Séminaire de Jean-Jacques Tyszler : Les névroses postfreudiennes

ALI, 19 novembre 2016

 

Je ne peux pas faire que des remerciements mais je suis sensible au fait, comme vous le savez, qu’il y ait des responsables d’Unité en Psychiatrie parce que un des drames de la psychanalyse aujourd’hui est qu’elle perd peu à peu le fil de son lien de substance avec la médecine et la psychiatrie. Si cette difficulté s’accélère, il est probable que la psychanalyse à l’état pur, toute seule, ne résistera pas à l’air du temps. C’est vrai que j’ai toujours tenu à ce que l’on puisse dans les lieux institutionnels poursuivre les mêmes travaux, c’est-à-dire ne pas faire des travaux que nous faisons dans nos locaux internes trop hermétiques de telle manière que ces mêmes travaux puissent se débattre et se poursuivre dans les lieux de Santé tout simplement. Cela me paraît un enjeu et donc je suis sensible à la présence de mes collègues qui ont des responsabilités institutionnelles parce que ça garantit pour moi que ce lien puisse encore continuer. Mais le monde a changé, même la présentation que nous tenons avec Pierre-Henri Castel à Ville-Evrard, l’ambiance n’est pas la même, nous continuons dans une ambiance où la bienveillance à l’égard de ce genre de travail n’est plus la même.

 

J’avais pris pour titre un peu provocateur « Névroses de transfert donc Névroses freudiennes et Névroses a » qui me paraissait un titre lacanien intéressant, qu’il fallait justifier bien sûr, mais certains de mes proches m’ont signifié qu’il était dommage de réserver cette clinique à des lacaniens convaincus. Donc j’ai pris transitoirement, même si je reconnais que c’est une appellation qui mérite d’être reprise, le titre de « Névroses postfreudiennes ».

 

L’année dernière, j’avais interrogé notre classique névrose obsessionnelle. Attention, ce qu’on appelle classiquement névrose obsessionnelle c’est L’homme aux rats, ce n’est pas L’homme aux loups. Il faut faire attention dans nos références. [...] J’avais cette question : les manifestations obsessionnelles, ce que certains appellent des troubles, sont-elles encore des symptômes avec leur savoir insu et leur matrice faite de haine refoulée et de dette coupable en retour ? C’est ça la definition résumée de ce que Freud appelait névrose obsessionnelle. Sur ce terrain d’interrogation, je ne suis pas tout seul, ce n’est pas un travail isolé. Pierre-Henri Castel a écrit un très bel ouvrage, très clinique sur un cas de cure qui s’appelle Le cas Paramord, aux éditions Ithaques, où il pose à sa façon les mêmes questions. C’est-à-dire sous la phénoménologie apparemment des mêmes troubles a-t-on affaire au même genre de structure clinique aujourd’hui? Sous l’obsession apparente, a-t-on affaire aux structures dont Freud parle ? Nous avons aujourd’hui davantage affaire à des contraintes par le corps et l’image, j’y reviendrai.

 

Autre versant de la question : nous glissons peu à peu, semble-t-il, de la Loi du Père à des contraintes de l’immédiat. Victoires ou défaites sur les performances de notre présent. Louis Sciara vient de sortir un livre qui s’appelle Retour sur la fonction paternelle où il se pose précisément cette question : qu’a-t-on à faire aujourd’hui de ladite Loi du Père ? Et donc il profite de cette publication pour en plus avoir préparé des Journées sur la question des invariants en psychanalyse. Est-ce que la fonction Père, par exemple, est un invariant absolu ? Il y aurait des invariants quels que soient les époques, les siècles, les climats, les pays, peu importe. C’est ce grand thème que posent le livre et les Journées.

Il y a l’accentuation que fait Lacan dont on ne prend pas bien la mesure quand il va passer du Nom-du-Père aux Noms-du-Père au pluriel. Nous-mêmes, on peine à commenter ce passage sans même parler du passage des Noms-du-Père à la littéralité. Que dit Lacan quand il finit par dire que les lettres elles-mêmes sont les Noms, à part pour les kabbalistes, évidemment on tombe là dans un trou.

 

Si je dis le signifiant “le Nom-du-Père”, je ne le dis pas sur un mode holophrasé, il faudrait dire :              

le Nom -                               (silence)                du-Père

Voyez la scansion.

 

Le Nom-du-Père, on peut l’écrire. C’est une opération qui relie : un nom, une image, un objet.

C’est l’opération du Nom-du-Père en psychopathologie. Si vous savez que vous avez un nom et que vous vous reconnaissez au miroir et que vous êtes porteur de quelque désir, d’un certain point de vue on peut dire que c’est grâce à cette opération.

 

Il y a une autre écriture qui me paraît plus proche des formulations de Lacan sur les Noms-du-Père. Si vous écrivez : les Noms-du-Père = (Nom-du-Père, phallus, S(A) )

Le trépied. Le Nom-du-Père, dans sa conception classique, la place du phallus Symbolique, et le signifiant qui est tellement important en clinique, S(A). Pourquoi il disparaît réguliérement des arguments, je ne sais pas.

 

Pourquoi je me suis assuré de ça en clinique, c’est parce que la voix, ce qui nous commande tous, la voix : c’est un Un, c’est un a et c’est un trou. Vous pouvez écrire la voix comme ça.

Si la voix est un Un qui nous commande, un objet pulsionnel et en même temps qui fait silence heureusement, il est certain qu’il y a quelque chose du Nom-du-Père qui s’écrit sous cette forme.

 

 

Récemment, le concert de Sokoloc par exemple. Quand Sokolov, ce génie de l’école russe de piano, se met au piano, vous découvrez que la voix du piano est Un, vous êtes totalement dans Mozart, c’est-à-dire que peu importe Trump à ce moment-là, peu importe que demain ce soient les primaires de la droite, tout ça tombe, vous êtes dans le Un mozartien. Et on comprend très bien ce qui se produit sur le plan sensoriel, à la troisième note vous êtes déjà totalement capturé par les objets au prix de ce qui est en vous silence, parce que pour recevoir tout ça il faut un trou. Donc, on comprend tout de suite pourquoi la voix est Un, a et trou. Ce qui fait qu’à mon sens, il faut faire attention pour les Journées à ne pas faire disparaître le troisième quanteur parce que s’il n’y a pas de trou générique, tout le reste est bavardage, c’est ce qu’on observe aujourd’hui en politique. On n’écoute rien parce que c’est du bavardage. Il n’y a pas de silence.

 

Les expressions nouvelles du malaise sont faciles à repérer cliniquement. Je les ai notées depuis plusieurs années sous des vocables assez simples, sous le terme de dépressivité, une dépressivité ambiante que nous-mêmes on supporte beaucoup, on vit dans des milieux de plus en plus dépressifs, même de manière associative [...], tout est bien mais dans une ambiance qui reste néanmoins dépressive et même ce qui est surprenant chez les plus jeunes. Donc, dépressivité.

 

Ce que je n’aime pas comme terme mais qui est accepté : « troubles de l’humeur ».

Ce problème a été très bien raconté dans le Journal Français de Psychiatrie, l’extension du mot “bipolarité”. Il faut faire attention, ce n’est pas juste par oubli que l’on dit “bipolaire” et non pas “psychose maniaco-dépressive”. C’est que la bipolarité s’étend à des niveaux inusités qui ne couvraient pas l’ancienne psychose maniaco-dépressive. Donc à la fois c’est faux et en même temps c’est juste. Il faut faire attention ! Quand un signifiant s’impose, ce n’est pas pour rien, ce n’est pas juste comme ça parce que les pharmacologues en décident.

 

Addiction, pareillement dans le Journal Français de Psychiatrie, sous le titre « L’addiction est-elle devenue notre norme ? ». Alors les troubles dits alimentaires que vous savez en nombre ceux qui s’occupent d’adolescents, anorexie boulimie.

 

Culte du soi et du corps normé, ça s’est immense. Culte du corps normé. J’avais pris à tort comme exemple l’histoire du running, je n’ai rien contre le sport mais ça m’a quand même étonné de voir en montagne, à cause du manque de silence justement qu’il n’ y a plus le temps de se recueillir devant une fleur de montagne. Les gens courent. Ils ne voient rien, ils courent. On ne peut plus s’arrêter voir la fleur des bois, c’est le corps qui compte, c’est le temps, c’est la vitesse...

 

Et, la question de l’inhibition, c’est pour ça que j’ai gardé le terme de névrose. Mais ça aussi bien en consultation de psychanalyse en cabinet que sur les enfants et les adolescents que nous recevons en nombre sur l’Unité, je suis étonné de la frappe de l’inhibition. Il y a énormément d’inhibition et qui touche aussi au sexuel, énormément, filles et garçons. Pas aux mêmes âges, après il faudrait entrer dans la clinique typologique. Enormément d’inhibition comme contrepoint à la tendance à l’agir et au passage à l’acte que l’on raconte tellement. C’est vrai que l’on aime bien raconter la tendance à l’acte qui est juste, mais en clinique courante, si je puis dire, on est étonné du nombre de problèmes liés à l’inhibition. Ça me paraît évident. C’est ce qui fait que j’ai gardé le terme névrose.

 

Deuxième point, nous ne constatons pas forcément de glissement massif vers la perversion au sens propre. Quand Melman avec La nouvelle économie psychique lance un pavé dans la marre, en 2009, ça a été à mon avis à tort, ça a été souvent entendu, encore maintenant d’ailleurs, comme s’il disait que tout était devenu une perversion généralisée, ce qui n’est pas le cas, je ne crois pas que ce soit ce qu’il ait voulu dire, il faudrait l’interroger mieux. Avec le recul, ce n’est pas le constat, on n’est pas envahi par des phénomènes de perversion généralisée dans les Services ou les consultations. Par contre, il y a un phénomène qui touche à la perversion que vous connaissez, qui s’appelle le clivage et là qui est absolument, de manière permanente, sollicité. Notre ami Chemama avait fait un très bon livre, il y a quelques années, sur le clivage. Il prévenait qu’il était étonné du nombre de patients qui se présentaient apparemment névrosés mais sous l’angle du clivage.

Si on faisait un commentaire politique ce ne serait pas difficile à raconter ça. On a eu l’affaire Strauss-Kahn, à l’époque les collègues disaient ce n’est pas si grave, sous-entendu on peut être Président de la République, faire des conneries, enfin “je sais bien mais quand même…”, comme dit le déni. Après, plus récemment vous avez eu l’histoire Cahuzac, Ministre des Impôts, et là on s’étonne de l’affaire américaine, le gars qui raconte n’importe quoi … J’ai une patiente américaine qui a sa famille à Chicago qui m’a raconté que les trois quarts de sa famille avaient voté Trump effectivement, avant ils votaient autrement, et me disant ils sont dans le déni, ils me disent on sait bien que c’est un idiot, un salaud, un raciste mais quand même …

C’est très intéressant, vous pouvez le prendre soit comme un phénomène de sociologie politique ce qui a sa valeur mais aussi comme un phénomène de clinique ordinaire. Il y a énormément de choses qui se présentent sous cette forme du clivage.

 

Autre precision, les patients que nous recevons, qui sont de nouvelle facture, ne sont pas des psychotiques. On s’était demandé à une époque... Chez les milleriens, par exemple, ils aimaient bien les prépsychoses. Mais non ce ne sont pas des prépsychoses non plus. Et du coup, même l’histoire des borderline, nous qui faisons une présentation depuis 15 ans à Ville-Évrard, on n’a jamais eu besoin une seule fois d’évoquer un diagnostic comme ça. On n’en a même pas l’usage. Et je crois même que les américains ne s’en servent pas plus que ça.

 

Donc, dans les modifications récentes de la clinique, ça ne file pas forcément vers de grandes perversions mais des mécanismes, apparemment de la perversion classique pour Freud, sont à l’œuvre. Ça ne file pas vers des psychoses, ça ne fabrique pas des psychotiques généralisés. L’idée des borderline eux-mêmes ne paraît pas si essentielle. Et la sexualité subit une forme de refoulement notable malgré, on pourrait dire, une pornographie à ciel ouvert. Le même jeune va entrer à quatorze ans par Internet dans des pornographies assez hard. Le même jeune inhibé. Alors peut-être est-ce lié ? Le même jeune inhibé va entrer à ciel ouvert dans des trucs assez rudes et quand je dis adolescent, parfois ce sont des enfants petits comme vous le savez. Alors le fait que ça reste empreint de ce refoulement touchant la sexualité, pour l’instant, je dis bien pour l’instant, mais c’est une question que je porterai avec vous petit à petit, je préfère dire névroses post-freudiennes à cause de ça. En tout cas, garder le terme névrose. L’autre choix aurait été de le faire disparaître mais ça ne me paraît pas juste. [...]

 

Au-delà de la névrose obsessionnelle, il faut admettre que c’est le trépied obsession-phobie-hystérie, cher à Freud, qui bouge sur son axe.

 

Pareillement, ceux qui reçoivent beaucoup de jeunes le savent, ce qu’on appelle phobie dans la jeunesse, de temps à autre cela peut avoir à faire avec la question du Petit Hans, la question n’est pas là, mais la question ne se pose pas comme ça. Ceci pour une raison évidente mais qu’on oublie de commenter, c’est que, ce que l’on appelle le virtuel, l’Imaginaire virtuel, qui n’existait pas au temps de Freud, s’est imposé tellement comme nouvelle modalité de l’Imaginaire, ce qu’on pourrait appeler l’imaginarisation du Réel est tellement à son comble parmi ces jeunes qui restent des semaines, jour et nuit, dans une solitude avec des amis virtuels et leurs connections multiples. Ce que l’on appelle phobie là c’est quasiment une virtualisation généralisée. Nous parfois en CMPP, on appelle ça phobie scolaire, mais ce n’est pas une phobie scolaire, c’est une virtualisation du réel pour ces enfants. Donc là, les points d’appui que vous avez à la lecture du Petit Hans, sur l’Imaginaire, ne vont pas énormément vous aider à faire surgir des points de technicité face à ces virtuels-là. Ou alors il faudra me dire lesquels. En tout cas, cela pose des questions de technique sinon de théorie analytique.

 

Pour l’hystérie, c’est presque plus caricatural mais c’était déjà le cas quand j’ai fait mes études de psychiatrie. L’hystérie ne s’écrit plus sur le corps, c’est du baratin. Les symptômes hystériques classiques ne s’écrivent plus comme tels. Ils ne s’écrivent plus sur le corps comme défi au pouvoir du maître. Pour une raison dialectique très simple, c’est que de maître, il n’y en a pas... C’est-à-dire de maître classique auquel elle aurait à s’affronter, l’hystérique n’en rencontre pas. Alors elle est devenue quoi l’hystérie ? Eh bien, vous le savez, elle est difficile à cadrer. Elle est devenue surtout psychique. Justement sous le joug des dépressivités, des algies, des douleurs multiples que la médecine ne sait pas traiter avec les noms les plus improbables. Et puis avec ces phénomènes qu’on traite dans nos Unités, les burn-out. Ce mot-valise, qui vient cacher un rapport à la souffrance mais qui est mis au compte du social et du collectif. Elle se cache encore dans le corps avec effectivement les myalgies et autres syndromes douloureux que la médecine peine à accompagner.

 

Alors maintenant pour rester un peu didactique, c’est un séminaire c’est-à-dire que toutes les questions que je me pose, je vous les pose, je n’ai pas de fétichisme de travail, en rien. Les questions que je me pose sont des questions dont je me rends compte qu’elles font basculer des signifiants de dépôt les plus importants, on ne peut pas les maltraiter, il faut faire attention d’autant que Lacan vis à vis de Freud a toujours été d’une prudence de sioux. Contrairement à ce que l’on dit, Lacan n’a pas ménagé Freud tout en étant toujours respectueux de Freud jusqu’au bout. C’est une double valence, il faut faire attention, ce n’est pas sans le retour à Freud. Chaque fois que Lacan fait un écart, il dit quand même Freud… Quand Lacan reprend la question des identifications, il fait ses retournements topologiques, ses trous et puis il dit : « quand même, Freud a dit trois, j’en reste à trois». Donc, il y a chez Lacan ce fait de dire j’ai progressé, j’ai avancé mais il y a des choses chez Freud, eh bien écoutez, cent ans plus tard je n’arrive pas à dire beaucoup mieux. C’est cette façon que j’essaie avec vous de produire aussi c’est-à-dire où en sommes nous des grands signifiants de fondation mais on ne va pas faire table rase sur un mode comme ça éhonté.

 

L’appareil psychique décrit par Freud dans le contexte de son époque met en relation sous la forme non pas d’une cohérence, mais comme on dit en mathématique d’une décohérence, la loi et le désir. Il n’y a pas de rapport. C’est ça le message. Ce n’est pas un humanisme de cohérence que propose Freud. Il va souligner une difficulté qui n’est pas résorbable. Une décohérence. Il y a l’interdit, la place vide nettoyée de la jouissance, c’est le socle de la psychanalyse. Cette injonction, Lacan le rappellera, son problème c’est qu’elle est avant tout surmoïque. Elle est surmoïque chez Freud, Lacan ne cesse de le rappeler, et se paye donc d’une limite fixée à l’exercice et de la sexualité et de l’agressivité. C’est le socle de base freudien. Il y a une décohérence entre loi et désir et il y aura une répression surmoïque pour que la sexualité ne dépasse pas une certaine limite et l’agressivité non plus. C’est le cœur quasiment du message.

On le lit dans des textes absolument superbes : La morale sexuelle « civilisée », il n’y a rien de tel pour aggraver une femme que de la marier, vous vous rappelez du message, c’est dans Freud. Pourquoi la guerre ? Mais comment pensez-vous qu’il n’y aura pas de guerre ? C’est dans Freud. Malaise dans la civilisation, etc. Vous prenez n’importe lesquels ou même L’inquiétante étrangeté, c’est d’une beauté et d’une présence hallucinante. C’est comme le pianiste, quand vous prenez un grand texte comme ça, vous avez la voix qui vous commande, on voit la sensorialité du père Freud et puis cela impose en vous un sacré silence.

 

L’économie psychique du malaise actuel fait fi peu à peu de la négativité de l’interdit. C’est-à-dire qu’il y a quand même ce problème structural de base. La conception freudienne admet une négativité. Il y a de l’interdit, il est surmoïque, il est totalement fou mais il est accepté par les inconscients et les peuples. Nous sommes probablement dans un moment ou cette forme de négativité est rendue suspecte. C’est ce que vous avez vu dans la campagne américaine, il n y a plus aucune négativité. On peut dire n’importe quoi de haineux ça n’a aucune importance puisque ça aura son public. C’est un phénomène assez troublant. Dans l’Histoire, il y a eu des phénomènes de grande ampleur où cette destructivité était à l’œuvre. Peut-être d’ailleurs que dans les mémoires de l’inconscient collectif se véhicule cette possibilité de lever les interdits. Clinique des mémoires.

 

Wo Es war, soll Ich …, je dois. Je peux car je le vaux bien, a dû penser Trump probablement. Le soi comme idéal est forme nouvelle d’un narcissisme décomplexé qui s’affiche partout. Et je dirai même que le sujet dit moderne prend son soi et son corps comme un projet comme on dit chez nous « projet d’Établissement ». Projet du soi, projet de la performance, sans parler du corps avec en plus l’idéologie de la santé. Dans les boîtes américaines, vous savez que les salariés sont contrôlés sur leur santé propre. Ils sont au boulot et leurs constantes biologiques sont enregistrées, ils doivent leur santé à l’entreprise sinon ils sont sanctionnés. On est dans des formes de mutation du rapport à l’objet qui sont sensationnelles. Nous sommes dans un temps de l’individualisme narcissique. Avec ce défaut des lacaniens, à part la mise en place somptueuse du stade du miroir, ils n’ont pas poursuivi une clinique à part entière de ce qu’on appelle une clinique du narcissisme. Dans les écoles freudiennes, le terme de narcissisme a été beaucoup déblayé dans sa sémiologie. Aujourd’hui sans cette sémiologie on est désemparé.

 

Du point de vue de la technique analytique, nous aurons à revenir sur l’avenir des deux socles de la pratique, ceux dont parle Freud et que Lacan n’a pas démenti. C’est-à-dire dans nos cures, que devient le socle d’un côté du fantasme et de l’autre de l’identification ? Ce sont les deux terreaux naturels de la séance analytique. Car certains sujets que nous recevons apparaissent comme des « sujets sans marque », comme le dit Luis Izcovich, notre collègue de l’École des Forums du Champ lacanien dans son très joli livre sur Les marques d’une psychanalyse. Il le décrit sur un mode phénoménologique intéressant. Il dit qu’il rencontre aujourd’hui des sujets sans marque, sans trait, sans fenêtre. On n’a pas d’appui ni sur le trait d’identification et de filiation, ni spontanément sur le matériel fantasmatique. Le sujet vient se plaindre d’angoisse, d’un tas de trucs mais on ne sait pas très bien par quel bout démarrer parce qu’on ne sait pas où sont les marques.

Voyez, on n’est pas tout seul, il y a beaucoup de collègues qui travaillent sur des questions nouvelles comme ça et qui sont de très bons cliniciens qui amènent des problèmes de clinique actuelle avec les terminologies qui sont les leurs, « un sujet sans marque », pourquoi pas.

 

Pour les amateurs du Lacan topologue, je crois qu’il y a un hiatus, mais c’est un jeu de mot, c’est une lacanerie que je vous propose, mais qui serait quand même qu’un jour quelqu’un fasse la distinction entre l’espace connecté dont je parlais tout à l’heure et l’espace connectif. Parce que l’espace lacanien, c’est l’espace connectif. C’est-à-dire que Lacan dit quand même que trois points peuvent être reliés ensemble sans qu’ils soient reliés deux à deux. Ça ne paraît rien mais c’est immense cette idée, RSI. Alors que souvent notre idée de la clinique, même freudienne, est binaire. C’est ceci ou c’est cela. Lacan dit « non », on passe, dit-il, dans un espace connectif. Et là de manière merveilleuse nous vivons tous, sauf ceux comme moi qui sont assez rébarbatifs, dans un espace connecté. Les commentateurs disent c’est génial cette nouvelle civilisation, cette nouvelle démocratie de la connection mais on paye le prix sur le plan symptomatique de la virtualisation dont je parle. Il y a là un travail heuristique à faire, à la fois la proximité des deux signifiants et leur écart.

 

Vous savez que Lacan s’est plaint, mais ce n’était pas juste une figure de style, il s’était plaint de ne pas avoir pu raconter suffisamment les appuis qu’il avait trouvés dans la Bible classique. Il le dit. Il pensait trouver dans le commentaire biblique des choses qu’il n’a pas souhaité donner pensant que les collègues n’étaient pas prêts à entendre et puis ensuite c’était trop tard ce qui fait que cela nous manque. Dans le bond qu’il fait du Nom-du-père à RSI, il y a des linéaments intellectuels qui ne nous sont pas connus. Il faisait plein de choses qu’on est même infichu de connaître, il prenait des cours d’hébreu, il s’intéressait à Dante comme on le sait par ailleurs, à Joyce, il l’a écrit. Et alors, à propos du Nom-du-père vous avez, par exemple, le petit prophète Osée.  Et comme je le disais “il faut oser”, donc je vous ai pris Osée. Osée dit ceci :

« Cet arbre n’a pas besoin d’être planté, il arrive comme ça sur les bords des chemins ».

Parce que nous quand il n’y a pas de Nom-du-père ou du Phallus, on est perdu. C’est un tic lacanien. Mais lui, Osée, il dit :

“ Cet arbre n’a pas besoin d’être planté, il arrive comme ça sur les bords des chemins”. L’arbre dont il s’agit, ce n’est pas un secret, c’est le figuier, qui est l’arbre prophétique d’Israël. Ce qui est intéressant c’est de filer la métaphore qui est très belle dans la mise en place inquiète que nous avons nous-mêmes des grands mots, Phallus, Nom-du-père, ceci, cela, même de vérifier auprès de l’enfant que tout est bien ordonné. Or Osée dit autrement, il dit d’un certain point de vue, c’est le Réel qui tresse à la place de la Nomination Symbolique. C’est quand même la conviction que Lacan avait, selon laquelle quelque chose pouvait tenir la route et faire fonction sans qu’il soit besoin forcément de sa marque de classicisme, de tradition. C’est très intéressant et vous voyez combien un petit prophète, comme on dit, déjà était inspiré. On n’est pas prophète facilement en son pays, comme vous le savez.

 

L’Œdipe est-il un invariant ? Et le Nom-du-père de Lacan qui s’y substitue d’une certaine façon, comment Lacan en donnait la fonction dans la culture ? Pour Lacan, la question du Nom-du-père dans la culture n’est pas réservée à l’analyse du cercle de la famille. Il faut faire attention à cet aspect. Ce n’est pas juste le triangle œdipien familial qui intéresse Lacan quand il introduit la question du Nom-du-père. C’est là où il faut aller doucement parce qu’il touche à des niveaux généraux dans la culture, entre science, religion, etc. Il touche à des métastructures telles, qu’on ne peut pas comme ça y aller avec un rouleau compresseur. Il y a dans les Écrits, cette superbe phrase qui anticipe d’un certain point de vue ce déplacement en cours de l’axe des névroses. Lacan dit ceci :

 

« Tout comme l’oppression insensée du surmoi reste à la racine des impératifs motivés de la conscience morale, la furieuse passion qui spécifie l’Homme d’imprimer dans la réalité son image est le fondement obscur des médiations rationnelles de la volonté ».

 

Là je crois que Lacan a une prémonition, vint l’époque où nous croyons imprimer dans le Réel notre image, effectivement. Nous sommes à l’époque du narcissisme flamboyant où nous pensons les uns les autres imprimer dans le Réel notre image.

 

Pour les praticiens de la clinique de l’enfant, ce qui reste techniquement très important et très difficile à solder, ce qui reste puissant dans la découverte de Freud, c’est la dimension de la castration qui est constitutive de la psychanalyse. Il y a une question presque toute simple pour le praticien de l’enfant : par quel biais va se limiter une normativation des jouissances ? C’est presque une question de base qui est rappelée dans tous les cas de figure. Que les enfants aient un papa ou pas à la maison, ça n’a pas d’importance, qu’est-ce qui est en fonction de castration ?

Il y a une question très importante chez Freud, cette question d’une jouissance qui doit se trouver interdite, elle est réellement interdite et mythiquement interdite pour Freud. Freud situe la question à deux niveaux, un niveau phylogénétique, comme il le dit, et un niveau ontogénétique. C’est-à-dire que la jouissance est interdite de manière pratique. Quand nous on reçoit une maman qui dort encore avec son môme, qui l’accompagne quand il va faire pipi, on lui dit « vous arrêtez ». Mais oui, et ça arrive bien plus souvent qu’on ne le croit. C’est le niveau ontogénétique simple si j’ose dire. Mais Freud, ce qui en fait la complexité, c’est qu’il le situe à un niveau phylogénétique, donc c’est interdit du point de vue du mythe.

Si on se demande très précisément ce qu’est devenu chez Lacan ce filage, je ne saurais pas dire exactement ce qu’il fait du double fil. Est-ce que ça devient chez Lacan un logos sans mythos ? C’est-à-dire est-ce qu’on peut dire que Lacan pousse la radicalité de la lettre jusqu’à admettre un logos sans le mythos, ou pas ? Ça passe où dans les Ecrits, je ne sais pas... C’est vrai que dès que vous êtes dans les périodes très topologiques, c’est apparemment délié de la question phylogénétique. Est-ce que les lettres elles-mêmes portent la mémoire de ? Chez Freud c’est très tendu. Il y a la mémoire au sens transhistorique, les grandes Mémoires transhistoriques, et la mémoire au sens œdipien, simple, et les deux se mêlent de façon topologique, se trouent, se renversent, c’est très intéressant la manière qu’a Freud de raisonner. À mon sens ça a été un embarras pour Lacan de savoir quoi faire de cette partie. Mais ça ne sous-entend pas que pour nous la question soit soldée. Quand vous êtes dans un Service où vous vous occupez beaucoup d’enfants traumatisés par les Mémoires des peuples, il va de soi que ce n’est pas l’histoire œdipienne pure qui va faire que vous résolviez les questions. Freud sur des dimensions telles a raison, on ne peut pas juste dire il y a la petite structure familiale, tout le reste on oublie, c’est vain.

 

Le père intervient pour Freud par ce double interdit, l’un porté sur l’enfant mais l’autre sur la mère. Tu ne seras pas le phallus qui manque à ta mère, tu ne prendras pas notre enfant pour le phallus qui te manque. C’est la double opération. Double interdiction. Ce qui fait qu’en topologie, il y a toujours ces opérations de doublure, on comprend bien pourquoi. Il faut repasser deux fois par la négativité. Le signifiant phallique donc est le signifiant en principe de la castration, de cette opération de double interdiction. C’est-à-dire qu’un signifiant vient prendre la place non pas de la perte mais du manque. Une fois qu’il y a cette opération de double interdiction, il y a un creux, il y a un vide, il y a du manqué, ce que les analystes lacaniens appellent signifiant phallique. Manque qui situe la perte des objets primordiaux tel que le raconte merveilleusement  l’École anglaise. Donc la perte des premiers objets que Mélanie Klein raconte, comment l’enfant opère, comment le signifiant du manque vient à la place de ces objets, c’est très bien raconté, c’est pour ça que je milite actuellement pour une mise en rapport de la haute clinique d’observation anglaise et des signifiants lacaniens, parce que ça nous aide. Quand on dit signifiant phallique, vous ne comprenez pas spontanément ce que cela signifie en dehors du champ propre de notre spécialité, il faut faire un effort pour expliquer comment ça opère.

 

La question qui est complexe techniquement, c’est que la mise en place de cette double négativité, dans la cure, pour Freud, n’opère qu’à partir de deux points d’appui, on peut en rajouter un troisième pour Lacan. Le premier, Un enfant est battu, la fenêtre du fantasme, sur lequel Lacan dira qu’il n’a rien à ajouter sauf côté féminin, ce qui est quand même énorme... Et puis ce merveilleux travail sur la question des identifications, quel trait prélever de l’autre ? Logique du sexe et de l’être combiné. RSI, donc nous devons ajouter un troisième terme au fantasme et à l’identification, qui est pour les lacaniens, la littéralité de l’inconscient sur laquelle il a tellement insisté. C’est-à-dire l’inconscient est fait d’une fenêtre fantasmatique, de traits découpés, mais surtout également d’un long ruban littéral, de lettres porteuses de jouissance. Et donc pour Lacan, RSI est la combinaison de ces trois entrées en quelque sorte. [...] Les lettres de l’inconscient, littéralité porteuse de la mémoire des jouissances.

 

Donc je dirai que quand vous recevez un jeune maintenant, ou un moins jeune, c’est ça qui va vous paraître beaucoup plus illisible. C’est-à-dire que vous aurez du mal à situer le lien dialectique, surtout chez les garçons d’ailleurs, moins chez les filles, parce que les filles restent lectrices… Ce sont les liens dialectiques qui sont aujourd’hui rendus souvent illisibles.

Lacan tenait énormément à quelque chose qu’il a mis en place très tôt, qu’il appelle le graphe du désir. Ce graphe résume quasiment toute la structuration psychique depuis le cri premier, le problème moïque, la mise en place spéculaire, le passage par la pulsion, le fantasme et le trait d’idéal sur lequel cela se termine. Et ce qui est intéressant c’est que Lacan, quelles que soient ses occurrences, a toujours fait référence dans son propre enseignement au graphe.

Et je dirai, pour aller vite, que le problème aujourd’hui c’est ça, vous allez avoir des disjonctions, des dégrafages... Vous avez par exemple une clinique du pulsionnel où le rapport au fantasme est absolument inaudible, ou une clinique du fantasme où le rapport au trait est illisible, aucune filiation n’est apportée. Et quand Lacan suit dialectiquement les différentes étapes d’agrafage, vous vous rendez compte que beaucoup de jeunes et de moins jeunes qui se présentent à nous… Vous peinez à comprendre les liens dialectiques. Et donc il y a un dégrafage, j’insiste bien sur le fait que ça n’en fait pas des psychotiques, mais vous avez des dégrafages... Pour certains on va dire qu’ils sont totalement dans le pulsionnel, pour les autres qu’ils sont totalement dans l’addiction... On peine à comprendre l’ensemble du chemin structural. Et ça me paraît une clinique qui est nouvelle. On ne peut pas dire aisément phobie, hystérie... La nomination sera en abîme parce que les éléments d’appui techniques de ces nominations vont nous manquer. Est-ce qu’on peut réagrafer par le transfert ? C’est un vœu mais ça reste une question. On ne peut pas dire oui et non, comme ça au hasard, ça va dépendre...

 

Aux Journées de Sainte-Anne, j’avais raconté le cas d’un jeune, qui était vécu comme un fou de l’agir, au bord du passage à l’acte permanent et pour qui nous avons pris le parti de ne traiter que sur le symptôme. On l’a attrapé sur le symptôme et ça a été une réussite technique. Donc là, c’est le cas inversé. Sous couvert que l’école le présentait comme une bombe atomique, prêt à tout, à tuer n’importe qui, on a choisi de parier sur un élément de symptôme et la clinique s’est développée pour finir comme une névrose plus ordinaire qu’il n’y paraissait. Donc il y a des cas inversés. Il faut tout dire, tout raconter, pour mesurer les écarts et les difficultés.

 

Alors pourquoi on ne peut pas solder le Nom-du-père comme simplement équivalent de l’Œdipe ? Alors je vous le donne pour les prochaines Journées, c’est la formule que dit Lacan dans La science et la vérité (1965-1966), il dit ceci :

« […]  si d’autre part on reconnaît que la psychanalyse est essentiellement ce qui réintroduit dans la considération scientifique le Nom-du-père […] ».

C’est là où effectivement on voit que pour Lacan, l’utilisation Nom-du-père n’est pas que le petit drame œdipien qui se joue à la maison. Et c’est peut-être là qu’il rejoint la question de la phylogénèse freudienne avec une autre acception de l’importance du Nom-du-père dans la culture. Et là Lacan, il est marxiste quasiment, il est super structuraliste, il va dire :

« mais au fond la psychanalyse  s’affronte à quelle sorte de superstructures ? » 

Il les cite : la magie, la majorité des pays dans le monde sont encore des mondes magiques, deuxième point qui ne vous étonnera pas, la religion, et troisième ordre général la science. Donc, Lacan dit, la psychanalyse se heurte à ces trois murs. Il choisit le joug sous lequel il se met qui est paradoxalement le sujet de la science. Ce n’est pas au choix : magie, religion et science.

 

À la toute fin du texte La science et la vérité, où je crois il faut entendre chez Lacan des idées prémonitoires à sa façon, il dit :

 

« Conclurai-je à rejoindre le point dont je suis parti aujourd’hui : division du sujet ? Ce point est un nœud.

Rappelons-nous où Freud le déroule : sur ce manque du pénis de la mère où se révèle la nature du phallus. Le sujet se divise ici, nous dit Freud, à l’endroit de la réalité, voyant à la fois s’y ouvrir le gouffre contre lequel il se rempardera d’une phobie, et d’autre part le recouvrant de cette surface où il érigera le fétiche, c’est-à-dire l’existence du pénis comme maintenue, quoique déplacée ».

 

Vous voyez, cette double opération que Lacan cliniquement situe, la constitution de la névrose et puis cette surface déplacée mais maintenue qu’il appelle le fétiche. Et je crois que nous sommes dans l’autre part. Lacan raconte à sa façon ce déplacement massif du signifiant vers un signe maintenu, le soi, ce qu’on peut appeler le soi à la place de la division du sujet, ce que nous vivons nous-mêmes.

 

Donc il nous faudra reprendre Freud dans sa généralisation et qui a toujours posé problème aux contemporains marxistes, qui est le problème de la répression des pulsions. C’est ce drame, la répression des pulsions, qui a toujours philosophiquement posé difficulté dans l’inscription de la psychanalyse au milieu des sciences humaines. Par exemple, vous avez le très beau résumé qu’en fait Herbert Marcuse, qui était à la mode dans les années 50, Eros et civilisation, 1955, c’est la même époque que le séminaire sur les psychoses, il dit ceci :

« Le remplacement du principe de plaisir par le principe de réalité est le grand évènement traumatique du développement humain, aussi bien au niveau du développement de l’espèce, phylogenèse, que celui de l’individu. Pour Freud les deux niveaux s’interpénètrent continuellement, se répètent, se rejouent, refoulement et retour du refoulé sont la même chose. »

 

Une référence de lecture, je vais vous en parler très vite, un philosophe allemand d’origine coréenne, Byung-Chul Han, auteur de La Société de la fatigue. La thèse de ce philosophe répond de manière résumée au changement contemporain, celui que je souhaite vous decrire. Il dit ceci :

 

« La psyché du sujet performant d’aujourd’hui est différente de celle du sujet discipliné. L’appareil psychique de Freud est un appareil contraignant, répressif, avec ses règles et ses interdits. La psychanalyse de Freud n’est possible que dans une société répressive qui fonde son organisation sur la négativité de l’interdit et de la règle. Mais la société d’aujourd’hui est une société de la performance qui ne cesse de se débarrasser de cette négativité. L’inconscient freudien n’est pas intemporel ».

 

Il faut entendre que pour quelqu’un de dégourdi en philosophie, qui est lu, qui est publié, qui est discuté, lui il marque ça en clair :

« L’inconscient freudien n’est pas intemporel ». « La liberté nouvelle se change en un rapport narcissique à soi-même, responsable de bien des dommages ».

Il fait un typus qui est intéressant, un typus sociologiquement résumé mais qui donne quand même une petite typologie, il dit ceci :

 

« Le sujet performant, épuisé et dépressif, est en même temps usé par lui-même, incapable de sortir de lui-même, d’être dehors, de se fier à autrui, au monde, il s’acharne sur lui-même ce qui aboutit paradoxalement à creuser et vider son soi. Les nouveaux medias et techniques de communication diluent l’être pour autrui. Dans les espaces virtuels, le moi peut se mouvoir pratiquement sans principe de réalité. Dans les espaces imaginaires de la virtualité le moi narcissique rencontre avant tout lui-même. La virtualisation fait disparaître le réel comme arrêt, résistance mais aussi refuge».

 

Vous avez, fait par un philosophe de bon niveau, une typologie clinique sur la dépressivité de l’inconscient « actuel ».

 

Je vais terminer avec ces trois aphorismes sur la question d’imprimer comme dit Lacan dans le Réel notre image, cette culture de l’instant.

Le fantasme c’est la mémoire de l’«infantile» pour nous. C’est ça que Freud appelle fantasme. C’est excellemment décrit par Freud mais aussi par les très grands de l’École anglaise. L’identification, mémoire de la filiation, de génération en génération comme le dit la Bible. La littéralité de l’inconscient, mémoire des jouissances. Donc on a ce socle mémoriel et alors, quid de imprimer dans le Réel notre image, vivre l’instant au présent ?

Ce vœu qui est celui d’une névrose nouvelle doit être, je crois, distingué effectivement. C’est-à-dire un vœu de ce type est difficile à travailler dans les trois formes mémorielles que j’ai précitées. S’il y avait parmi vous un jeune féru de philosophie, je crois qu’il pourrait faire un travail intéressant pour distinguer l’instant, le présentisme moderne, de ce que les Anciens appelaient le kairos du stoïcien. Chez les Grecs, il y avait cette idée du moment à ne pas louper. C’est-à-dire que les Grecs se tenaient dans l’idée qu’il y avait un temps, un présent, une chance à prendre ou bien une bataille à gagner, être là au bon moment. La chance d’un transfert on pourrait dire. [...] Donc il y aurait un travail à faire parce que le présentisme d’aujourd’hui, d’imprimer son image dans le Réel ce n’est pas l’appel stoïcien, il faudrait comprendre quel est le décalage.

 

Espace connectif, structure connective des entrelacs. Dugowson, mathématician lacanien, lui-même a fait une thèse sur L’espace lacanien, avait noté :

Si vous prenez 1 borroméen fait de 3 borroméens, si vous faites une rupture de l’un d’entre eux, il dit :on coupe. Donc il y a une destruction qui semble se produire à un certain niveau de verticalité. Mais, dit Dugowson, le reste tient. C’est-à-dire que topologiquement, ce n’est pas destruction de la destruction. [...]

Il dit tu as beau toucher un des schémas de la tradition ou de la filiation, ça ne va pas empêcher la propriété borroméenne à ce qui reste. Donc, j’en reviens à mon prophète Osée :

 

« Cet arbre n’a pas besoin d’être planté, il arrive comme ça sur les bords des chemins ».

 

Dugowson le dit autrement à sa façon. Il dit vous croyez que tout s’inscrit dans une forme de tradition, un isomorphisme, non, même si un point est détruit, ce que l’on observe en permanence, ce n’est pas pour autant que la propriété générale de la fonction va être absolument condamnée. C’est pour ça, je m’insurge souvent de la façon dont on traite la jeunesse, on parle de nos jeunes comme s’ils étaient devenus des abrutis, je suis horripilé de ça, on ne peut pas parler d’une classe d’âge entière comme si c’était devenu des écervelés, ce n’est pas possible.

 

La proposition théorico-pratique qu’il faudrait examiner, qui a surgi lors de l’étude du Séminaire d’été par une très élégante collègue italienne qui était restée très près du texte de Lacan, c’était Le moment de conclure, que je vous rappelle :

« c’est le Réel qui tresse à la place de la Nomination Symbolique »,

vous la notez simplement et elle fera son travail dans l’inconscient. [...]

 

C’est le Réel qui tresse à la place de la nomination, pour vous donner un exemple concret, comment ça se passe dans la vie psychique ? Au bout d’un temps, j’essaie de faire que le Réel m’ordonne car j’en ai marre des débats inutiles et des discussions pour rien. Ce qui fait que j’ai demandé à la Direction générale de la MGEN, hier, à son niveau le plus haut, que l’on se porte au devant des Centres de migrants qui vont s’ouvrir par la Mairie de Paris. Je m’en fous de discuter ici de ces problèmes de migrants, ça ne m’intéresse pas. Ou bien nous nous portons au devant des choses, ou bien on discutaille. Moi je ne discute plus pour rien. C’est insensé de se balader dans Paris, on voit des mômes, 3-4 ans, 6 mois, à même le sol, partout. On s’en fout, on va au séminaire. Quel est le problème ? la perte de la vision mentale dont parlaient les grands ? Mais… c’est la nôtre! La Mairie de Paris ouvre des Centres dont certains dédiés aux mères et aux enfants, moi j’ai dit en quoi un Service de pédopsychiatrie ne pourrait pas se porter avec d’autres candidats sur leur temps de travail, quel est le problème, on est au service de quoi, on est au service de la psychopathologie en l’air… C’est à ma façon que j’entends, mais je dois dire que ça m’a fait injonction, je l’ai entendu comme ça, le Réel qui tresse à la place, je ne vais pas attendre qu’on m’ordonne. Sur ces questions, chacun fera ce qu’il veut, moi je prendrai les responsabilités qui sont les miennes, c’est pour ça que je suis resté dans le Service Public depuis le début de ma carrière. Tout le reste, c’est bien, mais il faut qu’il y en ait qui fassent le boulot. [...]

 

Je termine avec une citation. Heidegger, Le principe de raison, lui n’a pas toujours été raisonnable. Weilen, il précise que ça signifie durer, rester tranquille, s’arrêter, se tenir là, à savoir en repos, le S (%) [lire: S de grand A barré].  Il dit nous avons de Goethe le très joli vers :  

 

« Le violon se tait, le danseur hésite et s’arrête. Au moment où le danseur s’arrête dans son mouvement, il s’aperçoit de l’existence de tout l’espace ».

 

Vous voyez ce point sublime que la poésie révèle, c’est un Nom-du-père. Ce n’est pas l’occurrence ordinaire que vous attendez du Nom-du-père, il est Nom-du-père mais il est Nom-du-père dans le trou. Il fait trou, il fait arrêt. Et c’est au moment de cet arrêt, de ce silence que l’espace complet s’ouvre.

 

Voilà où on en est. On n’est plus dans le temps mythique ni même dans le temps historique... Conclusion provisoire donc, temps de l’information, temps atomisé, et donc on s’arrête et on se retrouve pour ceux qui le souhaitent le 28 janvier après le Séminaire d’hiver consacré au Moi chez Freud et quelques textes.

 

Transcription : Nicolas Moysan, Pascale Monduit

 

Relecture : Monique de Lagontrie

 

Je ne peux pas faire que des remerciements mais je suis sensible au fait, comme vous le savez, qu’il y ait des responsables d’Unité en Psychiatrie parce que un des drames de la psychanalyse aujourd’hui est qu’elle perd peu à peu le fil de son lien de substance avec la médecine et la psychiatrie. Si cette difficulté s’accélère, il est probable que la psychanalyse à l’état pur, toute seule, ne résistera pas à l’air du temps. C’est vrai que j’ai toujours tenu à ce que l’on puisse dans les lieux institutionnels poursuivre les mêmes travaux, c’est-à-dire ne pas faire des travaux que nous faisons dans nos locaux internes trop hermétiques de telle manière que ces mêmes travaux puissent se débattre et se poursuivre dans les lieux de Santé tout simplement. Cela me paraît un enjeu et donc je suis sensible à la présence de mes collègues qui ont des responsabilités institutionnelles parce que ça garantit pour moi que ce lien puisse encore continuer. Mais le monde a changé, même la présentation que nous tenons avec Pierre-Henri Castel à Ville-Evrard, l’ambiance n’est pas la même, nous continuons dans une ambiance où la bienveillance à l’égard de ce genre de travail n’est plus la même.

 

J’avais pris pour titre un peu provocateur « Névroses de transfert donc Névroses freudiennes et Névroses a » qui me paraissait un titre lacanien intéressant, qu’il fallait justifier bien sûr, mais certains de mes proches m’ont signifié qu’il était dommage de réserver cette clinique à des lacaniens convaincus. Donc j’ai pris transitoirement, même si je reconnais que c’est une appellation qui mérite d’être reprise, le titre de « Névroses postfreudiennes ».

 

L’année dernière, j’avais interrogé notre classique névrose obsessionnelle. Attention, ce qu’on appelle classiquement névrose obsessionnelle c’est L’homme aux rats, ce n’est pas L’homme aux loups. Il faut faire attention dans nos références. [...] J’avais cette question : les manifestations obsessionnelles, ce que certains appellent des troubles, sont-elles encore des symptômes avec leur savoir insu et leur matrice faite de haine refoulée et de dette coupable en retour ? C’est ça la definition résumée de ce que Freud appelait névrose obsessionnelle. Sur ce terrain d’interrogation, je ne suis pas tout seul, ce n’est pas un travail isolé. Pierre-Henri Castel a écrit un très bel ouvrage, très clinique sur un cas de cure qui s’appelle Le cas Paramord, aux éditions Ithaques, où il pose à sa façon les mêmes questions. C’est-à-dire sous la phénoménologie apparemment des mêmes troubles a-t-on affaire au même genre de structure clinique aujourd’hui? Sous l’obsession apparente, a-t-on affaire aux structures dont Freud parle ? Nous avons aujourd’hui davantage affaire à des contraintes par le corps et l’image, j’y reviendrai.

 

Autre versant de la question : nous glissons peu à peu, semble-t-il, de la Loi du Père à des contraintes de l’immédiat. Victoires ou défaites sur les performances de notre présent. Louis Sciara vient de sortir un livre qui s’appelle Retour sur la fonction paternelle où il se pose précisément cette question : qu’a-t-on à faire aujourd’hui de ladite Loi du Père ? Et donc il profite de cette publication pour en plus avoir préparé des Journées sur la question des invariants en psychanalyse. Est-ce que la fonction Père, par exemple, est un invariant absolu ? Il y aurait des invariants quels que soient les époques, les siècles, les climats, les pays, peu importe. C’est ce grand thème que posent le livre et les Journées.

Il y a l’accentuation que fait Lacan dont on ne prend pas bien la mesure quand il va passer du Nom-du-Père aux Noms-du-Père au pluriel. Nous-mêmes, on peine à commenter ce passage sans même parler du passage des Noms-du-Père à la littéralité. Que dit Lacan quand il finit par dire que les lettres elles-mêmes sont les Noms, à part pour les kabbalistes, évidemment on tombe là dans un trou.

 

Si je dis le signifiant “le Nom-du-Père”, je ne le dis pas sur un mode holophrasé, il faudrait dire :              

le Nom -                               (silence)                du-Père

Voyez la scansion.

 

Le Nom-du-Père, on peut l’écrire. C’est une opération qui relie : un nom, une image, un objet.

C’est l’opération du Nom-du-Père en psychopathologie. Si vous savez que vous avez un nom et que vous vous reconnaissez au miroir et que vous êtes porteur de quelque désir, d’un certain point de vue on peut dire que c’est grâce à cette opération.

 

Il y a une autre écriture qui me paraît plus proche des formulations de Lacan sur les Noms-du-Père. Si vous écrivez : les Noms-du-Père = (Nom-du-Père, phallus, S(A) )

Le trépied. Le Nom-du-Père, dans sa conception classique, la place du phallus Symbolique, et le signifiant qui est tellement important en clinique, S(A). Pourquoi il disparaît réguliérement des arguments, je ne sais pas.

 

Pourquoi je me suis assuré de ça en clinique, c’est parce que la voix, ce qui nous commande tous, la voix : c’est un Un, c’est un a et c’est un trou. Vous pouvez écrire la voix comme ça.

Si la voix est un Un qui nous commande, un objet pulsionnel et en même temps qui fait silence heureusement, il est certain qu’il y a quelque chose du Nom-du-Père qui s’écrit sous cette forme.

 

 

Récemment, le concert de Sokoloc par exemple. Quand Sokolov, ce génie de l’école russe de piano, se met au piano, vous découvrez que la voix du piano est Un, vous êtes totalement dans Mozart, c’est-à-dire que peu importe Trump à ce moment-là, peu importe que demain ce soient les primaires de la droite, tout ça tombe, vous êtes dans le Un mozartien. Et on comprend très bien ce qui se produit sur le plan sensoriel, à la troisième note vous êtes déjà totalement capturé par les objets au prix de ce qui est en vous silence, parce que pour recevoir tout ça il faut un trou. Donc, on comprend tout de suite pourquoi la voix est Un, a et trou. Ce qui fait qu’à mon sens, il faut faire attention pour les Journées à ne pas faire disparaître le troisième quanteur parce que s’il n’y a pas de trou générique, tout le reste est bavardage, c’est ce qu’on observe aujourd’hui en politique. On n’écoute rien parce que c’est du bavardage. Il n’y a pas de silence.

 

Les expressions nouvelles du malaise sont faciles à repérer cliniquement. Je les ai notées depuis plusieurs années sous des vocables assez simples, sous le terme de dépressivité, une dépressivité ambiante que nous-mêmes on supporte beaucoup, on vit dans des milieux de plus en plus dépressifs, même de manière associative [...], tout est bien mais dans une ambiance qui reste néanmoins dépressive et même ce qui est surprenant chez les plus jeunes. Donc, dépressivité.

 

Ce que je n’aime pas comme terme mais qui est accepté : « troubles de l’humeur ».

Ce problème a été très bien raconté dans le Journal Français de Psychiatrie, l’extension du mot “bipolarité”. Il faut faire attention, ce n’est pas juste par oubli que l’on dit “bipolaire” et non pas “psychose maniaco-dépressive”. C’est que la bipolarité s’étend à des niveaux inusités qui ne couvraient pas l’ancienne psychose maniaco-dépressive. Donc à la fois c’est faux et en même temps c’est juste. Il faut faire attention ! Quand un signifiant s’impose, ce n’est pas pour rien, ce n’est pas juste comme ça parce que les pharmacologues en décident.

 

Addiction, pareillement dans le Journal Français de Psychiatrie, sous le titre « L’addiction est-elle devenue notre norme ? ». Alors les troubles dits alimentaires que vous savez en nombre ceux qui s’occupent d’adolescents, anorexie boulimie.

 

Culte du soi et du corps normé, ça s’est immense. Culte du corps normé. J’avais pris à tort comme exemple l’histoire du running, je n’ai rien contre le sport mais ça m’a quand même étonné de voir en montagne, à cause du manque de silence justement qu’il n’ y a plus le temps de se recueillir devant une fleur de montagne. Les gens courent. Ils ne voient rien, ils courent. On ne peut plus s’arrêter voir la fleur des bois, c’est le corps qui compte, c’est le temps, c’est la vitesse...

 

Et, la question de l’inhibition, c’est pour ça que j’ai gardé le terme de névrose. Mais ça aussi bien en consultation de psychanalyse en cabinet que sur les enfants et les adolescents que nous recevons en nombre sur l’Unité, je suis étonné de la frappe de l’inhibition. Il y a énormément d’inhibition et qui touche aussi au sexuel, énormément, filles et garçons. Pas aux mêmes âges, après il faudrait entrer dans la clinique typologique. Enormément d’inhibition comme contrepoint à la tendance à l’agir et au passage à l’acte que l’on raconte tellement. C’est vrai que l’on aime bien raconter la tendance à l’acte qui est juste, mais en clinique courante, si je puis dire, on est étonné du nombre de problèmes liés à l’inhibition. Ça me paraît évident. C’est ce qui fait que j’ai gardé le terme névrose.

 

Deuxième point, nous ne constatons pas forcément de glissement massif vers la perversion au sens propre. Quand Melman avec La nouvelle économie psychique lance un pavé dans la marre, en 2009, ça a été à mon avis à tort, ça a été souvent entendu, encore maintenant d’ailleurs, comme s’il disait que tout était devenu une perversion généralisée, ce qui n’est pas le cas, je ne crois pas que ce soit ce qu’il ait voulu dire, il faudrait l’interroger mieux. Avec le recul, ce n’est pas le constat, on n’est pas envahi par des phénomènes de perversion généralisée dans les Services ou les consultations. Par contre, il y a un phénomène qui touche à la perversion que vous connaissez, qui s’appelle le clivage et là qui est absolument, de manière permanente, sollicité. Notre ami Chemama avait fait un très bon livre, il y a quelques années, sur le clivage. Il prévenait qu’il était étonné du nombre de patients qui se présentaient apparemment névrosés mais sous l’angle du clivage.

Si on faisait un commentaire politique ce ne serait pas difficile à raconter ça. On a eu l’affaire Strauss-Kahn, à l’époque les collègues disaient ce n’est pas si grave, sous-entendu on peut être Président de la République, faire des conneries, enfin “je sais bien mais quand même…”, comme dit le déni. Après, plus récemment vous avez eu l’histoire Cahuzac, Ministre des Impôts, et là on s’étonne de l’affaire américaine, le gars qui raconte n’importe quoi … J’ai une patiente américaine qui a sa famille à Chicago qui m’a raconté que les trois quarts de sa famille avaient voté Trump effectivement, avant ils votaient autrement, et me disant ils sont dans le déni, ils me disent on sait bien que c’est un idiot, un salaud, un raciste mais quand même …

C’est très intéressant, vous pouvez le prendre soit comme un phénomène de sociologie politique ce qui a sa valeur mais aussi comme un phénomène de clinique ordinaire. Il y a énormément de choses qui se présentent sous cette forme du clivage.

 

Autre precision, les patients que nous recevons, qui sont de nouvelle facture, ne sont pas des psychotiques. On s’était demandé à une époque... Chez les milleriens, par exemple, ils aimaient bien les prépsychoses. Mais non ce ne sont pas des prépsychoses non plus. Et du coup, même l’histoire des borderline, nous qui faisons une présentation depuis 15 ans à Ville-Évrard, on n’a jamais eu besoin une seule fois d’évoquer un diagnostic comme ça. On n’en a même pas l’usage. Et je crois même que les américains ne s’en servent pas plus que ça.

 

Donc, dans les modifications récentes de la clinique, ça ne file pas forcément vers de grandes perversions mais des mécanismes, apparemment de la perversion classique pour Freud, sont à l’œuvre. Ça ne file pas vers des psychoses, ça ne fabrique pas des psychotiques généralisés. L’idée des borderline eux-mêmes ne paraît pas si essentielle. Et la sexualité subit une forme de refoulement notable malgré, on pourrait dire, une pornographie à ciel ouvert. Le même jeune va entrer à quatorze ans par Internet dans des pornographies assez hard. Le même jeune inhibé. Alors peut-être est-ce lié ? Le même jeune inhibé va entrer à ciel ouvert dans des trucs assez rudes et quand je dis adolescent, parfois ce sont des enfants petits comme vous le savez. Alors le fait que ça reste empreint de ce refoulement touchant la sexualité, pour l’instant, je dis bien pour l’instant, mais c’est une question que je porterai avec vous petit à petit, je préfère dire névroses post-freudiennes à cause de ça. En tout cas, garder le terme névrose. L’autre choix aurait été de le faire disparaître mais ça ne me paraît pas juste. [...]

 

Au-delà de la névrose obsessionnelle, il faut admettre que c’est le trépied obsession-phobie-hystérie, cher à Freud, qui bouge sur son axe.

 

Pareillement, ceux qui reçoivent beaucoup de jeunes le savent, ce qu’on appelle phobie dans la jeunesse, de temps à autre cela peut avoir à faire avec la question du Petit Hans, la question n’est pas là, mais la question ne se pose pas comme ça. Ceci pour une raison évidente mais qu’on oublie de commenter, c’est que, ce que l’on appelle le virtuel, l’Imaginaire virtuel, qui n’existait pas au temps de Freud, s’est imposé tellement comme nouvelle modalité de l’Imaginaire, ce qu’on pourrait appeler l’imaginarisation du Réel est tellement à son comble parmi ces jeunes qui restent des semaines, jour et nuit, dans une solitude avec des amis virtuels et leurs connections multiples. Ce que l’on appelle phobie là c’est quasiment une virtualisation généralisée. Nous parfois en CMPP, on appelle ça phobie scolaire, mais ce n’est pas une phobie scolaire, c’est une virtualisation du réel pour ces enfants. Donc là, les points d’appui que vous avez à la lecture du Petit Hans, sur l’Imaginaire, ne vont pas énormément vous aider à faire surgir des points de technicité face à ces virtuels-là. Ou alors il faudra me dire lesquels. En tout cas, cela pose des questions de technique sinon de théorie analytique.

 

Pour l’hystérie, c’est presque plus caricatural mais c’était déjà le cas quand j’ai fait mes études de psychiatrie. L’hystérie ne s’écrit plus sur le corps, c’est du baratin. Les symptômes hystériques classiques ne s’écrivent plus comme tels. Ils ne s’écrivent plus sur le corps comme défi au pouvoir du maître. Pour une raison dialectique très simple, c’est que de maître, il n’y en a pas... C’est-à-dire de maître classique auquel elle aurait à s’affronter, l’hystérique n’en rencontre pas. Alors elle est devenue quoi l’hystérie ? Eh bien, vous le savez, elle est difficile à cadrer. Elle est devenue surtout psychique. Justement sous le joug des dépressivités, des algies, des douleurs multiples que la médecine ne sait pas traiter avec les noms les plus improbables. Et puis avec ces phénomènes qu’on traite dans nos Unités, les burn-out. Ce mot-valise, qui vient cacher un rapport à la souffrance mais qui est mis au compte du social et du collectif. Elle se cache encore dans le corps avec effectivement les myalgies et autres syndromes douloureux que la médecine peine à accompagner.

 

Alors maintenant pour rester un peu didactique, c’est un séminaire c’est-à-dire que toutes les questions que je me pose, je vous les pose, je n’ai pas de fétichisme de travail, en rien. Les questions que je me pose sont des questions dont je me rends compte qu’elles font basculer des signifiants de dépôt les plus importants, on ne peut pas les maltraiter, il faut faire attention d’autant que Lacan vis à vis de Freud a toujours été d’une prudence de sioux. Contrairement à ce que l’on dit, Lacan n’a pas ménagé Freud tout en étant toujours respectueux de Freud jusqu’au bout. C’est une double valence, il faut faire attention, ce n’est pas sans le retour à Freud. Chaque fois que Lacan fait un écart, il dit quand même Freud… Quand Lacan reprend la question des identifications, il fait ses retournements topologiques, ses trous et puis il dit : « quand même, Freud a dit trois, j’en reste à trois». Donc, il y a chez Lacan ce fait de dire j’ai progressé, j’ai avancé mais il y a des choses chez Freud, eh bien écoutez, cent ans plus tard je n’arrive pas à dire beaucoup mieux. C’est cette façon que j’essaie avec vous de produire aussi c’est-à-dire où en sommes nous des grands signifiants de fondation mais on ne va pas faire table rase sur un mode comme ça éhonté.

 

L’appareil psychique décrit par Freud dans le contexte de son époque met en relation sous la forme non pas d’une cohérence, mais comme on dit en mathématique d’une décohérence, la loi et le désir. Il n’y a pas de rapport. C’est ça le message. Ce n’est pas un humanisme de cohérence que propose Freud. Il va souligner une difficulté qui n’est pas résorbable. Une décohérence. Il y a l’interdit, la place vide nettoyée de la jouissance, c’est le socle de la psychanalyse. Cette injonction, Lacan le rappellera, son problème c’est qu’elle est avant tout surmoïque. Elle est surmoïque chez Freud, Lacan ne cesse de le rappeler, et se paye donc d’une limite fixée à l’exercice et de la sexualité et de l’agressivité. C’est le socle de base freudien. Il y a une décohérence entre loi et désir et il y aura une répression surmoïque pour que la sexualité ne dépasse pas une certaine limite et l’agressivité non plus. C’est le cœur quasiment du message.

On le lit dans des textes absolument superbes : La morale sexuelle « civilisée », il n’y a rien de tel pour aggraver une femme que de la marier, vous vous rappelez du message, c’est dans Freud. Pourquoi la guerre ? Mais comment pensez-vous qu’il n’y aura pas de guerre ? C’est dans Freud. Malaise dans la civilisation, etc. Vous prenez n’importe lesquels ou même L’inquiétante étrangeté, c’est d’une beauté et d’une présence hallucinante. C’est comme le pianiste, quand vous prenez un grand texte comme ça, vous avez la voix qui vous commande, on voit la sensorialité du père Freud et puis cela impose en vous un sacré silence.

 

L’économie psychique du malaise actuel fait fi peu à peu de la négativité de l’interdit. C’est-à-dire qu’il y a quand même ce problème structural de base. La conception freudienne admet une négativité. Il y a de l’interdit, il est surmoïque, il est totalement fou mais il est accepté par les inconscients et les peuples. Nous sommes probablement dans un moment ou cette forme de négativité est rendue suspecte. C’est ce que vous avez vu dans la campagne américaine, il n y a plus aucune négativité. On peut dire n’importe quoi de haineux ça n’a aucune importance puisque ça aura son public. C’est un phénomène assez troublant. Dans l’Histoire, il y a eu des phénomènes de grande ampleur où cette destructivité était à l’œuvre. Peut-être d’ailleurs que dans les mémoires de l’inconscient collectif se véhicule cette possibilité de lever les interdits. Clinique des mémoires.

 

Wo Es war, soll Ich …, je dois. Je peux car je le vaux bien, a dû penser Trump probablement. Le soi comme idéal est forme nouvelle d’un narcissisme décomplexé qui s’affiche partout. Et je dirai même que le sujet dit moderne prend son soi et son corps comme un projet comme on dit chez nous « projet d’Établissement ». Projet du soi, projet de la performance, sans parler du corps avec en plus l’idéologie de la santé. Dans les boîtes américaines, vous savez que les salariés sont contrôlés sur leur santé propre. Ils sont au boulot et leurs constantes biologiques sont enregistrées, ils doivent leur santé à l’entreprise sinon ils sont sanctionnés. On est dans des formes de mutation du rapport à l’objet qui sont sensationnelles. Nous sommes dans un temps de l’individualisme narcissique. Avec ce défaut des lacaniens, à part la mise en place somptueuse du stade du miroir, ils n’ont pas poursuivi une clinique à part entière de ce qu’on appelle une clinique du narcissisme. Dans les écoles freudiennes, le terme de narcissisme a été beaucoup déblayé dans sa sémiologie. Aujourd’hui sans cette sémiologie on est désemparé.

 

Du point de vue de la technique analytique, nous aurons à revenir sur l’avenir des deux socles de la pratique, ceux dont parle Freud et que Lacan n’a pas démenti. C’est-à-dire dans nos cures, que devient le socle d’un côté du fantasme et de l’autre de l’identification ? Ce sont les deux terreaux naturels de la séance analytique. Car certains sujets que nous recevons apparaissent comme des « sujets sans marque », comme le dit Luis Izcovich, notre collègue de l’École des Forums du Champ lacanien dans son très joli livre sur Les marques d’une psychanalyse. Il le décrit sur un mode phénoménologique intéressant. Il dit qu’il rencontre aujourd’hui des sujets sans marque, sans trait, sans fenêtre. On n’a pas d’appui ni sur le trait d’identification et de filiation, ni spontanément sur le matériel fantasmatique. Le sujet vient se plaindre d’angoisse, d’un tas de trucs mais on ne sait pas très bien par quel bout démarrer parce qu’on ne sait pas où sont les marques.

Voyez, on n’est pas tout seul, il y a beaucoup de collègues qui travaillent sur des questions nouvelles comme ça et qui sont de très bons cliniciens qui amènent des problèmes de clinique actuelle avec les terminologies qui sont les leurs, « un sujet sans marque », pourquoi pas.

 

Pour les amateurs du Lacan topologue, je crois qu’il y a un hiatus, mais c’est un jeu de mot, c’est une lacanerie que je vous propose, mais qui serait quand même qu’un jour quelqu’un fasse la distinction entre l’espace connecté dont je parlais tout à l’heure et l’espace connectif. Parce que l’espace lacanien, c’est l’espace connectif. C’est-à-dire que Lacan dit quand même que trois points peuvent être reliés ensemble sans qu’ils soient reliés deux à deux. Ça ne paraît rien mais c’est immense cette idée, RSI. Alors que souvent notre idée de la clinique, même freudienne, est binaire. C’est ceci ou c’est cela. Lacan dit « non », on passe, dit-il, dans un espace connectif. Et là de manière merveilleuse nous vivons tous, sauf ceux comme moi qui sont assez rébarbatifs, dans un espace connecté. Les commentateurs disent c’est génial cette nouvelle civilisation, cette nouvelle démocratie de la connection mais on paye le prix sur le plan symptomatique de la virtualisation dont je parle. Il y a là un travail heuristique à faire, à la fois la proximité des deux signifiants et leur écart.

 

Vous savez que Lacan s’est plaint, mais ce n’était pas juste une figure de style, il s’était plaint de ne pas avoir pu raconter suffisamment les appuis qu’il avait trouvés dans la Bible classique. Il le dit. Il pensait trouver dans le commentaire biblique des choses qu’il n’a pas souhaité donner pensant que les collègues n’étaient pas prêts à entendre et puis ensuite c’était trop tard ce qui fait que cela nous manque. Dans le bond qu’il fait du Nom-du-père à RSI, il y a des linéaments intellectuels qui ne nous sont pas connus. Il faisait plein de choses qu’on est même infichu de connaître, il prenait des cours d’hébreu, il s’intéressait à Dante comme on le sait par ailleurs, à Joyce, il l’a écrit. Et alors, à propos du Nom-du-père vous avez, par exemple, le petit prophète Osée.  Et comme je le disais “il faut oser”, donc je vous ai pris Osée. Osée dit ceci :

« Cet arbre n’a pas besoin d’être planté, il arrive comme ça sur les bords des chemins ».

Parce que nous quand il n’y a pas de Nom-du-père ou du Phallus, on est perdu. C’est un tic lacanien. Mais lui, Osée, il dit :

“ Cet arbre n’a pas besoin d’être planté, il arrive comme ça sur les bords des chemins”. L’arbre dont il s’agit, ce n’est pas un secret, c’est le figuier, qui est l’arbre prophétique d’Israël. Ce qui est intéressant c’est de filer la métaphore qui est très belle dans la mise en place inquiète que nous avons nous-mêmes des grands mots, Phallus, Nom-du-père, ceci, cela, même de vérifier auprès de l’enfant que tout est bien ordonné. Or Osée dit autrement, il dit d’un certain point de vue, c’est le Réel qui tresse à la place de la Nomination Symbolique. C’est quand même la conviction que Lacan avait, selon laquelle quelque chose pouvait tenir la route et faire fonction sans qu’il soit besoin forcément de sa marque de classicisme, de tradition. C’est très intéressant et vous voyez combien un petit prophète, comme on dit, déjà était inspiré. On n’est pas prophète facilement en son pays, comme vous le savez.

 

L’Œdipe est-il un invariant ? Et le Nom-du-père de Lacan qui s’y substitue d’une certaine façon, comment Lacan en donnait la fonction dans la culture ? Pour Lacan, la question du Nom-du-père dans la culture n’est pas réservée à l’analyse du cercle de la famille. Il faut faire attention à cet aspect. Ce n’est pas juste le triangle œdipien familial qui intéresse Lacan quand il introduit la question du Nom-du-père. C’est là où il faut aller doucement parce qu’il touche à des niveaux généraux dans la culture, entre science, religion, etc. Il touche à des métastructures telles, qu’on ne peut pas comme ça y aller avec un rouleau compresseur. Il y a dans les Écrits, cette superbe phrase qui anticipe d’un certain point de vue ce déplacement en cours de l’axe des névroses. Lacan dit ceci :

 

« Tout comme l’oppression insensée du surmoi reste à la racine des impératifs motivés de la conscience morale, la furieuse passion qui spécifie l’Homme d’imprimer dans la réalité son image est le fondement obscur des médiations rationnelles de la volonté ».

 

Là je crois que Lacan a une prémonition, vint l’époque où nous croyons imprimer dans le Réel notre image, effectivement. Nous sommes à l’époque du narcissisme flamboyant où nous pensons les uns les autres imprimer dans le Réel notre image.

 

Pour les praticiens de la clinique de l’enfant, ce qui reste techniquement très important et très difficile à solder, ce qui reste puissant dans la découverte de Freud, c’est la dimension de la castration qui est constitutive de la psychanalyse. Il y a une question presque toute simple pour le praticien de l’enfant : par quel biais va se limiter une normativation des jouissances ? C’est presque une question de base qui est rappelée dans tous les cas de figure. Que les enfants aient un papa ou pas à la maison, ça n’a pas d’importance, qu’est-ce qui est en fonction de castration ?

Il y a une question très importante chez Freud, cette question d’une jouissance qui doit se trouver interdite, elle est réellement interdite et mythiquement interdite pour Freud. Freud situe la question à deux niveaux, un niveau phylogénétique, comme il le dit, et un niveau ontogénétique. C’est-à-dire que la jouissance est interdite de manière pratique. Quand nous on reçoit une maman qui dort encore avec son môme, qui l’accompagne quand il va faire pipi, on lui dit « vous arrêtez ». Mais oui, et ça arrive bien plus souvent qu’on ne le croit. C’est le niveau ontogénétique simple si j’ose dire. Mais Freud, ce qui en fait la complexité, c’est qu’il le situe à un niveau phylogénétique, donc c’est interdit du point de vue du mythe.

Si on se demande très précisément ce qu’est devenu chez Lacan ce filage, je ne saurais pas dire exactement ce qu’il fait du double fil. Est-ce que ça devient chez Lacan un logos sans mythos ? C’est-à-dire est-ce qu’on peut dire que Lacan pousse la radicalité de la lettre jusqu’à admettre un logos sans le mythos, ou pas ? Ça passe où dans les Ecrits, je ne sais pas... C’est vrai que dès que vous êtes dans les périodes très topologiques, c’est apparemment délié de la question phylogénétique. Est-ce que les lettres elles-mêmes portent la mémoire de ? Chez Freud c’est très tendu. Il y a la mémoire au sens transhistorique, les grandes Mémoires transhistoriques, et la mémoire au sens œdipien, simple, et les deux se mêlent de façon topologique, se trouent, se renversent, c’est très intéressant la manière qu’a Freud de raisonner. À mon sens ça a été un embarras pour Lacan de savoir quoi faire de cette partie. Mais ça ne sous-entend pas que pour nous la question soit soldée. Quand vous êtes dans un Service où vous vous occupez beaucoup d’enfants traumatisés par les Mémoires des peuples, il va de soi que ce n’est pas l’histoire œdipienne pure qui va faire que vous résolviez les questions. Freud sur des dimensions telles a raison, on ne peut pas juste dire il y a la petite structure familiale, tout le reste on oublie, c’est vain.

 

Le père intervient pour Freud par ce double interdit, l’un porté sur l’enfant mais l’autre sur la mère. Tu ne seras pas le phallus qui manque à ta mère, tu ne prendras pas notre enfant pour le phallus qui te manque. C’est la double opération. Double interdiction. Ce qui fait qu’en topologie, il y a toujours ces opérations de doublure, on comprend bien pourquoi. Il faut repasser deux fois par la négativité. Le signifiant phallique donc est le signifiant en principe de la castration, de cette opération de double interdiction. C’est-à-dire qu’un signifiant vient prendre la place non pas de la perte mais du manque. Une fois qu’il y a cette opération de double interdiction, il y a un creux, il y a un vide, il y a du manqué, ce que les analystes lacaniens appellent signifiant phallique. Manque qui situe la perte des objets primordiaux tel que le raconte merveilleusement  l’École anglaise. Donc la perte des premiers objets que Mélanie Klein raconte, comment l’enfant opère, comment le signifiant du manque vient à la place de ces objets, c’est très bien raconté, c’est pour ça que je milite actuellement pour une mise en rapport de la haute clinique d’observation anglaise et des signifiants lacaniens, parce que ça nous aide. Quand on dit signifiant phallique, vous ne comprenez pas spontanément ce que cela signifie en dehors du champ propre de notre spécialité, il faut faire un effort pour expliquer comment ça opère.

 

La question qui est complexe techniquement, c’est que la mise en place de cette double négativité, dans la cure, pour Freud, n’opère qu’à partir de deux points d’appui, on peut en rajouter un troisième pour Lacan. Le premier, Un enfant est battu, la fenêtre du fantasme, sur lequel Lacan dira qu’il n’a rien à ajouter sauf côté féminin, ce qui est quand même énorme... Et puis ce merveilleux travail sur la question des identifications, quel trait prélever de l’autre ? Logique du sexe et de l’être combiné. RSI, donc nous devons ajouter un troisième terme au fantasme et à l’identification, qui est pour les lacaniens, la littéralité de l’inconscient sur laquelle il a tellement insisté. C’est-à-dire l’inconscient est fait d’une fenêtre fantasmatique, de traits découpés, mais surtout également d’un long ruban littéral, de lettres porteuses de jouissance. Et donc pour Lacan, RSI est la combinaison de ces trois entrées en quelque sorte. [...] Les lettres de l’inconscient, littéralité porteuse de la mémoire des jouissances.

 

Donc je dirai que quand vous recevez un jeune maintenant, ou un moins jeune, c’est ça qui va vous paraître beaucoup plus illisible. C’est-à-dire que vous aurez du mal à situer le lien dialectique, surtout chez les garçons d’ailleurs, moins chez les filles, parce que les filles restent lectrices… Ce sont les liens dialectiques qui sont aujourd’hui rendus souvent illisibles.

Lacan tenait énormément à quelque chose qu’il a mis en place très tôt, qu’il appelle le graphe du désir. Ce graphe résume quasiment toute la structuration psychique depuis le cri premier, le problème moïque, la mise en place spéculaire, le passage par la pulsion, le fantasme et le trait d’idéal sur lequel cela se termine. Et ce qui est intéressant c’est que Lacan, quelles que soient ses occurrences, a toujours fait référence dans son propre enseignement au graphe.

Et je dirai, pour aller vite, que le problème aujourd’hui c’est ça, vous allez avoir des disjonctions, des dégrafages... Vous avez par exemple une clinique du pulsionnel où le rapport au fantasme est absolument inaudible, ou une clinique du fantasme où le rapport au trait est illisible, aucune filiation n’est apportée. Et quand Lacan suit dialectiquement les différentes étapes d’agrafage, vous vous rendez compte que beaucoup de jeunes et de moins jeunes qui se présentent à nous… Vous peinez à comprendre les liens dialectiques. Et donc il y a un dégrafage, j’insiste bien sur le fait que ça n’en fait pas des psychotiques, mais vous avez des dégrafages... Pour certains on va dire qu’ils sont totalement dans le pulsionnel, pour les autres qu’ils sont totalement dans l’addiction... On peine à comprendre l’ensemble du chemin structural. Et ça me paraît une clinique qui est nouvelle. On ne peut pas dire aisément phobie, hystérie... La nomination sera en abîme parce que les éléments d’appui techniques de ces nominations vont nous manquer. Est-ce qu’on peut réagrafer par le transfert ? C’est un vœu mais ça reste une question. On ne peut pas dire oui et non, comme ça au hasard, ça va dépendre...

 

Aux Journées de Sainte-Anne, j’avais raconté le cas d’un jeune, qui était vécu comme un fou de l’agir, au bord du passage à l’acte permanent et pour qui nous avons pris le parti de ne traiter que sur le symptôme. On l’a attrapé sur le symptôme et ça a été une réussite technique. Donc là, c’est le cas inversé. Sous couvert que l’école le présentait comme une bombe atomique, prêt à tout, à tuer n’importe qui, on a choisi de parier sur un élément de symptôme et la clinique s’est développée pour finir comme une névrose plus ordinaire qu’il n’y paraissait. Donc il y a des cas inversés. Il faut tout dire, tout raconter, pour mesurer les écarts et les difficultés.

 

Alors pourquoi on ne peut pas solder le Nom-du-père comme simplement équivalent de l’Œdipe ? Alors je vous le donne pour les prochaines Journées, c’est la formule que dit Lacan dans La science et la vérité (1965-1966), il dit ceci :

« […]  si d’autre part on reconnaît que la psychanalyse est essentiellement ce qui réintroduit dans la considération scientifique le Nom-du-père […] ».

C’est là où effectivement on voit que pour Lacan, l’utilisation Nom-du-père n’est pas que le petit drame œdipien qui se joue à la maison. Et c’est peut-être là qu’il rejoint la question de la phylogénèse freudienne avec une autre acception de l’importance du Nom-du-père dans la culture. Et là Lacan, il est marxiste quasiment, il est super structuraliste, il va dire :

« mais au fond la psychanalyse  s’affronte à quelle sorte de superstructures ? » 

Il les cite : la magie, la majorité des pays dans le monde sont encore des mondes magiques, deuxième point qui ne vous étonnera pas, la religion, et troisième ordre général la science. Donc, Lacan dit, la psychanalyse se heurte à ces trois murs. Il choisit le joug sous lequel il se met qui est paradoxalement le sujet de la science. Ce n’est pas au choix : magie, religion et science.

 

À la toute fin du texte La science et la vérité, où je crois il faut entendre chez Lacan des idées prémonitoires à sa façon, il dit :

 

« Conclurai-je à rejoindre le point dont je suis parti aujourd’hui : division du sujet ? Ce point est un nœud.

Rappelons-nous où Freud le déroule : sur ce manque du pénis de la mère où se révèle la nature du phallus. Le sujet se divise ici, nous dit Freud, à l’endroit de la réalité, voyant à la fois s’y ouvrir le gouffre contre lequel il se rempardera d’une phobie, et d’autre part le recouvrant de cette surface où il érigera le fétiche, c’est-à-dire l’existence du pénis comme maintenue, quoique déplacée ».

 

Vous voyez, cette double opération que Lacan cliniquement situe, la constitution de la névrose et puis cette surface déplacée mais maintenue qu’il appelle le fétiche. Et je crois que nous sommes dans l’autre part. Lacan raconte à sa façon ce déplacement massif du signifiant vers un signe maintenu, le soi, ce qu’on peut appeler le soi à la place de la division du sujet, ce que nous vivons nous-mêmes.

 

Donc il nous faudra reprendre Freud dans sa généralisation et qui a toujours posé problème aux contemporains marxistes, qui est le problème de la répression des pulsions. C’est ce drame, la répression des pulsions, qui a toujours philosophiquement posé difficulté dans l’inscription de la psychanalyse au milieu des sciences humaines. Par exemple, vous avez le très beau résumé qu’en fait Herbert Marcuse, qui était à la mode dans les années 50, Eros et civilisation, 1955, c’est la même époque que le séminaire sur les psychoses, il dit ceci :

« Le remplacement du principe de plaisir par le principe de réalité est le grand évènement traumatique du développement humain, aussi bien au niveau du développement de l’espèce, phylogenèse, que celui de l’individu. Pour Freud les deux niveaux s’interpénètrent continuellement, se répètent, se rejouent, refoulement et retour du refoulé sont la même chose. »

 

Une référence de lecture, je vais vous en parler très vite, un philosophe allemand d’origine coréenne, Byung-Chul Han, auteur de La Société de la fatigue. La thèse de ce philosophe répond de manière résumée au changement contemporain, celui que je souhaite vous decrire. Il dit ceci :

 

« La psyché du sujet performant d’aujourd’hui est différente de celle du sujet discipliné. L’appareil psychique de Freud est un appareil contraignant, répressif, avec ses règles et ses interdits. La psychanalyse de Freud n’est possible que dans une société répressive qui fonde son organisation sur la négativité de l’interdit et de la règle. Mais la société d’aujourd’hui est une société de la performance qui ne cesse de se débarrasser de cette négativité. L’inconscient freudien n’est pas intemporel ».

 

Il faut entendre que pour quelqu’un de dégourdi en philosophie, qui est lu, qui est publié, qui est discuté, lui il marque ça en clair :

« L’inconscient freudien n’est pas intemporel ». « La liberté nouvelle se change en un rapport narcissique à soi-même, responsable de bien des dommages ».

Il fait un typus qui est intéressant, un typus sociologiquement résumé mais qui donne quand même une petite typologie, il dit ceci :

 

« Le sujet performant, épuisé et dépressif, est en même temps usé par lui-même, incapable de sortir de lui-même, d’être dehors, de se fier à autrui, au monde, il s’acharne sur lui-même ce qui aboutit paradoxalement à creuser et vider son soi. Les nouveaux medias et techniques de communication diluent l’être pour autrui. Dans les espaces virtuels, le moi peut se mouvoir pratiquement sans principe de réalité. Dans les espaces imaginaires de la virtualité le moi narcissique rencontre avant tout lui-même. La virtualisation fait disparaître le réel comme arrêt, résistance mais aussi refuge».

 

Vous avez, fait par un philosophe de bon niveau, une typologie clinique sur la dépressivité de l’inconscient « actuel ».

 

Je vais terminer avec ces trois aphorismes sur la question d’imprimer comme dit Lacan dans le Réel notre image, cette culture de l’instant.

Le fantasme c’est la mémoire de l’«infantile» pour nous. C’est ça que Freud appelle fantasme. C’est excellemment décrit par Freud mais aussi par les très grands de l’École anglaise. L’identification, mémoire de la filiation, de génération en génération comme le dit la Bible. La littéralité de l’inconscient, mémoire des jouissances. Donc on a ce socle mémoriel et alors, quid de imprimer dans le Réel notre image, vivre l’instant au présent ?

Ce vœu qui est celui d’une névrose nouvelle doit être, je crois, distingué effectivement. C’est-à-dire un vœu de ce type est difficile à travailler dans les trois formes mémorielles que j’ai précitées. S’il y avait parmi vous un jeune féru de philosophie, je crois qu’il pourrait faire un travail intéressant pour distinguer l’instant, le présentisme moderne, de ce que les Anciens appelaient le kairos du stoïcien. Chez les Grecs, il y avait cette idée du moment à ne pas louper. C’est-à-dire que les Grecs se tenaient dans l’idée qu’il y avait un temps, un présent, une chance à prendre ou bien une bataille à gagner, être là au bon moment. La chance d’un transfert on pourrait dire. [...] Donc il y aurait un travail à faire parce que le présentisme d’aujourd’hui, d’imprimer son image dans le Réel ce n’est pas l’appel stoïcien, il faudrait comprendre quel est le décalage.

 

Espace connectif, structure connective des entrelacs. Dugowson, mathématician lacanien, lui-même a fait une thèse sur L’espace lacanien, avait noté :

Si vous prenez 1 borroméen fait de 3 borroméens, si vous faites une rupture de l’un d’entre eux, il dit :on coupe. Donc il y a une destruction qui semble se produire à un certain niveau de verticalité. Mais, dit Dugowson, le reste tient. C’est-à-dire que topologiquement, ce n’est pas destruction de la destruction. [...]

Il dit tu as beau toucher un des schémas de la tradition ou de la filiation, ça ne va pas empêcher la propriété borroméenne à ce qui reste. Donc, j’en reviens à mon prophète Osée :

 

« Cet arbre n’a pas besoin d’être planté, il arrive comme ça sur les bords des chemins ».

 

Dugowson le dit autrement à sa façon. Il dit vous croyez que tout s’inscrit dans une forme de tradition, un isomorphisme, non, même si un point est détruit, ce que l’on observe en permanence, ce n’est pas pour autant que la propriété générale de la fonction va être absolument condamnée. C’est pour ça, je m’insurge souvent de la façon dont on traite la jeunesse, on parle de nos jeunes comme s’ils étaient devenus des abrutis, je suis horripilé de ça, on ne peut pas parler d’une classe d’âge entière comme si c’était devenu des écervelés, ce n’est pas possible.

 

La proposition théorico-pratique qu’il faudrait examiner, qui a surgi lors de l’étude du Séminaire d’été par une très élégante collègue italienne qui était restée très près du texte de Lacan, c’était Le moment de conclure, que je vous rappelle :

« c’est le Réel qui tresse à la place de la Nomination Symbolique »,

vous la notez simplement et elle fera son travail dans l’inconscient. [...]

 

C’est le Réel qui tresse à la place de la nomination, pour vous donner un exemple concret, comment ça se passe dans la vie psychique ? Au bout d’un temps, j’essaie de faire que le Réel m’ordonne car j’en ai marre des débats inutiles et des discussions pour rien. Ce qui fait que j’ai demandé à la Direction générale de la MGEN, hier, à son niveau le plus haut, que l’on se porte au devant des Centres de migrants qui vont s’ouvrir par la Mairie de Paris. Je m’en fous de discuter ici de ces problèmes de migrants, ça ne m’intéresse pas. Ou bien nous nous portons au devant des choses, ou bien on discutaille. Moi je ne discute plus pour rien. C’est insensé de se balader dans Paris, on voit des mômes, 3-4 ans, 6 mois, à même le sol, partout. On s’en fout, on va au séminaire. Quel est le problème ? la perte de la vision mentale dont parlaient les grands ? Mais… c’est la nôtre! La Mairie de Paris ouvre des Centres dont certains dédiés aux mères et aux enfants, moi j’ai dit en quoi un Service de pédopsychiatrie ne pourrait pas se porter avec d’autres candidats sur leur temps de travail, quel est le problème, on est au service de quoi, on est au service de la psychopathologie en l’air… C’est à ma façon que j’entends, mais je dois dire que ça m’a fait injonction, je l’ai entendu comme ça, le Réel qui tresse à la place, je ne vais pas attendre qu’on m’ordonne. Sur ces questions, chacun fera ce qu’il veut, moi je prendrai les responsabilités qui sont les miennes, c’est pour ça que je suis resté dans le Service Public depuis le début de ma carrière. Tout le reste, c’est bien, mais il faut qu’il y en ait qui fassent le boulot. [...]

 

Je termine avec une citation. Heidegger, Le principe de raison, lui n’a pas toujours été raisonnable. Weilen, il précise que ça signifie durer, rester tranquille, s’arrêter, se tenir là, à savoir en repos, le S (%) [lire: S de grand A barré].  Il dit nous avons de Goethe le très joli vers :  

 

« Le violon se tait, le danseur hésite et s’arrête. Au moment où le danseur s’arrête dans son mouvement, il s’aperçoit de l’existence de tout l’espace ».

 

Vous voyez ce point sublime que la poésie révèle, c’est un Nom-du-père. Ce n’est pas l’occurrence ordinaire que vous attendez du Nom-du-père, il est Nom-du-père mais il est Nom-du-père dans le trou. Il fait trou, il fait arrêt. Et c’est au moment de cet arrêt, de ce silence que l’espace complet s’ouvre.

 

Voilà où on en est. On n’est plus dans le temps mythique ni même dans le temps historique... Conclusion provisoire donc, temps de l’information, temps atomisé, et donc on s’arrête et on se retrouve pour ceux qui le souhaitent le 28 janvier après le Séminaire d’hiver consacré au Moi chez Freud et quelques textes.

 

Transcription : Nicolas Moysan, Pascale Monduit

Relecture : Monique de Lagontrie