EPhEP, 28/01/2016
La mémoire est la fonction qui permet d'enregistrer des informations, de les conserver et de les récupérer en temps utile. Elle est multiple, se déclinant le plus souvent en couples parfois opposés toujours complémentaires : court terme/long terme, faits anciens/faits récents, épisodique/sémantique, déclarative/procédurale... Certaines sont solides et résistent bien au temps et aux agressions, ainsi les mémoires procédurale (mémoire des habitudes) et sémantique (mémoire des connaissances). D'autres sont beaucoup plus fragiles comme la mémoire épisodique (mémoire des souvenirs).
Mémoires épisodique et sémantique sont constitutives de l’identité du sujet, l'inscrivant de façon diachronique dans son histoire et synchronique dans sa culture et son environnement. Il n'y a pas de sujet sans mémoire. La mémoire épisodique joue un rôle majeur car autobiographique. Elle renvoie aux événements personnellement vécus repérables dans l'espace et le temps. "Elle permet la prise de conscience de soi dans le temps présent, comme continuité de soi dans le passé et comme prélude à soi dans le futur".
La dégradation pas à pas et hétérogène des mémoires dans la maladie d'Alzheimer et en particulier celle, précoce, de la mémoire épisodique, exclut progressivement le sujet de son histoire. En revanche, la suspension brutale et provisoire de la mémoire épisodique dans l'Ictus Amnésique va pendant quelques heures maintenir le sujet hors de son histoire et entraîner chez lui ce que l'on a qualifié de "perplexité anxieuse". Cette mémoire épisodique est profondément liée aux affects et au contexte sensoriel. L'épisode proustien où le mélange de débris de madeleine et de thé provoque un tressaillement suivi de l'émergence inattendue de souvenirs "oubliés" en est le paradigme. Le couple Mnémosyne-Léthé est venu signifier dès l'Antiquité l'association nécessaire entre mémoire et oubli. L'oubli peut être la marque d'une défaillance de la mémoire mais il est aussi indispensable à son fonctionnement. Enfin le souvenir est profondément malléable. Ré-présentation, consolidation, oubli, refoulement font du souvenir une chimère et de nous tous les romanciers de notre propre vie.
Le Professeur Jacques Touchon est médecin neurologue, Professeur des Universités, Chef de service de neurologie au C.H.U. de Montpellier.
Publications :
Aphasie et langage - 1999 -
La maladie d’Alzheimer - 2004 – Masson Editeur
Neurologie des mémoires - 2005 - (ouvrage collectif)
La maladie d’Alzheimer et communication - 2013 – (avec Audrey Gabelle)