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Samedi 30 septembre 2017

Nice, Journée EPhEP-Chrysalides, le 30/09/2017

Comment faire face aux traumatismes psychiques auxquels les attentats terroristes nous confrontent aujourd’hui régulièrement.

Quels sont nos outils pour y pallier et sont-ils opératoires dans ces situations d’urgence ou le sociétal se voit obligé de répondre sur une large échelle, là où la technique analytique avait coutume de répondre au cas par cas dans le cadre de l’intime et du particulier subjectif.

Nous avons à répondre à ces questions en tentant de dégager les enseignements que nous pouvons tirer de la longue pratique analytique sur cette difficile question qui a obligé Freud à retravailler sa position théorique sur ce point tout au long de sa pratique.

Dans son enseignement nous pouvons isoler les deux temps majeurs de son articulation dans la compréhension de ce qu’est un traumatisme psychique et sur la technique opératoire qui en découle cliniquement.

Le premier temps de sa conception date du début de sa pratique entre 1886 et jusqu’en 1915 :

Pour lui, le traumatisme psychique était d’ordre sexuel et il était la cause de la névrose.

Sa théorie d’alors reposait sur la supputation d’une séduction infantile par un adulte, généralement le père ou une personne de l’entourage plus âgée, séduction qui avait entraîné des abus sexuels de l’enfant, abus qui ne prenaient sens qu’à la puberté lorsque l’enfant devenu jeune adulte comprenait le sens réel de la séduction qu’il avait subie, et la direction de la cure, alors centrée sur la suggestion et l’hypnose, permettait, par la levée du refoulement, la remémoration de la scène infantile pathogène et de lever les symptômes principalement dans l’hystérie.

Cette conception d’une séduction réelle céda vite le pas, dès 1905, à celle d’une organisation psychique infantile mise en place par les fantasmes réels ou inconscients que les enfants rencontraient au cours de l’évolution de leur sexualité infantile.

Ces deux types de traumatismes, par le père ou découlant de l’organisation infantile fantasmatique, se déroulaient effectivement en deux temps : le temps de la séduction puis le temps de la compréhension de la signification de l’acte supposé subi.

Donc le traitement de ce type de traumatisme ne pouvait se faire qu’après cet après-coup et donc dans un temps second par rapport au choc du traumatisme.

Mais la guerre de 14-18 et les nombreux cas de traumatismes de guerre qui décimaient les soldats au front, et ce dans les armées opposées, ont obligé Freud à réaménager cette conception du traumatisme psychique qui ne donnait pas toujours, les résultats escomptés cliniquement.

Ce fut un grand remaniement théorique que Freud opéra en 1915 pour aboutir, avec «  l’Au delà du principe de plaisir », à la mise en lumière de l’antériorité de la compulsion de répétition qu’il isole dans la pulsion de mort, sur celles des principes de plaisir et de réalité qui gouvernaient jusque là, ses interprétations et sa topique du Cs, Inconscient et Préconscient.

C’est à partir de ce temps entre 1920 et jusque dans son dernier écrit à la fin de sa vie, qu’il fait la différence entre le traumatisme qui se réfère au sexuel qui relève de la théorie de la séduction et de la névrose, et ce que nous appellerons aujourd’hui pour plus de clarté, le Traumatisme Réel, dû à une effraction, évènementielle.

Traumatisme où le Sujet s’est trouvé confronté à la possibilité réelle de sa mort.

Freud s’ est trouvé très embarrassé quant à la thérapie de ce nouveau traumatisme, il avait même l’idée qu’il pouvait être incurable dans certains cas. Et cela n’avait pas amené un réel changement dans sa pratique.

Il nous a donc laissé là un héritage que nous avions à requestionner pour trouver une réponse plus adéquate et surtout opératoire pour la résolution de ce nouveau type de pathologie, lorsqu’elles surviennent sur des populations et pas seulement à un niveau individuel, comme c’était le cas pour le traumatisme sexuel.

Je dois dire que nous avons beaucoup appris, depuis le Congrès que nous avons organisé en israël sur ce thème précisément, il y a maintenant bientôt 3 ans, sur les différentes possibilités de prise en charge de ces patients, chez eux,

et dans la confrontation avec ce que nous essayions de mettre en place.

Leur pratique quotidienne des attentats, les nombreuses guerres qui ont émaillé leur existence et la prise en charge des rescapés de la Shoah sur 3 et parfois 4 générations les ont amenés à avoir un éventail de propositions thérapeutiques très diversifiées dans les traitements de ces patients aussi bien à un niveau collectifs qu’ individuel, avec bien sûr des résultats qui se discutent selon les différentes méthodes.

Ils donnent beaucoup de place à un travail thérapeutique collectif à partir du PTSD, qui consiste à faire répéter par les patients le traumatisme jusqu’à ce que les tensions psychiques et physiques diminuent par accoutumance à la confrontation.

Ou encore à la technique de EMDR directement issue des neuro-sciences et qui consiste en observant les mouvements oculaires à détecter la partie du cerveau qui n’a pas été affectée par le traumatisme, pour faire passer l’influx des deux côtés du cortex et donc diminuer la charge émotionnelle de la partie du cerveau qui recevait toute l’onde de choc. (-20%)

Dans les deux cas, ils ont eu l’honnêteté de nous dire que les résultats n’étaient pas beaucoup plus probants que ceux obtenus chez d’autres patients après un certain d’éloignement du traumatisme subi.

Mais, ils s’étaient occupés des patients immédiatement et à une grande échelle, et cela permettait ensuite une orientation vers une thérapie individuelle.

Chez eux, comme chez nous d’ailleurs, les militaires ont été au premier rang dans la compréhension des différentes modalités de prises en charge dont l’ai pu mesurer, grâce à leurs exposés, la pertinence.

Ma pratique consistait jusque là,dans la prise en charge d’enfants et d’adultes soumis aux effets ravageants de guerres, hors de notre territoire, mais aussi, et plus difficilement, chez des enfants qui avaient eu à vivre des inondations et des tremblements de terre meurtriers, et dont le comportement à l’école avait tellement changé que c’est l’école qui avait demandé aux parents une prise en charge de leur enfant dans notre C.M.P.

Cette pratique m’avait plutôt confrontée à des actes thérapeutiques dans une institution où je prenais en charge l’enfant et parfois les parents, mais dans le cadre d’une consultation, semaine après semaine.

Malgré les difficultés importantes de ceux que j’écoutais, pour eux, il n’y avait pas d’urgence, la thérapie était la solution dont ils espéraient la résolution des symptômes. Les résultats ont été bénéfiques et plus spectaculaires avec les enfants qu’avec les adultes,

A les entendre et à confronter mon expérience avec celle de nos collègues Israéliens, m’a fait comprendre que, dans un premier temps, il n’y a que des bonnes prises en charge qu’elles que soient le type de prise en charge mises en place, aussi bien collectives qu’ individuelles,

à l’exception toutefois, de celles qui auraient tendances à en faire des « victimes », car de cela il semble difficile sinon impossible de les en sortir dans un après coup.

Pour cela je dirais que dans le Traumatisme Réel, il n’y pas de l’après-coup, il y a, du tout de suite et de manière urgente, à mettre des mots, à faire parler, et à parler, à entendre, et à faire répéter, aussi largement que possible et sans a-priori, leur vécu aussi loin que possible,

La prise en charge doit se faire dans l’immédiat, avec comme visée de recevoir ce qui a a être entendu, quitte à ce qu’il ait un second temps de prise en charge plus éclairé, mieux adapté à chaque patient. Que ce soit dans des thérapies de groupe, collectivement ou individuellement.

Pour cela nous avons à faire une différence radicale entre le traumatisme sexuel que vit tout Sujet et de façon diversement traumatisante, chaque personne réagit de façon différente à un même évènement, selon sa propre fragilité, selon sa structure,

Le Traumatisme psychique, lui, est concomitant avec ce que Freud a appelé la scène primitive et son après coup de fantasme de séduction par le Père,

c’est un traumatisme où c’est le sexuel qui en constitue la structure ,

C’est dans ce type de traumatisme que l’Imaginaire d’un Sujet vient faire parler le Symbolique et le Réel de son histoire, de son vécu, le traumatisme sexuel rend bavard, contrairement au traumatisme réel qui lui rend muet,

C’est le traumatisme sexuel dont la cure analytique vient à bout par, habituellement, le dépassement des symptômes les plus handicapants pour un patient, et qui ont motivés sa demande.

Nous avons bien là, un fantasme de séduction et non pas un Réel abus sexuel qui lui doit se traiter, mais comme une effraction réelle, et donc pas de la même manière.

Car c’est, en structure, la différence entre le traumatisme causé par un fantasme qui relève d’une formation de l’Inconscient, et qui se traite comme telle, comme par ex le déchiffrage du contenu inconscient d’ un rêve ou un mot d’esprit, où c’est la fonction de la remémoration qui est opératoire, et qui lève le symptôme,

et par ailleurs, celle du traumatisme Réel qui lui relève de la compulsion de répétition qui conduit le sujet non pas à se remémorer,(il n’y a rien à se remémorer dans l’acte terroriste qui vous fauche) mais un traumatisme qui continue à se répéter, dans le Réel, à l’identique, dans un arrêt sur image, ce qui rend le sujet étranger à lui-même, dans un désir de mort conscient ou Inconscient pour que çà finisse et le laisse en paix le plus vite possible.

Il faudrait rentrer plus dans le détail de la spécificité de la cure d’un traumatisme réel par abus chez un jeune enfant, mais aussi dans la psychose par exemple,

et nous pourrons y revenir dans la discussion si nous en avons le temps.

Car, et c’est là que nous devons porter le débat,

Comment travailler avec des patients qui ont subi des effractions dans le Réel comme c’est le cas chez vous à Nice et à grande échelle.

Que se passe-t-il pour un patient dans cette situation ?

C’est une personne traumatisée dont c’est seulement l’évènement qu’il vient de vivre qui est la cause de son traumatisme,

c’est un évènement hors du commun, le seul responsable de la pathologie qu’il présente, et c’est généralement une personne hébétée, ahurie, incapable de parler, avec des manifestations physiques et psychiques d’angoisse insurmontable, de paralysie, de terreur, de sidération, d’impossibilité à raconter,

Le traumatisme Réel est plus fort que l’Inconscient, le sujet est arrêté, sans libido, il a perdu tous ses points de repères, il revoit en boucle la scène qu’il a vécue et reste pétrifié, et s’il dort c’est pour faire les mêmes cauchemars à répétition, il est dans l’épuisement.

On peut dire de lui qu’il est dans une mort psychique.

Comment intervenir dans cette situation, précisément ?

Voilà ce qu’aujourd’hui nous proposons à votre réflexion : son traitement consisterait à réintroduire du langage là ou il y a hébétude,

Il faut, chez un adolescent comme chez un adulte, repartir de l’Imaginaire de la petite enfance, pas du drame qu’il a vécu, pas de sa peur pas de son angoisse, il passe tout son temps à y revenir de façon structurellement obligée,

nous, nous nous devons d’essayer de le sortir de son désarroi et de son impuissance, en lui donnant la possibilité de repartir de sa petite enfance pour reconstruire un Réel, par le langage, et en appui sur son imaginaire infantile, un Réel, d’aujourd’hui, pacifié,

pour lui permettre à nouveau une remise en route d’un discours, une réassomption de sa place, pour qu’il fasse un lien, entre hier et aujourd’hui,

Il nous faut arriver à lever la terreur de la compulsion de répétition qui lui fait désirer la mort par-dessus tout.

C’est parce que l’évènement traumatique a fait voler en éclat tout ce qui l’avait constitué comme Sujet , ses convictions, sa morale, son savoir vivre, ses amitiés, ses croyances, ses amours, car, de tout cela, aujourd’hui, il est désaffecté,

et c’est pourquoi il nous faut repartir de ce moment, de ce temps, où ce qu’il était devenu s’est constitué une première fois pour lui,

c’est pour cela aussi que souvent ces patients nous parlent d’un avant et d’un après,

Il nous faut repartir du temps de l’avant traumatisme, du temps où le petit d’homme a besoin de l’Autre pour survivre, repartir du cocon familial, le sien, sa fratrie, ses amis, son école, son métier, son insertion dans le social, tout ce temps passé, d’avant le traumatisme, de tout le temps où il a été celui que le trauma a fait voler en éclats,

Il nous faut repartir du temps de la petite enfance, du temps de la constitution du fantasme qui l’a organisé dans une position subjective, d’où il tient sa place, et d’où cette place le tient, pour qu’à nouveau, il puisse tenter de se fier à un autre, à un semblable, à un Un qui ne voudrait pas nécessairement sa mort.

Nous devons tenter le difficile pari de repartir de ce temps, de la constitution du Moi du Sujet, de ce temps où le Sujet commence à se parler en « Je » lorsqu’il parle de lui, c’est très tôt, c’est en général avant la sixième année, avant l’âge dit de raison, et ce dans la perspective de faire advenir une autre possibilité de discours, un retissage langagier, une réappropriation subjective, assumée dans un renouage entre les différents champs de la parole et du langage, que sont pour un humain, le R à quoi il s’affronte, et là, le patient n’aura aucune peine à l’identifier,

le S qui lui permet de mettre en mots ce qui lui arrive, son expérience, son vécu, son ressenti, et l’I qui est ce dans quoi il se reconnait et se projette, au-delà d’un futur immédiat.

Cela nous semble être dans la réussite de ce pari, que consiste, pour un Sujet, la possibilité de venir à bout d’un traumatisme évènementiel, réel.

Notes