Avec la participation de Julien ALLIOT, Gérard AMIEL, Alexandre BEINE, Patrice BELZEAUXGérard BOHNER, Jean-Luc CACCIALI, Guillaume CASSEGRAIN, Pierre-Christophe CATHELINEAU, Jean-Louis CHASSAING, Alexis CHIARI, Sophie DENCAUSSE, Michèle DOKHAN, Nicolas DOUTEY, Marc ESTENNE, Christian FIERENS, Thierry FLORENTIN, Virginia HASENBALG-CORABIANU, Marie JEJCIC, Angela JESUINO, Jean-Pierre LEBRUN, Nicolas MITERAN, Marc MORALI, Laurent NOYON, Dominique Jacques ROTH, Thierry ROTH, Louis SCIARA
L’impossible est pour Jacques Lacan un des noms du Réel, une catégorie jusque-là méconnue, qui, de se nouer à l’Imaginaire, fait bord à la puissance du Symbolique. Cet impossible lacanien ouvre le champ d’une clinique de la parole et du langage distinguant alors le symptôme individuel avec ses effets de Réel, de l’impossible constitutif du parlêtre qui se révèle lorsqu’il s’engage dans une parole adressée qui le divise ; ce qui s’éprouve dans le moment où s’ouvre, dans toute cure, l’espace entre impuissance et impossible ; ce que Lacan nomme « rectification du rapport au Réel ».
Mais un tel dispositif ne se produit que du fait d’une « certaine tradition de l’Écriture », en tant que cette Écriture se fonde sur ce texte dans l’Autre qui nous attend ! Comme le rappelle Lacan, la science et la démocratie sont les conditions de la psychanalyse qui vient alors produire un changement de registre entre savoir et vérité, jusque-là régulé par le religieux et autres grands discours. Ce qui le conduit à dire : « l’inconscient, c’est le politique ! ».
Le 4 novembre 1971, Lacan écrivait déjà : « Dans une certaine perspective, que je ne qualifierai pas de progressiste, un savoir qui n’en peut mais, le savoir de l’impuissance, voilà ce que le psychanalyste pourrait véhiculer ! ».
Cette tradition se voit aujourd’hui ébranlée, comme en témoigne le tumulte qui touche à la question des démocraties, des identités sexuées, des croyances et de ce qui dans nos sociétés, et peut-être même au- delà, subvertit tout consensus
Que le drame singulier d’un parlêtre semble aujourd’hui tirer sa consistance du drame collectif, revient à souligner l’instabilité de tout ce qui pouvait faire bord à la promesse d’une jouissance sans limite. La perméabilité aux évènements du monde – qui n’est plus à situer dans le champ de l’hystérie freudienne – serait alors le symptôme de la solitude du parlêtre face à la massification !
Une nouvelle écriture, numérique, celle d’une langue sans Signifiant maître, sans reste, qui ne fait aucune place à l’hétérogène, à l’altérité, à l’impossible, relègue l’Une-Bévue au rang d’artéfact, d’un bug hors sens, d’un court-circuit hors structure.
La progression impressionnante de la numérisation du monde conjuguée au mirage d’une correction informatisée – ne recherchant que le bien de l’humanité – de ce qui chez l’être humain peut faire déhiscence ne relève plus de la science-fiction, et pourrait faire figure d’un nouveau mode de rectification du rapport au Réel. Servitude volontaire ou réification consentie : l’hégémonie des technosciences transforme insidieusement le sujet de la science (de l’inconscient) en objet de la science (du marché), et le corps en organisme désinséré du symbolique.
Ces quelques remarques prolongent les problématiques développées dans les derniers numéros de la revue lacanienne, et conduisent à envisager la question d’un déplacement du Réel dont les effets seraient lisibles tant au niveau du sujet que dans le champ social.
Plus que jamais, l’hypothèse que nous soutenons dans ce numéro – et que nous mettons à l’épreuve de qui voudra bien se joindre à ce travail – est celle d’une nouvelle clinique du parlêtre qui inscrit dans son malaise singulier, tel un sismographe, les convulsions de notre monde.
Marc Morali