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Quand
Samedi 5 décembre 2015

Nous présentons un certain nombre de textes du colloque de New-York, d'autres suivront et certains textes seront consultables en anglais dans les lectures psychoanalysis. 

Introduction au colloque : Regard Freudien sur le malaise dans la culture contemporaine

Formation de l’identité, éducation et désir de savoir
Les conditions ordinaires, disons physiologiques de formation de l'identité – toujours spontanément marquée par l'appartenance à un ensemble fermé qu'il soit familial, national, linguistique ou religieux – sont, par destination, totalisantes et exclusives. Il faut passer par l'enseignement de Freud sur la psychologie des masses – habituellement écarté des programmes éducatifs – pour distinguer clairement la patrie – ensemble politique ouvert décidé par la volonté de citoyens – de la nation – ensemble consanguin fermé attribué à la volonté d'un hypothétique ancêtre fondateur. Cette dernière définition est encore plus valable pour les communautés religieuses et rend compte de l'assimilation possible des pouvoirs religieux et civil.

Freud estimait qu'”éduquer” était une des tâches impossibles, à ranger avec “gouverner” et “psychanalyser”. La sécularisation croissante du monde individuel peut faire croire qu'il y a davantage de satisfactions à attendre d'un rapport organique immédiat à l'environnement et à autrui que d'un rapport spirituel et collectif ; si c'est le cas qu'y aurait-il à enseigner encore sinon le pragmatisme des technologies c'est-à-dire d'instruments appareillés à l'organisme et le chacun pour soi ?

La voix qui était jusqu'ici espérée et aimée d'un Dieu salvateur ne fait plus recette dans notre espace, brouillée ou éteinte par les bruits, la musique et les messages que des écouteurs diffusent en permanence ; la voix de l'enseignant s'y trouve perdue, couverte par celle des programmations ludiques. Mais s'il est vrai, comme Hegel l'avance que le désir premier de l'homme est fait non pas de besoins à satisfaire mais qu'il est de se faire reconnaître, le dernier moyen qui lui reste à cet effet, une fois donc éteinte la voix-guide de Dieu, c'est bien le désir de savoir.

Peut-être avons-nous la tâche d'en permettre l'accès ou plutôt de permettre sa résurgence puisqu'il fut présent dès nos origines hellènes, à côté de ce qui était alors le brouhaha des dieux.

Un savoir pour maîtriser les extrémismes religieux et nationalistes

Dans un contexte de mondialisation consumériste, l’uniformisation culturelle des modes de vie et des comportements peut susciter en retour une exacerbation identitaire, un repli autarcique, le « bradage » des lois, et des violences sociales de toutes sortes. Ces phénomènes sont presque partout présents, conjugués à une crise économique et sociale sans précédent et qui perdure en Europe, au nationalisme et au populisme qui refont surface, à l’expression brutale du fondamentalisme religieux, les démocraties sont menacées. Le sentiment nationaliste se nourrit d’une double illusion, l’idéal du moi s’agrège à la force d’entraînement des foules conduites par des leaders sans foi ni loi, et cela en vue de satisfaire des pulsions libres et sans contrainte extérieure.En conséquence, des franges de population sont marginalisées et se disent prêtes à « se retirer de la réalité ».1 Face à ce malaise, la réponse politique est assourdie par les bruits et les ressentiments de masse. « L’exaltation nationale, prévient Freud, est un sentiment que je me suis efforcé, quand j’y inclinais, de réprimer comme funeste et injuste ».2Et d’ajouter : « Les fous, les fantasques, les possédés du délire, les névrosés graves et les malades mentaux au sens psychiatrique ont de tout temps joué de grands rôles dans l’histoire de l’humanité et pas seulement lorsque le hasard de la naissance leur avait octroyé la plénitude de la puissance. Ils ont le plus souvent causé des désastres, mais pas toujours ».3 Le savoir de Freud constitue une mise à la raison contre ces dérives identitaires, religieuses, nationalistes, en même temps qu’il donne sens à l’humanisme et au cosmopolitisme. 

1 Sigmund Freud, OEuvres Complètes, Totem et Tabou, PUF, 1911-1913, p. 282
2 Sigmund Freud, OEuvres Complètes XVIII, 1926-1930, PUF, p.116.
3 Sigmund Freud, OEuvres Complètes XVIII, 1926-1930, PUF, p.371

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The Helix Center

à The New York Psychoanalytic Society and Institute

5 et 6 Décembre 2015

247 East 82nd Street - New York, NY 10028

Intervention de Claude Landman : Paideia

Qu’entendons-nous par éducation ? L’éducation, dans notre tradition, a une longue histoire que nous n’aurons bien sûr pas le temps de détailler dans ce court exposé. Ce terme cependant, pour le dire rapidement, trop rapidement, se rapporte d’abord à une invention grecque qui date du Vème siècle avant J-C, nommée Paideia. Fait remarquable, la visée de la Paideia, se situait au-delà, à la fois de l’élevage des enfants, la Trophé, confiée à la mère et aux femmes de la maisonnée, de  leur éducation, souvent assumée par le père de famille, mais également de l’acquisition de connaissances théoriques et pratiques à l’aide de méthodes et de techniques particulières. Sa finalité était de former des hommes libres, égaux et vertueux afin qu’ils deviennent des citoyens. Seul le statut de citoyen permettait en effet l’épanouissement de la personnalité individuelle. Autrement dit, l’éducation grecque, la Paideia, qui sera reprise différemment sous le terme d’Humanitas par les Romains et plus tard sous celui d’Humanisme à la Renaissance, était indissociable de la référence au fonctionnement politique de la cité, quelle que soit la nature de sa constitution, et inséparable de ses idéaux éthiques.

Nous verrons plus loin comment les Grecs tentaient de résoudre l’asymétrie constitutive de la situation d’éducation entre adultes, entre maître et élève, tout en respectant la stricte égalité entre les Maîtres dégagés de leurs contraintes domestiques, oïkos, afin de se consacrer à la vie politique d’une part, Bios politikos, et à la skolé d’autre part, c’est-à-dire, depuis l’avènement de la philosophie Socratique, le temps libre consacré à la recherche théorique et éthique de la vérité et du Souverain Bien...lire la suite 

Intervention de Marilia Aisenstein : « La Question de l'Identité : Je pense donc je suis », Descartes

La question de l'Identité peut être abordée sous des angles très différents. J'en ai choisi un qui se décompose en trois chapitres: Pensée, subjectivité, capacité de s'opposer.  La phrase "C'était simplement dit donc simple à comprendre" est tirée de l’interview d’un paysan Hutu nommé Pancrate par le journaliste Jean Hatzfeld. Reporter et écrivain Jean Hatzfeld s’est passionné pour la guerre du Rwanda. Il y est retourné après le génocide des Tutsis et a séjourné et a recueilli les témoignages des rares rescapés. (Ces récits ont donné lieu à un livre paru en 2000 : « Dans le Nu de la Vie, Récit des Marais Rwandais ».) Son livre débute par cette phrase : « En 1994 entre le lundi 11 Avril à 11 heures et le samedi 14 Mai à 14 heures 50.000 Tutsis, sur une population d’environ 59.000, ont été massacrés à la machette, tous les jours de la semaine, de 9.30H à 16H, par des miliciens et voisins Hutus, sur les collines de la commune de Nyamata , » Un second livre écrit en 2003 : (« Une Saison de Machettes »)  a pour objet les tueurs Hutus rencontrés dans un pénitencier de Nyamata.  Pancrate, Adalbert, Fulgence, Jean étaient des voisins, copains, agriculteurs ou instituteurs, pères de famille, grand- pères, jeunes adultes. Ces hommes déjà condamnés et sans contacts avec le monde extérieur ont peu à peu montré l’envie de raconter ce mois d’extermination. Pancrate dit : «  Le premier jour un  messager du conseiller communal est passé pour nous convoquer à un meeting sans retard. Là, le conseiller nous a annoncé que le motif du meeting était la tuerie de tous les Tutsis, sans exception. C’était simplement dit, c’était simple à comprendre. » A partir de ce premier « meeting » le massacre s’organise. Adalbert raconte : « On se divisait sur le terrain de foot. Telle équipe vers le haut, telle équipe vers le bas… Moi je me suis fait chef pour les habitants de Kimbungo. J’étais chef de la chorale de l’Eglise. Les cohabitants se sont accordés sur moi sans anicroches.  La première personne que j’ai tuée à la machette je ne me souviens pas des détails. Je donnais mon coup de main dans l’Eglise, j’ai frappé de larges coups, j’ai ressenti de l’effort mais il n’y avait aucune peine personnelle dans le brouhaha. Raison pour laquelle la vraie première fois pour raconter un souvenir durable c’est quand j’ai tué deux enfants le 17 Avril….Pour moi c’était curieux de voir les enfants tomber sans bruit…j’ai continué la marche sans me pencher pour vérifier s’ils étaient bien morts. » Lire la suite

Intervention de Charles Melman : « Sig ignore Eli »

Freud ne savait donc pas, disait-il, le trait qui pourtant le rattachait au peuple juif. Si ce n'était pas l'appartenance religieuse ni nationale ni même éthique, quoi ? L’infidélité ?
La question mérite d'être posée non seulement pour les juifs libéraux qui se trouvent rester dans le même cas que lui, mais d'une façon très générale pour la compréhension des mécanismes de formation de l'identité. 
Peut-être est-il permis à l'un de ceux qui ont suivi son enseignement et celui de Lacan de tenter d'y répondre. La spécificité du juif paraît le situer entre un monde dont l'imperfection l'écarte et un texte directeur dont le dernier mot échappe à l'exégèse. Ainsi est-il tenté de se tenir à l'écart du monde ou bien de n'y participer que sur un mode critique, voire révolutionnaire ; tenté également de répondre par le dogmatisme aux incertitudes du texte fondateur, à moins que ce ne soit par un scepticisme résigné.

Le juif est bien ainsi le “luftmensch” planant entre monde et texte comme le représente Chagall, et qui s'écrase contre le sol dès lors qu'il en fait sa loi ou bien se cadavérise dans un texte lorsqu'il décide qu'il est achevé.
L'histoire juive par excellence serait celle de l'homme qui tombe du haut d'un gratte-ciel et qui, tant qu'il tombe, dit : ça va de mieux en mieux.
Lors d'une allocution à l'Alliance Israëlite Universelle, j'ai dit mon regret que les juifs aient renoncé à leur nom d'origine : les Hébreux, Ivri, c'est-à-dire les nomades, ceux qui migrent. Je n'ai jamais été ré-invité.
On peut supposer que Freud était préparé à rencontrer le même dilemme que le sien dans la psyché de chacun de ses analysants, pris entre un domicile étouffant et une loi morale incertaine, et soumis par contre aux impératifs catégoriques d'une identité familiale susceptible de les séparer du reste de l'humanité.
Il est observable que chaque peuple – nous entendons par là ceux qui parlent la même langue – est amené à se supposer un ancêtre ou à se donner un chef, un Père dont le nom devient dès lors le trait identificatoire de ses membres qui y prennent du même coup le statut d'enfants. Freud se plaignait du caractère infantile de la sexualité chez ceux qu'on appelle adultes. Lire la suite

Notes