Pas de plus satisfaisant modèle de la relation de l'organisme à l'environnement que le réflexe : à telle excitation répond telle réaction, toujours la même. Si sa simplicité explore le niveau médullaire, Pavlov semble donner la clé de ce qui serait sa complication au niveau encéphalique : c'est maintenant un signe associé au stimulus naturel – la trompette précédant la fourniture d'aliment propre à provoquer la sécrétion gastrique – qui peut suffire pour produire la réaction organique. Cet animal leurré n'a-t-il pas l'air humain ?
Mettons au compte de la réaction du potache la remarque que c'est Pavlov qui serait conditionné par la réponse du chien à sa trompette. Quoi qu'il en soit si la démarche scientifique se caractérise par une procédure expérimentale susceptible de produire toujours le même résultat et quel que soit l'expérimentateur, le réflexe est bien le modèle d'une approche scientifique de l'organisme.
Or il se trouve qu'il en est une autre, que manifestement on préfère ignorer quoique celle-là s'observe non chez le rat ni le chien, mais chez l'homme. Il y a en effet une procédure d'appel susceptible de provoquer les mêmes effets et ce quels que soient l'expérimentateur et l'expérimenté : effet de rassemblement d'une foule en un groupe organisé qui va se mettre au service, à la vie et à la mort, d'un leader embouchant la trompette de l'ancêtre en souffrance, exposé au risque de disparaître et dont il s'agit de restaurer le trône glorieux.
À considérer des expériences récentes de ce type on voit nettement que des expérimentateurs, tels Mussolini et encore plus Hitler, étaient quelconques, sans trait remarquable, sinon d'être à l'écoute de foules désemparées, elles-mêmes constituées d'hommes quelconques, dont ils recevaient le message, pour leur dire qu'il était enfin entendu et virilement retourné.
Comme dans une expérience scientifique, l'opérateur reçoit son message des réactions du milieu qu'il teste aux fins d'une réussite sanctionnée par la maîtrise absolue. Dans notre cas elle se réalise grâce à une connivence parfaite et où l'obéissance du corps est aussi accomplie que dans la pratique du réflexe.
Le trouble de l'identité – toujours caractéristique des membres de cet ensemble que constitue une foule – relève ainsi d'un processus logique qui pense à la place de l'individu et le contraint.
On conçoit que la délibération politique qui est fondée sur la liberté du choix, s'en trouve minorée.
Le thème semble mériter qu'on l'aborde cette année.
Charles MELMAN, 11 septembre 2015