Ce qui était désigné du terme « d’hyperactivité », puis maintenant de T.D.A.H., ne saurait accéder au rang de symptôme. C’est plutôt en rapportant l’hyperactivité réelle de l’enfant à l’inactivité symbolique des adultes qui l’entourent que nous pouvons mettre en évidence la tension inhérente à ce qui constitue un symptôme. Un exemple clinique peut nous l’illustrer.
A - L’hyperactivité.
Un enfant hyperactif traité depuis des années par dela Ritalinem’est adressé par une consultante qui a récemment affirmé, au vu des tests qu’elle lui avait fait passés, qu’il n’était plus hyperactif et qu’il était guéri. Les parents et lui-même sont interloqués mais se trouvent mis au défi de tirer le meilleur d’eux-mêmes. En dépit de cette annonce, leur fils reste instable en classe, agressif et provoquant à l’égard des professeurs. Je les rencontre ensemble à quelques reprises et je vois leur fils seul, à un rythme un peu espacé qu’il m’impose initialement sans discussion. Avant leur départ en vacances, la mère déclare, de manière inattendue, que quelque chose s’est passé « ici », désignant ainsi le lieu des rendez-vous. Elle répète cette affirmation avec insistance, explicitant ce qui la justifie à ses yeux : En rentrant d’un rendez-vous précédent, elle a demandé à son fils de ranger ses vêtements qu’il laisse en général traîner partout. Il a fait de suite ce qu’elle lui demandait, à son grand étonnement. Nous pouvons supposer que c’est parce qu’il s’agissait là d’une demande authentique et non d’un impératif habituel que le fils a pu y répondre ainsi. Au retour de vacances, je les revois tardivement, c'est-à-dire après les premiers débordements de leur fils à l’école, après les premières impertinences à l’égard des professeurs, après les premières sanctions, comme si les parents avaient pu espérer une amélioration miraculeuse. J’impose de le voir chaque semaine et j’apprends, lors d’une séance, qu’il doit partir en week-end chez des cousins de province qui l’ont invité pour son anniversaire, un vendredi après-midi, en s’absentant des cours avec la bénédiction des parents. Je l’interroge alors – mi ferme, mi bienveillant – sur la pertinence d’un tel projet, et je suppose qu’il doit être un peu perdu entre les décisions contradictoires des parents qui alternativement se dressent contre son absentéisme scolaire ou qui l’y incitent, suivant leur convenance. Il se montre sensible à ce que je lui propose, sans en dire beaucoup plus. Le soir, je reçois un appel téléphonique de sa mère qui reprend les propos du fils. Elle rapporte que je lui aurais « passé un savon », que je ne serais pas d’accord avec le départ le vendredi après-midi. Les propos de son fils lui ont fait saisir qu’il y avait là un problème. Elle me dit mi-interrogative, mi-affermative qu’elle ne peut organiser le week-end ainsi et que leur fils prendra un train plus tard après l’école.
B - Un discours inactif.
Voici une petite séquence qui nous apporte plusieurs enseignements :
L’hyperactivité réelle d’un enfant doit être mise en regard de l’inactivité symbolique de ses parents, de l’inactivité de l’Autre, du discours de l’Autre qui n’est pas marqué par une rigueur symbolique, ni d’une dé complétude où l’enfant puisse trouver une place ou une adresse signifiante pour articuler sa parole. Ce n’est pas que les parents soient réellement inactifs. Au contraire, ils peuvent aller tous azimuts, s’occuper de leur enfant de manière très active – et d’autant plus active que cette hyperactivité leur semble incompréhensible - et ils présentent au praticien cette activité comme un signe de bonne volonté. Mais ils sont inactifs dans ce qu’ils n’assignent pas à leur enfant une place qui lui soit désignée comme telle. Ils sont pris dans ce que j’ai formulé comme un « discours sans contradiction »[1] dont on voit bien se déployer la logique dans cet exemple : sécher les cours est alternativement sanctionné et commandé. La parole de l’Autre considère alternativement le même terme comme un impératif ou comme un élément à bannir. Cet élément décomplète le discours quand il est interdit et obture cette dé complétude quand il est commandé. A ce titre, c’est un élément fétichisé. La place du sujet dépend donc du caprice de l’Autre et d’un discours qui exclut la référence à la perte qu’exige un discours rigoureux et la représentation de la perte.
Dans ce cas l’enfant est privé de représentation de la perte dans le discours de l’Autre – mais ce n’est pas à proprement parler un discours puisqu’il n’y a pas de restriction de jouissance consentie par l’Autre – et il est tributaire de l’Autre, il est objet réel de l’Autre. Comme objet réel il est happé par le vide de l’Autre, comme Marcel Czermak nous incitait à saisir les mouvements du sujet maniaque lors d’une de ses interventions à l’E.P.E.P. les années passées. Nous voyons donc la stratégie inconsciente à laquelle se livre l’enfant hyperactif dans son rapport à l’Autre. Il s’éjecte d’une situation insupportable d’être objet réel de l’Autre, d’être happé par le manque de l’Autre, et il tente de susciter dans le réel un écart, un espace qui fasse allusion à la représentation d’un manque, qui fait défaut dans le discours de l’Autre. A être happé incessamment par le vide de l’Autre, comme objet réel de l’Autre, il répète des passages à l’acte, où il s’éjecte d’une situation insupportable en tentant d’instaurer dans le réel une place d’où il puisse se faire entendre[2]. C’est ici que nous pouvons apporter une nuance à ce que développe Jean Bergès dans son travail sur l’enfant hyperkinétique[3]. Il souligne à juste titre que l’enfant hyperactif réitère des passages à l’acte, du fait de ne pas être entendu, du fait que l’adulte donne du sens, interprète à tord un passage à l’acte comme le geste d’un acting-out. Mais il élude le temps premier qui fait que si l’enfant n’est pas entendu, c’est qu’il ne peut pas parler, c’est que les conditions de sa parole sont exclues, c’est que la dé complétude du discours de l’Autre est exclue. Ce n’est pas simplement que la parole de l’enfant n’est pas entendue, c’est que les conditions de sa parole sont exclues. C’est justement cette dé complétude qu’il s’agit de réintroduire dans le discours de l’Autre. Dans l’exemple clinique précédent, c’est la marque de cette dé complétude qu’évoque la mère quand elle mentionne « quelque chose qui s’est passé ici », « ici » désignant le lieu du transfert et le transfert comme un lieu. Ceci illustre ce fait de structure, où souvent, le consentement de parents à des entretiens communs, même s’ils sont espacés, a comme effet d’introduire un tiers dans le discours des parents, d’introduire une dé complétude dans leur discours et dans la relation à leur enfant. Ils consentent à n’être pas « tout » pour lui, ni à ce qu’il soit « tout » pour eux. C’est d’ailleurs ce que souligne J. Bergès dans ce travail quand il précise qu’il ne s’agit pas d’examiner l’enfant mais « d’écouter la demande qui n’est jamais celle de l’enfant »1. C’est dire l’importance d’être vigilants à l’égard du discours de l’Autre. De même l’insistance du regard scrutateur de la mère à l’égard de son enfant, qu’elle surveille incessamment, ne doit pas nous leurrer sur la valeur de ce regard. Il témoigne avant tout que ce regard est désintriqué d’un discours qui fasse référence à la perte. Nous devons aussi nous garder de supposer que l’enfant puisse faire signe au praticien car nous risquons de nous trouver entraînés dans les même travers que les proches, à interpréter un sens qui n’est pas encore là.
C - La quête d’une place symbolique.
Le second enseignement que nous pouvons tirer de tout cela est que l’enfant sollicite les parents pour qu’ils lui assignent une place symbolique. Nous pouvons quand même être surpris de ce que l’enfant de mon exemple, qui habituellement multiplie les conflits avec l’autorité et sèche l’école, vient rapporter à ses parents mes propos avec suffisamment de précisions et de discernement pour que ceux-ci y entendent un appel à affirmer leur position symbolique. Il aurait pu faire bien autrement : ne rien dire ; se plaindre de moi ; utiliser mes propos comme une disqualification des parents…Il n’en a rien fait. Nous voyons donc que ce qu’il recherche implicitement avant tout est une sanction symbolique, et que sa quête d’enfant hyperactif est celle d’une place symbolique de sujet de parole. J’ai rencontré un adolescent qui insistait avec le même genre de détermination pour rapporter en présence de son père comment ce dernier avait pu lui refuser ce qu’il lui avait demandé, comment il avait pu lui dire enfin « non », alors que le père récusait avoir dit ce non. Ce dernier redoutait des réactions violentes de son fils en retour de ce non.
Nous voyons aussi l’éclairage que nous pouvons apporter à ce qu’introduit J. Bergès concernant la référence à la mort. S’il s’agit pour un enfant de ménager sa place de sujet, de sujet de la parole, il passe d’un statut d’être à un statut de sujet. C’est son avènement de sujet dont il s’agit. Sa mort comme être est corrélative de sa vie comme sujet, il meurt comme être pour advenir comme sujet[4]. L’enjeu de la mort est lié à un effet de structure : l’enfant se trouve au seuil de la parole ; si l’enfant se lance comme sujet dans l’élan de sa parole, il quête une adresse pour anticiper un tel élan ; si l’autre fuit l’exigence d’une telle adresse, l’enfant est coupé dans l’élan de sa subjectivité et se trouve pétrifié dans sa mort de sujet alors que la parole lui promettait d’ex-sister. Il se trouve mort comme sujet, et c’est bien ce défaut d’adresse et ce défaut d’appui dans la structure symbolique de l’Autre dont souffre l’enfant hyperactif, à des titres divers. C’est pour cette raison que l’enfant hyperactif trouve le sommeil dès qu’il est cadré par l’attente structurée de l’Autre – que ce soit des électrodes de l’E.E.G., ou le protocole de la relaxation – , puisqu’il peut alors se reposer sur les signifiants introduits par l’Autre. Il peut dormir sans crainte de la mort.
De même la référence à la pulsion de mort correspond aux conditions d’inscriptions des coordonnées symboliques qui balisent la place que quête l’enfant pour rendre possible sa parole. Nous pouvons rappeler comment J. Lacan, dans son commentaire de « L’au-delà du principe de plaisir »[5] souligne comment l’instinct de mort est à l’œuvre dans l’inscription des marques symboliques de l’identité du sujet qui meurt à lui-même comme être et qui en est divisé. Pour chacun, compter sur ses propres marques symboliques consiste à compter sur les effets de l’instinct de mort dans ces inscriptions même.
Qu’il s’agisse de l’être éclaire aussi ce que rappelle J. Bergès, que l’enfant ne souffre pas, mais que c’est l’autre qui souffre, dans le meilleur des cas. Ceci manifeste que le sujet se structure dans le rapport à l’Autre, et dans cet « entre deux ».
Il est un dernier point qui nous ramène au réel du corps. C’est le constat que l’hyperactivité est une affaire de sexe, plus précisément une affaire de garçons. C’est un point qui semble être partagé par ceux qui sont familiers de cette clinique. L’objection qui m’est venu est le cas de certaines petites filles que j’ai rencontrées. L’une posait justement problème à sa mère en ce qu’elle disait être un garçon ; l’autre m’a imposé de la rencontrer tout un temps avec sa mère pour la dégager de l’insistance érotisée de l’attente de la mère. Ce sont là des cas particuliers à reprendre à part.
D – La motricité.
Pour éclairer les manifestations de l’hyperactivité, nous pouvons nous rapporter aux remarques lumineuses de Jean Bergès[6] sur la structuration de la motricité de l’enfant et sur le temps de la marche. Il aborde la motricité comme un objet a et il nous permet d’approfondir ce qu’il nous apporte. Son abord est que le fonctionnement de l’enfant, ses mouvements tous azimuts débordent la fonction encore immature. De fait, la fonction n’étant pas mature, le débordement dérive le fonctionnement dans une autre direction. C’est la mère qui assure, dans le prolongement de l’enfant, la garantie de la fonction, comme substitut, et dans l’attente de la maturité de la fonction. Mais ce qui répond à l’immaturité de la fonction de l’enfant, c’est le symbolique de la mère : «Le cri, les états de tension, la respiration, les poussées, etc. c'est-à-dire ce qu’on peut appeler la mise en jeu de ce qu’on peut appeler la cénesthésie, c’est l’objet du discours de la mère »1.
A ce défaut de la fonction, la mère apporte sa substitution comme mère. Elle est en complément, en prolongement du corps de l’enfant. A l’immaturité de la fonction elle apporte des signifiants, « dans un forçage symbolique, dans une introduction du symbolique dans la parole »1, dans une anticipation.
La motricité, la posture, souligne Jean Bergès, se trouvent instituées, données comme symbolique « par la mère qui n’est pas nourricière, mais agissante, portante ». Elle réalise ce que le symbolique a d’anticipé. « L’image mentale deviendrait possible, la pensée tiendrait non pas à la mise en jeu de l’action, de la motricité, mais bien plutôt de son impossible »1.
Nous voyons donc que la réponse réparatrice de cette immaturité motrice est ordonnée par des signifiants, par les signifiants de la mère. « La nomination des effets de ce dépassement vient situer dans le symbolique ce dépassement »[7].
Mais en ce temps logique, les mouvements désordonnés de l’enfant font partie de ce qui n’est pas spécularisable. La motricité apparaît ainsi en son essence non spécularisée, et de l’ordre du « petit a ». Il est précieux pour nous sur ce point de ne pas rapporter trop vite les questions de la motricité à ce qui l’habille dans le stade du miroir[8] et dans la structuration de l’image du corps que J. Lacan note :i(a). Nous constatons comment l’écart que formalise Jean Bergès entre le fonctionnement et la fonction illustre très logiquement l’évidement de l’objet perdu dans le rapport de l’enfant à l’Autre, et suggère que la motricité met en évidence un objet a. Et nous voyons aussi le forçage symbolique du discours de l’Autre. Il suscite la métaphore en substituant les signifiants de l’Autre au débordement que le fonctionnement impose à la fonction immature et, du coup, en rendant possible que des lettres choient de la chaîne signifiante. De même, on peut situer dans ce temps logique l’incidence du Nom du Père, dans une forme particulière de débordement suscité chez le nourrisson par la « grosse voix du père » qui suscite « un orage vasomoteur et tonique en flexion »1. Je passe rapidement sur ce point ici, qui n’est pas directement notre sujet.
Nous voyons donc comment cet évidement qui se réalise par le bornage symbolique de l’écart entre le fonctionnement et la fonction immature par les signifiants de l’Autre correspond à l’évidement de l’Autre que désigne S. Freud par le terme de « nouveau sujet », quand il développe les différents temps d’allers et retours de la pulsion[9]. C’est d’ailleurs un temps où le sujet prend en compte à la fois le manque de l’Autre et la possibilité de s’identifier transitivement à cet Autre barré.
Nous pouvons rapporter la motricité à un temps logique premier d’évidement de l’objet perdu, qui se creuse dans l’écart que formalise Jean Bergès entre le fonctionnement et la fonction.
E – La pulsion motrice.
« Une des particularités de la pulsion motrice est qu’elle émerge de la participation de plusieurs composantes juxtaposées qui vont aboutir à une coordination subtile. Ce sont des composantes que le clinicien d’enfant cherche à évaluer dans l’examen du nouveau-né.
- Le tonus passif correspond à l’extensibilité des muscles et au ballant des membres. Il témoigne de l’articulation des muscles agonistes et antagonistes de l’enfant.
- Le tonus passif correspond à l’activité posturale du nouveau-né. Il est apprécié en évaluant la qualité de redressement des membres inférieurs et du tronc en mettant l’enfant debout. De même, la motricité de la nuque est mise en évidence, l’enfant étant amené en position assise, sur la possibilité qu’il a, ou non, de maintenir sa tête dans l’axe du corps, un court instant.
- Les réflexes primaires sont fascinants pour l’observateur car ils évoquent une forme d’autonomie, alors qu’ils sont archaïques et qu’ils disparaissent quand les phénomènes d’inhibition secondaires à l’intentionnalité se mettent en place. Ce sont le réflexe d’agrippement, le grasping…..le réflexe de Moro, ou réflexe d’embrassement…..le réflexe de la marche automatique….[10].
- La motricité intentionnelle met en évidence des compétences motrices qui ne s’observent que dans des conditions d’examen bien particulières,…. Notamment en palliant ce qui gêne le plus la motricité volontaire de l’enfant, son hypotonie axiale…[11].
Nous voyons donc se dégager, sur le fond d’une immaturité motrice autonome, une intentionnalité motrice de l’enfant qui s’associe à une tonicité qui ne profite pas encore d’une coordination des membres, et une hypertonie archaïque qui cède progressivement au fur et à mesure que s’affirme la motricité volontaire »[12].
« La coordination s’établit entre un état tonique axial et une contraction tonique périphérique, ce qui permet de supposer que le lieu où se fait cette coordination, où s’établissent les premières relations tonico-motrices entre axe et périphérie, le champ de cette intégration, est constitué par l’axe corporel »[13]. Nous voyons donc que la recherche d’équilibration de l’enfant passe par un jeu subtil entre les tensions des extrémités des membres, dont l’hypertonie cède progressivement sous l’effet des inhibitions centrales, et la tension de l’axe du corps. La disparition de ces réflexes et le relâchement que permet leur inhibition signent le consentement de l’enfant à compter sur la substitution motrice que lui offre sa mère et sur la structuration symbolique de cet Autre maternel[14].
« La mère assume donc une position substitutive à ce fonctionnement et elle propose, par la structure symbolique de la motricité de son propre corps et de son babil avec l’enfant, l’appui de son savoir inconscient…..
Dans l’écart entre le fonctionnement de l’enfant d’un je en devenir, je bouge et la fonction immature à laquelle se substitue l’Autre je suis bougé, l’enfant fait l’expérience des différents allers et retours de la pulsion et découvre une instance symbolique à laquelle il offre de représenter ce qui l’anime, je me fais bouger. Nous retrouvons ici, dans les allers-retours de la pulsion, le bouclage du circuit pulsionnel sur un vide qui identifie un objet a[15].
Nous voyons de fait comment la motricité de l’enfant prend le statut d’une pulsion.
La poussée est constante au même titre que les autres pulsions.
Elle fait le tour de l’objet évidé, dans les trois temps grammatical de la pulsion : actif je bouge, je gigote ; passive: je suis bougé , je suis entortillé comme dit Jean Bergès1, et réfléchie : je me fais bouger.
Nous voyons toutefois deux difficultés à situer l’origine de la pulsion, à la fois en ce qui touche l’orifice de la pulsion chez le sujet et en ce qui tient à l’articulation avec l’orifice de l’Autre avec qui se jouent les allers et retours pulsionnels. La question de l’orifice du côté du corps de l’enfant est à situer dans l’écart entre les bras, plus exactement entre les extrémités des membres, qui sont initialement le siège des réflexes moteurs et qui vont s’estomper. On peut plus précisément se représenter les extrémités des membres orientés vers la mère et les situer sur la base d’un cône tronqué dont le fond serait le corps de l’enfant, et qui sera en un second temps ordonné par son axe postural : On y représente plus clairement ce que peut être cet orifice de la pulsion motrice :
L’adresse en est le centre d’équilibre de la mère, la référence à son propre équilibre à son propre centre de gravité. La mère tient compte de son propre équilibre pour assurer l’assise de son enfant. Nous savons bien la difficulté rencontrée avec les mères narcissiques qui, à un moment ou à un autre, laissent leur enfant tomber, du fait de leur difficulté de traiter pour elles même la perte de l’objet.
En retour, la motricité volontaire de la mère, à partir de ses bras, va vectoriser le second temps de la pulsion « je suis bougé », pour que l’enfant expérimentant son propre équilibre, puisse en un troisième temps « se faire bouger ». Nous pourrions représenter le circuit pulsionnel ainsi :
Nous voyons donc un circuit pulsionnel qui se situe pour le sujet entre ses bras, entre ses membres et le centre d’équilibre de sa mère, puis qui fait retour des bras de sa mère, où il fait l’expérience dans les mains de celle-ci du : « je suis bougé » et de son propre équilibre. C’est cet équilibre qu’il expérimente progressivement.
Nous voyons donc comment nous pourrions désigner cet objet a comme « l’équilibre ». Cette nomination évoque que la dimension métaphorique est corrélée à ce bouclage pulsionnel, comme je l’ai souligné. La motricité de l’enfant, comme sujet en devenir, recherche donc un bouclage pulsionnel lié au recours à la structure de la parole et du langage chez l’Autre.
Nous pouvons donc supposer que ce qui se joue dans l’hyperactivité de l’enfant consiste dans une répétition de passages à l’acte pour tenter le bouclage de la pulsion motrice autour de ce qui serait l’évidement symbolique de l’Autre, alors que le discours de l’Autre n’offre pas au sujet la décomplétude qu’il y quête dans son adresse. C’est là une lecture complémentaire pour rendre compte de ce qui est structurellement en jeu dans l’hyperactivité. Nous pouvons comprendre l’insistance du regard de la mère à l’égard du mouvement brownien de son enfant, si nous saisissons qu’elle se perçoit confusément l’adresse de ces précipitations de toutes parts, comme si après un trébuchement, il courrait après son équilibre.
Nous pourrions tirer une autre conséquence de ce circuit pulsionnel. La mère propose en réponse aux débordements de la fonction ses propres signifiants et donc ce qui ordonne sa chaîne signifiante. Nous avons vu que le circuit de la pulsion motrice traverse la structure de son identité, entre le centre d’équilibre et les bras. « C’est un discours, je cite Jean Bergès, qui sait ce que c’est que pousser, crier, se raidir, notamment dans ce que le désir de la mère a de phallique.»[16]. Nous voyons donc que c’est par le trait de division qui structure l’identité de l’Autre que passe le circuit pulsionnel et puis par le trait de la division du sujet. La motricité apparaît très directement articulée au trait de la parole et de l’énonciation. Nous pouvons donc nous attendre à ce que les manifestations liées à la motricité se rapportent à un temps d’identification lié à l’énonciation de la parole, à un temps d’identification du côté de la l’énonciation. Si nous nous rapportons aux formules de la sexuation et à la congruence entre l’affirmation du côté homme et l’énonciation, nous pouvons supposer y comprendre pourquoi les manifestations de l’hyperactivité concerneraient en priorité les garçons. Elles peuvent aussi bien concerner des filles, quand elles se trouvent dans un temps d’achoppement de leur énonciation, comme je le mentionnais précédemment ; et c’est dans ce contexte que ce type de manifestations peut les toucher.
Pour conclure, il me semble que l’insistance de l’hyperactivité des enfants et des adolescents dans le monde actuel révèle que si le sujet est privé dans le champ de la parole d’une adresse possible et d’un interlocuteur symboliquement fiable, il rabat ici dans le champ de la pulsion motrice et dans les passages à l’acte réitérés, la recherche de la décomplétude du discours de l’Autre.
Jean Marie Forget*
* Mise à jour et remaniement de travaux déjà publiés dans « L’enfant insupportable », déjà cité, et dans « Les enjeux des pulsions », Eres, Toulouse, 2011, p. 82-102..
[1] Forget J.M., « Un discours dans contradiction », in Le livre compagnon de L’envers de la psychanalyse, Paris, edts de l’A.L.I. , 2007, pp. 213-218.
[2] Forget J.M., « L’enfant problème, enfant de qui ? », in Bulletin de l’Association Lacanienne Internationale, Paris, Novembre 2005-Janvier 2006, n°115-116, pp.15-20.
[3] Bergès J., « Les enfants hyperkinétiques », in Le corps dans la neurologie et la psychanalyse , Eres, Ramonville Ste Agne, 2005, pp.85-99.
[4] Lacan J., « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse », Le Seuil, Paris, 1973, 254 p.
[5] Lacan J., Idem.
[6] Bergès Jean, « Le corps dans la neurologie et dans la psychanalyse », Eres, Ramonville Ste Agne, 2005, 398 p.
[7] Bergès Jean, Ibid.
[8] Lacan J, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je » in Ecrits, Paris, Le Seuil, 1966, pp.93-100.
[9] Freud S., « Pulsions et destins des pulsions », in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1977, coll. Idées, pp. 11-44.
[10] Forget J.M., « Les enjeux des pulsions », Eres, Toulouse, 2011, p.91-94.
[11] Forget J.M., Idem.
[12] Forget J.M., Idem.
[13] Bergès J. « Du tonus et de la motricité dans l’examen de l’enfant », in S. Lebovici, R . Diatkine, M. Soulé, Nouveau traité de l’enfant et de l’adolescent, PUF, paris, 1995, p. 659-675.
[14] Forget J.M., Idem.
[15] Forget J.M., Idem.
[16] Bergès Jean, « Le corps dans la neurologie et dans la psychanalyse », Eres, Ramonville Ste Agne, 2005, 398 p.