Franck Noël : Accueil des réfugiés à Reims, adjoint au maire de la Ville de Reims
... Parce qu’accueillir les réfugiés, c’est bien, mais ce qu’il faut surtout c’est les accompagner. Si on les installe dans un logement ainsi, ce n’est pas suffisant. On met certes un toit sur leur tête, mais c’est de loin le plus facile à faire. Le plus difficile reste : c’est l’accompagnement social. Pour cela, l’État, dans tous les Départements, s’est reposé sur les associations : la Croix Rouge - à Reims, c’est l’Armée du Salut qui a rempli cette fonction - et l’Armée du Salut en lien avec les Services de la ville. En particulier le CCAS qui a équipé ces différents logements, grâce à Emmaüs pour tout ce qui concerne le mobilier. Il a fallu quand même acheter… Je vous ai dit qu’il y avait un petit budget qui avait été alloué par l’Etat, donc il y a quand même eu des achats : la literie, le frigo, enfin des choses essentielles. La quinzaine de logements n’a pas été équipée du jour au lendemain. C’est une aventure qui a commencé en octobre et qui se poursuit. C’est effectivement le 8 octobre qu’on a accueilli la première famille. Il y a quinze jours, on a accueilli la « dernière » famille, entre guillemets parce qu’on a attribué le dernier appartement mais l’histoire ne dit pas que cela va s’arrêter là.
L’accueil avec l’ensemble des associations, et puis, je peux en parler tout de suite, le voisin de cette première famille par exemple, quelques semaines plus tard, qui est allé aider le père de famille à monter une armoire qu’ils avaient achetée. Enfin, il faut aussi peser le pour et le contre, il y a eu des gestes d’incivilité, des gestes de rejet, des gestes de mécontentement de la population, à savoir, qu’on accueille des réfugiés. Mais une fois qu’ils ont été là, on a aussi vu des gestes de générosité, d’entre-aide. Donc voilà, c’est un peu le paradoxe de cette affaire
Au niveau des difficultés rencontrées, parce que comme je vous le disais, il ne s’agissait pas simplement de mettre un toit sur la tête d’une famille, même si c’est très important, par rapport aux semaines et aux mois qu’ils ont pu vivre en quittant leur pays. L’intérêt était bien évidemment d’avoir l’accompagnement social, et puis à terme, bien évidemment, de rendre ces réfugiés complètement autonomes, de façon qu’ils aient une vie, entre guillemets, « normale », une vie de famille « normale »....
Corinne Tyszler : Poétique de l'identité à l'adolescence
... Que nous disent les adolescents ?
« J’ai des problèmes d’orientation », nous disent-ils. C’est bien souvent la façon dont ils se présentent, exprimant leur difficulté de choisir un type d’études ou de formations après le bac. Et pour certains d’entre eux le « problème d’orientation » recouvre aussi bien leur orientation sexuelle.
- Sur le plan professionnel les adolescents sont souvent sommés de trouver non pas ce à quoi ils seraient identifiés, mais ce pour quoi « ils seraient faits ». Je serai, tu seras… Le choix se voit être souvent ramené à être, et non pas à l’intérêt qui y est porté, à ce qui vient à cet endroit les animer. Par ailleurs, il faut bien dire que dans le social les adolescents lisent un impératif de réussite : dès le début du collège, quand ce n’est pas avant, il est demandé aux élèves d’avoir un « projet professionnel » ; pas de place pour le trébuchement, pour un brouillon, et s’ils viennent à se tromper il n’est pas aisé dans le système français actuel de rebondir. Bien souvent aussi, la réussite est conjuguée du côté de celle d’une place reconnue socialement, et non du côté où l’adolescent reconnaît son désir.
Par ailleurs, et ceci est un point plutôt dramatique, comment choisir quand l’avenir est pour les jeunes bien sombre, voire forclos ? D’un côté, les adolescents sont sommés de s’orienter professionnellement : et ensuite, « Bac +5 chômeur », comme j’ai pu l’entendre plusieurs fois.
Voilà du côté du discours social. Face à cela, les ados vont faire front, vont faire bloc, et ils ne pourront, la plupart du temps, s’identifier à un trait de désir : nous connaissons tous la façon dont les ados font groupe, c’est ce qu’on appelle aussi identité grégaire, autour d’une opinion, d’une marque vestimentaire, de l’alcool…
- « J’ai des problèmes d’orientation », c’est aussi le vaste domaine de la question sexuelle, auquel ont affaire les adolescentes et les adolescents. A l’identité d’homme ou de femme, qui pour chacun est toujours en devenir, à quel type d’objet amoureux s’identifient-ils, ou quel objet identifient-ils ?
Force est de constater qu’aujourd’hui de nombreuses possibilités ou d’occurrences se disent : « Je suis bi » est par exemple une affirmation qu’énoncent certains adolescents, qui peut dans un grand nombre de cas témoigner de leur vacillation, leur hésitation à entrer dans un monde normé, mais aussi à s’identifier à un trait du sexuel. Ajoutons aussi que les adolescents ont affaire à côté de l’impératif de réussite scolaire ou professionnelle à celui de la réussite sexuelle. J’ai pu rencontrer ainsi de nombreuses toute jeunes filles exigeant d’elles-mêmes une réussite immédiate dans leur jouissance sexuelle : là encore aucun temps de brouillon, de construction…
L’hypothèse que je voudrais soumettre est que devant ce dictat de jouissance, les adolescents répondent de façon diverse :
- Tout est possible : « Je suis bi », « Je peux désirer aussi bien quelqu’un du même sexe ou du sexe opposé ». Généralement cela est dit sans angoisse. Est-ce un refus de s’identifier, cela permet-il de créer une sorte de temps de latence ?
- L’angoisse d’être homosexuel(le) est souvent rencontrée : c’est un temps de vacillement douloureux devant l’inconnue de ce qu’implique le désir sexuel.
Avec ces adolescents, il est nécessaire d’accueillir leur question, ou leur apparente affirmation sans nécessité de réponse de part et d’autre. C’est ce que nous nommons en général par le terme d’adresse : l’ado doit pouvoir s’adresser à quelqu’un pour être entendu, mais aussi pour faire une demande à quelqu’un et non une demande de quelque chose...
Louis Sciarra : L'identité un malentendu inéluctable ?
...Tout cela me permet de tirer quelques conclusions. D'une part, souligner que l'identité n'est pas un concept psychanalytique, on travaille plutôt les questions des identifications. Je voudrais signaler deux textes qui ont servi d’appui à mon propos : celui de M. Melman, "Les quatre composantes de l'identité" et aussi le livre de S.Thibierge qui s'appelle Clinique de l'identité et qu'il faut absolument lire. L'identité n'est pas une entité une, c'est une entité composite et qui a un double caractère à la fois figé et dynamique. Il n'y a pas d'identité Une, pas plus qu'il n'y a de sujet Un. Elle relève au cas par cas d’un fait de langage qui échappe fondamentalement au sujet parlant, quand bien même il va s'imaginer construire son quant à soi, se persuader que son identité est bien la sienne. Cette question de l'identité est toujours bancale, elle n'est jamais totalement assurée, même s'il faut ce trait unaire qui est un trait en creux, il n'est pas un trait positivé, sur lequel il faut s'appuyer pour qu'il y ait un minimum d'assise symbolique, pour qu'il y ait du un. C'est à la fois une nécessité incontournable et un incontournable casse-tête qui rendent compte de la façon dont chaque individu est mis au travail de son inconscient (tout en rappelant que l'inconscient est fait de plusieurs langues, n’en déplaise aux partisans de la langue unique et pure). La question de l'identité a ses incidences sur le plan collectif. Nous en avons un retentissement manifeste dans la clinique contemporaine qui est comme toute clinique influencée par les discours sociaux ambiants. Dans mon livre Banlieues, j’ai pris soin de rendre compte des effets délétères du « discours du capitaliste » sur les subjectivités individuelles, mais aussi de la logique de la ségrégation qu’il engendre. Cette dernière tend à exacerber les dynamiques paranoïaques et les aspirations passionnelles identitaires, autrement dit le déni de l’altérité qui caractérise l’assisse subjective de tout individu. Il n’est donc pas si étonnant que les questions identitaires alimentent les débats sociétaux et politiques, qu’elles exacerbent l’intolérance, le racisme, la haine de tout ce qui ne serait pas considéré comme soi, comme le terreau de son identité. Je pense que le néolibéralisme, la question du démocratisme, les progrès des techno-sciences contribuent d’une manière ou d’une autre à mettre en avant et même à favoriser une logique de la ségrégation. Cette dernière nous expose à des retours de bâton : à force de courir après le Un de l’identité, à force de vouloir attraper cette chimère, on s’expose à trop de complétude, celle à laquelle aspire le « discours du capitaliste », ce qui provoque en inévitablement des effets de décomplétude, à savoir des fragmentations à l'infini et une démultiplication des communautarismes extrêmes, de ceux qui prônent l’identité...
Charles Melman : Est-ce que je fais partie du club des supporters du paris-St Germain ou de l'OM ?
...C'est donc chez chacun d’entre nous ce qu’il faut appeler son point de folie. Pourquoi de folie ? Mais parce que cette identité dont se réclament les diverses communautés, il est démontré depuis longtemps par les historiens qu’elle est purement imaginaire. Ce n’est pas ici à Reims que je vais commencer à épiloguer sur notre identité nationale, sur notre identité française, et la manière dont les Celtes qui peuplaient le territoire ont eu à supporter une invasion saxonne. Ce n’est pas la peine de le faire ici tout de même ! Et pour quelques peuples que vous considériez, cette identité elle est toujours purement fantasmée, elle est toujours mythique ! Et c’est là-dessus qu’il se trouve que cet auteur dont un certain nombre d’entre nous se réclame, c’est-à-dire Freud, a écrit un bouquin dont personne ne veut tenir compte ! On rend plus ou moins hommage à Freud ou on le critique, selon ses goûts, mais il a écrit sur la question un bouquin irrecevable, et il a été non reçu et il l’est toujours, et qui raconte quoi ? L’homme Moïse : roman historique. Pour démontrer ceci, c’est que Moïse était un Egyptien. Les arguments que donne Freud valent ce qu’ils valent, en général ils sont reconnus comme historiquement faux. Le seul argument je dirais qui tienne historiquement, c’est que son nom est égyptien. Il n’est pas hébreu ! Son nom est égyptien. Et comme on le sait, il épousera lui-même non pas une hébreux mais une madianite.
Qu’est-ce que Freud là a perçu de façon formidable ? C’est que cet ancêtre dont se réclame la passion identitaire, cet ancêtre est toujours pour le peuple considéré autre. Pas étranger ! L’étranger c’est le Pharaon. Mais autre, autre que lui. Et c’est vrai après tout que Dieu, sauf si je suis un abominable gnostique, Dieu me reste non pas étranger, puisque je m’en réclame, mais en tout cas autre. Je ne peux jamais parfaitement le connaître, ni après tout avoir parfaitement perçu ses intentions, ses volontés et les accomplir ...