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Dimanche 15 septembre 2013

EPhEP, le 15/09/2013

 Qu’est-ce que c’est que la psychopathologie ?

Bon, alors bonsoir pour cette rentrée un peu prématurée puisque de nombreux élèves sont encore en cours d’inscription. Mais, néanmoins je vous propose que nous commencions par ceci : c’est que j’entends parfaitement, pour vous qui arrivez dans cette école, j’entends parfaitement votre interrogation angoissée :

 Qu’est-ce que c’est que la psychopathologie ?

Et comme je ne souhaite pas que vous restiez dans le suspens une année entière ce qui serait éprouvant, je vais donc d’emblée vous permettre de savoir l’essentiel de ce que c’est que la psychopathologie.

«  Qu’est-ce que c’est que la psychopathologie ? » Voilà une phrase qui est bien construite, compréhensible qui, mon Dieu ! vient fort naturellement et légitimement à l’esprit,  qui est bien fondée, bien posée et qui a l’avantage, c’est ça ce qui est remarquable mais qui ne saute pas immédiatement aux yeux, et c'est pourquoi vous êtes ici, pour ouvrir les yeux. Alors commençons tout de suite : quel avantage de vous plonger d’emblée dans le fait que cette interrogation naturelle, normale, légitime est hautement pathologique ?

Elle est hautement pathologique dans la mesure où comme vous le voyez, elle aborde le questionnement d’un, on va dire d’un X parce que on ne saurait pas le définir, si on savait le définir il n’y aurait pas de questions, elle aborde le questionnement d’un X dans ce qu’il en serait de son être. Comme vous le savez, ou vous auriez à le savoir, la question de l’être est la question première de la philosophie, et posée évidemment à propos de ce qu’il en serait de l’être de l’homme; autrement dit, pour être très précis et simple, de l’ensemble des traits nécessaires pour que puisse être défini, sans qu’on puisse en retrancher l’un quelconque de ces traits ni nécessairement en ajouter un autre,  l’ensemble des traits nécessaires pour définir ce qu’il en serait de l’être de l’homme. Cela était parti de l’activité, enfin, a été relancé par l’activité de biologiste d’Aristote, puisqu’il était et il est encore tout à fait permis de définir un animal ou une plante par un ensemble de traits spécifiques. Mais la question reste énigmatique et source de tous les débats propres à la philosophie, en particulier à la métaphysique - puisque c’est cette part de la philosophie qui s’intéresse à la question de l’être – reste donc énigmatique sur ce que serait ce faisceau minimum de traits susceptibles de rendre compte de celui qui nous intéresse tous et toutes  ici - puisque nous ne faisons pas la psychopathologie animale - c’est-à-dire l’homme.

Pour vous le dire d’emblée, on va avancer ceci, c’est que cette question de l’être se pose à chacun d’entre nous de façon spontanée, naturelle, non réfléchie, à propos de n’importe quoi, avec un certain nombre de conséquences qui ne sont pas négligeables dans notre exigence d’aboutir justement à l’isolement de cette spécificité ; et cette itération de notre pensée est strictement liée au fait que nous manquons de réponses concernant ce qu’il en est de l’être de l’homme, et que nous oublions ce défaut pour venir ensuite nous en défendre par cette itération généralisée. Pour encore vous le dire tout de suite, l’ensemble des réponses palliatives à la question de l’être, constitue à proprement parler notre psychopathologie, c’est-à-dire la façon dont nous venons nous aliéner dans un certain nombre de réponses fautives à une question qui a oublié l’irréductibilité de son échec.

Maintenant, tournons-nous  pour cet abord programmatique de ce que nous ferons au cours de l’année vers le mot « psychopathologie ». C’est évidemment du grec de cuisine, car pour les grecs, ce mot n‘existait pas bien qu’il soit formé de trois mots grecs, car « psycho » et « pathos » forment un pléonasme pour les grecs dans la mesure où le pathos était forcément psychique ; il était donc inutile de le redoubler en parlant de psychopathos : le pathos c’est psychique, quitte à ce que ce pathos dans ses manifestations psychiques ait des manifestations corporelles. Je ne dis pas « somatique » parce que cela nous orienterait tout de suite dans la dimension que nous appelons la « psychosomatique », qui n’existait pas pour les grecs. Ce qui se passait dans le corps était directement branché, sans frontière avec ce qui pouvait se passer dans ce que nous traduisons par « âme », c’est-à-dire la psuché, disons le psychique; je vais revenir sur ces manifestations corporelles, mais avant, un mot sur ce pathos . La traduction de pathos  par passion est complètement erronée : ce pathos c’est l’ensemble de ce qui est susceptible d’affecter - là je me sers d'un mot latin produit par Cicéron car il faut bien trouver un mot pour le dire – c'est tout ce qui vient affecter la psyché.

D’une certaine manière un synonyme de pathos, c’est « sensation » aistésis;  avec pour nos amis grecs une question redoutable qui était que cet ensemble d’affectations de la psyché était susceptible de produire en elle des mouvements capables eux-mêmes d’entrainer l’individu dans des actions pouvant aller à l’encontre de sa volonté, de sa personnalité, de son identité ; autrement dit, il risquait d’être pris par des mouvements de la psyché : par exemple : la colère, un terme souvent cité qui isole une partie de la psyché, ce qu’on appelait, ce qu’ils appelaient le thumos, qui fait qu’un individu est emporté par la colère qu’il soit généralement courtois, civil, aimable etc. Il devient capable de se laisser prendre par un acte  qu'ultérieurement il pourra réprouver, et donc se trouvera dessaisi de sa maîtrise, le terme ici est important, il ne sera plus le maître de lui-même;  voilà donc que dans une culture où la maîtrise de soi et la préservation de son identité constituent des valeurs essentielles, cardinales, voilà qu'il se produit que, simplement du rapport je dirai à l’environnement, voilà donc un honorable citoyen qui se dénature, se défait, se soumet, devient passif, et c’est bien ce que reprend là le verbe paskein qui a donné « pathos », c’est-à-dire, il subit, il devient esclave, lui qui était là le maître avant tout, d'abord, de lui-même, il devient l’esclave de ce qui lui arrive ainsi, qui n’est pas dialectisé, autrement dit qui ne relève pas du logos, et le voilà parti dans une action où il perd, je dirais, ce que l‘on aurait pu jusque-là tenir comme caractéristique de l’être : c’est-à-dire la maîtrise de soi et du même coup le fait d'être identique à soi-même.

Ce qui aggrave la situation, c’est que ce qui vient ainsi affecter cet individu ne provient pas seulement de l’environnement, mais peut venir de son propre corps, c’est-à-dire que ce qui se prête à l’élaboration d’une nouvelle barrière entre la psyché, barrière inattendue cette fois,  peut venir du corps, mais sous la forme en particulier de cette partie de la psyché qui s’appelait epithumia  qui recouvre les besoins et les désirs. Là encore, ce qui vient du corps susceptible de déborder ainsi celui qui est exposé à cette affaire. Encore pire, dans cet espèce d’envahissement menaçant de l’individu par ce qui peut venir de l’environnement, par ce qui peut venir de son corps, voilà que l'envahissement peut venir de la psyché elle-même sous la forme des fantasma, autrement dit des images, des représentations. Ce terme sera traduit par LACAN dans la théorie analytique par fantasme. Il est constitué d'une série d’élaborations imaginaires, cependant susceptibles de conduire elles aussi  à ce type de  subversion, je crois que le terme est bon, ce type de subversion, de « l’individu »,  je ne sais pas comment l’appeler, appelons le l’individu.

Alors, vous voyez se constituer ici,  à propos de l’isolement de ce qui est le pathos, vous voyez se constituer évidemment une éthique qui organise l’Idéal sous le signe d’abord de la maîtrise à réaliser de soi-même en premier lieu et du même coup avec cette maîtrise, l’identité à soi-même.

Ceux d’entre vous qui n’avez pas encore eu le plaisir d’ouvrir Platon, et c’est tout à fait recommandé si vous souhaitez faire de la psychopathologie d’aller voir l’idéal que représentait Socrate et qui était d’abord justement celui d’une parfaite maîtrise de soi, parfaite maîtrise de ses désirs : il était capable de fréquenter les surboums sans se laisser emporter par la boisson, encore qu’il se montrait agréable aux convives, mais il gardait la tête froide et ne se laissait pas aller à des tentations en particulier sexuelles, quelle qu’ait été la séduction opérée par ses voisins de couchette. Alors, en outre, il était également réputé pour avoir témoigné d’un grand courage à la guerre, pour avoir montré que là aussi, non seulement il ne se laissait pas déborder par ses désirs, ses pulsions comme on dit aujourd’hui, mais qu’il était capable de manifester également un courage imperturbable devant les risques de mort, et il le montrera encore lorsqu’il sera condamné par les honorables citoyens qui lui reprochaient de pervertir la jeunesse. On ne voit pas très bien quel était ce type de perversion qu’il était susceptible de propager; il refusera que ses élèves lui proposaient, car il suffisait de donner quelques sesterces au gardien pour prendre la poudre d’escampette, et Socrate, par respect des lois de la cité, le refusa et donc donc but la ciguë.

Je voudrais vous rendre sensible à ce caractère toujours très menacé de cet idéal de maîtrise de soi qu’on peut facilement reporter, rapporter à ceci que  l’organisation du monde pour les grecs est attribuée à un premier moteur immobile, c’est-à-dire qui ne se laisse toucher, atteindre, déplacer par rien; et je crois que sans trop nous hasarder dans des interprétations, nous pouvons voir dans la référence tacite à ce premier moteur immobile la naissance de cet idéal  de la maîtrise qui se confond, et là c’est déjà plus proche de nous, avec l’idéal de virilité.

Et donc, celle qui va en quelque sorte subir les passions et s’en trouver transformée, c’est évidemment la femme. Elle ne peut aucunement se tenir par quelque idéal du type de celui que nous évoquons, et de plus, il y a aussi bien entendu les phénomènes de la grossesse bien sûr. Elle se montre évidemment transformée par les passions, et j’avais trouvé un joli verbe dérivé de  paskein  c’est-à-dire subir, souffrir, supporter, éprouver, dérivé  qui est  paskeitiao , et qui veut dire jouir comme une femme ou comme un pédéraste passif. Si vous êtes un pédéraste actif, il n’y a pas de problème vous conservez votre… et c’était évidemment, c’était évidemment comme ça.

Là, je nous ai branché un bref instant sur cet idéal de maîtrise, de virilité avec une surprise, c’est que dans ces passions on va trouver des traits forts divers. Par exemple parmi ces passions, dans Le Philèbe, il y a le courage, le regret, Eros, Eros entre autres, car la question du désir sexuel n'est pas en tête, n’est pas du tout là première. Vous aurez plus tard, ou chez d’autres auteurs, le courage, la crainte, le regret, le deuil; dans la liste et dans la suite, c’est dans Le Philèbe également, qui est un dialogue platonicien, vous avez Eros, zélos le courage, tonos la jalousie; vous voyez l’éventail des passions répertoriées et vous voyez que Eros y tient une place qui n’est aucunement prévalente, prédominante. Ensuite vous allez avoir la surprise de constater ceci : c’est que ces passions vont être regroupées systématiquement en couples de contraires, donc opposés, et par exemple dans ce que je viens de vous lire, le courage est opposé évidemment à la crainte, phobos, le regret  au deuil penthos, et Eros à l’envie et à la jalousie.

C'est dire que dans ce qui vient ainsi affecter l’âme, vous avez aussitôt un jugement de valeur, qui fait que dans ces couples antonymes, vous avez une part qui doit être pour l’honnête homme tranchée.  Il va falloir faire passer un rasoir pour débarrasser comme incompatibles, je dirais, un certain nombre de ces passions et n’en retenir que celles qui viennent satisfaire; donc il ne s’agit pas de les évacuer toutes, il s’agit d’en mettre certaines au service de la maîtrise. Ce qui sert de référence permet de faire passer ce rasoir et isoler celles qui doivent être conservées. Il y a comme type de référence la dimension du beau, de l’utile et du plaisant. Du même coup, il y a des plaisirs qui sont vrais, qui sont justes, et d’autres qui ne le sont pas. Autrement dit il ne faut pas hésiter, en faisant passer ce rasoir, à accepter qu’on ne retienne comme plaisir, que ne devienne plaisir, que ce qui est susceptible donc d’être conforme à l’idée de beau, d’utile ou de plaisant.

Avant de poursuivre cette affaire qui concerne donc la façon dont se posait pour les grecs la question dont nous héritons, notons que l'une des  modalités de l’héritage que nous en avons conservé concerne la reconnaissance qu’un organisme n’est pleinement satisfait que lorsqu'il peut assouvir complètement son enérgeia, traduit par dynamisme, qui l’habite.  Or, voilà que dans cet idéal, il y aura néanmoins des satisfactions possibles qu’il va falloir retrancher; et donc déclarer plaisir ce qui après tout n'apparait pas forcément comme étant une occasion de dépenser son énergie. Faire preuve de courage par exemple, ça peut être purement spectaculaire, ça peut être pour le coup d’œil, pour la posture. Donc, vous voyez qu'il y a l’acceptation de quitter ce qui serait une pure économie de l’organisme pour ne retenir comme plaisir que ce qui est identifié comme tel. D’autre part, et c’est le moment ou jamais de le faire intervenir, ce qui est donc source de pathos, c’est comme je vous l’ai dit ce qui est non dialectisé, ce qui vous vient comme ça. Ce n’est pas logiquement articulé. Ce n’est pas une révélation, ce n’est pas un message, c’est quelque chose qui vous vient et qui est donc susceptible de faire que vous qui êtes évidemment des créatures animées par le logos, vous vous trouvez devant une dimension qui est a-logon, qui est non logique, qui est hors logos.

Je vous signale à cette occasion que le logos, c’est pour les grecs autre chose que le langage ou la logique. C’est la désignation, bien que ce ne soit nulle part avancé par eux de cette manière là, de ce système de communication propre à l’homme, qui implique des lois et qui a des conséquences. Il s'agit donc avant tout d’en respecter les règles et les lois, de telle sorte que ces braves gens vont isoler dans l’âme une partie irrationnelle, a-logon, a- logique, hors logos, s’opposant à une partie rationnelle. Il appartiendra à la partie rationnelle de commander à ce qui était a-logos comme, et ce n'est pas moi qui ai inventé cet exemple, comme un père qui viendrait commander à son fils.

Donc, vont se dégager à cette occasion, deux grandes vertus pour tenir tête au pathos, ce qui est susceptible d’affecter, deux grandes règles qui sont la phronêsis traduit en français par prudence. J'ai raconté ailleurs, que c’est une très mauvaise traduction, mais ceux d’entre vous qui ont envie, et j’espère que j’arrive à en donner l’envie à quelques uns parmi vous, d’étudier la question, je les renvoie à un très beau livre qui va les passionner, c’est le livre de Pierre AUBENQUE, La prudence chez Aristote. La prudence,  phronêsis, ça veut dire tout simplement que il faut se freiner.   Phronêsis, ça a un nom, je dirai une traduction qui est tellement facile, c’est qu’il faut se freiner.

A partir de là vous avez cette seconde valeur essentielle qui est la  sophrosuné, la tempérance. Avec, je crois que nous pouvons admirer dans cette affaire, le fait que l’idéal proposé se situe d’emblée dans une amputation de ce qui pourrait être source de plaisir, de satisfaction, de jouissance. C'est une opération qui, avant toute prescription religieuse, sera brutalement appelée par FREUD « castration ». Du simple fait du rapport au logos, se trouve mise en œuvre cette, non pas abstinence, mais ce contrôle de soi. Nous voyons bien comment ce dernier est fondé sur l’idée d’une distinction radicale à apporter avec la conduite animale. Je crois que cela est  clair et que la tentative de distinguer l’espèce humaine dans son rapport au logos, c’est justement de lui prescrire des conduites qui viennent la séparer de la conduite animale.

Il y a également un terme qui est intéressant chez les grecs, parce qu’il va être repris bien plus tard dans la théorie analytique, c’est le risque, à cause de ces passions, de ce pathos, le risque d’alloïosis, autrement dit le risque de devenir autre, comme si justement la dimension de ces passions c’était de relever d’un territoire, et le terme territoire existe en grec, il est invoqué là, je vous le donne, c’est celui de kora ; Donc, il y a des choses qui viennent d’un territoire et qui risquent de vous altérer au sens étymologique du terme, de vous rendre autre. Dans tout ceci, heureusement que vous êtes doté de ce qui est supposé s’appeler le libre choix, caractéristique là encore supposée, elle, spécifique de la créature qui ne cédant pas à ces passions, dispose d’un libre choix.

  On va retrouver cette faculté de délibération particulière, propre à chaque individu, on va la retrouver homogène, congruente, avec ce qui va être le grand principe de la démocratie athénienne, c’est-à-dire la constitution d’assemblées appelées du même verbe, du même mot : bouleusis , pour que les citoyens puissent délibérer quant aux actions collectivement à prendre. Je vous signale au passage que je vais très vite là-dessus parce que je ne veux pas trop m’attarder. Si donc, il a été reconnu que des passions au départ « a-logon » pouvaient être rendues rationnelles, néanmoins il y a cette école dont vous avez forcément entendu parler, l’école philosophique des Stoïciens, qui elle, a conclu sur le fait que toutes les passions étaient maladives. Il importait donc de se tenir imperturbable comme les gentlemen, imperturbable devant les adversités variées, et y compris bien entendu, devant les condamnations à mort : je vous renvoie au suicide de Sénèque, voilà .

Donc, ce qui mérite de nous épater, j’espère que j’y arrive un petit peu en vous racontant les choses comme ça, c’est cette hésitation permanente sur l’endroit où la lame, où le couteau doit passer. D’abord, le fait que ce qui relèverait d’une spécificité propre à l’espèce humaine serait le passage, serait l’opération d’un retranchement de ce qui pourrait pourtant faire plaisir, cette renonciation à une part de plaisir, mais une hésitation selon les écoles philosophiques de l’endroit où la lame aurait ainsi à passer. Nous en sommes à ce point, et à partir de là je vais aller beaucoup plus vite pour en venir, car je sens que le suspense devient de plus en plus difficile à supporter, je viens très vite à l’irruption de la religion.

L’irruption de la religion a ceci de remarquable que : à cet environnement menaçant de façon quasiment paranoïaque, à ce rapport paranoïaque au monde, va brusquement succéder ce principe d’un monde bienveillant, organisé pour le bien être de la créature. Celle-ci se trouve soulagée du souci de savoir la part qu’elle aurait à retrancher, puisque la prescription est simple et rigoureuse. D’abord, à toutes les passions vient s’en substituer une qui devient dominante et qui est l’amour; l’amour devient la passion prévalente sur toutes les autres. D'autre part, il y a le fait que ce qui là maintenant est retranché, lié à une prévalence accordée désormais à Eros, qui n'existait pas chez les grecs, ni chez les romains d’ailleurs, c'est le sexe. Donc une délégation de pouvoir est faite à Dieu, d’être celui maintenant dont l’autorité est réclamée et nécessaire pour l’exercice du sexe, de cette passion du corps qui est le sexe, et qui a désormais à s’exécuter selon les règles qu’il prescrit, c’est-à-dire à des fins de postérité, puisqu’il est bienveillant. C’est un Dieu pastoral, il est bienveillant pour son troupeau qu’il aime voir s’accroître. C’est évidemment, une forme de pacification remarquable, quelque en soit le prix payé.

 Mais là aussi vous allez vous trouver devant ce phénomène qui est que l’endroit où doit passer le couteau va varier considérablement de Saint Augustin VIIIème siècle à Saint Thomas, au XIIIème, parce que pour Augustin le couteau passe entre la psyché et le corps, les passions du corps sont mauvaises, alors que Saint Thomas, pour le bonheur du Moyen âge et peut être pour son salut d’ailleurs, va venir dire que les passions du corps sont bonnes dès lors qu’elles ont modérées. Cela déplace donc le lieu où la lame doit frapper. Vous remarquez évidemment tout de suite, et je sais que vous l’avez fait, un déplacement radical de la maîtrise, qui désormais ne se trouve plus du tout du côté de l’individu mais du côté de l’autorité référente. Ce qui fait que l’individu qui jusque là devait assumer sa propre maîtrise, se trouve désormais maintenant le serviteur de ce Dieu, de ce maître; autrement dit ce lieu Autre devient l’habitation d’une maîtrise souveraine; Dès lors il y a cet embarras qui va constamment complexifier la simplicité de cette affaire, c’est que la Passion du Christ est forcément donnée comme modèle, alors qu’elle est, cette Passion du Christ, immodérée. Si on recommande au fidèle de modérer ses passions, en revanche il y a cet exemple de la Passion christique qui implique bien le sacrifice, le sacrifice du corps.

Il est indispensable pour conclure ce survol, vraiment je vous entraîne là sur les ailes d’un aigle, telle est la hauteur et la perspicacité du point de vue où je vous ai conduit et où j’aboutis avec vous pour des raisons qui vont nous concerner directement en cours d’année, j’aboutis directement à Descartes. Descartes va opérer lui aussi une mutation, en séparant l’étendue de la pensée, en les séparant comme deux domaines différents, livrant dès lors, l’espace, l’étendue à une géométrisation parfaite. Du même coup, il voue au sort de n’être plus que apparence, donc soumis au doute, ce qui peuple le domaine de l’étendue ; alors que ce qui est devenu la certitude, le pouvoir, la vérité se trouve hors du champ de l’étendue, dans le domaine de la pensée. Désormais, les passions ont donc pour domicile ce lieu Autre, se trouvent subjectivées. Jusque là elles pouvaient paraître les manifestations d’entrepreneurs diaboliques ou animaux ; on retrouvera d’ailleurs le terme chez Descartes : les « esprits animaux ». Voilà maintenant que ces passions  elles se trouvent subjectivées et que cette subjectivation se trouve confondue avec la pensée elle-même. Il y a alors la certitude d’une saisie de l’être - c’est de là que nous sommes partis- certitude d'une saisie de l’être dans l’exercice de cette pensée. Dès lors, Descartes dira que la même âme, puisque c‘est toujours comme ça  que l’on traduit « psuché », la même âme est sensitive et raisonnable, et que tous ses appétits sont des volontés. Vous voyez comment ça bouge, Descartes opposant néanmoins les appétits de l’âme aux esprits animaux qui dans le corps contrarient les volontés de l’âme. Il est donc contraint de faire passer le couteau quelque part et ce sera donc entre les esprits animaux et les volontés de l’âme.

Cette excursion a le mérite de vous montrer que si cette question de l’être parcourt toute la pensée occidentale, ça nous est réservé, c’est notre affaire, eh bien la façon que nous avons d'y répondre est une façon qui consiste à tenir compte de ceci : c’est que finalement tous les traits qui pourraient le caractériser, tous les rameaux qui pourraient spécifier son tronc sont discutables, sont variables. En revanche, ce qui n’est pas discutable, ce qui relève de l’ordre du certain, c’est le tronc lui-même; les traits qui pourraient spécifier cet arbre, varient, diffèrent, changent, les feuilles ne sont pas les mêmes, ni les couleurs, ni les saisons, et bien évidemment les cultures sont diverses. Mais le tronc lui, il est forcément le même, le tronc tout nu et un tronc tout nu, ça s’appelle le UN; c’est-à-dire que ce qui nous reste pour répondre à cette carence de ce que serait l’être, ce qui nous reste c’est d’affirmer la puissance du UN. Ce désir d’être UN va habiter chacun d’entre nous .  Je ne dis pas vous, mais je pourrais le dire, je pourrais dire chacun d’entre vous. Ce désir d’être UN. Un quoi ?

 Alors, c’est ça qui est admirable, c’est un n’importe quoi, pourvu que ce soit UN. Peu importe finalement les branches, les atours, c’est l’histoire des portes manteaux de Descartes, ce qui importe c’est d’être UN, de se soutenir comme UN. Nous retrouvons ce qui était au départ chez les grecs, bien qu’ils ne l’aient jamais formulé comme ça, l'identique à soi et parfaitement immuable, le premier moteur immobile. LACAN distinguera néanmoins dans ses effets le UN totalisant du UN comptable. UN totalisant cela signifie qu'est justement complètement oublié que la constitution du UN implique une perte, une chute, le passage d’un rasoir, donc qu'il s’affirme dans ce qui serait une intégralité. Je n'ose pas dire un intégrisme, une intégrité. Puis il y a le UN comptable. Finalement on n’est jamais aussi sûr d’être UN que si on est entre soi dans un groupe qui se caractérise par le fait que c’est le même UN qui marque chacun des participants, et je ne sais pas s‘il est nécessaire de vous rappeler combien cette une passion que d’être UN,  serait-ce un n’importe quoi. On s’étonne parfois que des jeunes s’engagent dans des aventures justement de type intégriste, alors qu’ils n’avaient aucune vocation particulière pour s’enrôler, et on voit bien comment la carence familiale ou sociale d’un UN unificateur de l’ensemble est susceptible de provoquer ce genre de passion, ce genre de quête, justement avec le plaisir de pouvoir faire passer le rasoir au niveau de sa propre vie.

Donc, la façon dont l’une de nos modalités de réponse à ce défaut de l’être sera de n’en retenir que le UN dans ses effets soit unifiant, totalisant, soit comptable avec, et voilà qui, je pense va immédiatement vous être parlant, le fait que, je l’ai évoqué tant de fois, mais je ne suis ni le premier ni le dernier, le problème que pour une femme, la question se pose de parvenir  à être UNE. Puisque, si elle occupe le champ de l’Autre, par destination, dans le champ de l’Autre, il n’y a pas ce qui vient fonder le UN. Il n’y a pas le UN universel dans l’Autre. Donc, elle n’est pas UNE de naissance contrairement à l'imbécile de frère là, qui n’a jamais rien fait si ce n’est de se donner la peine de naître, et donc comment va-t-elle faire pour être UNE ? Et comment être sûre d’être UNE si ce n’est d’être la seule, une seule etc….etc….

Pas besoin de nous attarder, mais je vous rappelle cela pour vous rendre sensible combien, avec ce qui peut paraître abstraction absolue, vraiment relevant du vol de l’aigle, nous sommes au plus près de ce qui organise ce que nous appelons la psychopathologie.

 Nous pouvons maintenant en donner enfin une définition : ce sont tous les substituts dont nous chercherons à nous remparder pour nous soutenir à bon ou mauvais escient peu importe, pour nous soutenir face à cette carence de l’être qui fait la difficulté à se reconnaître soi-même et du même coup à obtenir la reconnaissance par autrui.

Pour terminer sur une note que j’espère amusante parce que vous n’avez pas l’air tellement déridés, quels sont les effets sur le corps de ces affectations psychiques, celles que les grecs ont relevé ? Ce sont les battements du cœur, les accélérations du cœur causés par des émotions. Il y a sensation de chaud et de froid ; vous voyez on est toujours en famille  avec ces choses on est toujours proche d'eux, on parle des mêmes choses. Il y a contraction et dilatation, on ne sait pas de quoi, ils ne le disent pas. Mais il peut y avoir du fait de ces opérations psychiques, des manifestations de contraction et de dilatation sans qu’on sache ce qui est en cause; et puis il peut y avoir des phénomènes de durcissement et de ramollissement, on ne sait pas non plus de quoi. Vous voyez ce que l’on appelle la psychopathologie, et vous allez enfin, vous allez voir avec quelle économie de moyens, vous pouvez vous repérer par exemple au niveau des trois grandes névroses qui peuvent vous intéresser : la phobie, facile : la phobie c’est évidemment ce qui affecte celui qui n’a pas ou pu accéder au statut de UN. Comme il ne peut pas accéder au statut de UN, il ne peut pas paraître dans le monde. Il ne peut pas paraître, et puis l’espace lui-même ne tient plus du même coup. L’hystérie : c’est justement l’inéluctable de celle qui n’est pas UNE et qui entend à tout prix faire valoir le référent que personne ne veut entendre ni écouter, et qui au prix d’une castration généralisée viendrait enfin rendre les femmes UNE. La blessure qu’elle arbore, qu'elle exhibe et qui suffit donc pour être la représentation bien plus vraie que celle du Dieu des hommes banalement positivée, bien plus vraie d'un Dieu qui pourrait, grâce à une castration généralisée, unifier tout le monde, aussi bien hommes que femmes. Autrement dit rendre les sexes indistincts, et comme vous le savez c’est ce dans quoi nous entrons : pas de problème, pas de difficulté, tous neutres.  La névrose obsessionnelle : la névrose obsessionnelle, c’est tellement beau, il n’y a pas d’œuvre d’art qui puisse être aussi belle qu’une névrose obsessionnelle qui fait justement du référent, du Dieu unificateur, une femme, la Dame avec un grand D, et de toutes les créatures, les serviteurs qui ont à la satisfaire, non pas en tant que UN mais en tant que pur objet de satisfaction.

Voilà donc, pour que, je l’espère, vous ne trouviez pas mes excursions trop abstraites, dont je ne sais pas si elles sont d’ailleurs tellement fréquentées, je ne suis pas sûr qu’il y en ait beaucoup pour les faire, j’ai la prétention de vous avoir conduit très rapidement à ce qu’on va pouvoir développer au cours de cette année, c’est-à-dire ce que sont les spécificités non pas de notre être, puisque c’est bien ce qui nous fait défaut notre être. Ce serait tellement sympa d’avoir quelque part un coach avec un grand C, le grand Coach qui dirait : « Voilà ! Voilà ce que tu dois faire."  Vous me direz qu’on est entouré toute sa vie de gens qui sont actifs dans leurs conseils et dans leurs tentatives de guider, mais nous percevons tous à chaque fois combien c’est d’eux qu’ils parlent beaucoup plus que de nous, c’est-à-dire de leurs propres carences. Donc, ça ne marche pas tellement bien.  Et donc, que ce dont la psychopathologie parle, et en particulier quand elle avance en posant la question de l’être, c’est cela que nous aurons à illustrer au cours de nos rencontres ultérieures.

Est-ce que il vous reste un peu de jugeote pour poser une question ? Non, non hein ! Vous êtes complètement assommés ou bien vous n'avez rien compris.

Le public :

« Les deux »

Dr Charles MELMAN :

« Les deux, bon ! C’est à retenir oui, oui je suis sérieux, c’est à retenir, c’est important ! Est-ce qu’il y en a beaucoup parmi vous qui n’ont rien compris ? Vous pouvez y aller hein !

Pas tout ! 

Bon alors, est-ce que vous me feriez, est-ce que vous nous feriez l’amitié de faire que la prochaine fois, vous veniez me donner sur un billet soit le point qui vous a paru difficile, soit la totalité des points si vous voulez; c’est important pour nous, c’est pas uniquement comme ça, c’est important je crois que nous tâchions d’avancer ensemble et comme chacun a forcément le pas qui lui est propre, nous aurons à nous régler sur l’allure de chacun et les questions de chacun. Donc si vous le  voulez bien, faites-moi l’amitié la prochaine fois de me donner vos questions. Est-ce que malgré cela il y en a tout de suite une qui  viendrait et qui me consolerait ? Non ?  

Question :

Juste si vous pouviez revenir sur le UN ? Là il me manque quelque chose je crois.

Dr Charles MELMAN :

« Oui, oui, alors, là c’est une question très légitime car il y a là effectivement un saut qui concerne la question essentielle, donc au départ de notre culture, et qui est celle du logos : c'est-à-dire du système de communication propre à l’animal humain, d’un système donc fait de signifiants. Ce qui distingue ce système de communication, c’est qu’un signifiant ne renvoie pas à ce qui serait un objet, autrement dit n’est pas un signe. Un signifiant renvoie à un autre signifiant et donc, nous fonctionnons dans un monde qui est effectivement organisé entièrement par le logos. Ce que les grecs savaient, ce que nous nous avons perdu et en particulier grâce à nos traductions, mais ce que eux savaient. La caractéristique du signifiant, son être si vous voulez, c’est de ne pas en avoir; ce qui le distingue c’est simplement d’être différent des autres signifiants, c’est la pure différence; c’est donc pas la matérialité de son être, c’est simplement que ce qu’il porte avec lui c’est d’être différent des autres.

Le sens donc, dès lors qu’il n’est plus référé, déféré directement à un objet, le sens devient forcément énigmatique et c’est le propre de toute formulation, de toute assertion, sauf lorsqu'elle est strictement performative, c’est-à-dire lorsqu’elle constitue un ordre ou une indication : tu tournes à droite et puis tu prends à gauche, etc, le sens est toujours équivoque. Et ce qui reste donc lorsque l’on réduit le signifiant, ce qui en constitue la spécificité, c’est que chacun est différent des autres et, à ce titre, il constitue une suite de UNS. Le nombre ne nous vient pas de nulle part, il constitue une suite de UNS.  Et ce caractère UN du signifiant devient en quelque sorte pour nous la dernière identité que nous ayons à nous mettre sous la dent. Etre quoi d’autre que soi-même un UN.  Pour l’illustrer immédiatement et de façon simple, qu’est-ce que c’est qu’un nom propre, qu’est-ce qui caractérise un nom propre ? Un nom propre, c’est qu’il est UN, un parmi d’autres; alors si ce sont les noms spécifiques d’une région ou d’une langue donnée, ils évoquent évidemment, ils renvoient à un référent commun celui qui viendrait unifier tous ces UNS : par exemple ce sont des noms français, des patronymes français. Je ne vais pas m’engager dans toute la pathologie qui nait autour des patronymes qui ne sont pas français. Mais le patronyme c’est l’exemple typique de ce que peut être un UN, un UN parmi d’autres. Et quelque soit sa particularité, sa spécificité littérale, ce qui le rassemble avec les autres patronymes c’est d’être un UN.  Alors, je pourrais facilement évoquer tout ce que le patronyme comme UN vient supporter comme identification, mais si c’est, comme je l’ai évoqué tout à l’heure, des noms qui appartiennent à la même famille nationale, peu importe le patronyme c’est un UN parmi d’autres. Que ce soit DURAND ou DUPONT ça revient au même, ce sont les mêmes, en tant que UN. Donc effectivement il faudra peut être se livrer à d’autres développements que ceux là, pour faire valoir ce fait que, en dernier ressort, il n’y a pas d’identité qui ne se soutienne de la référence à un UN générateur, à un UN collectivisant, et avec toutes les passions que ça peut déclencher.  Et pour être banalement dans l’actualité, il est certain que dans des situations où le UN collectivisant se trouve rendu problématique pour un certain nombre de raisons géopolitiques, comme on dit, liées à la constitution de l’Europe, on voit tout de suite les effets, les réactions que ça provoque et dont on n'a encore que le début. On en est encore qu’au commencement, et tout ça,  c’est en ça que ça nous intéresse je crois, c’est uniquement la réponse à ce « manque à être », pour reprendre un terme philosophique, ce manque à être qui spécifie la créature que nous sommes.  

Question :

Pourquoi la femme ne pourrait-elle pas être UNE ?  A-t-elle un problème pour être UNE ?

Dr Charles MELMAN :

Oui, c’est bien la grande question mais c’est la question que se pose d’abord une femme : pourquoi n’est-elle pas UNE à l’égale de son frère ? c’est la question que elle, elle se pose; moi je ne suis pas contre le fait que elle, elle soit UNE ! Au contraire, tous les hommes adorent, et pourquoi ? Voilà des choses que nous aurons à développer, mais vous avez raison de poser la question; l’obstacle, alors est-ce que l’obstacle est culturel ?  Est-ce que c’est un mauvais tour de l’histoire et de la culture ? On veut le faire passer comme ça. C’est comme pour l’économie, s’il s’agissait uniquement des mauvais tours de la culture, il y a longtemps que ça serait résolu. Ce qui est bizarre c’est qu’il y a là quelque chose qui fait obstacle, qui résiste : pourquoi une femme doit-elle aller chercher le fait d’être UNE, non pas par sa relation d’origine à son père mais par la quête d’un homme qui la fera UNE ? ce qui je dois dire est un sort complètement arbitraire évidemment, qu'on pourrait aussi bien qualifier d’inégal et d’injuste. Le seul problème étant : est-ce que c’est vraiment une malversation de la culture ou bien est-ce que ce sont d'autres dispositifs qui font que ça se trouve comme ça et que ça devrait être traité autrement que dans la simplicité avec laquelle nous aimerions régler le problème. En tout cas, il est évident aussi que avec la participation devenue aujourd’hui massive des femmes à l’activité économique, ce qui est une bonne affaire, il est bien évident qu'elles peuvent légitimement réclamer d’être traitées à égalité, au moins à égalité; ça c’est clair puisque économiquement elles s’avèrent parfaitement équivalentes malgré la façon dont on peut se servir de situations antérieures pour pouvoir davantage les utiliser et les exploiter. Mais en tout cas ces questions touchent le problème du UN.

Pourquoi dans une famille, tout se passe comme si la transmission d’un héritage symbolique se faisait à l’un des enfants et non pas à tous de façon égale ? La loi est organisée de telle sorte à faire un partage égal encore que, comme on le sait il y a une part réservataire, il peut y avoir un préféré etc…mais toute famille se vit ordinairement, quand il y a plusieurs enfants, comme étant marquée par une inégalité foncière, quel que soit l’amour des parents. Pourquoi ?  Pourquoi ils ne sont pas tous UN, égaux ?  Est-ce que c’est un mauvais agencement de la famille ? Peut-être ? Si oui, il faudrait savoir pourquoi ? Etc, etc… et ce sont des questions bien sûr qui ont l’avantage de montrer comment les abstractions que je vous amène débouchent directement sur la clinique; ce qu’on appelle la clinique ce sont des effets d’abstractions et il faut quand même en avoir une petite idée.

Alors ?

Question :

 Pourquoi il n’y a pas d’UN dans l’Autre ?

Dr Charles MELMAN :

Voilà ! ça c’est une très bonne question d’autant que,  et vous voyez comme je vais être embêtant : écoutez, je suis content quand même d’avoir abordé les choses avec vous  par ce qui vraisemblablement paraît à beaucoup d’entre vous de la plus grande difficulté; et je suis content de l’avoir fait et j’espère que vous vous rendrez compte que ça sert, que ça peut vous servir. Pourquoi il n’y a pas d’UN dans l’Autre ? C’est d’autant plus une question légitime qu’il y en a un, il y a du un dans l’Autre. Seulement le problème c’est que ce n’est pas un UN collectivisant, c’est-à-dire que c’est pas un UN qui devient le père servant de support identificatoire à ceux qui sont logés dans l’Autre. Vous voulez un exemple cru, vous voulez un exemple très, très cru ?

Un exemple, vous prendrez, puisque nous sommes aujourd’hui devant ces grands phénomènes migratoires, un immigré. Il va se trouver nécessairement habiter, dans la collectivité où il vient, un lieu Autre, parce qu'il n'a pas de titre égal pour occuper l'espace où il est là, de façon accidentelle. Donc il peut être accepté, même bien accepté, mais en tant qu'immigré, il va habiter ce lieu Autre et il peut le souhaiter pour ne pas perdre son identité; mais dans ce lieu Autre, il va avoir les plus grandes difficultés à entretenir le culte familial. Et s'il l'entretient, ça va être en se constituant comme étranger à l'espace dont il est venu demander un hébergement. Donc, vous voyez, par cet exemple d'une certaine façon dramatique, de quelle manière, du fait d'occuper le lieu Autre, vous vous trouvez défait de la référence au UN collectivisant dont vous pourriez cependant en tant qu'immigré, légitimement vous réclamer.  Ou alors si vous vous en réclamez, à ce moment là ce n'est plus au titre d'immigré mais au titre d'étranger, constituant une alvéole dans l'espace, constituant une banlieue pour être plus précis.

Notes