Extraits du séminaires 2009 - 2010 de C.Landman, La Raison depuis Freud

La Raison depuis Freud  (Séminaires de l’Association lacanienne  internationale, édition 2012)

 

Claude Landman :

Comme vous le savez peut-être, le titre du séminaire que je me propose  de développer cette année se réfère directement à celui d’un article de Lacan que nous étudierons de près, daté de 1957, et dont l’intitulé complet est : l’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud.

  •  Elle (la psychanalyse) ne donne aucune consigne d’ailleurs. Elle se contente de faire valoir une éthique. Mais quand on y réfléchit, ces deux distributions du savoir, c’est aussi bien la façon dont le savoir se partage entre homme et femme. Je veux dire cette opposition entre l’intellectuel et l’affectif, entre le savoir du corps et le savoir de l’intellect, c’est bien souvent comme ça que se font les scènes de ménage ! Vous me direz que c’est l’hystérique qui rencontre l’obsessionnel. Certes ! C’est souvent comme ça ! Mais ça n’empêche que ça indique assez bien ces deux modalités qui se trouvent séparées, voire opposées, alors qu’elles ne vont pas l’une sans l’autre. C’est-à-dire que l’inconscient que Freud découvre, c’est l’objection à l’universel, c’est l’objection au tout, au tout savoir par exemple.

Mariella Galvagno  - Donc si l’amour du père peut indiquer une fin possible de l’analyse, du coup, ça veut dire l’acceptation de l’amour d’un père ignorant ou qui ne veut pas répondre. Dans l’analyse, en principe, il ne veut pas répondre parce que comme elle a dit, pour garantir, je dirais, le désir.

  • Quand le Nom-du-Père est appelé dans la psychose rien ne répond. Et c’est à partir de là, du point où le Nom-du-Père qui est appelé ne répond pas, que le langage se déchaîne.
  • (…) Il est certain que l’écriture scientifique est une écriture littérale.  mais le statut de la lettre n’y est pas le même. C’est-à-dire que dans l’inconscient, la lettre est ce bord entre la jouissance et le savoir, c’est-à-dire c’est quelque chose qui… renvoie à la jouissance, puisque Lacan va même jusqu’à dire que ce petit a qui est aussi bien la lettre que l’objet qui chute du corps… Parce que c’est ça aussi la puissance de l’écriture petit a chez Lacan. C’est une lettre et en même temps, cette lettre désigne un certain nombre d’objets. Justement, au moment où se produit une irruption de jouissance dans le corps du fait de la répétition du signifiant. C’est-à-dire que cette jouissance ne sera plus jamais retrouvée à l’identique. Il se produit une perte. Et cette perte, Lacan va spécifier qu’elle s’écrit petit a, c’est-à-dire que c’est aussi ce qui chute du corps… Certains objets du corps qui vont chuter, ce sont les quatre objets que l’on connaît : le regard, la voix, le scybale et le sein et qui seront tout ce qui restera de la jouissance perdue.

Pour le reste, du fait de la mise en place de l’Autre du signifiant, c’est-à-dire de quelque chose qui relève de la raison, eh bien, la jouissance se trouve évacuée ; il y a à la fois irruption et perte de jouissance du fait de la rencontre avec le signifiant. C’est ça que commémore, si vous voulez, d’une certaine façon, la lettre dans l’inconscient.

  • Dans le discours courant, habituel, quotidien, sauf dans le cas du lapsus par exemple, ce jeu du signifiant, qui est inconscient, est assurément moins repérable que dans le rêve.  Il n’en est pas moins à l’œuvre, puisque c’est le jeu du signifiant, sous la forme de la substitution d’un signifiant à un autre signifiant par exemple, qui va engendrer la signification, en franchissant, nous dit Lacan, la barre qui le sépare du signifié. Le jeu qui est ainsi à l’œuvre à l’étage du signifiant, je crois que nous pouvons l’appeler avec Lacan la signifiance, afin de le distinguer de la signification qu’il induit. Cette signifiance se manifeste, j’y reviendrai, selon deux modalités : la métaphore et la métonymie. Elle se produite aussi bien dans le rêve, que dans la poésie ou le discours courant.
  • La lettre volée, le conte d’Edgar Poe que Lacan reprend, montre très bien comment un certain nombre de personnages dépendent, pour leur avenir, leur destin, leur façon de se positionner dans la vie, du circuit d’une lettre, d’une épistole en l’occurrence, indépendamment de son contenu. C’est ce parcours de la lettre qui nous détermine, ou pour le dire avec Freud, ce qui nous surdétermine. Donc cette ex-sistence, cette ex-sistence de l’Autre, c’est quelque chose d’essentiel à notre vie. C’est ce qui nous fait respirer, c’est de là qu’on désire !
  • J’ai essayé de vous dire que lorsque ce lieu de l’Autre se réduit à une pure écriture logico-mathématique, qui présentifie certes la structure du sujet de l’inconscient, mais dans la mesure où il le présentifie dans la réalité, il n’est plus le sujet de l’inconscient au lieu de l’Autre. Il n’est plus dans le registre de l’ex-sistence. Ce n’est plus du désir dont il s’agit avec l’écriture scientifique et technique, ça a des effets sur nos vies.
  • (…) il n’y a pas d’un côté la lettre et de l’autre côté le signifiant. La lettre est une dimension du signifiant, distincte en même temps, qui du coup va devenir distincte.
  • Mais c’est plutôt le signifiant qui est dans le registre de l’échange. Justement, la lettre, en tout cas si on la prend sur le versant du nom propre, ne semble pas se situer dans le registre de l’échange. Parce que l’échange, c’est la substitution des objets qui sont échangeables, c’est dans le registre de la métaphore.

(…) la coalescence de cette naissance du sujet et du signifiant, se conjoint avec rien moins que l’origine de l’écriture.

  • Vous connaissez l’écriture lacanienne du sujet : S.

Le sujet est un sujet barré. Autrement dit, ce n’est jamais un sujet plein et entier, c’est un sujet divisé. Il n’existe pas de signifiant qui dirait à chacun ce qu’il en est comme sujet, pas plus qu’il n’y a dans l’inconscient de signifiant du rapport sexuel qui nous dise comment faire avec l’autre sexe. Autrement dit, en tant que sujet, nous ne sommes jamais que représentés par un signifiant. Ce signifiant en question ne nous dit pas ce que nous sommes, il nous représente.

Et c’est la raison pour laquelle je vais m’intéresser ce soir à une opération, à un processus dont Lacan nous dit qu’il est facile à constater, mais bien difficile à concevoir, qui est le processus dit de l’identification.

Parce que qu’est-ce que c’est l’identification ? On dit ça, ça paraît aller de soi l’identification ! Je m’identifie à Untel. Bon, très bien ! Mais comment concevoir ce processus que Freud – je l’évoquais tout à l’heure – a mis en avant ? L’identification, en psychanalyse, c’est précisément le rapport du sujet au signifiant. Autrement dit, l’identification est toujours une identification de signifiant, c’est toujours une identification à un 1, au 1 du signifiant.

Je vous ai dit la dernière fois que le symptôme comme signifiant représentait le sujet pour un autre signifiant, pour le signifiant qui monologue dans l’inconscient, et que le psychanalyste a à faire résonner par l’interprétation du symptôme.

Je vous avais évoqué, vous vous en souvenez, la toux de Dora, l’aphonie de Dora, mais également l’anorexie de l’homme aux rats en rapport avec le signifiant « dick », pour essayer de vous faire entendre comment ces signifiants représentaient les dits sujets pour un autre signifiant.

  • Depuis Freud, le symptôme, au sens analytique, est à entendre comme une métaphore, un signifiant qui se substitue au signifiant inconscient, auprès duquel il représente le sujet. Mais c’est une métaphore qui échoue à produire une signification à laquelle le sujet pourrait avoir accès. La signification du symptôme lui reste fermée et énigmatique.
  • C’est ce que je voudrais essayer de faire entendre à ceux qui commencent à pratiquer l’analyse.  C’est que dans la clinique psychanalytique, le psychanalyste y est inclus. C’est-à-dire qu’il fait partie du symptôme. Lacan dira une chose qui semble énigmatique – sur laquelle je reviendrai, qui est que le psychanalyste est en charge de la moitié du symptôme. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que ce qui est attendu du psychanalyste, ce que le patient attend de lui, c’est qu’il complète le symptôme en l’interprétant. Voilà ! c’est ça la mission du psychanalyste : il convient qu’il puisse interpréter le symptôme, le compléter en l’interprétant. C’est-à-dire quoi ? C’est-à-dire de mettre en rapport ce signifiant qu’est le symptôme avec le signifiant inconscient, afin de restituer au sujet un certain accès à la signification de son désir, que le symptôme ne soit plus ce masque du désir fermé au sujet.
  • Je vous disais la dernière fois qu‘au terme de la cure, il était possible d’envisager que le symptôme retrouvait sous le terme de sinthome le sens qu’il avait lorsqu’il est apparu dans la langue française, avant que n’apparaisse le mot symptôme, c’est-à-dire celui de mettre ensemble (suntithêmi), de lier, de nouer ensemble, alors que symptôme signifie tomber ensemble, coïncider.
  • Vous voyez, c’est un ensemble de quatre termes conjoints que nous allons mettre en relation, en suivant le travail de Lacan : le sujet, le signifiant, l’écriture, c’est-à-dire la lettre, et la négation. Ce sont les fonctions respectives de ces quatre éléments et les relations qui existent entre eux qui sont déterminantes dans notre discipline. Quelles que soient nos maladresses pour en rendre compte, nous ne pouvons pas ne pas nous y intéresser, parce que ces quatre éléments : sujet, signifiant, négation, écriture, c’est ce qui est à la naissance de la subjectivité, de chacun. C’est ce que chacun d’entre nous a rencontré. Évidemment nous ne nous en souvenons pas, cela a été refoulé, et pas seulement par nous en tant que sujet, c’est quelque chose qui dans la culture n’est jamais pris en compte.

C’est pourquoi la psychanalyse a tant de mal à se faire entendre, c’est qu’elle traite de ces questions qui sont des questions qui en principe devraient mettre chacun au travail, en tout cas – je ne parle pas « en général » - ceux que la psychanalyse intéresse et plus encore ceux qui la pratiquent.

  • Je vais terminer  en avançant la constitution du sujet en trois temps que Lacan nous propose. Il nous dit que le point de départ du signifiant, c’est le signe, que le signifiant ne tombe pas du ciel. Pour retirer un lapin du chapeau, il faut l’y avoir mis préalablement. Il y a cette définition : un signifiant c’est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant. Mais en réalité, pour en arriver à cette définition du signifiant, dans la mesure où le signifiant ne tombe pas du ciel, il convient de considérer que le signifiant est dans un premier temps un signe, c’est-à-dire ce qui représente quelque chose pour quelqu’un. Et Lacan nous dit que le signe, c’est sous la forme de la trace qu’il représente électivement quelque chose pour quelqu’un. Comme ce fut le cas pour Robinson  sur son île lorsqu’il a aperçu des traces de pas ! À ce point, il est difficile de savoir si ces traces sont des traces humaines ou animales puisqu’elles sont souvent piétinées. Bien sûr, Robin a le cœur qui bat.

Le deuxième temps, c’est ceci que si l’on a tenté d’effacer la trace, ou si on y a réussi, sans qu’on puisse imputer cet effacement à quoi que ce soit qui serait venu de l’extérieur, comme par exemple la mer, le vent ou la pluie. Si rien de tout ça ne s’est produit, dès lors que l’on repère que l’on a tenté ou réussi à effacer la trace, à ce moment-là, nous sommes sûrs qu’il y a un sujet dans le réel. Il n’y a qu’un sujet pour effacer sa trace. Un animal n’efface jamais ses traces. Même pas la peine de chercher ! L’animal peut feinter, mais il ne peut pas « feinter de feinter », il ne peut pas feindre de feinter. Il ne peut pas effacer ses traces. Donc, deuxième temps de la constitution du signifiant qui est en même temps le temps où le sujet est dans ce que Lacan appelle un fading, c’est-à-dire ce mouvement qui est à la fois d’apparition et de disparition. Ce deuxième temps, l’effacement de la trace, ou des traces, c’est le temps assurément du sujet, deuxième temps de la constitution du signifiant.

Et il y faut un troisième temps pour que se constitue le signifiant, qu’il ne soit plus possible de l’effacer. C’est que le sujet entoure la place de la trace qui a été effacée d’un cerne, d’un repère. Lacan nous dit qu’il y a là, dans ce troisième temps, la naissance du signifiant à proprement parler. Vous voyez, c’est assez élaboré !

Mais ce qu’il nous dit également – et ça c’est formidable parce que ça explique tellement de choses dans la clinique – c’est que ce troisième temps qui consiste à cerner l’endroit où la trace a été effacée, constitue un retour sur le premier temps. C’est-à-dire que le signifiant, au troisième temps, va pouvoir valoir comme une trace, mais ce n’est plus la même trace qu’au premier temps. Cette trace du troisième temps, elle est impossible à effacer, elle devient une marque indélébile.