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Abdelwahab Meddeb fut de tous les combats pour le renouveau de la démocratie dans le monde arabe et sa défense dans la modernité. Avec son ouvrage La maladie de l’Islam, il portait un diagnostic sans concessions sur les dérives intégristes de cette partie de l’Islam qui a délibérément tourné le dos aux Lumières au sortir du Moyen Âge et pour laquelle la raison et la liberté ne signifient plus rien. À l’inverse, Abdelhawab Meddeb n’a cessé de commenter des philosophes et des mystiques du monde musulman dont le point commun fut de mettre en son cœur l’expérience d’une rationalité critique ou d’une pratique du discours religieux attentif à ce qui est au-delà du strict respect de la Loi. Les Printemps arabes ont donc suscité chez lui autant d’espoirs que de déceptions.

Ibn Ruschd et Ibn Arabi furent aussi pour lui de constantes sources d’inspiration dans sa réflexion sur la meilleure façon de faire évoluer les institutions politiques et sociales du monde arabe dans un sens plus congruent avec les apports de la modernité, la liberté de la parole, les sciences et la conquête de la démocratie.

Le parcours qu’il proposait dans son émission Cultures d’Islam jetait un pont essentiel entre l’Europe moderne et contemporaine et cet Islam des Lumières dont la ville de Cordoue fut avec d’autres villes d’Orient au Moyen Âge le berceau. C’est pourquoi, nous l’avions invité en 2006 à participer au Colloque de Fez sur les Heurs et malheurs de l’identité, l’un des colloques internationaux organisés par le Groupe de Cordoue pour l’Association Lacanienne Internationale. Nous nous reconnaissions pleinement dans ses aspirations et ses commentaires. Ces Journées, parmi les plus réussies car les plus articulées, entre autres grâce au rayonnement de sa présence, ont donné lieu à l’initiative de Charles Melman d’un manifeste dont le but était déjà de déjouer les pièges mortels de l’identité entendue comme une clôture, qu’elle soit nationale, culturelle, ethnique ou religieuse. En soulignant dans sa contribution à ces Journées que le culte rendu à un Autre habité par un Dieu despotique au nom d’un écrit dont la sacralité et la répétition ne toléraient aucune interprétation subjective était la maladie dont souffre encore aujourd’hui le monde musulman, à quelques exceptions près, non sans conséquences politiques, Abdelwahab Meddeb venait inscrire son travail dans une préoccupation plus générale dont l’actualité n’a pas du tout faibli. Il s’agissait pour nous, et maintenant plus que jamais, de contrer les effets ravageurs d’une identité qui ne trouverait d’autres issues que dans l’exclusion, la guerre et le meurtre, c’est-à-dire la négation de la civilisation au sens moderne de ce terme. Il est clair que le renouveau des nationalismes en Europe et la virulence de l’intégrisme islamiste en Afrique et au Proche-Orient pourraient laisser présager la fin de la construction européenne et de la paix sur ce continent et des conflits de plus en plus aigus avec une forme d’Islam inaccessible à la modernité de cette Europe des Lumières.

C’est dans la continuité de ces considérations qu’a eu lieu récemment la Journée sur Semprun l’Européen contre les nationalismes organisée par l’EPHEP qui réunit de prestigieux invités. Devant ces menaces, Abdelwahab Meddeb n’a jamais démissionné. Son engagement est un modèle.

Pierre-Christophe Cathelineau

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