Comme écran de projection du désir ou comme celui noir de son cache, à votre guise
La querelle sur la légitimité du port du voile dans les espaces publics semble omettre fâcheusement, pour la qualité du débat et la validité de sa conclusion, le statut de la représentation dans la tradition occidentale.
Depuis la Grèce en effet le voile, dans sa disposition plissée et surtout drapée, a pour fonction de couvrir pour mieux la révéler et la célébrer la beauté du corps féminin.
Dans cette culture pourtant explicitement homosexuelle, l’usage du voile comme écran de projection de la beauté en tant que cause du désir est celui de ce corps-là.
L’écran nourrit alors l’optimisme d’un champ de représentations qui sont admises du fait de susciter le désir dont celui de savoir, de connaître afin de mieux les posséder pour en jouir.
Une telle disposition ne peut être sans susciter une vocation pour la science et aussi, contradictoirement, le développement de l’esprit d’insoumission, puisque la science, et quel que soit son progrès, rate toujours la saisie du corps du désir, est donc un effort toujours à remettre, contrairement à la religion qui a pour limite ultime la Révélation.
On peut néanmoins rendre hommage à l’iconographie chrétienne d’avoir reçu l’héritage métaphysique grec et poursuivi la représentation du voile et des étoffes comme un art susceptible maintenant de celer mais aussi bien d’annoncer Dieu, quoique dans l’angoisse des effets de sa figuration, cf. le débat entre iconoclastes et iconodules.
La peinture flamande illustre de façon éclatante la beauté ainsi acquise par le support même de la représentation, en faisant du linge, du textile œuvré par la main, bien repassé, filé en dentelle, la condition de l’exposition des merveilles du corps, de la nature et de l’artisanat.
Rappelons l’exploit d’un célèbre psychiatre français du dernier siècle, de Clérambault, celui que Lacan reconnaissait comme son seul maître, qui a laissé plus de 20000 photographies de drapés, happé par la figuration d’un mystère caché dans leurs plis et dès lors dépliable.
Les femmes voilées, photographiées à cette occasion, celle du colonialisme, sont musulmanes. Avant donc que l’intégrisme religieux ne les contraigne à disparaître de l’espace public derrière un cache noir.
Cette élimination réserve donc cet espace aux représentants de la virilité, aux mecs, mais comme s’ils avaient renoncé à tout désir personnel, puisque en est caché ce qui pourrait le provoquer à l’exception du désir collectif d’avoir à satisfaire le regard de Dieu et par ce sacrifice même : ils sont devenus gardiens armés à l’occasion de la foi.
Certes cette répartition entre lieu domestique privatisé où réside la femme et espace public réservé aux hommes semble avoir été longtemps et généralement la règle.
Il aura fallu les guerres internationales pour, les hommes au front, mettre les femmes à la charrue et à l’usine. Aujourd’hui, c’est le développement du marché qui les appelle au bureau.
Mais on conçoit qu’une société dont l’économie est restée agricole ou devenue rentière veille sur les modalités d’exercice d’un pouvoir, qui à cause de l’émancipation des femmes lui échapperait par la liberté ainsi publiquement reconnue au désir.
Le pluralisme des origines et des croyances propre aux démocraties est certes compatible avec le port du voile. Il se trouve cependant que l’actualité lui donne le sens d’une provocation belliqueuse dans le contexte d’un expansionnisme de l’Islam, renouvelé à l’occasion de la démobilisation idéologique de l’Occident.
Cette provocation pourrait être tenue pour négligeable n’était la réponse nationaliste de peuples hôtes menacés en retour dans leur mode de vie et de pensée. Elle fait avant tout partie d’une stratégie voulue pour provoquer une nouvelle guerre des religions estimée en faveur de ceux dont les acteurs, déjà à l’œuvre ou encore dormant, sont partout en place, disséminés et donnés gagnant à cause de leur jouissance à mourir pour leur foi.
C’est donc le pragmatisme politique plus qu’un jugement de valeur qui aurait à décider de l’opportunité du port du voile dans les espaces publics. Mais on conçoit que dans les Universités puisse prévaloir une délibération éthique puisqu’il impose le voilement du savoir que le courage de lignées de citoyens et de chercheurs est parvenu à dévoiler.
Charles Melman
4 mai 2016