Journée EPhEP à Marseille, le 13 septembre 2014
Je voudrais d’abord, au nom d’Anne Videau et au nom de Edmonde Luttringer, remercier vivement les participants et les participantes à notre débat qui nous ont beaucoup appris.
Si vous le voulez bien, et pour reprendre la question qui était soulevée par Madame Cayron concernant le défaut d’une approche naturelle, disait-elle (elle s’est servie de ce terme), d’une approche naturelle de nos problèmes et qui donc obligeait à l’établissement de protocoles de conduites, je vais vous raconter une expérience qui n’est pas très lointaine, d’une invitation qui m’avait été faite à une grande réunion des travailleurs sociaux des Hautes-Seine, consacrée à la question du traitement des personnes âgées. Il y avait là, je ne sais pas, 800 travailleurs sociaux à peu près, le gratin du Conseil Général, un député ou deux, etc. Et quand je suis arrivé, la grande question autour de laquelle ces 800 personnes étaient rassemblées – je dois dire que ça m’a paru absolument magique – était la suivante (voilà un cas précis pour lequel il fallait trouver une réponse commune : une infirmière ou une soignante rentre dans la chambre d’un pépé pour lui porter son plateau, et il est en train de regarder un film porno et de se livrer à des attouchements. Question : Que faire ? (rires). Hein ? Ah ! 800 personnes !
Autre question absolument fondamentale, mais de la même veine, et qui est venue tout de suite après : c’est un autre pépé qui vient demander un peu de son pécule pour pouvoir aller voir les dames. Que faire ? Donc effectivement, on peut dire que ce rassemblement de spécialistes et de gens ayant les meilleures intentions, dévoués et intelligents, eh bien ce rassemblement se faisait autour de ce qui était une carence, c’est-à-dire le fait qu’il ne s’imposait pas ceci : que ce genre de question n’a pas à se poser, et que nous étions déjà dans un symptôme très précis s’il était nécessaire de se poser ce genre de question, c’est-à-dire, si ce genre de question ne trouvait pas sa réponse à la fois spontanée, individuelle, voire casuelle, et puis c’est tout ! Et que ça ne fait pas question ! Mais ça en faisait une.
Ceci à titre d’exemple de ce que ce sur quoi j’aimerais attirer votre attention, c’est que ce que vous nous rapportez à partir des domaines qui sont les vôtres, et ce que vous nous racontez qui est à la fois impressionnant mais je dirais néanmoins pas inattendu - je veux dire qu’on s’attend effectivement à ça - que néanmoins ce que vous rapportez ne concerne pas l’ensemble de la société, elle n’est pas toute comme ça. C’est-à-dire qu’au moment même où se déroule ce genre de fait, comme vous le savez, il y a par exemple des écoles privées – aujourd’hui c’est plus de 50% de la population scolaire – où il n’y a pas de problème ! Au moment-même où nous étudions ces faits, et alors qu’il y a des universités qui sont effectivement dans le plus grand désarroi et dans la plus grande difficulté, pas toutes mais il y en a un certain nombre, eh bien comme nous le savons, il y a les grandes écoles où là – ça je vous l’assure ! – ça bosse sérieusement et ça ne rigole pas, et l’indiscipline ou l’irrespect, on ne sait pas ce que c’est !
Il se trouve que j’avais été invité à Science Po, en seconde année, par une professeure qui voulait m’interroger sur la scientificité de la psychanalyse, mais comme elle n’a pas osé dire « la psychanalyse », elle avait posé « scientificité de la psychologie ». D’accord ! Mais je me suis trouvé devant des élèves, 20 ans-21 ans, absolument formidables ! Des jeunes filles et garçons rapides, intelligents, courtois, et posant des questions pertinentes, comme je ne m’y serais absolument pas attendu, des questions pertinentes et informées ! Et ce qui fait que quand je suis sorti de là, je me suis dit : non mais, la question est quand même celle de savoir dans quel monde nous fonctionnons ? Dans quelle société nous fonctionnons ? Parce qu’enfin, en même temps que se déroule dans les facs un certain nombre de faits qui sont graves, eh bien il y a des lieux où ça prépare les maîtres de demain de façon très sérieuse, et je vous assure qu’ils ne rigolent pas ! Ce qui fait que si l’on cherche à faire l’analyse comme nous le tentons ensemble…, ensemble ! Vous voyez on cherche ensemble de la faire l’analyse de ce qui se passe, on est obligé de dire ceci à mon sens, - vous me contredirez si vous le voulez –c’est que nous assistons à une mutation importante et qui est riche de promesses. Quelle est cette mutation ? Cette mutation, elle concerne ce qui pendant des siècles a constitué la sacralisation de l’autorité, y compris dans les républiques les plus laïques qui soient. Ceux qui se trouvent mis au pouvoir, se trouvaient mis au pouvoir fort légitimement par des élections ; ils étaient néanmoins les représentants d’une autorité, éventuellement abstraite comme dans les Républiques, non forcément figurée (la reine d’Angleterre n’est pas forcément une valeur universelle), et en tant que représentants au pouvoir, légitimés par cette référence à cette autorité, ils bénéficiaient du même coup de crédibilité et de respect. C’est de cette façon-là que nous avons jusqu’ici fonctionné, et nous assistons depuis quelques décennies, pour les raisons que je n’essayerai même pas d’évoquer, à ce type de mutation qui aboutit à la sécularisation des agents au pouvoir, qui du même coup, ne trouvent plus à se référer qu’à eux-mêmes et à leur habilité de technicien, des malins ou des pas malins, ça dépend, selon les cas ! Mais en tout cas, sous nos propres yeux, nous voyons s’opérer cette mutation, dont à vrai dire nous ne savons pas très bien pourquoi il faudrait la regretter, car après tout, on peut très bien estimer qu’elle constitue dans l’évolution de notre espèce une certaine forme de progrès. Est-ce que nous sommes capables de vivre ensemble sans avoir besoin de nous référer les uns et les autres à cette autorité sacralisée à partir de laquelle s’exerceraient les commandements aussi bien moraux que politiques ? Il est évident qu’un tel processus ne va pas sans provoquer l’émergence de pathologies nouvelles. C’est forcé, c’est obligatoire ! Nous sommes faits comme ça : ce qui se gagne d’un côté se paye de l’autre ! Et parmi ces conséquences, il y a évidemment, ce qui semble être aujourd’hui, puisque notre thème c’est celui du vivre ensemble, un clivage du milieu social. Un clivage inattendu, qui ne semble pas forcément perçu et clairement établi comme tel, une division sociale qui à mon sens n’existait pas jusqu’à présent entre d’une part ceux qui jouent le jeu du discours du maitre et se forment pour cela avec le plus grand sérieux et la plus grande rigueur, et puis les autres qui, pour d’autres raisons qui sont économiques… enfin je ne développe pas non plus …se trouvent en quelque sorte laissés, abandonnés, selon une tradition politique très ancienne qui, à Rome, comme vous le savez, était celle du pain et des jeux. Qu’est-ce qu’ils veulent ? Du pain et des jeux ! On leur assure, serait-ce médiocrement et évidemment dans la pauvreté, mais on leur assure quand même du pain et des jeux, et de telle sorte qu’ils puissent jouir sans entrave entre eux et nous ficher la paix ! Voilà ! Y a rien qui leur est interdit ! Faites comme vous voulez, aussi bien avec vos semblables qu’avec vous-même, qu’avec qui vous voudrez ! Vous êtes libres de jouir comme vous l’entendez ! Et puisque c’est donc le thème qui nous réunit, celui de la communauté que nous serions supposés constituer, pour ma part je serais forcément amené à dire que nous ne vivons plus ensemble dans le fonctionnement social, mais côte à côte. Et ceux d’entre vous qui avez bien voulu intervenir au cours de ces journées, êtes spécialement délégués à supporter la charge d’avoir à faire qu’ils se tiennent tranquilles et qu’ils aient aussi le sentiment qu’on les aime et qu’on s’occupe d’eux, qu’on ne les abandonne pas, qu’on en a le souci.
Il y a quelques années, je travaillais avec l’A.S.E. de Paris avec les assistantes sociales et il apparaissait très clairement que leurs fonctions étaient très précises, quelle que soit l’efficacité, mais aussi la limitation de leurs moyens, il s’agissait d’assurer à ceux qui venaient les consulter que la république les aimait et en prenait soin. Ce qui souvent était le cas, effectivement, et de telle sorte que règne un minimum de paix sociale.
Donc effectivement, l’émergence de pathologies nouvelles, et en particulier ce fait que nous ne savons pas ni clairement penser, ni clairement traiter de la faillite de ce qui était jusqu’à aujourd’hui le référent nous amenant à tenir ensemble, son éclipse, sa forclusion ou sa négation, sa récusation, ce que vous voudrez ! Parce que pour les enfants, par exemple, que vous évoquiez, Madame Cayron, "Qu’est-ce que ça veut dire pour eux vivre ensemble" quand une fois sur deux, premièrement les parents ne vivent plus ensemble, deuxièmement ils ne vivent plus ensemble avec les parents puisqu’ils vivent tantôt avec l’un tantôt avec l’autre, qu’ils ne vivent plus ensemble avec leurs frères et sœurs parce que d'abord ils ne sont pas forcément du même lit et ensuite on ne sait plus très bien qui est avec qui. Et ce qui fait que quand ils se retrouvent à l’école, quel sens ça peut avoir pour eux qu’un petit semblable… semblable à quoi ? Qu’est-ce qu’est devenu là le terme de semblable ? Alors comme nous le savons, ça va se résoudre de la façon suivante : c’est que le semblable, ça va être l’identique à soi avec le rejet donc de celui qui est différent. Pour rien du tout ! Simplement parce que… je ne sais pas, il ne porte pas la même marque vestimentaire, nous savons que ça peut parfaitement suffire. Et en même temps, et c’est pourquoi je ne suis absolument pas dans cette mélancolie que vous évoquiez tout à l’heure, les jeunes qu’il m’arrive évidemment de voir avec leurs problèmes très spéciaux, aussi bien les anorexiques que des phobies extrêmement graves, le grand gamin que la police est venue ramasser parce qu’il était assis sur le trottoir et ne pouvait plus bouger, il était là assis, il ne pouvait plus… des problèmes corporels complétement nouveaux que je ne vais pas… des rapports au corps complétement originaux, etc., tout ça évidemment souvent agrémenté par, dans les cas les plus légers, du hasch qui semble devenu de consommation assez banale. Donc ces jeunes pris dans ces pathologies qui les gênent, qui les contrarient, sont en même temps, permettez-moi de vous le dire, souvent formidables. Et j’admire comment sans pouvoir prendre appui sur un référent qui tiendrait, il n’y en a plus, c’est plus le prof, on ne lui fait pas crédit, c’est plus le parent, il n’est plus là, c’est plus le prêtre, ça ne fonctionne plus, qu’est-ce qui reste ? Eh bien comment ces jeunes témoignent néanmoins d’une pensée extrêmement déliée et de tentative de s’organiser eux-mêmes dans leur rapport avec l’entourage à partir du fait de la constatation, de la vérification de cette carence. Il n’y a plus de référent pour eux, et il n’y a plus non plus de lois morale, et il y en a encore moins évidemment quand, pour des raisons politiques, il se trouve qu’un gouvernement vient en quelque sorte se faire le propagandiste de cette nouvelle règle, c’est-à-dire de la levée de tout ce qui pouvait fonctionner, sûrement à tort ! Le problème n’est pas là de savoir si c’était justifié ou pas ! Mais en tout cas, comme nous le savons, il ne peut pas y avoir de vivre ensemble sans une certaine communauté morale, si c’est seulement une communauté de jouissance comme les internautes essaient de l’établir sur Internet, sur Twitter : on se constitue en communauté en partageant la même jouissance, mais c’est des communautés fluentes, qui ne tiennent pas, qui n’ont pas de corps, qui n’ont pas de consistance. Eh bien on voit ces jeunes constituer avec autrui, avec eux-mêmes, avec l’autre sexe, un type de rapport qui assurément inaugure une nouvelle étape dans notre organisation sociale. Tout ça se tâte, tout ça s’essaie, tout ça se fait dans les cris, dans la douleur, dans les douleurs de l’enfantement, de la gésine, mais en tout cas, et je dis bien, je suis à chaque fois impressionné et touché par la manière dont ces gamins, seuls en pleine mer, alors bien souvent c’est avec la maman qu’ils se trouvent être restés, eh bien ils sont là à chercher leur orientation, leur chemin, la terre qui serait la leur, etc.
Donc pour ma part, c’est je dis bien le type d’analyse que je suis amené à faire avec une restriction vis à vis de laquelle j’ai peut-être une sensibilité particulière, je ne sais pas, peut-être…, mais qui est la suivante, c’est que ce type de crise que nous connaissons et donc de démembrement social... On ne vit pas dans le même monde ! Je vois, j’ai une enseignante, parmi d’autres qui vient me voir. Voilà à la rentrée, on lui a changé son affectation. Elle est dans une banlieue chic, elle est toute décontenancée, elle ne s’y reconnait pas du tout ! C’est comme si on l’avait expédiée chez les zoulous ! Mais ces jeunes… elle me raconte, elle est prof de philo …mais d’abord drôlement polis, et puis gentils, et puis ils savent tout, ils ne posent que les bonnes questions. Je vous assure, elle est dans la nostalgie de la banlieue d’où elle vient… (rires). Je vous assure que c’est vrai, je ne brode pas ! Mais vous vous dites quand même qu’il faut tenir compte de cette duplicité : elle a franchi une frontière, elle est passée d’un monde à l’autre !
Alors le grand risque évidemment, c’est que tel qu’il est inscrit dans l’histoire, c’est que ce genre de situation s’est toujours résolue d’une unique manière que vous connaissez, c’est l’établissement d’un pouvoir politique fort et qui met tout le monde au pas. Ça devient le pas commun ! Tout le monde partage le même pas. Voilà, comme ça tout le monde est obligé de suivre. Et comme je l’évoquais ce matin, ça vient constituer des communautés homogènes par une identification partagée à un ancêtre commun forcément hypothétique. Quelle est la nation qui peut aujourd’hui se réclamer de la même figure ancestrale ? Donc c’est un mythe ! Mais néanmoins qui réunit cette communauté éclatée, comme je le disais ce matin, par les liens du sang, c’est-à-dire par le lien tribal : on est tous de la même famille ! Et c’est du même coup la fin de la politique, c’est-à-dire de la liberté de laisser aux citoyens de décider eux-mêmes des choix de société, et des choix de répartition ou d’agencement du fonctionnement économique qu’ils peuvent vouloir. On le voudra pour eux. Ça s’est toujours réglé comme ça, mais on le méconnaît.
Il se trouve que j’ai la chance d’être engagé dans un débat avec un homme que j’admire beaucoup, un politologue, sociologue, philosophe, qui travaille avec nous à l’École Pratique, et qui est donc Marcel Gauchet. Et ce que je ne parviendrai pas à lui faire entendre, c’est que derrière toute organisation politique, c’est-à-dire celle qui est supposée laisser aux citoyens le libre choix de leurs décisions et du même coup l’angoisse de la qualité de ces décisions, l’incertitude, d’autant que leurs décisions, elles ne peuvent jamais contenter tout le monde ! Eh bien derrière cette faculté, il y a toujours chez nous la nostalgie d’un lien tribal, autrement dit la reconstitution, mais à l’échelle nationale, du lien familial et de l’autorité décisive qu’elle peut imposer. On croit – et je terminerai là-dessus, ne serait-ce que pour vous laisser le temps d’objecter la dessus, j’espère – on croit que nous sommes des amants de la liberté. Ceux qui travaillent dans le domaine qui est le nôtre, le domaine psy, savent que la liberté ça angoisse. Et je dirais que les jeunes aujourd’hui, leur symptôme, c’est la liberté. C’est-à-dire qu’ils n’ont plus d’injonction ni morale ni sociale, ils n’ont plus d’injonction intérieure ni morale ni sociale pour s’orienter ! Alors qu’est-ce que je veux dans ce cas-là ? N’est pas un génie qui veut ! Capable de décider de trouver, d’inventer le bon chemin ou celui qui lui irait le mieux ! Qu’est-ce que je veux quand il n’y a personne pour m’indiquer une voie ? Condition pour laquelle je puisse m’y opposer et décider de faire autrement ! Et si je suis complètement libre, donc abandonné, contrairement à ces espèces de réclamations de liberté toujours plus grandes que l’on entend, ce qui est en réalité souhaité, c’est le pouvoir assez fort, capable de décider pour nous.
Ce qui… j’ai l’avantage sur vous de… si tant est que c’est un avantage, j’ai au moins sur vous celui de l’âge, eh bien ce qui est le plus remarquable, c’est que dans les régimes autoritaires que j’ai pu fréquenter, la nostalgie qu’ils ont laissée jusqu’au dernier moment et dans les pires moments, alors que leur pays était bombardé, qu’ils étaient ruinés, qu’ils n’avaient plus à manger, leur fidélité accrochée à l’autorité qui les avaient amenés là, mais qui pendant 15 ans leur avaient donné le bonheur de participer à un ensemble consanguin, uniforme, strictement régi, au prix bien sûr de venir mourir… Mais alors, c’est pas beau de venir mourir dans ces conditions-là ? C’est pas normal ? Et donc la nostalgie et l’attachement jusqu’au dernier moment, je dirais, à ces autorités. Je prends cet exemple-là, je pourrais en reprendre évidemment bien d’autres exemples de régimes autoritaires qui ont été contemporains ou qui ont été postérieurs.
Donc, ceci pour vous faire remarquer que, nous sommes dans une mutation qui est à la fois, à mon sens, pleine de promesses possibles, et en même vectrice de quelques dangers, de quelques risques, et avec la question donc qui nous intéresse nous personnellement, qui est de savoir si ce que nous en savons est susceptible d’avoir là-dessus le plus petit effet. N’oubliez pas que Freud n’a pas cessé tout au long de son parcours de faire des œuvres destinées non pas aux analystes mais destinées au grand public ! En 1907, il a écrit un article ahurissant concernant la sexualité des lycéens, et où il disait : il importe de laisser aux lycéens une vie sexuelle je dirais normale, parce que c’est l’âge où ils ont des désirs sexuels, et que si nous les interdisons, ils seront obligés de les refouler et ils évolueront forcément vers une névrose qui va ensuite handicaper leur vie et leur sexualité. 1907 ! Avouez, qui aujourd’hui écrirait un truc comme ça ? Il arriverait quoi aujourd’hui à ce type-là ? Il serait puni de la peine majeure, ça veut dire que plus jamais il ne figurerait dans aucun media. C’est ça la peine majeure aujourd’hui, la peine capitale ! Si vous n’êtes pas sages, vous n’existez plus, vous êtes rayés de l’ordre des médias. Bon ! Et tout du long, en 1925 c’est Psychologie collective et analyse du moi, c’est-à-dire le fait que… ça c’est très drôle ! Parce que son complexe d’Oedipe montre que chacun d’entre nous est décidé à tordre le cou au père. Allez, à la casserole ! Mais en même temps, il va écrire Psychologie collective et analyse du moi et montrer que les foules, les masses, n’ont qu’une envie : un chef, qui viendra les unifier, qui viendra les unir, et derrière lequel elles viendront se ranger, et qu’elles pourront aimer. Alors attendez ! Quel est le départ ici entre l’individuel livré au désir de zigouiller papa, et puis la masse, qui elle, se cherche, aspire à avoir un chef ? Il a fait pire ! Vraiment il mérite celui-là d’être oublié une bonne fois ! Il publie donc en 1939, L’homme Moïse, roman historique, et où il dit : Vous savez, l’ancêtre éponyme, l’ancêtre supposé originaire de la lignée dont vous vous réclamez, eh bien cet ancêtre, c’est toujours un étranger ! Vous vous rendez compte ! Moïse, dit-il, son vrai nom c’était Moses, comme on le sait, c’est-à-dire un nom égyptien. Et ça devait être, sans doute, compte tenu de son nom, un prince égyptien qui a trouvé son bonheur politique en venant faire insurrection contre le pharaon de l’époque et en entrainant une partie des troupes, je dirais en se mettant à la tête d’une population insérée, faisant partie de l’Egypte. Bon, qui oserait aujourd’hui écrire ce genre de chose ? Dire que pour des raisons que Freud ignorait, mais dont Lacan a montré comment elles étaient structurales - on en a parlé ce matin à propos de l’ex-sistence de ce Un auquel toute communauté est supposée se référer - Freud n’avait d’autres moyens que de faire intervenir son caractère autre que comme étranger. Autrement dit, ne vous croyez pas fiers de quelque identité ainsi assumée et consanguine avec celle du chef, le chef pour des raisons de structure, le fondateur c’est un étranger. Alors il est évident que son livre a eu le succès que vous connaissez, c’est-à-dire que vous–mêmes sans doute ne l’avez jamais lu, bien sûr. Ouais, sauf Edmonde, bien évidemment, mais ça je l’espère, bien sûr.
Voilà donc ce que pour ma part je serais en mesure de vous raconter sur ce vivre ensemble. Les psychanalystes n’arrivent jamais à vivre ensemble. Ça c’est bien connu ! Et la raison pour laquelle ils n’arrivent pas à vivre ensemble serait par eux-mêmes à étudier, parce qu’elle est exemplaire des raisons plus générales qui font qu’on n’arrive pas à tenir tout à fait ensemble.
Charles Melman