D.Zagury : Introduction à la responsabilité pénale

Conférencier: 

Cours du 10/03/2014

 

 

 Daniel Zagury est psychanalyste, psychiatre expert auprès de la cour d’appel de Paris, chef de pôle à Montreuil et auteur de plusieurs ouvrages dont  « L’énigme des tueurs en série » est le plus connu, paru en 2008, et a participé récemment à l'ouvrage collectif Cruautés, paru début 2014.

Il intervient ici dans le cadre du cycle « Psychopathologie, droit et déontologie de la prise en charge » dirigé par le Dr. Faucher.

 

 

Quand on parle de responsabilité pénale en expertise psychiatrique, on fait appel en définitive à deux textes, il n’y en eu que deux depuis le code pénal de 1810, il y a l’article 64 du code pénal et il y a l’article 122-1 du code pénal. C’est d’ailleurs très étonnant de voir une telle continuité, parce que en deux siècles, il n’y a eu que deux formulations.

La première formulation, c’est le fameux article 64 du code pénal : « Il n’y a ni crime, ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ». Vous verrez que la philosophie de ce texte très général a été sauvegardée avec le nouveau code pénal. Ce « il n’y a ni crime, ni délit », a beaucoup fait gloser les psychiatres. Ce « il n’y a ni crime, ni délit », ça ne voulait pas dire qu’il y avait négation de l’acte, ça voulait dire que l’infraction n’était pas constituée en termes juridiques. Pour qu’une infraction soit constituée en droit, il faut qu’il y ait un élément matériel et un élément moral. L’élément matériel c’est telle personne, par exemple a tué telle personne, à tel endroit, avec telle complicité, tel jour, c’est l’élément matériel. Et l’élément moral c’est l’intentionnalité. Y avait-il un sujet de l’acte, comme on dit maintenant, ou le sujet était-il totalement irresponsable, et à ce moment là il n’y a pas d’élément moral constitutif de l’infraction. Donc « Il n’y a ni crime, ni délit », cela voulait dire il n’y a ni crime, ni délit constitué en droit. Ça ne voulait pas dire ça n’a pas eu lieu. « lorsque le prévenu était en état de démence », l’état de démence ça n’était pas du tout, dans le langage du début du 19ème siècle, la démence d’aujourd’hui, qui est l’affaiblissement intellectuel, sénile, la personne âgée qui perd la tête, qui perd la mémoire, qui est désorientée, qui perd son jugement, etc. L’état de démence au début du 19ème siècle, ça voulait dire tout simplement « aliénation ». Donc c’est un terme très générique, ça veut dire que le législateur a laissé aux aliénistes, et plus tard aux psychiatres, le soin de dire ce qu’ils entendaient par « démence ».

 

« au temps de l’action », ça veut dire que l’expert va se reporter au temps où les faits ont été commis, et donc c’est toujours un diagnostic rétrospectif. Évidemment il est rare que l’expert soit présent sur la scène du crime, comme vous pouvez imaginer, mais il doit, à partir du récit du sujet, des éléments de l’enquête, des différentes auditions, reconstruire l’état psychique du sujet au moment des faits. Donc dans toute expertise, il y a plusieurs niveaux, expertise pénale d’abord, un diagnostic actuel : la personne qui est en face de moi présente tel ou tel trouble, un diagnostic rétrospectif : au moment des faits son état mental était le suivant, et une interprétation médico-légale qui est : l’état mental au moment des faits, rend-il compte de l’acte qui a été commis ?

Donc ça c’est l’article 64 du code pénal, qui a été reformulé, avec l’article 122-1 du nouveau code pénal, et le « il n’y a ni crime, ni délit », qui effectivement dans le langage commun pouvait être choquant, dire à une mère dont la fille a été assassinée, qu'il n’y a ni crime, ni délit, c’est quand même quelque chose pour les non juristes que nous sommes, de difficile à recevoir. Donc cette formule a disparu.

Et « n’est pas pénalement responsable » ( reformulation de l'Article 121 -1),  la personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement, ou le contrôle de ses actes. Là, le législateur emploie un terme fort, le terme « abolir », abolir c’est : il n’y a plus de discernement. Quand est ce que le discernement est aboli ? Quand est ce qu’il ne l’est pas ? Là, c’est une affaire d’appréciation, mais abolir est un terme fort :  c’est aboli, c’est fini, c’est irréversible.

Donc, « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment du fait d’un trouble psychique ou neuro psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». C’est la même philosophie, le législateur ne donne pas de liste de maladies à l’expert, le législateur ne lui dit pas ce qu’il convient de faire, il le laisse libre d’apprécier en fonction de la philosophie du texte qui est toujours la même. C’est à dire que le diagnostic doit être rétrospectif et qu’il faut qu’il y ait un lien entre l’infraction qui a été commise et l’état mental du sujet au moment des faits.

 

Cet article 122-1, alinéa 1, comporte aussi un alinéa 2, donc l’article 122- 1, alinéa 2, qui regarde les situations intermédiaires, c'est-à-dire celles où le sujet ne peut être qualifié de normal au sens large du terme, mais où il y a un certain nombre de troubles qui ont été objectivés à l’examen, mais qui néanmoins ne sont pas suffisants pour considérer que son discernement était aboli. Et donc le texte est le suivant, de ce deuxième alinéa, « la personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement… », donc voyez que « altéré », ce n’est pas « aboli », c’est entre les deux, « ou entravé le contrôle de ses actes… », entravé, ça veut dire gêné, « demeure punissable ». Donc la personne demeure punissable si son discernement a été altéré, « toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime ». Alors là je fais juste une petite parenthèse parce que lorsque l’expert conclut que le discernement a été altéré, souvent la peine est encore plus lourde.

C’est à dire que voilà des gens qui sont particulièrement difficiles, aujourd’hui on les appelle des psychopathes, on a des appellations qui sont plus contemporaines, qui ont des troubles importants de la personnalité, qui sont plus instables, plus rétifs, plus difficiles à encadrer, et donc l’intention du législateur dans la rédaction, c’était quand même plutôt dans le sens de l’atténuation, mais la réalité des tribunaux, c’est souvent l’aggravation.

Ce texte est générique, il laisse à l’expert une grande liberté et même une certaine laxité dans l’interprétation.

Donc notre philosophie c’est le diagnostic rétrospectif pour lequel on a une grande latitude d’interprétation : il faudrait qu’on ait une jurisprudence, c'est-à-dire comment nous mettre d’accord entre nous pour conclure à peu près de la même façon dans les mêmes cas de figure. Et c’est là que ça devient très difficile...

 

 Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la plupart des malades mentaux qui tuent, le font dans un moment où ils cherchent à sauver leur peau. C’est à dire qu’un schizophrène qui poignarde sa mère en s’emparant d’un couteau dans la cuisine, d’un geste matricide, c’est parce que sa mère se transforme en sorcière, qu’elle va le dévorer ou commettre l’inceste, ou qu’elle va le faire retourner au vide originaire… C’est des représentations folles qui fait que le sujet n’a pas d’autres issue que de se sauver en tuant l’autre. Le persécuté qui tue son persécuteur, c’est parce qu’il cherche à échapper à une angoisse indicible et à une fin programmée. Dans ce type d'affaire, normalement on doit conclure à l’abolition du discernement.

Mais ce n’est pas toujours comme le cas. Un schizophrène peut très commettre d’autres types d’infractions, dans d’autres contextes. Donc j’ai l’habitude de dire que les passages à l’acte médicaux légaux des schizophrènes sont des sursauts de survie au bord du gouffre. Il est là, il est acculé en quelque sorte, il ne peut pas faire autrement, il ne risque même pas la mort, ce n’est pas ça, il risque la dissolution psychique, il risque l’inexistence.

 

Vous voyez que ce texte de l'article 122 – 1 du code pénal peut s’interpréter de façon extensive ou de façon restrictive.  Ce qui est très critiquable, c’est que quand ces situations exceptionnelles se présentent, ne pas conclure à l'irresponsabilité : il y a de grands schizophrènes en prison … il y a en effet beaucoup plus de schizophrènes dans les prisons que dans la population générale.

Mais par contre, une conception trop extensive me semble abusive.....

 

Pour vous donner des exemples, ce n’est pas parce qu’on est devant un cas de schizophrènie qu’on va conclure à l’abolition du discernement. Par exemple j’ai été expert d’un patient qui a poussé un homme sous le RER. La question du diagnostic ne se pose pas, c’est un schizophrène, il est suivi, il a un dossier gros comme ça. Qu’est ce qui s’est passé au moment des faits ? Quand on l’interroge, il était ivre, il était en rupture de soins, il était dans une espèce d’errance pleine de ressentiment à l’égard de la société, et il n’aimait pas les pakistanais et les indiens parce que il s’était fait agresser un jour par un pakistanais. Là il voit un pakistanais, il le pousse sous le RER. Là, mon « sursaut de survie au bord du gouffre », ça ne marche pas. Il ne défendait pas sa peau, il agissait sa haine, ce qui n’est pas quand même la même chose, il agissait une haine non délirante.....

 

Un autre cas, c’est un homme qui suit des jeunes femmes, qui attend qu’elles composent le code d’entrée de leur immeuble, qui les pousse, toujours avec le même mode opératoire, il y a eu cinq ou six viols, et avec un couteau. Ce garçon est suivi par un secteur psychiatrique parisien, on peut discuter du diagnostic, mais en tout cas il est psychotique. La première chose qu’il dit aux experts, c’est « ce sont les voix qui m’ont dit de faire ça ». Évidemment ça n’est pas du tout crédible, les hallucinations psychotiques elles commandent de se défendre, elles commandent éventuellement de tuer, elles donnent des ordres, mais les voix ne commandent pas de tirer un coup, ça ne s’est jamais vu. Cliniquement, dans notre culture, les voix ne commandent pas d’agresser une femme. Donc, qu’il soit schizophrène, je veux bien, mais les actes répétés qu’il a commis avec le même mode opératoire, font qu’on ne peut pas estimer que seule la maladie rende compte de ces passages à l’acte. Donc, nous n’avons pas conclu à l’abolition du discernement.

jJe ne mets pas en doute le fait que ce type est malade, je mets en doute le fait que sa maladie rende compte des actes qu’il a commis. Et c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, dans les actes de délinquance sexuelle, on conclut très très rarement à l’abolition du discernement, parce que, encore une fois, dans notre culture, les voix ne commandent pas de faire l’amour avec sa voisine.

Mais en dehors de très râres cas de figure qu’on rencontre peut être une fois dans sa vie, les actes de délinquance sexuelle ne relèvent pas du processus psychotique, le processus psychotique ne commande pas de jouir, il commande de se défendre, ce qui n’est pas la même chose, de sauvegarder le noyau identitaire.....