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Conférence de Charles Melman, prononcée à Manosque le 10 mai 2014.

Merci pour votre invitation, j'avais gardé le meilleur souvenir de ma précédente venue chez vous, dû bien sûr à l'université qui nous rassemble à l'initiative de Claude Rivet pas moins.

Je me disais que si nous étions aux Etats-Unis, il faudrait que je commence comme ça : «I love you » ! Et comme vous êtes, comme ils le sont là-bas, c’est bien connu, très gentils, vous lèveriez les bras, balanceriez et vous diriez : «We love you, too !», alors je serais rassuré évidemment.

Ceci, pour vous faire remarquer, partons de ceci : on comprend ça aux États-Unis,  on comprend que dans une assemblée qui est forcément rendue disparate par son hétérogénéité et qui concerne aussi bien son origine, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l'âge, l'éducation, la fortune etc, on conçoit que pour pouvoir  les rassembler autour d'un propos, pour que l'orateur puisse provisoirement constituer une sorte de famille car sinon il ne sera pas entendu, ce qu'il dira paraîtra injonctif mais nullement une adresse partagée, il faut créer artificiellement ce partage d'un trait commun qui en cette occurrence que je viens d'évoquer serait celui d'un amour, d'un trait d'amour qui, ne serait-ce que provisoirement, rassemblerait notre communauté et cela avec l'orateur lui-même.

Je pourrais évidemment très facilement disserter sur le fait que cet amour que je viens d'évoquer ainsi mis en place d'une façon inaugurale au cours d'une conférence aux États-Unis est un amour qui ne coûte pas cher.

Il ne coûte pas cher puisque comme vous le savez Obama pas plus que Madame Clinton n'ont réussi à faire passer une loi élémentaire sur la sécurité sociale. C'est donc un amour simplement comme ça, purement éphémère, transitoire, occasionnel.

Ce n'est pas tout à fait la même chose chez nous, mais je ne veux pas m'engager, développer ce point si ce n'est pour nous interroger sur ceci : comment se fait-il que nous ayons besoin à ce point les uns et les autres pour faire communauté, ne serait-ce que provisoire, d'un amour partagé, que nous puissions tous nous réclamer de ce même trait qui permet à une assemblée de se tenir.

Alors, il faut faire remarquer — c'est ce que vous savez, quoi que ce n'est pas trop dit —,  que tout ceci vient de notre expérience en général commune, de notre expérience commune de la vie familiale. La vie familiale présente cette particularité de proposer à chacun de ses membres un amour certes partagé mais, voilà bien le problème, inégalement réparti ; c'est bien embêtant. C'est bien embêtant et c'est bien là comme chacun sait que les ennuis commencent. Inégalement répartis et je dirais dans toutes les relations que les membres de cette famille peuvent avoir entre eux, et bien évidemment aussi bien dans la relation des enfants avec leurs parents, que dans la relation des enfants entre eux.

Il y a des collègues qui ont inventé le terme de « frèrocité », il est souvent comme nous le savons exact, et en plus nous savons ce qui va très vite venir s'inscrire comme étant ce contentieux entre, par exemple, toutes les différences qui peuvent venir supporter ce contentieux, les différences d'âge ou bien entendu les différences de sexe entre garçons et entre filles, et donc le fait que ce rassemblement, cette cellule jusque-là initiale, était même tellement initiale et tellement inégalitaire que nous sommes comme vous le savez en train de la mettre à mal, ça lui apprendra à celle-là. Donc le fait surprenant est que le même donc, pour justifier mon titre, le même donc, le frère ou la soeur etc, va être la source, là où on attendait l'amour, la source si facile d'une haine avec la dénonciation de l'usurpation, de l'usurpation opérée par ce partenaire imposé et qui cependant est tellement semblable.

C'est un fait dont l'empreinte va désormais, — c'est ce qui est encore le plus surprenant—,  marquer la relation, les relations de celui qu'on appelle l'adulte, dans la vie sociale. Autrement dit, il va projeter, c'est le cas le plus ordinaire, dans ses relations aussi bien à l'endroit de l'autorité, qu'à l'endroit de ceux qui sont ses collègues, il va projeter un certain nombre de tensions qui sont directement nourries, directement héritées de ce qui fut son expérience, son expérience familiale. Ceci pour développer ce qu'il en est de cette relation particulière que nous pouvons, à l'intérieur de la famille, avoir avec celui qui est identique à soi et qui introduit donc ce paradoxe, que là où serait attendu un respect voire une admiration réciproque, une collaboration après tout, c'est l'un des fantasmes des organisations des utopies sociales, la collaboration, la fraternité entre les membres etc, eh bien là où on pourrait légitimement attendre cet agrément du rapport à autrui et en tant qu'il est tellement semblable, nous rencontrons de façon inattendue et déplaisante pas seulement pour soi-même — pour soi-même c'est désagréable —, cette tension à l'endroit de celui qui est à votre image.

Je ne m'engage même pas évidemment à ce sujet avec ce qui se passe avec les jumeaux, bien sûr, qui présente des particularités tout à fait explicites à cet égard. Et puis il y a dans la famille cette autre dimension qui surgit et qui lui est tout à fait spécifique et qui va concerner bien entendu la position des filles, position particulière puisqu'on peut dire qu'elles se sentent inégalement traitées et injustement traitées, fort mal réparties dans cet amour distribué puisqu'elles ne seront pas les héritières de la lignée dont elles sont cependant issues. C'est une forme d'injustice qui est particulièrement remarquée, remarquable, active et que, alors que le garçon trouve son identité sexuelle par son inscription dans la lignée, eh bien la fille qui ne mérite pas moins, va devoir attendre d'être inscrite, par un époux, par un mari dans une autre lignée pour pouvoir être reconnue dans son identité sexuelle.

Il y a donc là, et la fameuse histoire relevée déjà au temps de Freud, la fameuse histoire du « penisneid », de l'envie de pénis, n'a pas d'autre support, que justement ce type de souffrance, inaugurée par une situation qui par ailleurs paraît normale, puisqu'elle concerne évidemment l'interdiction de l'inceste et cette loi de l'échange des femmes qui n'a pas attendu le mythe d’Œdipe pour être actif. Les populations primitives n'ont sûrement pas eu besoin de lire Oreste, Sophocle, qui vous voudrez, pour savoir ce que c'est que l'échange des femmes. Elles ne se consomment pas à l’intérieur de la famille. C'est bizarre !

Il est évident, il m'arrive, je le raconte souvent, de discuter avec des cognitivistes ou des comportementalistes et qui affirment fièrement qu'il n'y a pas de frontière tranchée entre l'homme et l'animal, qu'il y a une continuité. On n'a jamais vu une société animale aussi élaborée soit elle, certaines sont fort élaborées, pratiquer l’échange des femelles. Le jour où l'on verra ça, on sera drôlement angoissé, on sera drôlement inquiet de voir d'un seul coup les fourmis pratiquer l'échange des femelles.

Dans cette modalité exemplaire de l'injustice, cette modalité exemplaire de l'inégalité, mais qui introduit dans la relation au semblable une dimension tout à fait spécifique et que la prévalence dans notre fonctionnement social des lois de l'imaginaire escamote complètement, la dimension, celle de l'autre, de l’altérité : une fille celle qui va être la femme à la fois n'est pas semblable et n'est pas étrangère. Elle est de la famille et comme la  mère elle-même, elle partage une identité spécifique qui est celle de l'Autre et se caractérise par ce qu’elle n'est pas séparée par une frontière de l'espace organisé par les identiques à eux-mêmes, par les semblables, par les hommes, pas par une frontière. Au contraire il y a un échange permanent, il y a une sorte de continuité entre l'espace occupé par cet Autre, la femme, la future femme, et l’espace occupé par les bonshommes, avec une incidence clinique extraordinaire, que moi je trouve à chaque fois épatante, en tout cas qui continue à m'épater, c'est la revendication d'avoir un père assez fort pour que justement cette altérité soit résorbée, cette altérité qui est représentative à la fois des limites de la puissance du père puisqu'il ne peut pas englober tout le monde ; il ne peut pas donner à tous  l'insigne identique, l’insigne de virilité identique et donc ce père dont on attend tout se révèle lui même castré puisqu' il ne peut pas accorder ce qu'il donne aux uns, l'accorder de façon aussi généreuse voire aussi normale aux autres. D'où bien entendu une double manifestation, celle d'une part de l'exigence, de l'espoir d'un père qui serait assez fort pour que tous ses enfants soient réunis dans la même communauté, indépendamment bien entendu de leur sexe, qu'ils soient tous identiques, tous semblables, tous marqués du même trait dont l'expression spontanée la plus ordinaire est évidemment le trait de virilité, et en même temps, c'est là le paradoxe, le fait que ce père va être aimé, pour sa faiblesse. C’est là l'un des paradoxes de l’amour. On n'aime pas celui qui est fort, on le craint, on le jalouse, on le redoute, on s'en méfie, on se sent contraint. Mais on aime celui dont la faiblesse appelle justement qu'on vienne le reconstituer, qu'on vienne le garantir, qu'on vienne lui donner un statut par l’amour.

Je pourrais, si j'avais envie d'épiloguer, de développer ça, faire remarquer par exemple les différences de relations entre le Dieu des juifs et le Dieu chrétien par exemple. La dimension de l'amour n'est pas spécifique dans la religion juive. Il ne s'agit pas d’amour. Il s'agit de respect et d’obéissance. Il s'agit de lois. Et vous voyez tout de suite comment la relation au Dieu chrétien est une relation de type en tant qu'il se trouvera incarné, personnifié dans la figure de son fils, c'est une relation d'un type complètement, complètement différent.

La question va donc être la suivante. Cette Autre spécifique donc de la position féminine, est-ce-que je l'aime ? Poser la question sous cette forme c'est tout simplement évoquer les aléas ordinaires des relations de couple. Là aussi bien sûr je peux l'aimer pour sa faiblesse, mais elle-même peut vivre sa faiblesse, c'est bien connu, comme une injustice insupportable donc chercher à la compenser. Je peux moi-même d'ailleurs être angoissé par son altérité et donc attendre d'elle qu'elle se comporte de façon semblable à la mienne, c'est-à-dire en simulant, avec le simulacre de signe de virilité. En posant la question en ces termes tellement élémentaires, tellement simples, je crois que nous sommes en train d'aborder ce qui est le fond le plus ordinaire de la tragi-comédie propre à la vie conjugale. Tragi-comédie parce qu’il est bien évident que les acteurs ignorent quel est l'auteur du script qu'ils sont en train de dire. C'est chaque fois le même chez chacun.

Peut-être vous ai-je déjà à vous-même raconté ceci, c'est que quand on entend les voisins dans leur période de disputes conjugales qui est forcément périodique ça fait partie de l'ordinaire, pour ceux qui vont de l'autre côté de la cloison, — évidemment ça empêche d'écouter la télévision — mais ça paraît aussi à la fois un peu comique sauf que lorsque ce sont les voisins qui nous entendent nous-même, absolument avec le même script, et c'est ça qui est formidable. C'est que, quel est l'auteur, quel est l'auteur de cette pièce, quel est celui qui a écrit ces rôles que nous  n'avons pas besoin d'apprendre, on ne nous les a pas appris à l'école, pour être capable de les réciter. Ça vient tout seul! Tatatatatatata ….et celui qui les émet  se demande d'où ça lui vient. Il a la surprise de s'écouter comme ça, déballer son affaire.

Qui a écrit les pièces qui sont attribuées à Shakespeare ? On ne sait pas si Shakespeare a existé, on ne sait pas s'il y a eu un auteur, un groupe de copains qui, une espèce de cartel, ils ont écrit ça en cartel, ils se sont amusés à écrire ça, mais il est évident si ces pièces sont éternelles, elles existeront, elles seront toujours pour nous percutantes aussi longtemps que notre humanité restera à la surface de la terre. Parce que justement elles paraissent écrites directement par qui ? Par cette instance phallique qui nous rassemble et qui nous sépare à la fois et qui a cette propriété étrange de nous rassembler en nous séparant et en nous différenciant, et c'est pour quoi évidemment on n'en veut plus de cette instance phallique, et qu'on est en train de lui tordre l'instance, lui laisser l'instance dans la gorge.

Cette dimension de l'Autre, ce qui est sensationnel c'est que Freud l'ignorait. Pour Freud  — d'ailleurs les féministes ont parfaitement raison de s'insurger contre cette position sur ce sujet — pour Freud les femmes sont des hommes avec un zizi plus petit, voilà ! Elles ont le même zizi mais plus petit, elles doivent renoncer à avoir le même zizi que le garçon et elles ont un organe en plus, le vagin donc, et une femme est supposée être capable d'avoir procédé au déplacement de son érotisme depuis ce zizi sur cet organe spécifique, le vagin, c'est-à-dire que pour Freud, homme et femme font partie du même ensemble. Elles ne sont pas Autre par rapport aux bonshommes, ce sont simplement des semblables qui ont une configuration anatomique un peu différente à cet égard.  C'est le petit père Lacan qui a introduit cette dimension de l'altérité qui n'est pas sérieusement prise en compte, qui est même une dimension récusée parce que dans le plan de l'imaginaire nous nous représentons toujours comme constituant en quelque sorte un cercle, chacun de nous limité par une frontière avec l'environnement. C'est ainsi que de façon imaginaire nous nous représentons, c’est-à-dire dans une situation de type paranoïaque avec l'environnement et c'est cette représentation qui est à la source entre autres de disposition paranoïaque que nous pouvons avoir c'est-à-dire il y a nous et puis dehors il y a l'étranger, ce qui n'est pas nous. Il y a nous et pas nous.

La démarche philosophique de Platon était de faire que ce qui n'est pas le même devienne le même, devienne identique à nous, c'était ça la démarche de la science. Voilà, vous voyez qu'il suffit  à ce modèle d'opposer la différence des sexes pour voir tout de suite le problème que ça pose et justement la façon dont par exemple pour Freud ça s'est posé et dont ça se pose je dois dire dans certaines religions. Je ne veux pas développer ce thème mais il est certain que des religions à l’intérieur même du christianisme ou hors du christianisme ont à cet égard des dispositions différentes concernant la femme, concernant la féminité.

Reconnaître l'altérité, c'est du même coup reconnaître les limites de la puissance paternelle. Et reconnaître les limites de la puissance paternelle c'est aller contre la représentation idéale que forcément nous avons de Dieu. Il y a donc là une difficulté logique : comment Dieu Un, tout puissant, pourrait-il se manifester par une limite lui-même en quelque sorte se tenant pour assurer la faculté de reproduction qu'il encourage, se soutenant d'une limite ? Il y a là donc une contradiction qui fait que nous sommes vis-à-vis de la dimension de l'altérité dans une position de faible agrément si ce n'est de refus. Actuellement nous assistons, c'est purement actuel, les choses évolueront, nous assistons à l'éclosion des mouvements féministes. D'où les femmes tiennent-elles leur message? Les femmes qui animent les mouvements féministes, de qui tiennent-elles leur message, d'où ça leur vient ?

Elles seraient évidemment pas très contentes si elles m'entendaient dire que le message leur vient directement des bonshommes, des bonshommes dont je leur dirai qui ont toujours eu dans l'exercice de la sexualité cette difficulté, d'avoir affaire à justement ce qui vient présentifier la condition de l'exercice de leur sexualité, c'est-à-dire la castration, c'est-à-dire la dimension Autre et donc ce que l'ont pourrait appeler l'homosexualité fondamentale des bonshommes. Et donc que le message de ces gentilles dames insurgées contre leur sort accomplit là le voeu foncier des bonshommes.

Est-ce que j'aime l'altérité ? Est-ce que j'aime l'autre ? C'est pourtant cette dimension Autre qui témoigne à la fois de la perpétuation du désir et en même temps de la perpétuation de la vie. Je ne sais pas si on souligne parfaitement que les organisations réussies sont totalitaires. Le pouvoir de l'état par exemple est tel que tout le monde est identique, semblable, a le même uniforme, le même col Mao par exemple, les mêmes tâches, les mêmes responsabilités. Eh bien il est surprenant qu'il n'ait pas encore été remarqué que les organisations socialement réussies c'est-à-dire totalitaires sont toujours vectrices de la mort. Pas seulement pour celui qui n'appartient pas à cette organisation totalitaire c'est-à-dire pour celui qui hors frontière apparaît immanquablement comme l'étranger, et donc comme l'ennemi, mais pour les membres eux-mêmes de l’organisation. D’abord entre eux parce que entre eux il va immanquablement se produire qu'il y en aura forcément certains qui voudront être un tout petit peu différents, un tout petit peu, rien du tout, une petite nuance lexicale, grammaticale, un petit concept, légèrement différent ou interprété de façon un tout petit peu diverse… Allez hop, le poteau d'exécution.

Il est donc tout à fait étrange que d'un point de vue socio-clinique, disons, il n'ait pas encore été remarqué qu'une organisation sociale réussie c'est-à-dire parfaitement égalitaire, — tous le même signe immédiatement identifiable — que cette organisation totalitaire, immanquablement non seulement est porteuse de mort pour l'environnement mais pour elle même, pour elle-même ! C'est ça qui est formidable. Elle ne va pas manquer de périr, elle, ça paraît farfelu, pour des raisons de structure tout simplement parce qu’elle a aboli la dimension qu'est le support de la vie, le support aussi de l'amour, l'amour de la faiblesse et puis la perpétuation de la vie.

Alors vous voyez dans une organisation totalitaire, celui qui oserait paraître comme un peu différent, apparaît aussitôt comme étranger et donc ennemi. Il n'appartient pas au groupe et dans la mesure où il n'appartient pas au groupe, il ne mérite pas de vivre. Je m'amuse à vous raconter tout ça, ça n'a pas l'air de vous amuser tellement. Mais moi personnellement  j'ai sur vous le privilège de l'âge c'est-à-dire que j’ai pu directement connaître ce genre de phénomènes, de situations etc… mais ça m'amuse parce qu’il faudra un jour que nous fassions, peut-être à l'École Pratique, une histoire vraie du mouvement psychanalytique. Vous verrez comment tout ce que je suis en train de vous raconter a nourri le mouvement psychanalytique. Le mouvement psychanalytique a exactement subi ce genre de loi que je suis en train d'évoquer, y compris bien entendu avec l'exclusion radicale, c'est-à-dire l'écartement du groupe de qui ne pensait pas selon une pensée, selon des formulations dites orthodoxes et qui dès lors faisait de lui quelqu'un qui ne pouvait plus mériter d'appartenir à la communauté. Il n'y en a qu’un qui a toujours refusé les exclusions, un seul, c'était le petit père Lacan, jamais. Il a laissé des gens s'écarter de lui, d’ailleurs, il n'avait pas le choix mais en tout cas, jamais et  y compris à l'endroit de certains qui pouvaient être particulièrement désagréables, insultants, offensants etc… vis-à-vis de lui, dans la presse ou ailleurs, jamais il n'a prononcé la moindre, la moindre exclusion.

Vous voyez comment se met en place la dimension, importante dans la vie des groupes, la dimension de l’étranger. L’étranger, sa seule présence au delà de la frontière d’un groupe totalitaire, justement n'est plus éventuellement porteur des femmes qui pourront être échangées c'est-à-dire dès lors que la dimension de l'altérité est supprimée entre un groupe national et l'autre, eh bien l'étranger devient forcément la figure qui par son existence même étant le démenti apporté à la totalité de celui dont on se réclame, au pouvoir total de celui dont on se réclame, est une insulte à ce pouvoir total. Il ne mérite donc pas d'exister puisque par sa seule présence, par son accent, par sa religion par ses odeurs, par ce que vous voudrez, il constitue une offense au père, au pouvoir total dont soi-même dans ce cas-là, dans le cas d'une abolition de la dimension de l'altérité, on se réclame.

C'est ce qui fait évidemment que, ce qu'il faut bien appeler par son nom, la xénophobie, est inscrite dans chacun d'entre nous, qu'il le veuille, que ça lui plaise ou que ça lui plaise pas. Dans le meilleur des cas, il l'analyse, il y réfléchit ; dans d'autres cas il se contente spontanément, car il y a ce qui se produit spontanément. Nous ne faisons pas suffisamment attention, les uns et les autres, à ce qui spontanément nous vient à l'esprit, parce que nous le corrigeons par des vues idéales de nous-mêmes. Mais faites attention à ce qui spontanément vous vient à l'esprit et que vous allez éventuellement écarter, effacer.  Dans  son analyse de l'homme aux rats, Freud a tout un chapitre sur la métaphysique de l’inconscient. Il dit que l’inconscient c’est le lieu du mauvais, de ce qu'il y a de plus abominable. C'est horrible l'inconscient, ce qui est normal puisque c'est ce que nous refoulons, alors je ne vois pas pourquoi il y aurait dans l'inconscient autre chose que ce qu'une vue morale et respectable de nous-mêmes nous amène à refouler.

Eh bien faites attention justement à ce qui spontanément comme ça, vous voyez, voilà que  dans la rue, il y a du verglas : un passant se casse la figure. Qu'est-ce-que ça vous fait ? Vous allez évidemment vous approcher, tacher de l'aider à se relever mais dans votre pensée immédiate, n'est-ce pas drôle ? C'est le cas de le dire !

Bon, le point donc où nous en sommes aujourd'hui c'est d'abord pour vous montrer la difficulté de cette exigence qui est attendue de nous et aussi bien pour nous-mêmes, cette exigence d'amour pour autrui et aussi bien pour soi-même car il y a quand même quelque chose de plus fréquent que le narcissisme, c'est la haine de soi, la haine de ses insuffisances et justement de ce mauvais qui est là comme ça. C’est très embêtant la haine de soi, c'est ce que Freud avait appelé de ce nom que vous connaissez et que ses élèves ont été scandalisés de devoir reprendre, Thanatos, la pulsion de mort. Il y en a marre d'être aussi moche. Ça a des conséquences sociales qui peuvent être désagréables mais ce n'est pas mon propos. Moi, je ne suis pas venu ici jouer au prophète de quoi que ce soit, mais en tout cas on peut en prendre quand même, en apprécier la dimension dans notre traitement dans ce qu'on appelle la nature, ce qui entretient notre vie. Quoi qu'il en soit ce à quoi nous assistons les uns et les autres c'est évidemment au démantèlement de cette institution que j'ai rappelé,  dont j'ai rappelé au départ l’économie, c'est-à-dire l'économie c'est l'institution familiale, avec cette injustice dans la répartition des bienfaits, dans la répartition de l'héritage. Moi j'adore toujours les querelles d'héritage. Entre les héritiers, je trouve ça fantastique, chacun qui veut réparer, n'est-ce-pas, avoir quand même la part qui aurait dû lui revenir. La part de quoi ? Est-ce que vraiment cette soupière, il en avait tellement la nécessité ?

Claude Rivet : « C'est la soupe d'hier ! »

Charles Melman : Oui, mais donc nous assistons à son démantèlement. Nous assistons à la forclusion de l'instance phallique.

Dans un très joli billet que j'ai fait pour le site de l'Association Lacanienne, et que je vous invite à lire si vous ne l'avez pas fait. C’est un très joli billet, il est très bien, j'en suis très content et qui doit s'appeler Pathos-logique de l'égalité, je fais remarquer que la parité, c'est devenu aujourd'hui … c'est ce qui est fantastique, quand vous voyez que sur les panneaux électoraux il faut le même nombre d'hommes que de femmes, vous vous posez la question suivante : est-ce que ça va changer quelque chose à l'exercice politique ? Car c'est quand même cela qui est en cause ? Est-ce que ça va modifier notre rapport à la vie politique et les comportements des dirigeants politiques ?

Est-ce que mettre une femme au pouvoir, est-ce que ça modifie le pouvoir lui-même et son exercice ? Ce n'est pas la question il faut la parité d'accord,  mais la parité veut dire distribuer le même insigne aux hommes et aux femmes, c'est ça la parité. Si elle corrige l'inégalité des salaires dans le milieu professionnel, tant mieux, bravo, enfin ! Là, vraiment c'était nécessaire ! Car c'était scandaleux qu'on se serve, je dirais d'une pseudo inégalité dont on ne sait quoi pour exploiter davantage la femme. Mais si ça doit servir à ce que je viens de dire, la parité c'est-à-dire à ce comique d'une répartition égale du même insigne, à chacun la même médaille ! Et oui et alors qu'est-ce que ça donne ?

Mais maintenant il y a la question du genre qui elle, est une question complètement différente puisque dans le genre il ne s'agit plus de distribuer, vous savez ce qu'est la question du genre ? Chacun peut à sa guise et à son gré tantôt accepter le rôle féminin, tantôt le rôle masculin soit en permanence, soit de façon aléatoire et ça n'a pas d'autre importance. Bon, ce qui veut dire qu'avec la théorie du genre, il n'y a plus de trait du tout. Là où on distribuait le trait, un même trait à chacun, avec la théorie du genre il n'y a plus que l'apparence, c'est un rôle avec cette prévalence aujourd'hui accordée au virtuel.

Claude Rivet dans la voiture en venant m'évoquait les jeux vidéos et l'importance que cela avait aujourd'hui pour les jeunes et la limite pour eux de ce passage entre le virtuel et le Réel par exemple. On ne sait plus toujours ce qui fait encore que notre réel ne soit pas du virtuel ?

Avec la théorie du genre, l'égalité est réalisée par le fait qu'il n'y a plus de trait distinctif, il n'y a plus que des rôles, des costumes. Je porte un costume d'homme et si cela ne me plait pas je porte un costume de dame et puis c'est tout et puis point barre.

Donc je dirai cette façon de régler le problème qui nous tourmente, ce problème de l'inégalité et ce problème de la castration, avec ce fait que les jeunes ont trouvé le moyen de résoudre ce fait de ne plus devoir leur identité par référence à une autorité supérieure mais par la constitution de groupes, de bandes fondées sur le principe justement d'une égalité entre les garçons et les filles. De bandes homogènes où chacun supporte son identité de l'image de la participation au groupe et de l'image de celle d'autrui et on va dire eh bien voilà au fond c'est comme si justement un même amour était partagé par chacun des membres de ce groupe, un amour égal ; ils avaient résolu l'impasse, ils avaient résolu la difficulté, ça n'empêche pas d'ailleurs les relations sexuelles à l'intérieur de ce groupe. Mais vous remarquerez à ce propos quelque chose de frappant et de gênant c'est qu'il ne faut pas qu'une fille du groupe aille avec un garçon d'un autre groupe. Ça peut être considéré comme un « casus belli », comme une intrusion insupportable. Et puisqu'il y en a parmi vous qui viennent de Grenoble, ce qui s'est passé à Grenoble, si je me souviens bien c'était Échirolles et Villeneuve, les deux quartiers sont face à face donc avec une avenue qui fait frontière. Vous voyez le thème de la frontière. De chaque côté de la frontière deux groupes qui se distinguent simplement du fait d'être de part et d'autre, et quelle est la différence de langue,  de religion,  de race ? Rien ! Ils sont simplement de part et d'autre d'une même avenue et il va y avoir des morts. Ce n'est pas extraordinaire ça ?

Vous voyez comment le problème de la bande qui est très important aujourd'hui dans l'économie des jeunes, souvent, et qui réussit cette répartition égale d'un trait d'amour entre les membres de cette bande, et qui dépasse la différence des sexes et qui donne à chacun la force de son appartenance à une bande à un groupe. Eh bien elle n'a pas trouvé la solution du problème.

Alors ma question sera la suivante. Comment se fait-il que tout ce savoir dont je suis en train de vous faire état et qui est un savoir public, moi  je ne fais que le ranimer, je ne l’invente pas, c’est un savoir qui est là. Comment ce savoir qui n’est pas sans conséquence reste-t-il à ce point méconnu ou refusé ? Comment n’a-t-il pas fait, l’émergence de ce savoir, événement dans notre nos organisations. Autrement dit pourquoi n’en veut-on pas de ce savoir. En 1925, Freud se sert d’un ouvrage d’un français, Gustave Lebon, qui a écrit sur la psychologie des foules. Vous savez quel était le tirage de ce livre la psychologie des foules, il l’a tiré en combien d’exemplaires ? L’interprétation des rêves avait été vendu à 632 exemplaires, à combien a été tiré la psychologie des foules ? Dites un chiffre ?

Claude Rivet - 6 000 ? 

Salle – 300 ?

- 300 exemplaires ? 500 000, 500 000 exemplaires. Mussolini sur sa table de chevet avait lu le livre de Gustave Lebon. Où il démontre quoi ? Premièrement que les foules ont besoin d’un leader, d’un leader qui puisse leur paraître homogène au groupe. Et qu’à partir de cette organisation autour d’un leader, ce groupe dès lors partage la force intégrale, totale de ce leader, c’est-à-dire que la foule ne se connaît plus de limites dans l’exercice de ses actions et de ses exactions. C’est à partir de l’ouvrage de Gustave Lebon que Freud a écrit « Psychologie collective et analyse du moi ». Il a fait pire, il a fait pire, il a écrit « L’homme Moïse, roman historique ». Il a été traduit, « L’homme Moïse et le monothéisme », cela se vend mieux comme cela. « L’homme Moïse roman historique », pour montrer quoi ? Que Moïse avait été un égyptien, autrement dit que la position du chef était extérieure au groupe, il n’appartenait pas au groupe, il n’était pas un membre du groupe. Parce que Freud ne pouvait pas dire qu’il était 0-1, qu’il était l’ex-time le plus intime, puisque topologiquement, voilà brusquement le surgissement d’une géométrie un peu spéciale, voilà que topologiquement il était Autre, pas étranger, Freud ne pouvait pas dire autrement que étranger, il ne pouvait pas penser la dimension de l’altérité. Avec ce savoir-là Freud a terminé son ouvrage Moïse et le monothéisme en 1935, il n’a pas osé le publier, car il s’est dit « je ne peux pas faire cela, je ne peux pas faire cela au peuple juif  que d’aller dire que leur ancêtre était un égyptien. Il est déjà suffisamment mal en point pour que je n’aille pas y ajouter cette affaire ». Il l’a publié in extremis quelques mois avant sa mort en 1939. Quel effet ? Zéro ! Qu’il l’ait publié ou pas tout le monde s’en fout ! Tellement l’organisation, la structure organisatrice de ces passions est forte ! Il y a ce refus de faire événement d’un savoir. Aujourd’hui la question du genre, elle est toute récente, elle a combien ? Elle a vingt ans, on veut l’enseigner dans les écoles. Et quand enseignera-t-on dans les écoles ce que je suis en train de vous raconter ? C’est pourtant un savoir éminemment, ce n’est pas un savoir de fantaisie, ni d’utopie, c’est un savoir clinique pour savoir comment cela se passe pour chacun d’entre nous.

Donc les passions sont là, et les passions sont toujours vivantes, toujours actives. Alors nous tentons, il va y avoir le 25 juin une journée que nous organisons justement « Freud et l’Europe », parce que Freud c’était un européen, c’était un pote d’un nommé Romain Rolland, je ne sais pas si on sait encore qui était Romain Rolland, qui était un français germanophile, qui oeuvrait pour la réconciliation franco-allemande, qui a écrit une très belle suite de livres qui s’appelait Jean-Christophe, qui a écrit aussi beaucoup sur Beethoven, il y a donc une collaboration entre Freud et Romain Rolland. Nous organisons une journée là dessus avec les gens de la société civile comme on dit. Mais est-ce que tout cela est passé dans la presse, dans l’esprit commun. Oui on sait comment cela se passe, cela ne se produit pas n’importe comment on le sait. À partir du moment où on sait, est-ce qu’on est obligé de céder à des forces comme si on les ignorait ? Donc on va faire un exercice, je dirais un exercice pour la gloire. On verra si ça peut avoir des suites. Vous voyons de quelle manière dans ce dispositif, le privé, il n’y a pas un clivage entre le privé et le public, il y a une intersection, et cette intersection est marquée par une instance, que en tant qu’analystes nous appelons l’instance phallique, pour témoigner qu’elle n’est pas structurellement attachée au nom de Père, que le nom de Père, lui a été attachée par un accident de l’histoire qui s’est appelé la constitution des religions, mais que donc en tout cas là, nous avons de quoi faire que cela puisse être autrement. C’est drôle quand même.

Alors est-ce que j’aime le même ? La réponse est non

Est-ce que j’aime l’autre ? La réponse est… c’est pas évident hein …

Est-ce que j’aime le différent ? Alors là pas du tout , pas du tout

Donc vous voyez la question qu’est-ce que j’aime ? Eh bien j’attends vos réponses. Merci pour votre attention.

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