialectique sous le pouvoir de cette tension libidinale qui va devoir, effectivement, réinvestir le corps autrement, et le corps dans son imaginaire et dans les images, effectivement, dans sa dimension imaginaire, pas seulement … c’est le réel des transformations du corps qui permettent de réinvestir l’image autrement.

La libido, au fond, quand Freud va créer ce terme, va employer ce terme, il se réfère, effectivement, à la physique de son temps. Et la physique de son temps, c’est une physique, d’énergie, d’échange d’énergie. Donc, il y a une énergie, cette énergie qui va effectivement soutenir la pulsion, les pulsions, mais qui va être soumise aussi, non pas aux transformations dans la quantité d’énergie qu’elle représente, mais dans la manière dont elle vient, effectivement, habiter le corps du sujet. C’est-à-dire que cette tension, cette force ou cette énergie, qui a une mesure singulière pour chacun, il n’y a pas la bonne mesure, ça échappe à toute mesure, et pourtant, il en parle comme d’une énergie, une énergie ça se mesure, mais là celle-là elle ne se mesure pas. Mais c’est celle qui, effectivement, permet la pulsion, qui permet le fait d’être vivant, mais qui investit l’image du sujet. Il faut que la libido réinvestisse une nouvelle image liée aux transformations du corps c’est-à-dire quand une ado ne voit plus dans le miroir … le corps… c’est un truc classique, quand une jolie petite fille, une très jolie petite fille d’un seul coup se trouve transformée un peu comme dans Alice au Pays des merveilles, en se mettant à grandir démesurément, en ayant des seins énormes et des fesses énormes elle ne se reconnait plus dans le miroir, il y a là une crise, parce qu’il faut que l’image qu’elle avait construite, que l’image d’elle-même choie, tombe, cette image-là n’est plus valable et il faut qu’une autre image s’y substitue, un autre moi idéal, et lui permette, effectivement, de se construire. C’est un peu banal, comme formulation, mais c’est ça, qui permet de construire son moi avec la nouvelle donne du réel du corps dans la manière dont cette énergie va être injectée dans cette nouvelle image. Si elle continue je dirais à laisser son énergie libidinale dans la petite fille qu’elle a pu être, bien entendu ça donne de grandes difficultés. Cela donne des gens qui tombent dans le chagrin, et dans la dépression, le sentiment d’une perte d’eux-mêmes. Il y a là quelque chose qui est de l’ordre d’une perte. Qui est une perte de l’image que l’on avait de soi-même, et qui n’a pas été remplacée par d’autres images idéales. Donc on est vraiment au cœur de cette question d’identification. C’est pour ça que le terme de Lacan est intéressant : crise.

D’ailleurs une crise, il y a un avant et un après, ça ne sera plus pareil après qu’avant, quelque chose a chu, et ce qui a chu c’est l’image idéale ou les images idéales que l’enfant avait de lui-même et qu’il avait pour les autres. Et puis d’un autre côté il doit se construire en saisissant d’autres moi idéaux, pas l’idéal du moi, d’autres moi idéaux, chez les autres, chez ses semblables, une autre image de lui-même, c’est-à-dire il y a eu métamorphose qui est engendrée par la libido qui va investir les nouvelles images. Crise de métamorphose libidinale.

Elle va avoir lieu à différents moments de la vie. Peut-être d’une façon moins criante, mais y a un moment où effectivement la manière dont on avait constitué son moi imaginaire, elle ne tient plus.

On parle de dépression à ce moment-là. On parle de dépression à l’adolescence, ce n’est pas la seule manière de l’aborder, c’en est une, ce n’est pas la seule manière, on va parler par exemple de la dépression de la ménopause. On va parler de dépression chaque fois qu’il y a une situation de crise qui contraint le sujet à réinjecter sa libido sur de nouvelles images qui vont constituer ce moi, ce moi qui est - comment dirais-je - un espèce de une concaténation d’images successives.

Concaténation. Alors effectivement, j’aime beaucoup ce terme, et puis il y a cette idée de métamorphose puisque, quand même, bon nombre d’adolescents vivent les transformations de leur corps comme une métamorphose, certains comme une métamorphose extrêmement heureuse, et d’autres comme une métamorphose dramatique.

Pour continuer le déroulement de cette liste, l’adolescence c’est aussi une affaire de discours, un discours social sur les adolescents : comment les tenir, comment les former, comment encadrer leur sexualité, comment les protéger du sida, des grossesses précoces. D’où les distributeurs automatiques de préservatifs dans les lycées, la pilule du lendemain donnée à l’infirmerie du lycée. Cela relève d’une politique de santé publique, et les adolescents constituent un des domaines de la santé publique : comment les protéger du tabac, de l’alcool, du haschisch, etc… et puis aussi dans les questions, qu’on retrouve dans les discours sociaux, c’est comment recréer des rites de passage. Ça c’est une question qu’on rencontre souvent,… mas peut-être qu’elle n’est pas tout à fait juste, parce que les rites de passage ils existent, on ne sait peut-être pas les reconnaître, mais il y a quand même toujours dans nos sociétés occidentales la nostalgie d’une société idéale qui n’a probablement jamais existé, mais où il y avait des rites de passage tout à fait socialement validés qui permettaient symboliquement à l’adolescent de devenir adulte.

Il y a aussi le discours, un discours produit par les adolescents eux-mêmes, « C’est normal, je suis un ado ». ça c’est quelque chose qui arrive souvent en consultation : des parents viennent inquiets et puis le garçon ou la fille dit « ça c’est normal, j’suis un ado ». Donc il y a une espèce de tirage, du signifiant, là, qui devient une revendication, pour accepter tout et n’importe quoi.

Ado, c’est un signifiant qui vient nommer la crise de métamorphose libidinale, singulière, la crise singulière, qui peut durer fort longtemps, et à ce moment-là, c’est un temps de passage qui vient désigner l’appartenance à un groupe. Le processus se situe à cette conjonction du singulier et du collectif, à la conjonction du psychique et du social, politique inclus. Interroger le processus subjectif à l’œuvre met en jeu le rapport au discours, le rapport à la parole singulière du sujet, et le rapport au grand Autre.

Mais quel est, donc, cet être ado ? Je vous l’ai dit tout  à l’heure, certains pensent que c’est une pure construction du vingtième siècle, de la deuxième partie du 20ème siècle, jamais on n’a eu autant de lieux spécifiés pour adolescents.

La crise de l’adolescence renouvelle donc probablement le temps inaugural, ce temps inaugural dans le miroir dans lequel le sujet infans - infans ça signifie celui qui n’a pas encore le langage - ce temps inaugural dans le lequel le sujet infans anticipe sa propre image comme totalité dans le miroir, où, à l’image d’un autre, il va effectivement pouvoir constituer cette première image de son moi. A l’image d’un autre, d’un autre qui incarne ce premier moi ideal qui lui sert de modèle et de référence et avec laquelle il va construire son propre moi. Son propre moi, qui est fait de toutes ces séries d’identifications qui viennent s’enrouler autour de ce noyau premier, de ce premier temps, inaugural, de constitution de la première image dans le miroir.

Question dans la salle :

-      A chaque nouvelle crise, c’est des nouveaux stades du miroir et à chaque fois ce sont de nouvelles identifications à de nouveaux personnages ?

Oui, c’est-à-dire qu’effectivement, il y a un renouvellement de cette question du miroir et du même coup de la question du narcissisme. C’est-à-dire que sous le réel du corps, cette métamorphose qui fait que le sujet ne peut plus se reconnaître dans le miroir va imposer de nouvelles références, de nouvelles identifications que Lacan à la suite de Freud, appelle moi idéal. C’est important parce que le moi idéal est de la catégorie de l’imaginaire, c’est-à-dire … pour être plus précise :

dans son premier séminaire en 1953, Lacan relit Freud d’une façon tout à fait… à la lettre. Et il découvre, c’est véritablement un scoop, dans sa lecture de Freud, que dans « pour introduire le narcissisme », texte de 1915, Freud distingue deux instances : l’idéal du moi et le moi idéal. Dans cette lecture très rigoureuse et très stricte du texte freudien… je fais une parenthèse : la traduction française à l’époque ne rendait pas compte de cette différence parce qu’il y avait toujours un idéal de la lettre en France, de la lettre française, du texte, ne pas faire de répétition.

Donc Lacan en distinguant ce moi idéal, de l’idéal du moi, il va l’appliquer à son schéma optique qu’il élabore, et ce schéma optique il reprend effectivement, ce qu’il avait déjà développé au niveau du stade du miroir dans un texte bien antérieur. Il va, grâce au schéma optique, faire valoir que ce qui relève du moi idéal est une instance imaginaire, une image qui va être sous la dépendance, sous le contrôle d’un idéal du moi, dont le sujet ne sait rien mais qui est fondamentalement symbolique, et du grand Autre qui est incarné par la mère le plus souvent. Donc, c’est entre cet idéal du moi symbolique, la voix de la mère et l’image de lui-même qu’il repère dans le miroir, cette première image, il la constitue comme le premier temps de l’imaginaire, de son moi. Le moi étant, pour Lacan, une instance imaginaire qu’il différencie radicalement du je subjectif, de la subjectivité. Et toutes ces questions, qui sont des questions mises en place avant même que le sujet ne soit parlant, infans, ces questions-là sont remises sur le tapis au moment de l’adolescence. C’est-à-dire qu’à la faveur de cette métamorphose du corps, le fait que plus rien ne marche comme avant, il se trouve que les cartes sont à nouveau redistribuées. Bien sûr elles vont se redistribuer selon la mise en place première, mais, effectivement, la question du narcissisme est à nouveau posée, au niveau du miroir, la question des nouvelles identifications qui vont lui permettre, effectivement, à travers les petits autres de se reconnaître. Alors il y a là effectivement un remaniement tout à fait profond et avec toutes ses hésitations. C’est-à-dire qu’il peut y avoir par exemple, la meilleure amie, en sixième, et on ne va pas la lâcher jusqu’à la classe de première. On rencontre la meilleure amie fait fonction de moi idéal. Et on se construit dans cette image-là. Ça peut bouger, d’ailleurs, ça peut être aussi la meilleure amie qui vous prend elle-même comme moi idéal, mais en général il y a plusieurs rencontres qui vont fournir au sujet des moi idéaux dont il va attraper quelques traits. Il n’attrape pas la totalité, il attrape quelques traits. Et ces moi idéaux se superposent les uns sur les autres et produisent le moi.

A l’inverse, dans le courant d’une analyse, ça va être effectivement une manière de défaire toutes ces séries d’identifications qui se sont accumulées les unes sur les autres comme autour d’un bulbe, c’est l’image que prend Lacan.

Donc pour saisir la question de l’identification, il faut revenir au stade du miroir, à ce temps premier, mais ce temps premier se rejoue au moment de l’adolescence. Avec, bien entendu, toute l’incertitude : qu’est-ce que je suis, moi ? Qu’est-ce que je suis ? Voire se reconnaître aussi comme sujet sexué, fille comme garçon. Alors, pour cette raison le processus de l’identification est tout à fait passionnant. Mais en même temps on peut s’interroger sur la manière dont ça se passe aujourd’hui, c’est la suite de mon propos. On peut se poser des questions sur la manière dont le sujet connecté, avec une multitude de petits autres, qui ne sont pas forcément présents. Qu’est-ce qui se passe s’il est dans une foule, mais une foule parfaitement virtuelle ? C’est-à-dire, qu’est-ce qui va faire rencontre avec des moi idéaux, qui va lui permettre de construire sa propre image moïque ? Voyez, on est là dans quelque chose de radicalement inédit, ce n’est jamais arrivé, ce qui se passe aujourd’hui, ça n’est jamais arrivé.

Question dans la salle

-      A propos de ce que vous disiez : dans ce qui est une rupture aujourd’hui, donc avec tous ces écrans auxquels les enfants sont exposés et les regards, et les identifications impossibles auxquelles ils sont exposés, est-ce qu’on peut aller jusqu’au stade du miroir, en fait, qui est transformé par le fait, sans doute, que l’enfant ne se voit presque plus dans un miroir, il va se voir sur un écran, sans inversion de son image. Le stade du miroir est-il un temps mythologique

Quasiment effectivement, dans une supposition mythologique, mais ce moment-là, c’est le moment où de reconnaissance de soi-même comme d’un autre. Cette inscription-là, il faut qu’elle ait eu lieu ; si elle n’a pas eu lieu, après, ça va être très très problématique. Parce que ce temps de reconnaissance comme un autre comme un petit autre, ça passe par la voix du grand Autre. C’est-à-dire que l’enfant qui est pris dans les bras, et qui se regarde dans le miroir et qui a ce moment de jubilation effectivement en anticipant son image comme une totalité, il est pris dans les bras, c’est-à-dire qu’il ne marche pas, il ne bouge pas, il faut qu’il y ait la voix de la mère, ou du père, ou de la nounou qui lui dit « tiens, c’est bien toi, Jojo, là, c’est toi, et c’est pas un autre », c’est-à-dire qu’il y a une nomination qui est liée à ce temps-là. Il y a la voix. Ce temps-là, dont on peut dire effectivement que c’est un temps mythique mais plutôt une supposition logique, il faut que ça ait eu lieu, c’est une supposition logique, même si on ne le voit pas, même si les mamans, les mamans psychanalystes qui veulent absolument voir ce temps du miroir passent à côté, ou on le reconstruisent, mais cette supposition logique, ça suppose effectivement que ça a eu lieu. Et quand ça n’a pas eu lieu, on va avoir effectivement la déferlante pathologique qui va aller effectivement de la psychose. De l’autisme et de la psychose, après chez l’adulte.

Question dans la salle

-      Oui, bonsoir, je me demandais comment s’opérait le contrôle de l’idéal du moi à l’adolescence, parce que, on voit bien comment la meilleure amie ou la sœur peut faire fonction de moi idéal, mais ce contrôle de l’idéal du moi  quelle forme prend-il ?

Alors, si vous voulez, quand j’ai parlé de contrôle de l’idéal du moi, je faisais référence au schéma optique où l’idéal du moi, le sujet n’en sait rien. Mais néanmoins, il est opérant, il est opérant symboliquement, c’est ce qu’on pourrait appeler la première inscription, une autre manière de le dire, la première inscription symbolique qui vaut pour le sujet et qui fait qu’il va être sujet parlant. Il y a quelque chose au niveau du symbolique que Freud, lui, a appelé idéal du moi, qui va permettre, effectivement, l’organisation de l’imaginaire, c’est parfaitement intriqué, pas l’un sans l’autre, en quelque sorte. Pas de moi idéaux, pluriels, sans l’idéal du moi, mais cet idéal du moi peut être, savons-nous à la fin d’une analyse, à quel signifiant il se réfère, c’est peut-être une manière de penser la fin de l’analyse, la fin d’une cure : les quelques signifiants auxquels le sujet est appendu et qui constituent son idéal du moi. Là aussi c’est une supposition logique. Mais, on ne peut pas dire, ça c‘est mon idéal du moi,  et ça ce sont mes moi idéaux, bien entendu, le moi idéal, il est confondu, complètement intriqué à l’idéal du moi du sujet.

C’est-à-dire que, c’est une distinction qui est parfaitement artificielle, car on n’a jamais imaginaire ici et le symbolique là, c’est complètement lié, y compris dans la mise en place du schéma optique, c’est-à-dire que pour que le sujet voie son image nette dans le miroir, il faut qu’effectivement il y ait une position par rapport à l’idéal du moi. C’est en termes de points que Lacan parle à ce moment-là. Mais, ces points ne sont pas indépendants les uns des autres. Donc on ne peut jamais dire, on dit par exemple, ça c’est facilité de parole, ça c’est de l’imaginaire, et ça c’est du symbolique, mais bien entendu au symbolique on ne peut y avoir accès que par l’imaginaire. Mais bien penser ces deux instances, c’est penser, d’abord, que l’idéal du moi est quelque chose effectivement qui reste inconscient pour le sujet, tandis que les moi idéaux même s’ils restent inconscients, ils sont pris dans une dialectique, et que cette dialectique , elle va bouger , elle va entraîner au cours de la vie, des identifications différentes qui sont néanmoins en relation avec cet idéal du moi..

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Les identifications relèvent d’une dynamique et une dynamique qui est mise à l’épreuve dans ces crises de métamorphose libidinale. Quand il y a 10 ans, par exemple, on lisait des textes sur l’adolescence, on insistait tous sur le versant consommateur de l’ado. L’adolescent devenu cible du marché, une fabuleuse niche de consommateurs, relevant d’une distribution capitaliste quasi universelle. Les mêmes Nike pour tous, les mêmes Tshirts, les mêmes marques, les mêmes coca cola, les mêmes jeux, les mêmes objets de jouissance, c’est-à-dire une espèce de distribution des objets de jouissance qui transformait l’adolescent en un consommateur. Eh bien je pense que ces descriptions aujourd’hui, elles ne sont pas fausses, mais on insistait beaucoup sur cette dimension-là, la dimension « définir l’ado par sa consommation », ses objets. Ses objets de jouissance. Aujourd’hui, je le disais d’entrée de jeu, c’est un individu branché, les écouteurs sur les oreilles, avec sa propre musique - et ça c’est tout un chapitre : la musique, il va y avoir des tas de sous-groupes selon la musique que l’on écoute. Donc il est branché, un téléphone à la main, avec des messages qui s’échangent à toute vitesse, pendant la consultation, sans arrêt, la petite poucette, sur laquelle Michel Serre a fait un essai ; c’est une manière permanente d’être en relation avec un ou plusieurs semblables. Un rapport média au petit autre. Média, c’est-à-dire le médium, c’est l’objet de connection, le téléphone, tablette, etc. petit autre toujours présent, mais plus souvent, désincarné. Alors effectivement est-ce qu’un petit autre qui n’est pas là en chair et en os mais qui est là seulement dans les échanges de textos ou dans les images sur facebook, est-ce qu’il a encore sa fonction de petit autre ? Et puis qu’en est-il du grand Autre? Je tourne autour parce que je ne sais pas y répondre, comment se pose la question des identifications dans ce mode virtuel de relation ?

Deux conséquences me paraissent importantes, c’est ce qu’on voit en clinique, c‘est à partir de ces symptômes qu’on rencontre que nous pouvons remonter aux questions théoriques, deux conséquences qui me semblent tout à fait repérables, la première c’est le narcissisme, mis en jeu sur les réseaux sociaux, et ce narcissisme serait–il le témoignage d’une plus grande fragilité, quant à l’identification symbolique, quant à la mise en place de cet idéal du moi ; ce narcissisme exacerbé traduirait-il la nécessité de prendre un appui majoré sur l’identification imaginaire ?  Effectivement ça a été toute une hypothèse de travail, un affaiblissement du symbolique, qui fait que du coup le sujet est appelé à prendre appui sur l’identification imaginaire. Le net, les réseaux sociaux mettent en jeu différentes choses, les images que l’on reçoit, les images que l’on envoie, donc ce que l’on donne à voir de soi-même, des textes qui peuvent être de tous les genres, du laudatif, des « like », aux injures persécutrices. Ces textes aussi se déploient entre la poésie et les trivialités les plus grossières, c’est une gamme immense, c’est écrit, c’est lu, il y a la force de l’écrit qui porte, je dirais, avec elle tous les possibles. Vérité, mensonge, calomnie, déclaration d’amour ou de haine, dévoilement permanent de l’intimité, pour ceux qui n’ont pas encore appris comment s’en servir, qui n’ont pas encore appris le semblant en jeu dans ces nouveaux espaces. Parce qu’il y a du semblant, aussi, dans ces nouveaux espaces. Cela s’apprend. Se servir des réseaux sociaux sans, effectivement, se mettre en danger. En tout cas il y a là une confusion, enfin il n’y a plus de différence entre ce qu’il en est de l’espace publique et de l’espace privé. Tout est devenu publique. L’espace n’est plus divisé, en publique et privé, ni en lieu différents qui font que, on est à la maison, au lycée, dans la rue, on est chez des amis, bah, tout ça s’est brouillé puisque la communication est permanente, où que l’on soit. Géolocalisation. On peut être géolocalisé, mais les différents espaces sont devenus, complètement superposés les uns aux autres puisque c’est le sujet lui-même qui se géolocalise. Donc on a aussi un brouillage au niveau des espaces, avec la communication permanente, et puis aussi brouillage du temps, du fait de l’immédiateté des informations et des échanges. On sait tout de suite, on répond tout de suite. Le temps pour comprendre, par exemple, le message qu’on a reçu, est complètement comprimé, comme le temps de l’après-coup, c’est souvent dans l’après-coup aussi, qu’on peut comprendre ce qui s’est passé, une situation, ce que l’autre nous a dit, interpréter. C’est-à-dire qu’il n’y a plus ce temps d’interprétation. Le temps d’interprétation, cet après-coup qui permet au sujet de se donner à lui-même une certaine version de ce qui lui arrive ou de ce qui s’est passé, d’un petit évènement, d’un échange de SMS, un temps pour se donner une version. Ça se trouve squizzé. Et puis point fondamental, le sujet adolescent si bien branché n’est plus jamais seul, il n’est plus jamais seul alors qu’il est seul, mais il n’est plus jamais seul.

Il n’est plus jamais seul avec ses rêveries, avec ses pensées, avec ses fantasmes, plus jamais seul avec sa division subjective aussitôt comblée par l’autre, par l’autre qui lui écrit, par le semblable, ou par les semblables avec qui il est en interconnexion permanente.

Cette immersion permanente est un formidable évitement de ce qu’on peut appeler la solitude subjective. La solitude subjective, ce n’est pas la solitude parce qu’il n’y aurait personne autour de nous, la solitude subjective c’est la solitude du sujet, en tant qu’il a affaire, effectivement, à ses pensées contradictoires, à ses doutes,  à son incertitude, à ses fantasmes, à des signifiants qui font irruption bien malgré lui. Donc il y a là effectivement cet évitement, grâce à tous ces objets de connexion, cet évitement de ce temps de solitude subjective. C’est aussi avec cette solitude subjective qu’on peut être un peu créateur, et s’ouvrir un peu à d’autres façons de penser, d’autres façons de lire, d’autres façons de voir.
Mais peut-être qu’il y a d’autres moyens, d’autres choses qui s’y substituent et qui sont intéressantes aussi. C’est-à-dire qu’il y a tout un courant philosophique qui consiste à dire que justement le fait d’être toujours en interrelation permet d’être dans un co-tank. Comme on dit le think tank, qui sont ces lieux de création de pensée, tank comme un réservoir de voiture où on met de l’essence. Ily a là aussi quelque chose de radicalement nouveau, pour les adolescents aujourd’hui, pour ceux qui sont branchés en permanence, c’est-à-dire une pensée qui est toujours en relation, qui est une autre modalité de la pensée, dont on ne sait pas grand-chose. Moi je vous parle de la pensée liée à la solitude subjective, mais ça, ça se trouve effectivement en quelque sorte évité ; il n’y a plus le temps, le temps d’être seul, avec ses rêveries ou avec ses fantasmes, mais peut-être qu’il y a une autre modalité dans ce co-tank, c’est-à-dire dans ce réservoir commun qui est peut-être tout à fait intéressant. Un individu, tout seul, pris dans la création d’un réservoir commun. C’est en tout cas une hypothèse à prendre pour ne pas toujours dénigrer ce qui est en train de se passer en disant voilà, il y a de la perte, alors il y a peut-être de la perte, par rapport à la solitude subjective, mais il y a peut-être aussi quelque chose de nouveau qui surgit.

Alors, pourtant, réaliser sa solitude subjective, c’est un moment tout à fait fondamental pour tout sujet, c’est-à-dire qu’il me semble qu’il n’y a pas de sujet s’il n’y a pas ce temps de solitude subjective qu’il réalise comme tel. C’est à dire, c’est le moment où le sujet inscrit la séparation. Moment de détresse, et aussi de jubilation. Car personne ne peut lire ses pensées ni savoir ce qu’il éprouve. C’est ça la solitude subjective. C’est ce moment où on sait que personne ne peut savoir, ni ce que l’on pense, ni ce que l’on éprouve. Personne ne peut lire. Et surtout pas la mère. Les mots manquent aussi pour le dire. C’est effectivement à ce moment que les mots manquent pour dire ce qui se passe. Et toute la question que l’adolescent peut se poser c’est de savoir si c’est la langue qui est en défaut pour dire ce qui se passe dans ce moment de solitude subjective, ou bien si c’est lui qui est en défaut pour dire ce qui se passe.

Winnicott - si vous avez déjà été de son côté - parlait de la capacité à être seul comme d’un moment tout-à-fait fondamental pour un enfant. D’être seul avec les autres présents, en chair et en os, et en particulier avec la mère. Donc Lacan, lui, parle de solitude subjective, Winnicott parlait de la capacité à être seul. Ce temps-là me semble être un temps dont on ne peut pas faire l’économie, à moins de penser que l’autre nous envahit en permanence. Parce que c’est ça. La capacité à être seul, c’est savoir que l’autre ne nous envahit pas. N’est pas présent dans notre espace. C’est un temps aussi important.

Alors, peut-être assiste-t-on avec cette communication permanente, cette solitude dans la communication permanente, à un changement de paradigme. Jamais seul, mais avec des autres virtuels, sans corps.

Je ne peux pas, en prenant cette question, m’empêcher de penser, mais c’est une pensée classique, peut-être à remettre en cause, que l’accès au fantasme par le biais des rêveries qui sont produites par le fantasme, que l’accès au fantasme est du même coup barré par la communication permanente, et par les fantasmes communs, prêts à porter, qui sont là, diffusés par les autres. Jamais la dictature de la doxa anonyme n’a peut-être été aussi grande, par exemple la question du poids pour les filles ; on voit bien comment des petites filles de 8 ans peuvent être déjà obsédées par la question de leur poids, pas seulement parce que c’est leur mère qui est inquiète, mais parce que c’est un discours, c’est une doxa que l’on retrouve partout, sur tous les réseaux sociaux. La question du poids, la question de l’esthétique. Il y a là des contraintes qui sont venues d’un grand Autre, anonyme, et médiatisé. Il y a des contraintes en particulier au niveau des femmes mais des contraintes qui sont aussi au niveau des garçons, des contraintes d’ordre esthétique, par exemple l’épilation systématique des adolescents aujourd’hui, des garçons. Oui !

Question

-      Question du forum : vous parlez beaucoup du moi, et ces différentes manifestations, qu’en est-il du je ?

Le je est à distinguer du moi. J’ai pris les choses par ce biais-là : puisqu’effectivement toute l’articulation c’est, à la fois dedistinguer le je de la subjectivité, le je de celui qui parle, le je du sujet, le je de l’énonciation, de le distinguer du moi qui est lui d’ordre imaginaire. Or, ce je de l’énonciation, avant de s’y autoriser, l’adolescent, lui, cherche sa certitude et son assise dans l’image plutôt que sur sa propre parole. Parce que pour avoir sa propre parole, ce n’est pas une question de confiance en soi, ce n’est pas avoir confiance ou pas confiance, ce n’est pas de ça. Pour avoir sa propre parole, il faut déjà avoir accompli tout un trajet c’est-à-dire passer d’un certain nombre d’énoncés qu’on répète, à une énonciation qui devient la sienne propre. Là ça suppose effectivement tout un travail. Donc ce je il est sollicité, on n’arrête pas de solliciter l’adolescent du côté de son je, mais lui, souvent il répond du côté de l’image, c’est-à-dire d’une affirmation narcissique. Encore une fois ça n’a rien à voir avec la confiance en soi. Ça a à voir avec un trajet subjectif……

C’était ma première partie pour ce soir, mais je crois que ce qui est intéressant c’est d’abord, d’avoir en tête que cette question de l’image du corps, de la nomination, et du symptôme sont tout à fait intriquées pour venir dire ce qu’il en est de l’identité du sujet et c’est remis en jeu, c’est remis sur la table, les cartes sont redistribuées à l’adolescence. Mais elles ne sont pas redistribuées n’importe comment, elles sont redistribuées en fonction de la première donne, et c’est la première donne qui est toujours opérante.

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