C.Veken : Origines de la linguistique

Conférencier: 
Cours de Cyril Veken
27 janvier 2014
PSYCHOPATHOLOGIE, LINGUISTIQUE ET LITTERATURE


Les premières origines connues de la linguistique nous emmènent il y a très longtemps en Inde avec un sanskrit qui s’appelait Panini et qui pour des raisons religieuses où il était très important de prononcer les textes sacrés de la façon juste. Donc des travaux ont été faits, très surprenants d’ailleurs quand on les a connus très longtemps après, par leur minutie, par leur souci d’exactitude pour repérer, pour définir les sons qui convenaient pour dire les textes sacrés.

Ensuite, si on saute très vite, vous avez entendu parler ou vous avez lu vous même, parmi les discours de Platon, celui qui est consacré au langage, le Cratyle, dans lequel on discute, je vous le recommande, il est intéressant, où il est question justement, de savoir si les mots du langage, le langage a une origine naturelle c'est-à-dire d’onomatopées, si on reproduit les sons de la nature, ou bien si c’est plus social, plus conventionnel. Bien sûr Platon, c’est une discussion philosophique, dans laquelle on peut s’intéresser sur ce qu’on nous dit des langues, mais pendant très longtemps c’est surtout d’un point de vue philosophique qu’on s’est intéressé au langage, c.à.d. se faire une idée de ce que c’était, mais avec une connaissance souvent très réduite sur la matière même des langues.

 

Il y a une chose qui est importante, c’est le travail des médiévistes, le travail des philologues, qui établissent des textes, qui avaient un savoir considérable, mais c’est un savoir qui a été mis en pratique dans l’établissement des textes, car ce n’est pas une mince affaire quand vous vous trouvez avec trois ou quatre versions manuscrites recopiées par des moines pour essayer d’établir le texte dans sa version… Comment se repérer là dedans… Donc les gens qui ont fait ce travail avaient certainement un savoir considérable, qu’ils transmettaient comme des artisans aux gens qu’ils pouvaient former dans leurs écoles mais qui n’a pas laissé de traces théoriques. On sait ce qu’ils faisaient mais on ne sait pas comment ils le faisaient. Mais ça montre qu’il y avait un grand savoir, une grande réflexion sur le langage à ce moment là.

Ensuite ce qui amène à s’intéresser de façon concrète à la langue, c’est quand il n’y a plus qu’une seule langue, quand on sort d’une seule langue, c.à.d. quand on doit enseigner cette langue à d’autres, ou quand on doit apprendre d’autres langues, car effectivement on rencontre des choses qui ne vont plus de soi. Tant qu’on est dans sa langue, c’est automatique, c’est inconscient, on parle et puis c’est tout. Quand il faut expliquer pourquoi c’est comme ça ou comment c’est, on est souvent bien embarrassé. Je me souviens lors d’un séjour en Angleterre par ex. des étudiants me disaient « quand même c’est compliqué le français, pourquoi on dit je veux du pain, mais je ne veux pas de pain ». Pourquoi « du », pourquoi « de » ? Pour tout francophone c’est une évidence, il n’y a même pas à se poser la question, mais pour quelqu’un qui apprend la langue c’est surprenant.

La question de décrire la grammaire, de décrire une langue, s’est posée dans ces questions de langue par rapport à d’autres langues. Mais pour cela, pour décrire une langue, c’est très difficile – et ça, ça va vous paraître encore un truisme, c’est très difficile sans recours à l’écriture. Ça suppose un recours à l’écriture. Or, le recours à l’écriture, on peut dire l’invention de l’écriture, c’est quelque chose d’ahurissant quand on y pense. Parce que contrairement à l’idée qu’on pourrait s’en faire, l’invention de l’écriture ce n’est pas du tout avec le souci de noter les paroles, pas du tout. C’est d’abord dans le souci de compter, de noter par des encoches, c’est le souci de symboliser certaines choses …....

Et puis il y a la grande invention de l’alphabet. La grande invention de l’alphabet, d’abord un alphabet phénicien, puis emprunté par les hébreux, par les arabes, un alphabet consonantique. D’abord uniquement consonantique,  les voyelles étant… on n’a pas besoin de les écrire, on les repère. Pour ceux d’entre vous qui ont pu avoir affaire à l’arabe ou à l’hébreu savent bien que pour les débutants on note les voyelles, mais si vous prenez un journal, il n’y a pas de voyelles, tout le monde sait le lire. Alors évidemment il y a des mots qui se ressemblent par ex. « David » et « tonton », ça s’écrit pareil, ça ne s’entend pas pareil mais ça s’écrit pareil si on n’entend pas les voyelles. Je parlais là de l’hébreu. En arabe, les écrits, ce serait une longue discussion. Quelles sont les voyelles qu’on écrit par rapport à celles qu’on prononce, ce serait une longue discussion qu’on ne va pas reprendre maintenant.

En tout cas, c’est aux grecs qu’on doit l’invention de l’écriture des voyelles. Et finalement notre alphabet latin nous vient des grecs. Cette question de l’écriture, au passage, elle a laissé des traces qui concernent bien autre chose que l’écriture simplement dans l’histoire de l’Europe, parce que entre l’écriture grecque et l’écriture latine, l’Occident écrit avec l’écriture latine, l’Orient, européen, écrit avec l’écriture grecque ça correspond à Byzance ou Rome, Byzance, la religion orthodoxe, Rome, la religion romaine. Or, toute l’Europe occidentale a été romanisée et christianisée. Toute l’histoire du haut Moyen Age en Europe, c’est l’histoire des conversions des rois, et donc de leur pays au christianisme. Ce faisant ils empruntent l’écriture, les lettres, l’alphabet latin pour écrire leur langue. Ce qui n’a pas été sans problèmes. Là encore on peut admirer… on est peut être un peu long sur ces questions, mais c’est pour vous dire comme il y a des savoirs impressionnants qui ont été mis à l’œuvre pour utiliser un alphabet, pour écrire une langue pour laquelle ils n’avaient pas été faits. C’est ce qui s’est produit pour les pays arabisés, du point de vue de l’écriture, le persan s’est écrit avec des caractères arables, vous pouvez donc reconnaître les caractères, mais vous ne pouvez pas forcément lire le persan. Il a fallu adapter. Ces questions sont curieusement intéressantes, parce que vous voyez que sur la ligne qui partage ces deux mondes, il y a l’ancienne Yougoslavie, et comment les appartenances religieuses liées à des systèmes d’écriture, ont laissé des traces très profondes, très profondes jusqu’à arriver à des guerres.

Pour le français, là encore je suis encore surpris par le fait qu’un pays assez cocorico comme l’est la France, sait peu de choses sur l’histoire de sa langue. Par exemple depuis quand écrit-on en français ? C’est curieux que ça laisse un temps de silence. On n’a pas la réponse « Marignan 1515 », c’est bien antérieur à ça. Le premier texte dont on dispose, parce qu’il y en a peut être eu d’autres avant, c’est ce qu’on appelle le serment de Strasbourg et les enfants de Charlemagne qui se sont jurés fidélité et amitié, ça a duré ce que ça a duré, mais pour donner une solennité en leur serment, il a été fait en latin et en langue vulgaire, c'est-à-dire  en Germanie et en l’ancêtre du français, la langue parlée sur le territoire au 9ème siècle. C’est le premier document que nous ayons.

Cette langue a beaucoup bougé, elle n’est pas née comme ça d’un seul coup.

C’est un décret de François 1er qui légitime l’usage de la langue vulgaire dans certains actes de la vie sociale. Ce qui veut dire que jusqu’alors tout l’Occident vivait dans un monde qu’on n’appelle pas bilingue – la différence entre bilingue et diglosse, bilinguisme et diglossie, étymologiquement ce sont deux mots qui veulent dire à peu près la même chose, bilingue : deux langes, diglosse : deux façons de parler ; mais les concepts sont différents. Bilinguisme c’est quand on pratique deux langues, la diglossie c’est une situation dans laquelle il y a une langue qu’on parle couramment à la maison, et une langue qui est la langue de l’étude. Pendant très longtemps le pays était complètement diglosse puisque seuls les écrits, études etc. se faisant en latin, c’était le domaine réservé aux clercs, c'est-à-dire aux gens qui avaient été formés, qui savaient lire et écrire le latin, et les autres parlaient le vulgaire.

Cette situation dure longtemps et dure au point qu’on peut se demander dans quelle mesure aujourd’hui si en France il n’y a pas un écart important entre la langue de l’école, le français, le bon français et ce qu’on parle couramment. Ce n’est peut être pas au point d’être diglosse, mais dans certains cas on peut se demander dans certaines régions, dans certains milieux, si l’écart est très considérable.

La question des textos et des SMS est une question qu’on se réservera pour plus tard, parce que c’est quelque chose de tout à fait inédit.

Villers Côtterets fait rentrer la langue vulgaire dans certains usages. Auparavant il y a eu en Italie le cas énorme de Dante qui fabrique l’italien classique avec son œuvre La divine Comédie. Néanmoins, il a écrit en latin un traité, puisque pour s'adresser aux gens de la connaissance, il fallait que ce soit écrit en latin.

Ce traité je vous le recommande, c’est un texte pas très long mais passionnant, qui s’appelle De l’éloquence vulgaire. « Vulgaire » voulant dire la langue parlée par le peuple, qui montre encore ses différences à l’époque. Ce qui est curieux, c’est qu’il a fallu longtemps pour qu’on se rende compte que ce qu’on appelle aujourd’hui les langues romanes étaient des langues qui venaient du latin. Ça n’a pas été tout de suite évident, les gens parlaient ce qu’ils parlaient, il y avait un écart avec le latin, mais que ça venait du latin ça n’a pas été tout de suite évident, c’est le travail de gens qui se sont penchés sur ces questions.