Concilium est une revue internationale de théologie catholique créée en 1965 à la suite de Vatican II et qui paraît cinq fois par an.
Elle se situe dans la ligne de la Nouvelle Théologie créée par Yves Congar, Karl Rahner et Edward Schillbeeckx, Hans Kung et Marie-Dominique Chenu, tous conseillers en théologie lors de Vatican II.
La revue considérée comme réformatrice est actuellement dirigée par Felix Wilfred Théologien jésuite professeur à l'école de philosophie et de pensée religieuse à l'Université de Madras en Inde.
Nous publions ici des extraits du numéro 241 de 1992 intitulée «Le fondamentalisme dans les religions du monde». La revue est dirigée par Hans Kung et Jürgen Moltmann.
Éditorial
par Hans KÜNG
et Jürgen MOLTMANN
Le terme de fondamentalisme a été utilisé, à l'origine, à propos d'un courant précis du protestantisme américain, courant qui, à l'encontre de toute adaptation moderne et libérale de l'Eglise, voulait revenir aux « fondements » de la foi chrétienne, interprétés de manière très particulière. L'évolution du christianisme de notre temps a montré que des symptômes et évolutions fondamentalistes semblables à ce mouvement intraprotestant se trouvent également dans le domaine du catholicisme romain et de l'orthodoxie orientale. De nos jours, il est vrai, le concept de « fondamentalisme » s'est étendu également à des courants réactionnaires de l'islam et du judaïsme. Ce sont des raisons suffisantes pour prendre au sérieux la dimension œcuménique de ce problème, et pour y réfléchir en profondeur.
Ce cahier veut donner l'image la plus précise et la plus vivante possible de l'évolution qui s'est produite dans les différents domaines de l'Eglise et de la religion. On ne doit pas disqualifier à priori les courants fondamentalistes ; bien plus, on doit tout faire pour chercher à comprendre les causes de sa naissance. Le fondamentalisme est, en effet, pour toutes les religions et confessions, un défi que l'on ne peut plus occulter et qu'il faut saisir avec tout le sérieux de l'intelligence. Il n'est pas possible pour les individus, les groupes, et les peuples de vivre ensemble en paix, si ceux qui pensent posséder les « fondements » dénient aux autres le droit à l'existence, ou si les non-fondamentalistes font tout pour exclure les fondamentalistes ou, tout simplement, pour les ignorer avec dédain. Sans le désir de se comprendre de part et d'autre, la paix ne pourra s'établir.
Il s'agit, dans ce cahier, d'information objective, d'explication critique et de stratégies d'approches du problème du fondamentalisme. Nous partirons d'une définition du concept qui conjugue des perspectives théologiques, psycho‑sociales, psychiatriques et sociologiques. Nous analyserons ensuite le fondamentalisme juif et islamique. Au sujet du fondamentalisme chrétien, nous entendrons les voix de l'orthodoxie, du catholicisme romain et du protestantisme. Ayant la direction de ce cahier, nous prendrons nous-mêmes position dans deux articles de synthèse : l'un, plus fondamentalement théologique, écrit dans une perspective protestante (« fondamentalisme et modernité »), l'autre, plus pratique et relatif à la politique de l'Église, écrit dans une perspective catholique, sous forme de plaidoyer « contre le fondamentalisme catholique romain d'aujourd'hui ».
Tübingen, novembre 1991.
(Traduit de l'allemand par Marie-Thérèse Guého.
Éditorial par Hans KÜNG et Jürgen MOLTMANN
Le terme de fondamentalisme a été utilisé, à l'origine, à propos d'un courant précis du protestantisme américain, courant qui, à l'encontre de toute adaptation moderne et libérale de l'Eglise, voulait revenir aux « fondements » de la foi chrétienne, interprétés de manière très particulière. L'évolution du christianisme de notre temps a montré que des symptômes et évolutions fondamentalistes semblables à ce mouvement intraprotestant se trouvent également dans le domaine du catholicisme romain et de l'orthodoxie orientale. De nos jours, il est vrai, le concept de « fondamentalisme » s'est étendu également à des courants réactionnaires de l'islam et du judaïsme. Ce sont des raisons suffisantes pour prendre au sérieux la dimension œcuménique de ce problème, et pour y réfléchir en profondeur.
Le fondamentalisme : perspectives théologiques par Martin MARTY
I. L'APPARITION D'UN OPPOSITIONNALISME FONDAMENTALISTE
Le trait théologique foncier des fondamentalismes modernes de type religieux — il y en a d'autres sortes — estl'oppositionnalisme. Le fondamentalisme, dans n'importe quel contexte, prend forme lorsque les membres de mouvements déjà conservateurs ou traditionnels éprouvent le sentiment d'une menace. Quelque chose ou quelqu'un, que ce soit la modernité ou le modernisme, la sécularisation de l'Occident, l'infidèle ou le Grand Satan, attaque leur culture, leur groupe, leur identité même. L'ennemi du dehors, le partisan du compromis ou le traître de l'intérieur, sont perçus comme les combattant. Ils ripostent.
Le fondamentalisme aujourd'hui : perspectives psychologiques par Geiko MULLER-FAHRENHOLZ
I. LE FONDAMENTALISME, PHÉNOMÈNE D'ALIÉNATION
D'après l'ouvrage de Chr. Jäggi et D. Drieger, le fondamentalisme est une conséquence de l'aliénation. Il y est question, par exemple, d'« isolement personnel », de « marginalisation sociale », de « déracinement culturel », ou plus généralement de perte de continuité historique. A de telles expériences correspond une nostalgie de sécurité, de vérités « éternelles », de représentation stable du monde. S'y ajoute la nostalgie de guides qui, connaissant le droit chemin, peuvent exiger à bon droit une totale soumission.
En quoi consiste le défi du fondamentalisme islamique ? par Elsayed ELSHAHED
Le phénomène global du fondamentalisme par John COLEMAN
Le fondamentalisme, qui se répand partout depuis le milieu des années soixante-dix, fut pour la plupart des sociologues une surprise quasi totale. Il contredisait leurs fermes prédictions sur le cours de la modernité et de la modernisation, qui prévoyaient une différenciation toujours plus nette de sphères sociétales bien distinctes (économie, politique, communication, éducation, etc.) et la croissance constante de modes de rationalité techniques dans presque toutes les sphères de la société. Le phénomène global du fondamentalisme venait de frapper de plein fouet des prédictions tout aussi confiantes sur une tendance universelle croissante à la sécularisation.
Quel est le défi du fondamentalisme juif contemporain ? par Jacob NEUSNER
Une catégorie chrétienne protestante, celle de fondamentalisme, n'a de pertinence obvie pour aucun des judaïsmes contemporains. Pour aucun judaïsme aujourd'hui, qu'il soit réformé, reconstructionniste, conservateur, ou appartienne à l'un des nombreux judaïsmes orthodoxes qui prospèrent actuellement, la proposition de la véracité littérale, inerrante, de l'Écriture lue dans ses propres termes et dans son cadre propre ne constitue une option. La raison en est que tous les judaïsmes abordent les Ecritures hébraïques, connues dans le judaïsme comme la Torah écrite, de la manière fixée par la Torah orale, désormais conservée sous forme écrite dans les deux Talmuds et diverses compilations midrashiques ; et la Torah orale, bien que la Torah écrite soit toujours vraie, n'est jamais lue de manière littérale comme le voudrait l'herméneutique fondamentaliste protestante. Par conséquent, au sens strict, nous ne pouvons parler de fondamentalisme dans le cadre d'aucun judaïsme, ni, donc, du judaïsme en général.
En quoi consiste le défi du fondamentalisme islamique ? Par Elsayed ELSHAHED
« En quoi consiste le défi du fondamentalisme islamique ? » Le thème, ancien et en même temps très actuel, a suscité, ces dernières années, un gros intérêt tant dans les médias que dans la recherche. La discussion sur ce thème réclame objectivité et analyse sans préjugé.
La notion de « défi » exige, à mon avis, une explication, car elle comporte une connotation agressive et suppose, à cet égard, une émulation de l'islam avec les autres religions avec une prétention à la position dominante. Cette prétention, que manifeste toute religion — c'est, du moins, ce que montre l'histoire — , doit se réaliser, dans l'islam, exclusivement par des moyens pacifiques. Il est dit dans le Coran : « Appelle les hommes dans le chemin Je ton Seigneur, par la sagesse (al-ḥikma) et une belle exhortation (al-maw'iza al-ḥasana); discute avec eux en termes amicaux » (sourate 16/125). Les musulmans doivent user d'une particulière douceur avec les juifs et les chrétiens ; dans la sourate 29/46, il est dit : « Ne discute avec les gens du Livre (ahl al-kitāb) que de la manière la plus courtoise. » Ces deux versets du Coran invitent sans ambiguïté au dialogue avec les autres croyants, en particulier avec les juifs et les chrétiens, et ils en déterminent la bonne manière, qui exclut toute espèce de contrainte. « Pas de contrainte en religion ! La voie droite se distingue de l'erreur » (2/256).
Le Coran se montre donc, vis-à-vis des non-musulmans, pacifique et disposé au dialogue.
Le défi du fondamentalisme protestant par Miroslav VOLF
Tout le monde reconnaît un fondamentaliste quand il en voit un. C'est ce batailleur — beaucoup moins souvent cette batailleuse — à l'esprit étroit qui refuse d'accepter un monde qui ne se conforme pas aux scrupules religieux de ses pieux arrière-grands-parents. Lui et ses amis sont des anges de lumière ; ses ennemis, des démons, des êtres de ténèbres ; et entre eux il n'y a rien. Il serait facile d'écrire une critique du fondamentalisme protestant, pas seulement de ses traits de caractère psycho-sociaux, mais aussi de son littéralisme biblique acritique, de sa prédilection pour l'individualisme capitaliste et une politique de droite. Mais cette critique aboutirait-elle à autre chose qu'à assurer les lecteurs que l'auteur n'est pas fondamentaliste ? Les fondamentalistes n'en tireraient à coup sûr aucun profit, car il est dans la nature et dans la mentalité du fondamentaliste de convertir toute critique sérieuse en confirmation de ses préjugés ; et les non-fondamentalistes n'apprendraient rien qu'ils ne sachent ou ne soupçonnent déjà. Aussi poserai-je simplement comme allant de soi que le fondamentalisme mérite la censure, et me concentrerai-je sur le défi qu'ont à relever aujourd'hui les Églises chrétiennes face au fondamentalisme protestant.
Contre le fondamentalisme catholique-romain de ce temps
« La confession de la foi catholique n'a pas besoins d'ajouts », disait le pape Benoît XV, après que son prédécesseur Pie X eut cherché à imposer la politique romaine dans l'Eglise catholique, par toutes les mesures possibles de répression « antimodernistes », destitutions de théologiens, rappels à l'ordre aux évêques, documents magistériels, serment de fidélité pour tous les clercs, réseau secret d'espionnage (Opus, non, pas Dei, mais Pianum). Il était suffisant, selon Benoît XV, que tout un chacun dise : « Christianus mihi nomen, catholicus cognomen », chrétien est mon nom et catholique, mon prénom. En réalité, la nouvelle formulation qui vient du XIXième siècle, « catholique-romain » est une contradiction in adiecto : « univers-local ». Et « polonais-catholique » n'est évidemment pas meilleur non plus.