Il m’est arrivé de me disputer. C’était à un Salon du livre sous la tente de Philosophie magazine avec un philosophe médiatique sur le thème de la liberté. Après son exposé dont la gestuelle démonstrative déployée pour illustrer le thème de Kant « La limite de la liberté est de ne pas faire à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît » faillit plusieurs fois m’éborgner, je fis remarquer, les yeux encore humides, à mon sympathique mais dangereux débatteur que sa rigueur toute kantienne n’avait laissé à sa pensée la moindre liberté.
De façon plutôt inattendue, la simplicité de mes remarques me valut la défaveur du public – dont mon ami Alain Rey qui était là pour le match – et notre philosophe me demanda in aparté, tandis que j’avais le mouchoir sur l’œil « Pourquoi tant de haine ? ».
Touché ! Je croyais que la logique délivrait une autorité partagée alors que c’est mon adversaire philosophe qui me révélait avoir un inconscient.
Le patron du magazine était lui-même fort mécontent de ne pas avoir fait triompher sa discipline, de sorte que – mais suis-je bête ! – je restai sans réponse à la nouvelle question, qui n’est pas triviale, sur ce que nous entendons par « liberté » dans notre société libérale.
La réponse semble pourtant aisée. La « liberté » est le nom donné aujourd’hui à cette hypothétique instance qui m’affranchit des déterminations verbales ou mathématiques qui de tous côtés sont censées nous ligoter.
Un lecteur attentif risque de penser que je passe trop de temps devant les débats qui envahissent les écrans et où chaque « spécialiste » a le droit à son n’importe quoi, bref à « sa liberté ».
Heureusement, la gestuelle du lieu ne m’atteint pas.
Charles Melman
Le 19 mai 2022