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Qu'on me traduise en japonais, me laisse perplexe. Parce que c'est une langue dont je me suis approché : à la mesure de mes moyens.

J'en ai pris une haute idée. J'y reconnais la perfection qu'elle prend de supporter un lien social très raffiné dans son discours.

Ce lien, c'est celui même que mon ami Kojève, l'homme le plus libre que j'aie connu, désignait du : snobisme.

C'était là chez lui fait d'humour, et fort loin de l'humeur qu'on se croit en devoir de montrer quand à ce mode d'être, au nom de l'humain.

Plutôt nous avertissait-il (j'entends : nous, les Occidentaux) que ce fût à partir du snobisme qu'une chance nous restât d'accéder à la chose japonaise sans en être trop indignes, — qu'il y avait au Japon matière plus sûre que chez nous à justifier ledit mode.

Note marginale : ce que j'avance ainsi, certains en France le rapprocheraient sans doute de cet Empire des signes dont Barthes nous a ravis, pour peu qu'ils en aient vent. Que ceux qui au Japon se sont agacés de cette bluette étonnante, me fassent confiance : je n'en ferai part qu'à ceux qui ne peuvent pas confondre.

Ceci dit, du Japon je n'attends rien. Et le goût que j'ai pris de ses usages, voire de ses beautés, ne me fait pas en attendre plus.

Notamment pas d'y être entendu.

Ce n'est certes pas que les Japonais ne tendent l'oreille à tout ce qui peut s'élucubrer de discours dans le monde. Ils traduisent, traduisent, traduisent tout ce qui en paraît de lisible : et ils en ont bien besoin. Autrement ils n'y croiraient pas : comme ça, ils se rendent compte.

Seulement voilà : dans mon cas, la situation est pour eux différente. Justement parce que c'est la même que la leur : si je ne peux pas y croire, c'est dans la mesure où ça me concerne. Mais ceci ne constitue, entre les Japonais et moi, pas un facteur commun.

J'essaie de démontrer à des « maîtres », à des universitaires, voire à des hystériques, qu'un autre discours que le leur vient d'apparaître. Comme il n'y a que moi pour le tenir, ils pensent en être bientôt débarrassés à me l'attribuer, moyennant quoi j'ai foule à m'écouter. Foule qui se leurre, car c'est le discours du psychanalyste, lequel ne m'a pas attendu pour être dans la place.

Mais ça ne veut pas dire que les psychanalystes le savent. On n'entend pas le discours dont on est soi-même l'effet.

Note marginale : ça se peut quand même. Mais alors on se fait expulser par ce qui fait corps de ce discours. Ca m'est donc arrivé.

Je reprends de cette note : les Japonais ne s'interrogent pas sur leur discours ; ils le retraduisent, et dans ceux mêmes que je viens de dire. Ils le font avec fruit, entre autres du côté du Nobel.

Toujours le snobelisme.

Que peut dès lors leur faire le fait de mes difficultés avec un discours des psychanalyses auquel personne d'entre eux que j'aie rencontrés ne s'est jamais intéressé ? Sinon au titre de l'ethnologie de la peuplade américaine, où ça n'apparaît que comme détail.

L'inconscient, (— pour savoir ce que c'est, lire les discours que ces Ecrits consignent pour être celui de Rome —), l'inconscient, dis-je, est structuré comme un langage.

C'est ce qui permet à la langue japonaise d'en colmater les formations si parfaitement que j'ai pu assister à la découverte par une Japonaise de ce que c'est qu'un mot d'esprit : une Japonaise adulte.

D'où se prouve que le mot d'esprit est au Japon la dimension même du discours le plus commun, et c'est pourquoi personne qui habite cette langue, n'a besoin d'être psychanalysé, sinon pour régulariser ses relations avec les machines-à-sous, — voire avec des clients plus simplement mécaniques.

Pour les êtres vraiment parlants, l'on-yomi suffit à commenter le kun-yomi. La pince qu'ils font l'un avec l'autre, c'est le bien-être de ce qu'ils forment à ce qu'ils en sortent aussi frais que gaufre chaude. 

Tout le monde n'a pas le bonheur de parler chinois dans sa langue, pour qu'elle en soit un dialecte, ni surtout, — point plus fort —, d'en avoir pris une écriture à sa langue si étrangère que ça y rende tangible à chaque instant la distance de la pensée, soit de l’inconscient, à la parole. Soit l'écart si scabreux à dégager dans les langues internationales, qui se sont trouvées pertinentes pour la psychanalyse.

Si je ne craignais le malentendu, je dirais que pour qui parle japonais, c'est performance usuelle que de dire la vérité par le mensonge, c'est-à-dire sans être un menteur.

On m'a demandé une préface pour mon édition japonaise. J'y dis ce que je pense pour ce dont, quant au Japon, je n'ai aucune idée, à savoir : ce qu'est le public.

De sorte que j'ai envie de l'inviter à fermer mon livre, sitôt cette préface lue ! J'aurais l'espoir de lui laisser un souvenir indulgent.

Je tremble qu'il poursuive, dans le sentiment où je suis de n'avoir jamais eu, dans son pays, de « communication » qu'à ce qu'elle s'opère du discours scientifique, ici je veux dire : par le moyen du tableau noir .

 C'est donc une « communication », qui n'implique pas que plus d'un y comprenne ce qui s'y agite, voire même qu'il y en ait un.

Le discours de l'analyste n'est pas le scientifique. La communication y répercute un sens. Mais le sens d'un discours ne se procure jamais que d'un autre.

Maintenant imaginons qu'au Japon comme ailleurs, le discours analytique devienne nécessaire pour que subsistent les autres, je veux dire : pour que l'inconscient renvoie leur sens. Telle qu'y est faite la langue, on n'aurait à ma place besoin que d'un stylo. Moi, pour la tenir, cette place, il me faut un style.

Ce qui ne se traduit pas, hors l'histoire d'où je parle.

Ce 27 janvier 1972

Notes