M-C.Cadeau : Hypothèse sur sex and gender

Hypothèse sur sex and gender

 

Le forum « le monde » qui se tient chaque année au Mans, a travaillé récemment sur le thème « Masculin-Féminin, les nouvelles frontières ». Ce forum n'a pas échappé à la forte présence du concept de transgenre, qui, du sexe, en révélerait la vérité, et libérerait l'humanité de la dictature de la division binaire entre l'homme et la femme. Il s'agit en effet de substituer à une opposition de complémentaires, une situation différentielle, pourquoi pas à n-sexes, comme le suggérait Deleuze et Guattari dans l'Anti-Oedipe en 1973. Le concept d'autre sexe est ici dénoncé comme ce qui échappe au premier, à l'un, mais en tant qu'il est tout ce que le premier n'est pas, l'un et l'autre formant donc en se réunissant une totalité close.

On ne peut que se réjouir que des intellectuels de diverses disciplines, s'aperçoivent que les questions de la sexuation et de la sexualité soient plus complexes qu'il n'y paraît. Mais si le concept de « différence » ne suppose ni l'opposition ni la complémentarité, faut-il pour autant emboîter le pas aux théories de genre ?

Judith Butler, elle, n'ignore pas la théorie psychanalytique, elle en est même assez tourmentée. Dans Trouble dans le genre, elle revient longuement sur la mascarade féminine qu'elle dispute pied à pied. Elle ne manque pas de souligner que le « devoir-plaire » féminin inspire à Lacan des expressions problématiques quand à la dialectique de l'être et du paraître :

Lacan n'évoque-t-il pas dans le séminaire des Formations de l'inconscient, une « forclusion » de l'être d'une femme ? Une interprétation peut faire évidemment flamber le féminisme. De même critique-t-elle aisément, mais fondamentalement pour elle, que l'homosexualité féminine soit liée « comme le montre l'observation » selon Lacan, à une déception renforçant la demande d'amour au détriment du désir. Pour Butler, il est clair que la carte forcée de la clinique, pour une fois employée par Lacan, ne lui convient pas ; aussi bien renvoie-t-elle aussitôt que l'hétérosexualité pourrait être une déception de l'homosexualité et l'idéalisation, une conséquence de l'interdit de cette même homosexualité.

L'essentiel du reproche cependant fait à la psychanalyse porte sur l'essence du Symbolique à rater son objet. Pour la théorie performative, il n'est pas exact que la fleur est l'absente de tout bouquet, et par conséquent, le désir n'est pas lié à un ratage ; il n'est pas un manque. Plus précisément, elle pense que pour la psychanalyse c'est l'arbitraire de la loi du Père qui interdit, alors que pour Lacan c'est le jeu de la langue qui fait trou. La psychanalyse lacanienne est donc, pour elle, une tragédie religieuse qui s'ignore et son éthique, une morale d'esclave qui accepte d'être vouée à l'échec, morale déjà dénoncée par Nietzsche.

Pourtant Butler ne cessera de revenir sur la question psychanalytique dans les années 2000. Dans le livre paru en français sous le titre Défaire le genre, elle témoigne de la « réussite » du concept de genre, mais aussi de sa torsion en fonction des groupes et des institutions qui en débattent, de l'ONU au Vatican. Pour ce dernier, il est par exemple synonyme de lesbienne, tandis que pour les théoriciens « queer », il ne renvoie qu'au débat féministe sur le statut social de la femme, hors sexualité. Butler, dans ce livre se montre plus encline quant à elle, à accepter la « négativité » du désir, bien que maintenant dans sa théorie l'existence d'un « conatus » spinoziste. Pourquoi ne pas accepter l'Oedipe et la nécessité de la triangulation ? Mais à condition que l'hétérosexualité n'en résulte pas comme « norme » de la dite normalisation.

Mais là n'est pas l'essentiel : il est « inquiétant » pour Butler que la différence sexuelle soit, pour la psychanalyse, « organisée à un niveau symbolique » : en effet, se demande-t-elle, l'ordre symbolique peut-t-il changer ? Si la réponse est négative, la société pourra-t-elle se transformer et accepter l'homosexualité comme un « genre » parmi d'autres ?

Alors, suggère-t-elle, ne vaut-t-il pas mieux poser résolument que nous avons élevé la signification sociale de la différence sexuelle au rang de structure symbolique ?

Mais, n'était-ce pas là l'hypothèse sous-jacente à sa théorie dès le départ ?

 

Marie-charlotte Cadeau