Hans Küng, né en 1928 à Sursee (Suisse) ; de 1948 à 1953, études de philosophie et théologie à l'université pontificale grégorienne de Rome. En 1954, ordination ; en 1955, études à la Sorbonne et à l'Institut catholique de Paris ; en 1957, doctorat de théologie ; de 1957 à 1959, pastorale pratique à la Hofkirche de Lucerne. A partir de 1960, devient professeur de théologie fondamentale, à l'université de Tübingen. En 1962, nommé par Jean XXIII conseiller théologique officiel du concile ; depuis 1963, professeur de théologie dogmatique et œcuménique et directeur de l'institut de recherche œcuménique depuis 1980, professeur indépendant de faculté en théologie œcuménique et directeur de l'institut de recherche œcuménique à l'université de Tübingen.Le christianisme et les religions du monde, Introduction au dialogue avec l'islam, l'hindouisme et le bouddhisme Christentum und die chinesische Religionen Dichtung und Religion. Pascal, Gryphius, Lessing, Hiilderlin, Novalis, Kierkegaard, Dostojiewski, Kafka Théologie pour le troisième millénaire, Die Hoffnung bewahren, Schriften zur Reforrn der Kirche, Projekt Weltethos, Das Judentum,
Martin MARTY (Chicago), Geiko MÜLLER-FAHRENHOLZ (San José/ Costa Rica), Günter HOLE (Ulm) et John COLEMAN (Berkeley/ Californie) ont montré excellemment et sous divers angles ce qu'est aujourd'hui le fondamentalisme. Et je n'ai rien à ajouter aux analyses précises et subtiles du fondamentalisme dans le judaïsme (Jacob NEUSNER, St Petersburg/Floride), l'islam (Elsayed ELSHAHED, Ryad), le christianisme oriental (Christos YANNARAS, Athènes) et le protestantisme (Miroslav VOLF, Osijek/Yougoslavie). Cependant, mon collègue de Tübingen, Jürgen MOLTMANN, ayant, comme théologien évangélique, analysé fondamentalement, au plan théorique, les liens entre le fondamentalisme (en particulier dans sa perspective protestante) et la modernité, je voudrais, en tant que théologien catholique, à la suite de l'exposé de Peter HEBBLETHWAITE (Oxford), présenter une contribution politique pratique et attirer, l'attention sur les dangers qui menacent la catholicité de l'Eglise catholique à cause d'un fondamentalisme catholique-romain favorisé actuellement par le pape.
I. UNE SITUATION QUI DEMANDE UN DISCOURS EXPLICITE
« La confession de la foi catholique n'a pas besoins d'ajouts », disait le pape Benoît XV, après que son prédécesseur Pie X eut cherché à imposer la politique romaine dans l'Eglise catholique, par toutes les mesures possibles de répression « antimodernistes », destitutions de théologiens, rappels à l'ordre aux évêques, documents magistériels, serment de fidélité pour tous les clercs, réseau secret d'espionnage (Opus, non, pas Dei, mais Pianum). Il était suffisant, selon Benoît XV, que tout un chacun dise : « Christianus mihi nomen, catholicus cognomen », chrétien est mon nom et catholique, mon prénom. En réalité, la nouvelle formulation qui vient du XIXième siècle, « catholique-romain » est une contradiction in adiecto : « univers-local ». Et « polonais-catholique » n'est évidemment pas meilleur non plus.
Peter Hebblethwaite cite cette phrase de la première encyclique de Benoît XV, après avoir analysé la vision polonaise de l'Église et la stratégie ecclésiastique slavocentrique du pape actuel. L'Europe de l'Est très croyante est le centre du monde, l'Europe de l'Ouest, une région annexe décadente ; l'Amérique du Nord est regardée avec méfiance et l'on se concentre sur les Églises prétendument plus conservatrices d'Amérique latine (contre la théologie de la libération, d'Afrique (contre les tendances d'indigénisation) et d'Asie (contre des théologiens du Tiers Monde). Les mesures de répression ecclésiastiques contre des théologiens, qui m'ont également touché en 1979 (en particulier à cause d'un article critique « un an de pontificat de Jean-Paul II »), ont atteint beaucoup d'autres depuis : des théologiens connus, comme Edward Schillebeeckx en Hollande, Leonardo Boff et Gustavo Guttiérez en Amérique latine, Charles Curran en Amérique du Nord, Eugen Drewermann en Allemagne, mais également d'innombrables théologiens moins connus, qui n'ont pas obtenu de chaire d'enseignement (comme souvent en Allemagne) ou bien (comme cela m'a été rapporté de nombreux pays) ont été amenés, sous la menace, à obéir ou à se taire.
Il ne sert à rien de se fermer les yeux ; il faut le dire clairement : nous avons affaire actuellement à une dictature spirituelle avec un pape qui, ni sous le nazisme, ni sous le communisme, n'a appris ce qu'est la démocratie, mais qui, ayant échappé au système communiste totalitaire, voudrait, avec des méthodes tout à fait semblables dans l'Église, obliger tout un chacun, les théologiens et surtout les évêques à suivre son point de vue. De manière systématique, il essaie, dans le monde entier, par des nominations épiscopales conformes au système — souvent contre la volonté du clergé et du peuple et donc, contre la tradition catholique —, de rétablir le système romain préconciliaire. Et ceci sans se soucier en aucune façon de ce qu'il en coûte: une perte fulgurante de la crédibilité de l'Église catholique et de sa hiérarchie, une sortie des femmes de l'Église à cause de la morale sexuelle rigoriste et hypocrite, l'éloignement total des intellectuels, la perte de dizaines de milliers de prêtres et le manque toujours plus catastrophique de relève, qui, en tous points de l'Eglise, laisse un tiers des paroisses vacantes. C'est une situation de détresse, semblable à celle que connut l'époque de la Réforme, mais dissimulée semble-t-il par de nombreux évêques, qui propagent de nouvelles stratégies pastorales, comme si l'heure des laïcs était venue, quand les prêtres manquent. Si, dans un hôpital, il manque des médecins, à qui viendrait-il à l'idée de recommander aux malades de se débrouiller eux-mêmes, au lieu d'aller chercher les médicaments qui se trouveraient en grandes quantités à la porte ?
Les chrétiens se plaignent beaucoup aujourd'hui du fondamentalisme fanatique de l'islam (et en partie également du judaïsme), et ils ne pensent pas suffisamment que le mot « fondamentalisme » vient de ce protestantisme qui recherchait la certitude pour soi, contre les autres, en s'attachant à la lettre de la Bible. Il existe également une variante du fondamentalisme dans le catholicisme actuel, dans la mesure où la direction de l'Eglise veut identifier la foi catholique avec les toutes dernières traditions ecclésiales (Trente, Vatican I, documents pontificaux préconciliaires) et grâce à une « réévangélisation » = recatholisation », obliger les catholiques à revenir à un modèle d'Eglise et de société médiéval, contre-Réforme, antimoderniste — en négligeant et excluant (« marginalisant ») les protestants, les orthodoxes, les juifs et les « incroyants ». C'est un fondamentalisme catholique aux conséquences hautement douteuses, en particulier, si l'on regarde le modèle d'orientation inavoué de « réévangélisation » qu'est la Pologne, modèle préconisé même pour les autres pays.
II. LA CAMPAGNE DE RECATHOLISATION EN POLOGNE
En effet : la « campagne de recatholisation » antimoderne (et également antiréformiste et antiorthodoxe) qui a lieu en Pologne est un exemple éclatant du fondamentalisme actuel catholique-romain. Entre-temps, l'Église catholique de ce pays y est devenue selon les sondages — l'institution la plus puissante (non la plus aimée), plus puissante que le gouvernement, le président, l'armée et Solidarnosc. 74 % des Polonais pensent maintenant que le rôle politique de l'Église est important. Mais, avec ce pouvoir — en particulier sur les députés qui craignent pour leur réélection — , l'Église a commencé à restaurer énergiquement le statu quo ante médiéval, de sorte que l'on entend se plaindre, non seulement des chrétiens protestants et orthodoxes, ainsi que des juifs, mais aussi des catholiques ouverts (comme par exemple l'ancien président Tadeus Mazowiescki), le célèbre compositeur Krysztof Penderecki et le non moins célèbre écrivain, Stanislav Lem :
— Sans l'accord du parlement, l'enseignement religieux a été introduit dans les écoles ; il sera transmis par un clergé qui n'y est nullement préparé au plan pédagogique.
— Bien que 59 % des Polonais approuvent une législation au moins limitée de l'interruption de grossesse, une des lois les plus dures au monde sur l'avortement (avec deux ans d'emprisonnement pour les femmes et les médecins en cause) va être introduite, même en cas de viol, d'accidents génétiques de l'embryon et de maladie (exception faite si la mère est en danger de mort).
— Les subventions de l'État pour les pilules contraceptives ont été supprimées (malgré le nombre effrayant d'avortements par an), si bien que beaucoup de femmes ne peuvent acheter la pilule devenue pour elles trois fois plus chère.
— On attend également de nouvelles lois contre le divorce, la pornographie, etc.
— On a accordé le grade de général au vicaire aux Armées et introduit la présence générale de la hiérarchie ecclésiastique, lors des cérémonies officielles importantes.
— Beaucoup d'évêques exigent la suppression de l'article de la constitution sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
— On exerce de multiples manières une terreur psychologique contre les dissidents au plan local (ceux par exemple qui demandent un référendum à propos de la loi sur l'avortement); l'influence de l'Eglise sur les élections et les hommes politiques est en progression constante.
« L'Église, l'Église par-dessus tout » ? C'est ce qu'on a pu lire sur les murs. Écrit par qui ? Par quelques-uns de ces Polonais qui craignent un Etat clérical déjà gouverné selon les diktats du pape polonais. Mais depuis le changement démocratique, l'Eglise étant trop rapidement passée d'un lieu de liberté sans puissance politique à un bastion de pouvoir autoritaire, sa crédibilité a baissé tout aussi rapidement (de 83 % en 1990 à 58 % en avril 1991). C'est une polarisation générale de la société polonaise qui menace. Ce processus a été favorisé lors du voyage du pape en juin 1991 : Karol Wojtyla traversa son pays à la manière d'un pape des croisades serrant les poings, contesta au parlement (à la grande colère de tous les démocrates) le droit de libéraliser la loi sur l'avortement, compara l'avortement des embryons (à la grande indignation des juifs) à l'Holocauste et finalement — après avoir, pendant la guerre du Golfe, approuvé un pacifisme pratiquement total — fit l'éloge de l'héroïsme national politique de milliers de soldats, approuvant alors le « droit légitime à la défense ». Le pape ne dit mot, en revanche, de la construction d'une démocratie parlementaire authentique. Il identifie le plus souvent la démocratie occidentale au matérialisme, à l'hédonisme et au consumérisme.
— Ce qui a surtout ému le pape, ce fut un sondage d'opinion près des Polonais à la veille de sa visite, et dont il eut sans aucun doute connaissance, mais que les médias polonais tinrent pratiquement secret et qui fut également trop peu connu dans la presse occidentale. Ce sondage montre à l'évidence quels nouveaux fronts se sont formés dans la Pologne de l'après-communisme. A la question de savoir si l'Église catholique a le droit de réclamer l'obéissance du peuple à son enseignement, 81 % des Polonais répondirent « fermement non » ou « vraisemblablement non » à propos des moyens de contraception. 71 % répondirent de la même manière au sujet de l'avortement, 61 % au sujet des relations avant le mariage ou en dehors, 63 % au sujet du divorce. En ce qui concerne l'avortement, 62 % des Polonais de la campagne répondirent même « vraisemblablement non » ou « fermement non ». Ce nombre s'élevait à 80 % dans les villes de plus de 500 000 habitants, comme Lodz, Varsovie, ou même Cracovie. De tels chiffres montrent que la hiérarchie catholique, en Pologne, n'est absolument pas suivie par la majorité des catholiques. Certes, elle ne doit pas céder tout simplement à l'« esprit du temps » et tolérer en silence la permissivité. Mais elle serait bien inspirée de réfléchir à son enseignement intransigeant et indifférencié en matière de morale sexuelle. Sinon, elle risque de perdre la crédibilité dont elle a tant besoin pour un véritable renouvellement spirituel de ce pays. Celui qui, pour ces questions, s'éloigne des hommes, peut s'attendre à ne pas être suivi par eux pour d'autres questions d'importance vitale.
III. LA MISÈRE A PROPOS DE LA CONTRACEPTION
Dans sa dernière encyclique sociale Centesimus Annus (mai 1991), le pape tente maintenant d'informer le monde entier sur la misère sociale actuelle. En même temps, il exploite l'affaire de l'Inquisition pour faire taire les porte-parole de la théologie de la libération latino-américaine. Il se sert de la chute des systèmes marxistes de l'Est pour critiquer à raison les excès du capitalisme de même que toutes les formes d'exclusion et d'exploitation, en particulier dans le Tiers Monde. Mais la critique à bon compte de « l'Occident matérialiste et consumériste » et la reconquête de terrain sous réserve conjoncturelle en Europe de l'Est n'est pas encore un véritable renouvellement.
En ce qui concerne le Tiers Monde, le magistère ecclésiastique se rend responsable de la misère massive, de la faim et de la mort de millions et de millions d'enfants dans le monde, en poursuivant sa campagne mondiale contre la contraception (et depuis peu envers les préservatifs dans la lutte contre le sida). Cette campagne n'est pas la cause mais probablement une cause essentielle de la détresse des masses du Tiers Monde. Comme nombre de ses prédécesseurs depuis Luther, Galilée ou Darwin, ce pape — aveuglé par la doctrine de l'infaillibilité en matière de foi et de morale — ne veut pas non plus reconnaître qu'il est ici dans l'erreur. Il est ainsi l'un des grands responsables de l'explosion démographique incontrôlée et donc aussi de la misère des enfants en Amérique latine, en Afrique et dans les autres pays du Sud. Incapable d'autocritique, il ne veut pas comprendre qu'il est en soi contradictoire de lutter à la fois contre l'avortement et contre la contraception, alors que celle-ci précisément pourrait le plus efficacement faire baisser le nombre réellement trop élevé d'avortements. La Pologne a le nombre le plus élevé d'avortements en Europe, 600 000 par an. Pourquoi ? Parce que l'avortement, par manque de moyens contraceptifs de toutes sortes, refusé par le pape et la hiérarchie en général, est devenu la méthode principale de contrôle des naissances.
Cependant, le pape ne veut pas comprendre que, si une vie digne n'est pas possible pour des millions d'être humains, il ne sert pas à grand chose de reconnaître les droits de l'homme (liberté de pensée, de parole, d'enseignement et de religion), droits que son prédécesseur antidémocratique, fêté par lui, Léon XIII, avait encore condamné sans exception, cent ans auparavant. Et ceci n'est pas possible, pour la bonne raison, justement, que le nombre des personnes du Tiers Monde pauvre, préindustriel, constituant les deux-tiers de l'humanité, augmente si rapidement, que les investissements nécessaires des habitants ne peuvent absolument plus suivre.
A la naissance du Christ, notre terre comptait environ 200 millions d'hommes, à l'époque de la découverte de l'Amérique, 500 millions, au milieu du XVIIIième siècle, 700 millions ; avec la révolution industrielle, vers 1830 déjà, le chiffre franchit la barre du milliard, doubla en 1925, et doubla à nouveau en 1975, atteignant 4 milliards. Selon les données du rapport annuel démographique de l'O.N.U. publié en mai 1991, il y a maintenant 5,4 milliards d'hommes sur terre. A la fin de notre siècle, il y en aura déjà 6,4 milliards et en l'an 2025, 8,5 milliards. Depuis la malheureuse encyclique de Paul VI, Humanae Vitae (1968), sur la contraception, la population mondiale est passée de 3,5 à 5,4 milliards. Jean-Paul II n'en a tiré aucune leçon. Il tait, purement et simplement, ce problème fondamental de l'humanité dans son encyclique Centesimus Annus . De plus, le pape polonais, incapable d'apprendre et de se corriger, prépare, face à l'opposition massive dans l'Eglise et en dehors de l'Eglise catholique, une nouvelle encyclique sur la morale, qui aggravera encore la situation, et qui aura sans doute déjà paru, lors de la publication de cet exposé.
Mais si, dès à présent, manquent pour d'innombrables personnes, les moyens de subsistance élémentaires, eau, énergie, mais aussi logement, travail, et installations sanitaires, et si l'environnement est de plus en plus détruit par les grandes villes et les bidonvilles à la croissance monstrueuse, il n'est certes pas question de préconiser des mesures répressives sur le contrôle des naissances. Cependant, tous les moyens politiques légitimes et les réformes sociales radicales et urgentes (place de la femme), doivent contribuer à rechercher un planning familial, dont le soutien effectif le meilleur ne peut être que celui des religions. En effet, dans les pays du dit Tiers Monde, elles ont souvent touché davantage les esprits et les cœurs des hommes, que les grandes campagnes politiques. Sans le soutien des autorités religieuses, les hommes de ces pays ne changeront pas leur comportement moral, forgé durant des siècles par les religions.
IV. LE CONCILE TRAHI
L'essor du fondamentalisme catholique-romain autoritaire va de pair avec la trahison de l'esprit et de la lettre de Vatican II. Et même la peur que ne se poursuivent les débats théologiques et pastoraux du concile pourrait bien être une cause essentielle de la naissance du fondamentalisme actuel. Lorsqu'il était évêque, Karol Wojtyla était proche de la société secrète Opus Dei. En était-il et en est-il membre ? Nous n'en avons pas de preuve. Une chose est sûre, Karol Wojtyla est très marqué par l'idéologie du « pape slave », qui, selon le mythe du messianisme polonais du XIXième siècle, allait sauver et renouveler l'Église décadente. Ayant ainsi reçu sa mission de Dieu lui-même, il ne semble pas reconnaître de limites à son ministère et à sa compétence (exégétique, historique, théologique) extrêmement restreinte, tout comme il agit sans scrupule avec ses opposants catholiques, qu'ils soient évêques ou cardinaux.
Ce qui, au départ, malgré toutes les protestations verbales, était l'intention fondamentaliste-romaine du pape, est devenue de plus en plus évidente, même pour les admirateurs: on veut freiner le mouvement conciliaire, stopper la réforme intra-ecclésiale, bloquer l'entente avec les Églises orientales, les protestants et les anglicans ; on veut remplacer le dialogue avec le monde moderne par un enseignement unilatéral. Signe d'incohérence: on parle encore à peine de Jean XXIII, rendu responsable de la perte de pouvoir de la curie. En revanche, on veut béatifier le pape de l'infaillibilité, Pie IX, contesté à tout point de vue, et dès 1992, le fondateur espagnol de l'Opus Dei.
Certes, Jean-Paul II et son inquisiteur, le cardinal Ratzinger, invoquent le concile Vatican II avec emphase. Mais tous les deux pensent, face à l'« esprit malfaisant » du concile, au « vrai concile », qui ne signifie pas un recommencement, mais se situe en continuité avec le passé. Les passages conservateurs du Vatican II historique, réclamés par le groupe curial (Paul VI imposa expressément au concile la Nota praevia sur les privilèges pontificaux) sont délibérément interprétés de manière conservatrice, et on passe sur des points essentiels de ce qui était tourné vers l'avenir : Au lieu du programme conciliaire, voici de nouveau les paroles d'un magistère autoritaire.
— Au lieu de l'aggiornamento dans l'esprit de l'Évangile, voici de nouveau la traditionnelle « doctrine catholique ».
— Au lieu de la « collégialité » du pape et des évêques, voici de nouveau le rigide centralisme romain.
— Au lieu de l'apertura au monde moderne, voici de nouveau et de plus en plus l'accusation, la plainte et l'attaque contre la prétendue « adaptation ».
— Au lieu de l'« œcuménisme », voici de nouveau l'accentuation de ce qui est purement catholique-romain.
— Plus question de distinction entre l'Église du Christ et l'Église catholique romaine, entre la substance de la doctrine et son revêtement historico-linguistique, plus question d'une « hiérarchie des vérités ».
En tout cela, le Vatican n'est pas comme un simple bouchon flottant sur les vagues d'un courant conservateur mondial. Non, on mène une politique très active. Sans se soucier aucunement de la déception et de la frustration de la base : même les souhaits les plus modestes à l'intérieur du catholicisme ou au plan œcuménique, comme les synodes allemands, autrichiens et suisses (ils ont travaillé avec un grand idéal, investissant beaucoup de personnel, de temps, de papier, et d'argent), ont été regardés négativement, sans raison aucune. On le supporte ; qui cela préoccupe-t-il encore ? De toute façon, le nombre des pratiquants, des baptêmes, des mariages religieux décroît constamment. Certains de moins en moins — ne paient l'impôt d'Eglise qu'à cause des obsèques religieuses. Pour le moment encore.
Le juridisme romain, le cléricalisme et le triomphalisme tant critiqués par les évêques conciliaires, célèbrent leur résurrection sous un badigeon de rajeunissement et un déguisement moderne : on le voit surtout dans le « nouveau » droit canon (C.I.C.) : l'exercice du pouvoir du pape, de la curie et des nonces n'y connaît pas de limites ; il réduit même l'importance des conciles, accorde aux Conférences épiscopales de simples tâches de consultation, tient les laïcs dans la dépendance de la hiérarchie et néglige la dimension œcuménique. Ce « droit » canon est également transformé purement et simplement en politique pratique, pendant l'absence fréquente du pape, par une multitude de documents, de prescriptions, de recommandations et orientations des décrets sur le ciel et l'enfer jusqu'au refus tout idéologique de l'ordination des femmes, de l'interdiction de la prédication par les laïcs (même aujourd'hui encore pour les permanent(e)s de la pastorale, ayant une formation théologique), jusqu'à l'interdiction des enfants de chœur féminins à l'autel ; de l'intervention curiale dans les grands ordres religieux (élection du général des jésuites, statut des carmélites, visite inquisitatrice des congrégations américaines), jusqu'aux sanctions contre les théologiens.
L'enchaînement des contradictions n'en finit donc pas :
— Discours continuel sur les droits de l'homme, mais pas de justice envers les théologiens et les religieuses.
— Protestations contre la discrimination dans la société, mais à l'intérieur de l'Église, discrimination à l'égard des femmes.
— Longue encyclique sur la miséricorde mais pas de pitié envers les divorcés et les prêtres mariés (environ 70 000, dont 7 000 en Allemagne), etc.
V. QUE FAIRE, FACE AU FONDAMENTALISME ?
Eh oui, que faire, face au fondamentalisme de toutes les religions ? A ce sujet, il y a dans ce cahier une unanimité significative entre les contributions très constructives du rabbin Samuel KARFF (Houston/Texas) et du musulman Salim ABDULLAH (Soest/Allemagne) d'une part, et d'autre part, celle du théologien Geiko MÜLLER-FAHRENHOLZ (San José/Costa Rica) : selon eux, le fondamentalisme ne peut être surmonté que par la compréhension. En résumé, quatre points de vue me semblent importants :
- On doit attirer l'attention des fondamentalistes sur les racines de la liberté, du pluralisme, de l'ouverture aux autres et à leur propre tradition : la Bible hébraïque et le Talmud, le Nouveau Testament et la tradition de l'Église, le Coran et la Sunna.
- Mais on doit également attirer l'attention des progressistes sur la nécessité de l'autocritique : face à toute adaptation paresseuse à l'esprit du temps et qui ne peut dire non; face à tous les manques de substance religieuse, de profil théologique et de relation à l'éthique dans une religiosité libérale moderne qui n'a pas de limite.
- Tous ceux qui ne veulent pas se résigner à l'autoritarisme catholique-romain, au biblicisme protestant, au traditionalisme orthodoxe ou au fondamentalisme juif ou musulman, doivent eux-mêmes viser une orientation nouvelle fondamentale et la vivre de manière crédible.
- Malgré toutes les difficultés et les oppositions, il faut rechercher le dialogue avec les fondamentalistes et la collaboration au plan socio-politique et religieux-théologique.
Mais que faire — on ne peut éluder cette question — si le fondamentalisme est lié à un pouvoir policier-militaire-politique (en certains états islamiques, le cas Rushdie) ou à une domination spirituelle (le Vatican contre des théologiens, des évêques, des femmes) ? Réponse : il faut lui opposer une résistance ferme, à l'extérieur comme à l'intérieur. Un exemple de cette résistance à l'intérieur du territoire germanophone fut la déclaration de Cologne de 163 théologiens contre la nomination d'évêques, les prises de mesures contre des théologiens et exigences magistérielles, une déclaration qui fut même approuvée par d'autres conférences internationales de théologiens.
J'espère que l'Église catholique, tout comme les autres grandes religions, trouvera le chemin entre un modernisme sans fondement et un fondamentalisme sans modernité, sans autocritique, sans tolérance et sans disposition au dialogue, un chemin entre la permissivité et l'exclusivité, entre le manque de vigueur et l'agressivité. Je termine en citant le passage final de la déclaration de Cologne :
— L'Église est au service de Jésus Christ. Elle doit résister à la tentation permanente, de déformer son Évangile de justice, de miséricorde et de fidélité de Dieu, en réclamant pour son propre pouvoir des formes suspectes de domination. Le concile l'a comprise comme peuple de Dieu en marche et relation vivante des croyants (communio) ; elle n'est pas une ville assiégée qui érige ses bastions et les défend avec dureté à l'intérieur et à l'extérieur.
— En raison de notre témoignage commun, nous partageons avec les pasteurs différents soucis au sujet de l'Église dans notre monde d'aujourd'hui. Apporter son soutien aux Églises pauvres, aider les Églises riches à sortir de ses imbrications, et favoriser l'unité : voilà des buts que nous comprenons et pour lesquels nous voulons nous engager.
— Les théologiens, qui sont au service de l'Église, ont cependant le devoir de critiquer ouvertement l'Église, quand le gouvernement ecclésiastique abuse de son pouvoir, et qu'alors il se met en contradiction avec ses buts, menace les pas faits vers l'œcuménisme et restreint l'ouverture du concile.
— Le pape revendique sa fonction d'unité ; en conséquence, il a pour fonction de rassembler en cas de conflit, ce qu'il a fait de manière excessive dans le cas de Marcel Lefebvre et ses partisans, bien que celui-ci ait fondamentalement remis en cause le magistère. Mais il n'a pas pour fonction d'aviver des conflits d'importance secondaire, de les régler par des décisions magistérielles unilatérales et d'en faire l'objet d'exclusions. Quand le pape fait quelque chose qui ne relève pas de sa fonction, il ne peut exiger l'obéissance au nom de la catholicité. Il doit alors s'attendre à la contradiction.
(Traduit de l'allemand par Marie-Thérèse Guého.)