Présentation du livre par Nicolas Dissez
L’ouvrage de Thierry Najman, joliment intitulé Lieu d’asile, est un livre à mettre entre toutes les mains de ceux qui travaillent en institution psychiatrique. C’est en effet un ouvrage courageux qui peut avoir, dans l’ambiance dans laquelle sont plongées les institutions psychiatriques aujourd’hui, un réel effet de soulagement. C’est un ouvrage courageux parce qu’il prend comme point de départ une des questions probablement les plus difficiles, voire impossibles, à traiter qui est celle de la liberté. Le livre du docteur Najman traite de cette question impossible dans un effort de grande clarté d’exposition et avec un réel souci d’articulation avec sa pratique quotidienne à l’hôpital de Moisselles.
Cette question de la liberté a en effet animé les débats du Colloque de Bonneval en 1946 entre Henri Ey et Jacques Lacan, Henri Ey défendant que la maladie mentale est une pathologie de la liberté quand Lacan soulignait à l’opposé que le fou est le seul homme libre, ce qui est particulièrement manifeste, par exemple, au cours d’un accès maniaque. Autrement dit, la clinique des psychoses nous montre l’inanité de notre aspiration commune à la liberté. La question de la liberté se pose en effet à nous sur un mode inévitablement paradoxal. Une situation de liberté réelle, d’affranchissement de toute entrave à laquelle nous semblerions aspirer, provoque régulièrement la survenue d’une angoisse paralysante. L’ouvrage de Thierry Najman s’efforce d’indiquer les modalités dont il s’est, dans sa pratique, attaché à traiter cette question de la liberté de circuler des patients dans un service de psychiatrie et des propositions pratiques qui en découlent. Notons que son effort consiste en particulier à réinstaurer une dialectique minimale dans la sémantique qui envahit progressivement les lieux de soins depuis quelques années, dans une ambiance de travail où les termes qui se sont imposés procèdent d’une novlangue rigide et réductionniste. Les équipes soignantes sont en effet actuellement confrontées à une langue qui tente de s’imposer sur le mode d’une évidence et dont toute équivoque a disparu. Citons quelques exemples illustratifs des efforts qui sont ceux de cet ouvrage pour réintroduire dans la novlangue de la Haute Autorité de Santé, un peu de dialectique.
L’un de ces termes est celui de fugue : Pour la Haute Autorité de Santé, les choses sont simples : si un patient quitte une unité de soins sans autorisation médicale, ou ne revient pas d’un temps de permission, il s’agit d’une fugue et ce fait ne peut que procéder d’un défaut de surveillance ou d’une faute. La clinique se présente pourtant comme beaucoup plus nuancée et certaines de ces sorties peuvent se révéler après-coup un événement favorable dans la prise en charge de nos patients. Citons les propos de ce patient qui avait quitté l’hôpital sans prévenir quiconque et qui était revenu deux mois plus tard, en pleine nuit et un peu perplexe, de ce long périple. Quand, jeune interne, je l’avais accueilli à deux heures du matin et que je lui avais demandé ce qui lui était arrivé, il m’avait dit : « Je ne sais pas trop, j’ai dû faire un voyage pas-trop-logique… » C’était une formulation beaucoup plus subtile que la « fugue pour cause de défaut de surveillance ».
Un autre terme qui diffuse dans les institutions et qui est repris dans cet ouvrage est celui de risque : pour la Haute Autorité, un risque pris est forcément malvenu pour la pratique. Il faudrait parvenir dans nos institutions à des pratiques débarrassées de tout risque, comme si, rappelle Thierry Najman, tout choix, toute implication des soignants n’impliquait pas une dimension de prise de risque. Aujourd’hui, dans nos institutions toute possibilité de créativité, d’implication des équipes soignantes, d’une prise de décision spécifique adaptée à la prise en charge d’un patient peut d’être désignée comme faute professionnelle au titre d’une sortie des protocoles de soins.
L‘ouvrage de Thierry Najman, en réintroduisant un registre de polysémie dans les termes qui sont aujourd’hui utilisés dans les institutions soignantes, permet d’indiquer combien c’est ce souci de lutte contre le réductionnisme, combien c’est la réintroduction d’un registre dialectique minimal, qui peut permettre de redonner un peu d’air et de créativité dans les pratiques. Cet effort, souligne le Docteur Najman, permet de poser la question d’un travail dans des unités de soins ouvertes, y compris lorsqu’elles accueillent des patients hospitalisés sous contrainte. Peut-être aurait-on souhaité, lors de la soirée de présentation de son ouvrage, que le débat ait permis d’indiquer plus précisément quels outils cliniques pouvaient permettre l’ouverture de ces unités ou à quelles modifications des pratiques quotidiennes cette ouverture pouvait conduire mais ce sera probablement l’occasion d’un prochain ouvrage…
Nicolas Dissez
Vidéo de la Conférence du 12 mai 2016