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Le 27/09/2014

INTRODUCTION

Voilà, bonjour ! J’appelle mon intervention de ce matin, je lui donne le titre : Le Chapitre Blanc de L’Histoire du Sujet. Je tiens d’abord à remercier tous ceux qui ont collaboré avec moi à la préparation de ces journées ainsi que ceux qui ont accepté de venir nous parler tout au long de ces journées ; quelques uns ne sont pas analystes bien que parfois  ils soient lacaniens à leur insu, d’autres sont analystes mais pas lacaniens, ce n’était pas évident pour eux de venir ainsi parler, parler ici. Mais s’ils le font c’est parce qu’ils étaient tellement, comme nous tous, étonnés de la folie qui s’était emparée de ce pays au moment où la Loi du Mariage pour Tous était à l’étude. Si le pays s’était ainsi trouvé pris dans un état de crise c’est parce que quelque chose de grave menace la structure même de notre culture et dont la famille classique représente la figure de proue. Tous ceux qui participent à ces journées, ont participé et participent encore à ces débats qui avaient pris à maintes reprises, à maintes occasions  une tournure quelque peu  violente. Les français fidèles à une tradition bien de chez nous se sont dressés en deux  camps antagonistes, pour ou contre. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette division ne s’est pas faite selon des frontières  habituelles, gauche contre droite, laïques contre croyants, ou progressistes contre réactionnaires. Le projet de Loi Mariage pour Tous a brouillé les cartes au point de voir des laïques tendre la main aux religieux et des religieux citer le discours des laïques. Plus étonnant encore, le discours religieux qui condamne franchement la pratique homosexuelle s’est mis à emprunter des éléments théoriques au discours psychanalytique afin de soutenir la position de gardiennage du temple. La France une fois de plus se démarque des autres pays : le mariage et l’adoption par des couples homosexuels  n’ont pas suscité un tel tollé ailleurs. La France fait de la résistance, mais contre qui ? Charles Melman m’a suggéré que nous réfléchissions ensemble à cette question afin de proposer  des éléments concrets, propres à nourrir le débat plutôt qu’à l’envenimer. J’ai accepté cette proposition parce que j’avais besoin, moi aussi, d’écouter un psychanalyste d’une expérience telle que la sienne et surtout de croiser notre expérience avec celle de divers partenaires concernés directement par cette question. Un livre a été élaboré et un projet de colloque se concrétise aujourd’hui grâce à vous. Il s’agit pour nous, dans le cadre de notre association, de reprendre ces débats avec vous sur le thème de la famille, de l’adoption et de la filiation afin de faire évoluer nos savoirs réciproques. Un savoir évolue en permanence et c’est pour cela qu’il faut accepter de nous laisser surprendre, quitte à abandonner le  confort de nos positions familières. Notre travail a pour but de cheminer prudemment, maintenant que  l’imprudence a pris le dessus. Après un débat orienté, sorti de son contexte par différents intervenants et donc brouillé. Pour nous cette prudence requise est celle que l’expérience clinique nous invite à maintenir. Autant il est facile de prendre position dans un débat qui s’envenime autant il est difficile de proposer une lecture rigoureuse de l’évolution sociale. Sur ce plan, le psychanalyste a devant lui ce temps précieux, celui de l’inconscient qui se déploie ; c’est justement de cette place que le psychanalyste intervient pour introduire la vérité là où les passions partisanes ont tendance à la chasser. Ayant désormais une longue expérience de la question de l’adoption, nous pouvons avancer quelques réflexions qui méritent attention. Une des premières questions qui nous a mobilisés tous les deux est celle de la filiation. La façon dont l’adoption éclaire la problématique  de la filiation, il s’agit d’une question critique parce qu’elle dépasse cette division plus ou moins artificielle que l’actualité inscrit dans le champ de l’adoption. Un premier constat général à faire est celui-ci, l’enfant adopté a du mal avec son inscription dans une filiation. Formuler ce constat nous conduit à être plus exigeants dans les propos que nous avançons vis-à-vis de nos lecteurs et de nos auditeurs. Si, en tout état de cause cette question  est critique, quelle différence y a-t-il dans l’assomption de sa filiation pour un enfant adopté par un couple hétérosexuel, par un couple homosexuel ou encore par une personne seule ? Nous parlerons de l’adoption donc de la famille,      « nous voulons être une famille comme tout le monde » entendons nous souvent dire quand nous recevons des candidats à l’adoption, seulement, une famille comme les autres, comme tout le monde, personne ne sait plus ce que c’est. De nos jours la famille est tellement diverse qu’on se demande s’il y a une norme qui tient encore le coup. On peut définir à minimum sans trop de risques  de se tromper ; on peut dire qu’il y a de la famille  tant qu’il y a un enfant qui se reconnaît dans un père et une mère, cependant dire cela ne nous sauve pas pour autant car cela nous fait entrer dans le malentendu qui a dressé les français les uns contre les autres. Faut-il toujours un père et une mère pour faire famille ? Une personne seule qui prend en charge un enfant, ou un couple du même sexe qui adopte ou qui fait appel à une mère porteuse ou encore qui a recours au don de sperme et d’ovocytes font-ils famille comme tout le monde ? Dire oui ou non ne change rien au fait que nos repères en ce qui concerne la famille deviennent de plus en plus flous parce que nos références majeures s’effritent et se nivellent avec le reste. Homme et femme liés par le lien du mariage, consacré par l’Eglise ou autre instance religieuse ou officialisé par l’Etat,  tombent pour laisser surgir un individu libéré des contraintes qui ordonnent la sexualité entre les deux sexes. Moins l’Homme est soumis aux lois qui le soutiennent dans l’assomption de son identité sexuée plus il se perd  à lui-même et à l’autre sexe. Comment se fait-il, de nos jours, qu’hommes et femmes ne savent plus se rencontrer autrement que par le biais d’internet ?  Alors qu’il n’y a plus de barrières  socioculturelles qui les séparent ! Internet permet des rencontres mais Internet éloigne aussi ces mêmes qu’il aide   à se rencontrer, sur les terrasses des cafés dans le métro ou dans les bus chacun est quasiment branché sur son portable donnant à l’absent la priorité sur l’entourage présent. La vie sociale et affective trouve ainsi sa nourriture dans un imaginaire qui exempte l’individu des contraintes de sa vie en couple. Homme et femme ne savent ils plus vivre ensemble ? Tout laisse croire que la vie en couple a beaucoup changé, un changement parfois tellement radical qu’il chamboule le discours qu’on tenait  au sujet de la famille et de la filiation ; une évolution qui chamboule nos repères rend tout débat paranoïaque car nous n’avons plus que nos convictions pour soutenir ce qui ne trouve plus son appui sur une base symbolique  reconnue collectivement.

 De nos jours l’adoption s’inscrit dans cette évolution et c’est pour cela qu’elle ne peut plus rester ce qu’elle a été : deux parents, un couple en quête d’enfant. J’avancerai ce matin quelques points, c’est les points qu’on a évoqués pratiquement tout au tour de nos rencontres, que j’estime suffisamment significatifs pour illustrer mes propos. L’instabilité des couples et la fréquence accrue de  séparations que connaissent une femme et un homme  au cours de leur vie amoureuse ne fait pas l’enfant ensemble. L’entente  tend à devenir internationale ; un enfant  adoptable   ne connaît plus de frontières ; nous savons que les cas de divorce augmentent de manière constante année après année. Un examen rapide des dernières données statistiques fournies par l’INSEE en 2011  nous révèle qu’entre 1979 et 2009, c'est-à-dire sur une trentaine d’années, les cas de divorce ont quasiment doublé, passant de 14 à 26% au bout de cinq ans de mariage. Ces chiffres n’incluent pas les couples non mariés qu’il m’est difficile d’évaluer ici mais il est possible d’en avoir une idée si on prend en compte les autres chiffres de l’INSEE. Les chiffres nous apprennent aussi que le mariage est en net recul par rapport au PACS : de nos jours on compte quatre mariages pour trois Pacs. On constate aussi une augmentation considérable du nombre d’hommes et de femmes célibataires et vivant seuls. Ils représentaient 28,6  % pour les hommes et 21,8 % pour les femmes de plus de quinze ans d’âge en 75. En 2009 ils  ont atteint le chiffre de 40,9 pour les hommes et 33,8 pour les femmes. Deuxième point, maintenant que l’enfant vient à être considéré comme un droit, et le fait que l’autre sexe n’est plus la condition obligatoire pour avoir un enfant affecte certainement notre approche de l’autre sexe. La science et l’adoption viennent suppléer à cette faille. Beaucoup de ces personnes seules se retrouvent candidats à l’adoption, d’ailleurs elles sont de plus en plus nombreuses et représentent dans une ville comme Paris,  Dominique va nous le dire, au moins un tiers des candidatures.

Troisième point, la tendance accrue à tout normaliser et l’acceptation de l’idée que tout se vaut fait que les personnes seules ou vivant en couple homosexuel ont tendance à séparer sexe et désir d’enfant. Chez les femmes, chez les femmes ce désir s’affole à l’approche de la ménopause et c’est justement dans cet affolement que réside  l’origine de la multiplication  du recours au don de sperme ou à l’adoption. Les femmes seules ou en couple homosexuel contribuent à l’infléchissement    de beaucoup de services qui pratiquent la FIV. J’ai connu des femmes qui ont dépensé jusqu’à cinquante mille euros  sans obtenir le résultat escompté. D’autres plus réalistes s’organisent avec des couples homosexuels afin de faire un ou deux enfants avec eux et de partager la charge à égalité. En France, le sperme et l’ovocyte restent un don mais en Europe et notamment dans les pays qui pratiquent librement la PMA comme l’Espagne par exemple, les cliniques font payer le sperme plus ou moins cher    en fonction des caractéristiques physiques  des donneurs. Ce recours à la PMA est loin d’être négligeable de nos jours, cet acte est tellement prégnant   que des associations de parents d’enfants nés de cette pratique réclament la levée de l’anonymat sur le donneur de sperme. Elles considèrent que l’enfant né du sperme d’un donneur a droit de savoir son nom et les éléments de son histoire. Ainsi petit à petit nous retrouvons le fameux Père Réel de Lacan. Dans l’envers de la psychanalyse Lacan affirmait non sans humour, « Il y a un seul père réel, c’est le spermatozoïde et jusqu’à nouvel ordre, personne n’a jamais pensé à dire qu’il était le fils de tel spermatozoïde ». – jusqu’à maintenant ! – jusqu’à maintenant ! Je pense que cette phrase de Lacan pourrait se révéler vraie si la  naissance des enfants se faisait comme chez certaines espèces marines, celles qui lâchent leur sperme dans l’eau, fécondant toute femelle qui se trouve dans l’espace fécond. Le Pére Réel est le spermatozoïde quand le mâle lâche sa semence au hasard, sans avoir telle ou telle femelle en tête. Il n’a pas de désir pour une qui sort de l’eau et qui devient  l’espace de cette rencontre son amoureuse avec laquelle il entend faire un enfant. De même un homme qui donne son sperme ne le destine pas à une femme précise qui mobilise son désir. Le sperme ne prend une valeur que dans la mesure où quelqu’un, ne serait ce que le laboratoire d’un service qui pratique la FIV le reçoit et l’inscrit dans un projet d’enfant. Il y a une hypothèse qui se construit au sujet de ce sperme et il y a une femme ou un couple qui désire avoir un enfant. Ce sperme entre dans l’hypothèse de quelqu’un et de ce fait il vient se plier au manque d’un mâle désirant faire un enfant avec son amoureuse.  Le sperme obtient un statut quand il y a des receveurs animés par un désir d’enfant ; la femme fécondée n’est pas la femelle qui traverse la zone de laitance  du mâle, elle ne désire pas le donneur de sperme, elle désire l’homme et pourquoi pas la femme qui l’accompagne et porte l’hypothèse de l’enfant en commun avec lui ou avec elle. Il n’y a d’enfant  possible que de la  rencontre entre deux gamètes  mâle et femelle. L’enfant est le fruit de cette rencontre cela ne peut pas se faire autrement, du moins pour le moment. Engendrer implique donc un homme et une femme, c’est un fait. Autrement dit, l’hétérosexualité n’est pas une préférence sexuelle, c’est un fait. La préférence sexuelle vient introduire une autre dimension à la sexualité dans la mesure où elle s’éloigne de la procréation et une sexualité est stérile du fait qu’elle se pratique avec un partenaire du même sexe. Ce choix n’est pas anodin parce qu’il modifie radicalement  notre concept de la famille : on n’a plus besoin d’être différencié homme et femme ou de lier désir d’enfant au désir sexuel pour engendrer et constituer la famille rêvée.

Bref ! Peu importe la voie qu’on suit pour obtenir un enfant. Celui-ci n’est humain que de l’hypothèse de quelqu’un et pour tout dire notre humanité ne cesse d’être un pari. Pari, ce pari est d’abord celui de deux géniteurs mais pas seulement, il est le pari de tous ceux qui sont amenés à s’occuper de lui, que les parents soient là à ses côtés ou pas. Cependant, la clinique nous apprend que l’enfant est pris dans les effets de chaque scénario qui préside à son arrivée au monde. Cela surgit d’abord sous forme de questions : pourquoi je n’ai pas de papa ou maman par exemple, pourquoi tu n’as pas d’amoureux, pourquoi tu n’as pas d’amoureuse ? Et puis à l’adolescence quelques uns de ces de enfants, surtout ceux qui vivent isolés avec un parent, développent une réaction forte de rejet à son égard parce que l’absence de l’autre sexe problématise la question de l’Œdipe. Quand l’enfant est adopté aussi par une famille large, même élevé par un parent seul, il y trouve toutes les figures qui entrent dans le processus de sa normartisation ; autrement dit, l’enfant adoptif est pris dans le récit du mythe familial en fonction de la manière dont on l’accueille et de la manière dont son abandon est parlé. Il y a au moins deux partenaires ou groupes de partenaires qui tiennent le récit qui préside  à l’arrivée de l’enfant adoptif au monde, comme de tout enfant. Le récit des géniteurs ou du moins la mère génitrice et de son entourage et le récit des parents adoptifs et de leur entourage au moment de son accueil et tout au long de son éducation. Les mythes individuels se construisent à notre insu, les éléments de l’histoire familiale réels comme imaginaires, les récits qui se transmettent de génération en génération, les rôles et les qualités attribués aux ancêtres président à notre arrivée au monde, conditionnent nos  identifications et tissent les fils de la filiation. Bref,  la valeur exacte de ce que l’on appelle Les Théories  Infantiles, de la sexualité et de tout l’ordre  des activités qui sont chez l’enfant structurées autour de celles-ci,  nous devons les référer à la notion de Mythe. Tous les SI commencent par IL était une fois, que nous racontons à nos enfants ; les enfants l’écoutent, le réclament puis ils s’en désintéressent. Jamais un enfant ne vous demande  Quand ? Ils savent très tôt qu’il ne s’agit pas d’un temps historique mais d’un temps ouvert qui inscrit l’homme dans une continuité générationnelle et puis de temps en temps, Il était Une Fois implique un avant et un après, avant l’adoption et après l’adoption, avant que les parents quittent leur pays de naissance et après. Quelque chose fait rupture. Les humains se sont toujours référés au récit pour représenter le réel, quelque chose de réel. Si l’on prend La Bible, on va voir que c’est pareil : il y avait un avant et un après, ça ne s’arrête pas, avant Babel  et après Babel, avant Le Déluge et après Le Déluge et ainsi de suite. Si l’on me posait la question de savoir pourquoi il fallait absolument autant de ruptures dans le récit biblique, je ne suis pas spécialiste, j’espère que l’on me tolère cette interprétation, la réponse possible serait que les ruptures permettent qu’un récit intègre le réel sans l’expliquer, et tant qu’on laisse cette place au  réel on peut répondre à tout en échappant à toute contradiction apparente. Les ruptures permettent au récit  de recommencer à partir d’un point zéro, avant le déluge ce n’est plus après le déluge, c’est autre chose, avant Babel ce n’est plus après Babel, c’est un autre point de départ, et ainsi de suite. Peu importe que l’on soit intelligent ou pas, peu importe que cela soit cohérent ou pas s’il reste opérant pour le groupe humain. Sur le plan individuel, c’est autre chose, pour les enfants adoptés comme pour les enfants issus de l’immigration,  cette rupture introduit une perte qui refuse de s’inscrire en tant qu’élément parmi tant d’autres dans l’histoire du sujet. L’avant et l’après restent séparés par un chapitre qui demeure blanc et de ce fait les mythes individuels qui permettront  à chacun de faire avec la perte ne s’élaborent pas. Ce chapitre, l’enfant adopté l’appelle ma mère, la vraie famille, l’origine, d’où l’enfant immigré est le pays de naissance. On raconte son histoire à l’enfant, des faits ou des événements mais cela n’a rien à voir avec la vérité. Celle-ci a plutôt à voir avec la version que chacun est capable de réécrire pour se reconnaître dans une histoire familiale et cette histoire n’a pas besoin d’être vraie pour s’élaborer et s’écrire. Merci.                

Nazir Hamad

Notes