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Europe ou Nation ? Le Monde (2-3 février) publie un impressionnant dialogue sur cette alternative entre Daniel Cohn-Bendit et Alain Finkielkraut. Pour le premier, le principe fédérateur de l’Europe doit être politique puisqu’elle s’est construite contre le nazisme et le communisme. Pour le second le cadre propre à préserver la démocratie est national et celui-ci doit dès lors être maintenu.

Un tel pouvoir d’abstraction étonne au prime abord.

En effet si l’Europe s’est faite contre  les totalitarismes, ceux-ci ayant heureusement disparu, la question est aujourd’hui de savoir pour quoi, dans quel but, elle entend se réunir. Répondre “pour la démocratie” ne peut suffire puisque Bruxelles est plus dépendante des technocrates que des suffrages populaires. Et le cadre national, défendu par Finkielkraut n’est pas meilleur puisque c’est lui qui a causé les guerres qui ont jusqu’ici déchiré notre malheureux continent.

Mais le plus surprenant est de constater l’ignorance foncière par nos deux intellectuels des facteurs qui décident de l’identité des peuples et qui vont s’avérer déterminants lors des prochaines élections européennes. Ces motivations ont été décrites dès les années 20 par Gustave Le Bon, reprises par Freud avec Totem et Tabou, Psychologie collective et analyse du moi, et enfin en 1939 avec ce scandaleux L’homme Moïse, roman historique avant que Lacan ne ranime le thème avec Les noms–du-Père.

Les élections vont permettre de vérifier que les déterminations identitaires ne relèvent ni de la raison ni d’un choix mais d’une injonction mise en place dans l’enfance et qui va désormais servir de référent automatique à l’adulte, dès lors qu’il est en crise. Apatride jusqu’à l’âge de 14 ans puis optant pour l’identité allemande non par amour mais pour échapper à la conscription française, le soixante-huitard a des aptitudes naturelles à l’internationalisme. Finkielkraut, amoureux de la France de la Résistance, du gaullisme, des Trente glorieuses, de ses écrivains est pris par une autre vocation. Et en se prononçant, chacun fait entendre la sienne sans que puisse s’imposer à eux une raison commune.

Sauf à prendre au sérieux Freud puis Lacan pour dévoiler comment cette référence identitaire obligée n’est pourtant qu’un artefact et dont il est possible, comme le montrent déjà bien des jeunes  aujourd’hui, de se dispenser. Mais pour ce faire il convient aux clercs de corriger leur coupable, voire dangereuse en terme électoral, ignorance.

Charles Melman

Notes