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Elsayed Elshahed est né en Égypte en 1945. Il a étudié la philosophie, la psychologie et la sociologie au Caire et a été lecteur de philosophie à Assouan. En 1972, il est venu en Allemagne poursuivre des études d'orientalisme, philosophie et théologie et a obtenu une licence ès lettres à Tübingen et un doctorat en philosophie à Sarrebruck. D'avril 1983 à octobre 1984, il a enseigné les sciences islamiques à Francfort. Il est actuellement chargé de cours à l'université de l'Imam, à Riyad.

Il a publié en allemand : Das Problem der sinnlichen Wahrnehmung, Berlin, 1983 ; « Einige Bemerkungen zur Ausgabe des Mugni », ZDMG, 1983 ; Gemeinsamkeit und Unterschiede zwischen Christianismus und Islam; en arabe : « Monothéisme, prophétie, Coran en dialogue entre christianisme et islam » ; « La pensée islamique sous l'influence extérieure et en crise », et de nombreux autres essais sur la culture et l'héritage islamiques.

« En quoi consiste le défi du fondamentalisme islamique ? » Le thème, ancien et en même temps très actuel, a suscité, ces dernières années, un gros intérêt tant dans les médias que dans la recherche. La discussion sur ce thème réclame objectivité et analyse sans préjugé.

La notion de « défi » exige, à mon avis, une explication, car elle comporte une connotation agressive et suppose, à cet égard, une émulation de l'islam avec les autres religions avec une prétention à la position dominante. Cette prétention, que manifeste toute religion — c'est, du moins, ce que montre l'histoire — , doit se réaliser, dans l'islam, exclusivement par des moyens pacifiques. Il est dit dans le Coran : « Appelle les hommes dans le chemin Je ton Seigneur, par la sagesse (al-ḥikma) et une belle exhortation (al-maw'iza al-ḥasana); discute avec eux en termes amicaux » (sourate 16/125). Les musulmans doivent user d'une particulière douceur avec les juifs et les chrétiens ; dans la sourate 29/46, il est dit : « Ne discute avec les gens du Livre (ahl al-kitāb) que de la manière la plus courtoise. » Ces deux versets du Coran invitent sans ambiguïté au dialogue avec les autres croyants, en particulier avec les juifs et les chrétiens, et ils en déterminent la bonne manière, qui exclut toute espèce de contrainte. « Pas de contrainte en religion ! La voie droite se distingue de l'erreur » (2/256).

Le Coran se montre donc, vis-à-vis des non-musulmans, pacifique et disposé au dialogue.

I. LE « FONDAMENTALISME », NOTION CONTESTABLE

Lorsqu'on emploie aujourd'hui le terme de « fondamentalisme », c'est, en règle générale, de manière péjorative. Quand il l'applique au monde musulman, l'Occident désigne ainsi les rétrogrades, les conservateurs, les radicaux.

Cela ne correspond pas au sens philologique originel du terme, qui exprime le fait de tenir fermement aux bases. « Fondamentalisme », pour les musulmans, désigne une certaine spécialité de la science islamique : la jurisprudence, la méthode pour parvenir au jugement (uṣūl al fiqh). Certes, les « fondamentalistes » (uṣū liyun) tiennent fort à leur identité islamique, mais ils peuvent être par là-même très avancés et très ouverts à l'égard des autres religions et cultures.

Souvent cet attachement à l'identité propre est qualifié par l'Occident de « fondamentaliste » au sens négatif. Mais, du côté des musulmans, ce concept, pris à contre-sens par les Occidentaux, n'est pas clair. Nombre de musulmans lient le « fondamentalisme » à la domination absolue de l'Église et à l'abus de la religion depuis le IVième siècle jusqu'aux Lumières.

On se trompe en Occident en jugeant trop vite ce mouvement de renouveau ou, comme nous l'appelons, de « réislamisation » ou d'« islamisme », comme fondamentaliste au sens négatif, et en le supposant conservateur ou radical. Le fondamentalisme musulman n'est pas un « mouvement populaire de gens simples », mais un domaine des sciences religieuses islamiques.

Les ressemblances avec les fondamentalistes chrétiens consistent en ce que les fondamentalistes musulmans, comme leurs collègues chrétiens à l'égard de la Bible, rejettent tout ce qui met en question l'inerrance de la sainte Écriture. A l'inverse du fondamentalisme chrétien, le fondamentalisme musulman a, cependant, conformément à la conception musulmane, les qualités suivantes :

  1. L'islam ne combat pas la science. Jamais un savant ne sera poursuivi à cause de ses découvertes ; au contraire, l'islam fait de l'acquisition de la science utile, pour tout homme qui en a la capacité, un devoir religieux. Le prophète Muhammad donne aux savants le second rang après les prophètes. « Les savants sont les successeurs [ou les héritiers] des prophètes (al-'ulamā'u waraṯatu l-anbiyā').»
  2. Dans l'optique islamique, la science confirme les énoncés du Coran, en particulier dans le domaine des sciences de la nature. Les musulmans n'ont donc aucune crainte face à la science.
  3. Lorsque les musulmans défendent le Coran, leur Sainte Écriture, ils le font parce que le Coran est pour eux une révélation divine pure, infalsifiée, qui est au-dessus de toute erreur. Le fait que les oppositions, dans les pays musulmans, soient presque toujours interprétées et désignées, par leurs gouvernements respectifs et par l'Occident, comme des rébellions des fondamentalistes islamiques (au sens négatif), nourrit chez les oppositionnels islamiques la conviction que l'Occident a le même but que les régimes non démocratiques. C'est l'une des raisons de la méfiance fondamentale des musulmans envers l'Occident et tout ce qui vient d'Occident.

Quand on parle du « fondamentalisme » en islam, il faut par ailleurs établir la différence entre deux sens :

  1. Salafiyah (de salaf: le précurseur) désigne un sens dû au fait que les contemporains du Prophète et la génération qui suivent occupent une position particulièrement exemplaire en islam.
  2. Uṣuliyūn (de uṣūl : fondement) désigne le sens qui est établi à partir des sources de l'islam (le Coran et la Sunna, la tradition des prophètes).

J'entends donc par fondamentalisme, soit le retour aux sources de l'islam originel, soit, comme l'entendait le grand rénovateur islamique Abu Hamid al Gazzāli (505-1111), la reviviscence de la religion. Dans les lignes qui suivent, je désigne le « fondamentalisme » ainsi compris comme islamisme, pour éviter le malentendu qu'induit le terme de fondamentalisme.

II. EN QUOI CONSISTE LE DÉFI DE L'ISLAMISME ?

  • Sa doctrine est simple et compréhensible à tout homme. Elle est rationnelle et exempte de théories compliquées comme, par exemple, la doctrine trinitaire ou celle de péché originel.
  • Sa profession sans équivoque de monothéisme, la foi au Dieu un et unique en soi, qui n'engendre pas et n'est pas engendré (112).
  • La foi au message de tous les prophètes de la révélation, comme Abraham, Moïse, Jésus et, finalement, Muhammad, dont les paroles essentielles sont connues dans le Coran et sont demeurées jusqu'ici infalsifiées. Là-dessus se fonde sa prétention universelle.
  • Ses commandements et ses interdictions sont rationnellement fondés. Une petite partie de ces commandements et interdictions sera considérée comme preuve de la totale soumission de l'homme à la volonté de Dieu. Y appartiennent le commandement du jeûne de ramadan et un certain nombre de rites du pèlerinage.
  • L'islam aborde tous les besoins de l'homme dans une égale mesure et lui offre une vision complète de la vie, où foi et pratique sont indissociables. Il est dit dans le Coran : « 0 vous, les croyants, pourquoi dites-vous ce que vous ne faites pas ? Dire ce que vous ne faites pas est grandement haïssable auprès de Dieu » (61/3).
  • L'islam n'offre pas seulement à l'homme des instructions, mais il lui montre aussi comment il doit les accomplir. Cela sera particulièrement significatif dans le domaine social ou politique. Toute action légale est en même temps un commandement, qui aura sa récompense ici-bas et dans l'au-delà. Aussi trouve-t-on très souvent, dans le Coran, la foi liée à la pratique. Dans la sourate 103/2-3, il est dit : « Oui, l'homme est en perdition, à l'exception de ceux qui croient [en Dieu] et n'accomplissent que des œuvres bonnes. »
  • L'homme est, en islam, responsable de ses actes. Lorsqu'il pèche, il peut toujours demander pardon à Dieu, qui pardonne toujours, tant que l'homme se repent vraiment de son péché. « Dieu ne pardonne pas qu'on lui en associe un autre, mais il pardonne tout le reste, à qui il veut » (39/53). « Ne doutez pas de la miséricorde de Dieu. Il pardonne tous les péchés » (39/53). « Il s'est prescrit à lui-même la miséricorde » (6/12).
  • L'islam offre un système social où la vie privée et la vie publique sont intégrées, c'est-à-dire qu'il comporte un système politique, économique et social, contenu dans la codification simple d'une « constitution », le Coran. Disjoindre la vie privée et la vie publique et, de la sorte, les séculariser, est exclu de la vision du monde islamique. Le prophète Muhammad fut lui-même homme d'État en tant que prophète, et il fonda à Médine le premier État islamique, avec tous les organes indispensables à son fonctionnement.
  • Les civilisations occidentales ne pouvaient venir à bout des énormes problèmes actuels de l'humanité. Les musulmans ne voient de salut que dans la religion, qui satisfait tous les besoins humains, ceux de l'esprit et de l'âme mais aussi les besoins matériels, dans l'harmonie et l'équilibre. L'islam s'offre comme une solution de rechange raisonnable.
  • L'islam manifeste sa faculté d'adaptation aux changements sociaux liés au lieu et au temps par ses multiples méthodes d'expression du droit. L'esprit humain a un vaste champ pour la solution des problèmes. 

En dehors du Coran et de la Sunna, qui sont accessibles aux interprétations, il existe d'autres voies, lorsque le Coran et la Sunna ne suffisent pas : iğmā’, le consensus, qiās, la clef analogique, et iğtihād, l'effort spirituel ou réflexion. Le droit de la pratique est octroyé à tout homme capable et n'est pas le privilège d'une couche sociale ou d'une génération.

  • Selon la conception islamique, la liberté de l'homme est aussi garantie en définitive contre les prétentions dominatrices des gouvernements par la soumission de l'homme à la volonté divine. Lorsque le deuxième calife, Omar, prit ses fonctions (décembre 634), il adressa la parole aux hommes présents dans une mosquée : « Je vais régner en maître sur vous. Je ne suis pas pour autant le meilleur d'entre vous. Aidez-moi, tant que je régnerai sur vous par l'intermédiaire des instructions du Coran et du prophète, mais si vous constatez chez moi quelque déviation, alors remettez-moi sur le bon chemin, car, ainsi parlait un musulman non arabe : "Par Dieu, si je constatais chez toi une déviation, je te redresserais de mon épée". »

Omar fut aussi le premier calife qui renonça à de nombreux châtiments islamiques pour des raisons humanitaires et qui mit en délibération (šūra) toutes les décisions qu'il ne pouvait faire découler du Coran ou de la Sunna. Ces exemples prouvent que l'islam ne reconnaît ni les dictatures ni le racisme.

Les califes n'exercent donc pas en islam, comme l'affirme à juste titre Hans Zirker, « de fonction prophétique ni doctrinale. Seule la société musulmane prise dans son ensemble se verra attribuer, en conséquence, une intelligence infaillible de la foi » (Christentum und Islam, 113).

  • L'évolution historique de l'Europe, dans la perspective islamique, serait apparue toute différente :

—  si l'Évangile avait comporté un système, ou du moins les rudiments d'un système politique, économique et social définitif ;

—  si l'Église n'avait pas abusé de son pouvoir contre les hommes de science ;

—  si l'Europe avait accepté de l'islam ou de la culture islamique, non seulement ses réalisations scientifiques et rationnelles, mais aussi son cadre religieux.

Les islamistes musulmans se demandent pourquoi les juifs et les chrétiens ont des réactions chatouilleuses à tout ce qui est islamique et l'écartent d'emblée, bien que l'islam reconnaisse le message essentiel de leurs religions respectives ainsi que leurs prophètes, et qu'il les considère avec le plus grand respect. Pourquoi les juifs et les chrétiens n'accueillent-ils pas les musulmans avec la même attention ?- Pourquoi ne reconnaissent-ils pas au moins dans l'islam un complément de leurs religions de la révélation ?

III. LA RÉISLAMISATION EST-ELLE UNE SIMPLE RÉACTION
AU MODERNE AMÉRICANO-EUROPÉEN ?

La réislamisation est interprétée le plus souvent comme réaction émotionnelle à la vision du monde américaine et européenne moderne, devenue prépondérante. Cette interprétation n'est juste que dans la mesure où le moderne occidental gagne tous les pays islamiques à la faveur de la supériorité technique, politique, militaire et économique de l'Occident et menace la conscience islamique. L'histoire nous montre cependant que la situation intraislamique progresse par le moyen de l'influence étrangère, que le moment décisif est venu pour cette tentative de réislamisation. Parce que l'islam, vis-à-vis des autres cultures, a toujours été et demeure ouvert, nous devons en permanence, nous, musulmans, compter avec les influences et les déviations étrangères. Lorsque cela dépasse une certaine mesure, la force de résistance se déclenche automatiquement et continue d'agir jusqu'à ce que l'influence étrangère et les déviations intervenues soient ramenées dans des limites acceptables. Le prophète Muhammad avait prévu ces situations et disait à leur propos : « Dieu nous enverra tout un siècle (ou même plusieurs) qui renouvellera ou revivifiera notre religion. » C'est une prédiction du prophète Muhammad qui attire l'attention sur les faiblesses internes et les influences négatives à venir et signale le processus de renouvellement comme inhérent à l'islam.

Grâce à ce processus de renouvellement, se dégageront de nouvelles possibilités d'adaptation de la vision du monde islamique aux changements sociaux intervenus entre-temps, moyennant l'effort spirituel (iğtihād) des docteurs religieux de l'époque. Ainsi faut-il comprendre les tentatives de réislamisation par ceux qu'on nomme « fondamentalistes ».

Sans aucun doute, la désillusion des musulmans quant aux effets de la civilisation occidentale a joué un rôle décisif dans la naissance du fondamentalisme. Les raisons de cette désillusion peuvent être ainsi regroupées :

  1. Les musulmans se sentent religieusement incompris et politiquement abusés par l'Occident.
  2. L'ouverture vers l'Occident de plusieurs pays islamiques a conduit à une dépendance politique et économique toujours plus grande de ces pays vis-à-vis de ce même Occident. Les pauvres deviennent de plus en plus pauvres, les riches de plus en plus riches. Ainsi se crée dans ces pays un large clivage social, avec un potentiel de conflit énorme.
  3. La prétendue aide au développement s'est dévoilée être une aide de l'Occident à lui-même. Les destinataires de cette « aide » s'endettent de plus en plus et deviennent de la sorte politiquement dépendants.
  4. Surtout, là où la modernité occidentale prend pied, les hommes perdent leur identité, leur culture, leurs valeurs et leurs normes. Les valeurs matérielles s'installent à la place de la morale et de la solidarité sociale.
  5. La plupart du temps, seuls les despotes jouissent de l'appui occidental, bien que l'Occident prétende promouvoir la démocratie ou la démocratisation dans ces pays.
  6. La modernité occidentale a toujours été liée à la sécularisation. Mais cela, les musulmans le rejettent généralement. La modernisation ne peut pas, dès lors, être considérée comme un progrès, mais doit être regardée comme une aliénation, un déracinement.
  7. La prise de parti unilatérale en faveur d'Israël dans les pays occidentaux rend l'Occident incrédible chez les musulmans. Ils interprètent cet appui occidental injustifié comme une guerre ouverte contre l'islam, car toute décision politique est pour les musulmans une décision religieuse.

IV. COMMENT TRAITER LE CORAN ?

Le Coran est, à la lettre, selon la conviction islamique, la révélation de Dieu, fixée par écrit en langue arabe. Il a été tout entier publié et diffusé du vivant même du prophète Muhammad, appris par coeur par de nombreux contemporains du Prophète et retenu par écrit. Il était récité dans de nombreuses leçons (alsina) qui, cependant, ne portaient aucun préjudice au contenu. Il fut immédiatement après la mort du Prophète compilé et consigné, jusqu'à ce que le troisième calife, Othman, avec l'aide de récitants du Coran et de scribes, puisse éditer le texte coranique qui existe aujourd'hui.

Sur l'authenticité du Coran, au moins comme annonciation du prophète Muhammad, il n'y a aucun doute. Rudi Paret affirme, dans l'avant-propos de sa traduction du Coran, que « le texte [le Coran] est, somme toute, authentique et restitue la parole, telle que les contemporains l'ont entendue de la bouche du Prophète ». Le Coran est pour l'islam et toute sa législation, comme l'écrit Hans Küng, « quelque chose comme la constitution ou loi fondamentale, qui, nonobstant toute largeur d'interprétation de lieu, de temps ou de personnes, n'est pas interprétable au gré de quiconque » (Christentum und Weltreligion, 61). « La recommandation au Prophète, la récitation sans hâte (75/16) du Texte chaque fois accueilli permettent de reconnaître que la révélation est éprouvée comme inspiration reçue positivement de Muhammad, sans intervention personnelle » (Angelika Neuwirth, dans Weltmacht Islam, 70).

Les versets du Coran se partagent en deux groupes : 1. ceux qui contiennent des devoirs religieux (`ibādāt); 2. ceux qui prescrivent des pratiques terrestres (mu`āmalāt). Le Coran offre donc un concept de l'ici-bas et de l'au-delà dans une seule forme de la vie complète en soi, équilibrée. Les interprétations du Coran, de nature et d'importance diverses, le rendent compréhensible à tous les musulmans. le premier interprète du Coran fut Muhammad lui-même. Cette interprétation du Prophète n'est pas seulement la première, mais en même temps la plus authentique. Elle est contenue dans sa Tradition (Ḥadît = Sunna).

Les versets du Coran se subdivisent encore en deux groupes : 1. les versets simples et absolument clairs (muḥkamāt) ; 2. les versets qui prêtent à interprétation ou nécessitent un éclaircissement (muta ašābihāt).

Entre les interprètes musulmans et, avant tout, les juristes et les musulmans formés, règne l'unité sur la première catégorie de versets du Coran. La deuxième, au contraire, est diversement interprétée. Il est donc loisible à l'intelligence humaine d'exercer ses facultés.

Dans les versets simples, il s'agit principalement de dispositions sur le partage de l'héritage d'un mort, la fixation de la prière, des temps du jeûne et du pèlerinage, sur la participation à la charge des pauvres, la récompense des bonnes actions ou le châtiment des mauvaises en ce monde et en l'autre ; des règles du mariage et du divorce, et, très important, des règles des contrats : vente, achat, prêt, placement de ses propres biens ou de ceux d'autrui, en particulier de l'orphelin ou des personnes âgées, et traités de paix.

La part de ces prescriptions dans les versets du Coran est très étroite en comparaison de la partie qui prête à interprétation, qui détermine la vie sociale d'un musulman.

L'attachement du musulman au Coran comme révélation littérale de Dieu a protégé le Coran des falsifications et des relativisations. Un musulman convaincu ne s'écarte pas de cette attitude de foi, car il sait que sans cela il adviendrait au Coran les mêmes relativisations qu'ont connues d'autres saintes Écritures. La réclamation d'une nouvelle compréhension du Coran, comme celle d'une révélation non littérale, sous prétexte d'adaptation à la vie moderne, est de ce fait injustifiée, à mon avis, car l'adaptation était déjà possible moyennant l'interprétation, et elle le reste. On ne doit donc pas relativiser le texte et le changer à son gré. L'islam a régné durant plusieurs siècles dans différents milieux culturels et a démontré son aptitude à maintenir cet empire au plus haut niveau de la civilisation de l'époque. Cela s'est effectué sans qu'il soit porté atteinte au texte coranique originel. Que le droit islamique soit adaptable aux conditions de temps et aux changements sociaux, en témoigne le célèbre imam As-Saf’t († 824) en instituant chaque fois deux interprétations différentes pour l'Égypte et l'Irak.

L'arrière-plan de cette réclamation pourrait être l'abolition ou du moins la relativisation de la justice pénale islamique (al-ḥudūd aš-šar`iya). Pour ce faire, il ne faut pourtant ni changer ni relativiser le texte coranique. Il est un principe fondamental, qui est valable pour tous les commandements islamiques, qui dit qu'en cas de nécessité l'interdit même semble permis et inversé (aḍ­darūrāt tubīḥu-maḥzūrāt), la lutte contre le besoin a priorité sur l'accomplissement de la justice pénale ou n'importe quelle prescription. Omar 1er a fait usage de ce principe, comme on l'a déjà mentionné.

Plus essentiel que le principe susdit est la parole du Prophète Muhammad : « Annulez le châtiment (ḥudūd) si le moindre doute subsiste (idra'u al-ḥudūda bi-š-šubuhat). » Il ne doit y demeurer non plus aucun doute sur le bien-fondé de la plainte pour exécuter la peine correspondante. Les peines sont faites avant tout pour dissuader. Lorsqu'une infraction est démontrable avec une absolue certitude, alors la peine doit être exécutée, sans quoi le coupable ne prendra jamais au sérieux la peine prescrite.

V. LE CORAN ET LE PROBLÈME DE L'INTERPRÉTATION HISTORICO-CRITIQUE

On n'a pas manqué d'islamologues qui ont mené des études critiques du Coran et ont laissé de nombreux matériaux de travail pour les générations suivantes. Les principaux travaux étaient de critique interne. Ils s'occupaient de la problématique interne du texte coranique. Nous trouvons la critique externe uniquement dans les œuvres sur le miracle du Coran (i’ğaz al-Qu’rān), avec lequel les musulmans ont voulu en prouver l'authenticité divine.

Malgré Peter Antes, qui, dans son livre Ethik und Politik im Islam (p. 26), affirme qu'il y a « seulement en un sens... une sorte d'ébauche de réflexion historico-critique sur le Coran », les travaux des premiers musulmans sont, à mon avis, plus qu'une simple ébauche.

Antes voit l'ébauche dans la division des sourates en mecquoises (de 610-622) et médinaises (de 622-632). Mais, au-delà de cette simple division, on trouverait beaucoup plus de références à la réflexion historico-critique si l'on abordait les œuvres des coranistes composées à partir des IIe->IIIe siècles de l'Hégire (VIIIième-IXième), par exemple les asbāb an-nuzūl (les occasions de la révélation). 'Ali ibn al-Madīnī (234/848) a écrit le premier ouvrage qu'on puisse prendre comme une interprétation historico-critique du Coran. Le plus célèbre ouvrage de ce type a pour auteur al-Wāḥidī (468/ 1076) ; lui firent suite Ibn al-Gawzī (597/1201) et Ibn Ḥağar al‑Asqalānī (852/1449). Il s'agit dans ces dernières œuvres de la recherche de l'occasion de la révélation, du temps et de la situation, dont le champ d'application et la valeur durable du Coran. Il y a des versets coraniques dont l'énoncé ne vaut que pour le temps où ils ont été révélés, et ceux dont la validité est destinée à tous les temps.

Il existe aussi une science coranique qui traite du problème de l'abrogation (an-nasiḫ wa-l-mansūḫ). Il y est traité du commandement ou de l'interdiction qui se trouve abrogé ou aggravé par un verset révélé ultérieurement, comme, par exemple, pour l'interdiction de l'usage de l'alcool ou pour l'orientation pour la prière : non plus vers la mosquée d'al-Aqsā mais vers la Ka’bā.

Dans les deux types d'interprétation nous avons des ébauches significatives et des fondements de l'interprétation historico-critique qu'on peut aujourd'hui étoffer et développer.

Les études sur les hadith sont presque exclusivement construites sur une méthode historico-critique, qui a fortement influencé les autres études islamiques, par exemple l'historiographie.

Que la présentation que nous donnons ici de l'interprétation historico-critique corresponde à la conception européenne, les musulmans ne trouveraient guère à y redire. Voilà pourquoi je partage le souci de van Ess, que parler d'interprétation historico-critique dans le dialogue interreligieux ne menace celui-ci (Christentum und Weltreligion, 158).

(Traduit de l'allemand par André Divault.)

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