C.Landman : Introduction à la psychopathologie de la vie collective - Leçon 5

Conférencier: 

EPhEP, Cours magistral module 1 - leçon 5, le 17/11/2014

Je vous faisais également remarquer la dernière fois que malgré le caractère hypothétique et plus que fragile sur le plan anthropologique, just a story ainsi que s’exprime Freud lui-même, du meurtre du père de la horde primordiale à l’origine de la civilisation, ce qui lui importait surtout, c’est que ce meurtre ait réellement eu lieu. Pourquoi insister sur cette dimension du réel, ici du réel historique ? C’est ce à quoi Lacan répondra, non plus à partir d’une référence à la dimension du réel historique, mais à celle du réel qu’il va mettre en place par l’impossible d’une écriture logique. En référence à ce que lui enseigne Freud et la psychanalyse, il va subvertir la logique moderne qui repose sur la fonction, écrite F, l’argument, écrit x et les quantificateurs logiques : pour tout, écrit " et il existe, écrit $. Cette logique stipule par exemple que pour tout x qui est fonction de x, "x Fx, il existe au moins un x fonction de x, $x Fx. Qu’est-ce que Lacan avance quant à lui, pour spécifier la totalité, le tout x que l’on retrouve dans la structure de la foule ? C’est simplement ceci que pour tout x qui est fonction de x, qu’il écrit ϕ de x en référence au statut du phallus en psychanalyse, il existe au moins un x qui n’est pas fonction de x, $x non ϕx, qui constitue l’exception et que l’on retrouve avec la place qu’occupe le meneur ou, dans le mythe, celle du père de la horde. (écrire la formule au tableau). Ce que nous enseigne la psychanalyse, c’est que pour se situer du côté homme de la sexuation, pour se prévaloir de l’attribut phallique, il est nécessaire de se référer à l’existence d’au moins-un qui échappe à cette fonction phallique. C’est-à-dire que non seulement l’exception confirme la règle, mais  surtout que c’est l’exception qui fait la règle. Ce passage du mythe d’un meurtre primordial dont la répétition se perpétue, c’est le cas de le dire, à une écriture logique, n’est-il pas susceptible, ne serait-ce que par le recul qu’induit un tel savoir, de tempérer les passions identitaires et les exactions que la structure de masse est susceptible d’induire ? Je viens de vous dire que cette logique du tout concerne essentiellement la logique de la position masculine. Et en effet, dans la structure libidinale de la masse, telle que Freud nous la présente, les femmes en tant que femmes sexuées n’ont pas de place. Je cite, c’est à la page 162, au paragraphe D des Notes additionnelles de la fin du livre :

Dans les grandes masses artificielles, l’Église et l’Armée, il n’y a aucune place pour la femme en tant qu’objet sexuel.

Et plus loin :

Même dans les masses où hommes et femmes se mélangent, la différence sexuelle ne joue aucun rôle.

Nous reviendrons dans la discussion, si vous le souhaitez, ou la prochaine fois, sur les enseignements de cette difficulté que rencontre Freud, aussi bien pour rendre compte de la place du meneur, qui est une place logique, celle de l’Au-moins-un qui fait exception, que de la place des femmes dans la structure des masses, qui relève en dernière analyse de la même difficulté logique mais aussi bien topologique. Nous pourrons par exemple repérer, à partir de l’écriture du nœud borroméen, les raisons pour les quelles Freud a buté à la fois sur le problème logique de l’Au moins-Un et sur celui de la jouissance féminine qui se résumait pour lui à la question qui est restée en suspens : Que veut une femme ?

Que nous dit donc Lacan, nous y venons enfin, dans la dernière leçon de son Séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, sur le schéma de la structure libidinale de la masse que Freud avance à la fin du chapitre État amoureux et hypnose de Psychologie des masses et analyse du Moi ?

Il commence par poser qu’il existe des énigmes concernant l’identification et d’abord pour Freud lui-même. L’identification, mécanisme inconscient, constitue en effet le support déterminant à partir duquel deux types de relation d’amour se mettent place: l’amour réciproque des différents Moi des sujets participant à la masse d’une part, et l’amour adressé au meneur d’autre part. Suivons donc Lacan. Pour ce qui concerne la relation d’amour identificatoire et réciproque entre les différents Moi, elle est à rapporter au stade du miroir, au narcissisme, où le moi, noté i’(a), i prime de a équivaut à l’image du moi, notée i(a), i de a. Cette relation d’amour et d’identification imaginaires réciproques dépend, comme lors de la mise en place complète du stade du miroir, de la présence d’une référence à l’Idéal du Moi, c’est-à-dire à un trait, qui du fait de sa qualité de trait inscriptible, est de nature symbolique. Lacan le désigne sous le terme de trait unaire, reprenant la définition de la deuxième identification freudienne, c’est-à-dire, je cite à la page 108 :

…une identification partielle, extrêmement limitée, n’empruntant qu’un seul trait à la personne objet.

La fonction de l’Idéal du Moi et du trait unaire qui le caractérise, consiste à rendre aimable au sujet son image, c’est-à-dire à faire prévaloir l’amour sur l’agressivité dans la relation narcissique du sujet à sa propre image, ou, ce qui revient au même, au petit autre, au semblable. Lacan a pu désigner, nous en avons déjà parlé, au titre d’un trait unaire, la petite moustache du Fürher venu à la place de l’Idéal du Moi pour la majorité des masses allemandes. Au cours de la phase du miroir, un tel trait unaire peut être repéré par l’enfant sur le visage de la mère par exemple et avoir des conséquences importantes sur ses choix amoureux ultérieurs notamment.

Pour ce qui concerne Freud, c’est la troisième forme d’identification, hystérique ainsi que nous l’avons vu, qu’il met en avant pour expliquer la relation qui se met en place entre les différents participants de la masse. Je cite, c’est à la page 109 :

… et troisièmement, elle peut naître (il s’agit de l’identification bien entendu) de toute nouvelle perception d’une quelconque communauté avec une personne qui n’est pas l’objet des pulsions sexuelles. Plus cette communauté est importante, plus cette identification partielle sera réussie et correspondra ainsi au début d’un nouveau lien.

Nous pressentons déjà que l’attachement réciproque des individus de la masse et cette identification ont une nature similaire en raison d’une communauté affective importante, et nous pouvons supposer que cette communauté réside dans le type de lien au chef.

Mais à quel type d’identification convient-il de rapporter ce lien d’amour de chaque participant de la masse avec le chef ?

Est-ce à la première identification au père, évoquée par Freud, substitut du père de la horde primitive ? Ou bien est-ce à la deuxième identification au trait unaire, à l’Idéal du Moi ? Il me semble que la prise en compte de l’Au-moins-Un réel dont je viens de parler – pourquoi dis-je réel ? Car il correspond à un  impossible logique mis en place par la nécessité de la sexuation – la prise en compte donc de cet Au-moins-Un  permet de répondre que le lien d’amour avec le chef renvoie à l’identification à l’Idéal du Moi qui vient précisément s’incarner à la place logique et topologique de cet Au-moins-Un.

Venons-en maintenant pour conclure à ce sur quoi Lacan insiste le plus dans son commentaire du schéma de Freud, à savoir ce que ce dernier appelle l’objet extérieur.

Que nous dit Lacan ? C’est à la page 244 dans l’édition du Seuil :(aller au tableau pour noter les différentes écritures, i’(a), i(a), I(A), objet a)

Il y a une différence essentielle entre l’objet défini comme narcissique, le i(a) et la fonction du (a).

Les choses en sont au point que la seule vue du schéma que Freud donne de l’hypnose, donne du même coup la formule de la fascination collective, qui était une réalité ascendante à l’heure où il écrivait cet article. Il nous fait ce schéma exactement comme je vous le représente au tableau.

Il y désigne ce qu’il appelle l’objet (en réalité l’objet extérieur) – où il faut que vous reconnaissiez ce que j’appelle le (a) – le moi et l’Idéal du Moi. Quant aux courbes, elles sont faites pour marquer la conjonction du (a) avec l’Idéal du Moi. Freud donne ainsi son statut à l’hypnose en superposant à la même place l’objet (a) comme tel et ce repérage signifiant qui s’appelle l’Idéal du Moi.

Et plus loin, page 245 :

Définir l’hypnose par la confusion en un point (il s’agit du point virtuel noté par Freud) du signifiant idéal où se repère le sujet, avec le (a), c’est la définition structurale la plus assurée qui ait été avancée.

Or, qui ne sait que c’est en se distinguant de l’hypnose que l’analyse s’est instituée ? Car le ressort fondamental de l’opération, c’est le maintien de la distance entre le I et le (a).

Et plus loin, il avancera que le désir de l’analyste est, je cite :

… d’isoler le (a), de le mettre à la plus grande distance possible du I que lui, l’analyste, est appelé par le sujet à incarner. C’est  de cette idéalisation que l’analyste a à déchoir pour être le support de l’(a) séparateur, dans la mesure où son désir lui permet, dans une hypnose à l’envers, d’incarner, lui, l’hypnotisé.