Cours n°7, 12 mai 2014
Je vous ai souvent souligné le point fondamental en psychopathologie et donc pour nous, le point qui consiste à souligner le fait qu’au principe de la vie humaine, de la vie de l’animal parlant, nous sommes objet de l’Autre, nous sommes dans un contexte où nous sommes objet intéressant l’Autre ou ne l’intéressant pas, mais en tout cas pris dans la jouissance de l’Autre. Ça c’est certain. Et ce réel, ce fait que nous sommes pris de principe et dès le départ dans la jouissance de l’Autre, c'est-à-dire dans le langage, parce que cette jouissance de l’Autre vient affecter le corps du nourrisson, le corps de celui qu’on peut à peine appeler un sujet, mais qui ordinairement est appelé à cette place de sujet, ce corps est objet cessible à l’Autre, et si cette cessibilité ne trouve pas une limite, elle est insupportable, elle fait une jouissance littéralement insupportable, tel par exemple pour prendre une nouvelle fois cet exemple très important et instructif en clinique, une jouissance telle que Schreber nous en donne le témoignage. Schreber nous donne le témoignage d’une jouissance dont il est lui l’objet jouissance de l’Autre, l’Autre il l’appelle Dieu, il aurait pu lui donner beaucoup d’autres noms, c’est la jouissance de l’Autre et Schreber se plaint du caractère bien souvent intolérable, insupportable de cette jouissance de l’Autre dont il est l’objet.
Cette cessibilité à l’Autre pose une question donc, et que vous retrouvez obligatoirement quand vous avez affaire à la parole de quelqu’un qui tente de vous dire ce qui se passe, ce qu’il y a pour ce quelqu’un, pour un patient ou une patiente, vous avez toujours la question de savoir jusqu’où, jusqu’à quel point ce corps qui vous parle est cédé à l’Autre, est cessible, jusqu’à quel point il est pris dans l’Autre et est ce qu’il y a une limite à cette prise ? Ça c’est une question très clinique. Le patient qui vous parle, est ce qu’il y a une limite à sa prise dans l’Autre ? Cette limite a un nom, c’est un terme fondamental de la psychopathologie, cette limite de la cessibilité du corps du parlêtre à la jouissance de l’Autre, cette limite s’appelle le phallus. Le phallus est un nom de cette limite, il y en a d’autres. Le phallus, c'est-à-dire l’objet de jouissance en tant qu’il est érotisé, en tant qu’il est marqué par le prix, la valeur de Eros, phallus en tant qu’il désigne l’indice de ce qui de la jouissance est marqué d’une valeur érotique, d’une valeur sexuelle, ce terme phallus, ce à quoi il renvoie comme symbole quant à ce à quoi il peut marquer, le phallus peut marquer beaucoup d’objets, il les érotise, le phallus désigne un terme à cette cessibilité du corps à l’Autre, un terme qui se traduit par le fait que justement il y a… un terme au sens où ce n’est pas sans limite, et ce terme vous savez comment il s’articule, comment il va se lier, se mettre, s’accrocher au corps du parlêtre, il va s’accrocher au corps du parlêtre par l’effet de ce qu’on appelle la castration. L’effet de la castration c’est de marquer ce corps, c’est le marquer, à un certain point de ce corps qu’on pourrait appeler le point phallique, la zone phallique, c’est de la marquer d’un certain prix, d’une certaine valeur, qui va se présenter à l’enfant comme interdite. Et donc valorisée par la loi. Valorisée mais interdite. C’est ce qu’on appelle l’érotisation de la jouissance et c’est aussi ce qui vient apporter un terme à cette cessibilité dont je parlais.
Mais quand il y a cette limite, c'est-à-dire quand la jouissance est arrêtée, trouve un terme et que ce terme c’est justement le phallus comme signifiant, comme symbole, comme zone marquée d’un manque, comme zone du corps marquée d’un manque, cela ouvre en quelque sorte un trou dans la jouissance du corps, un trou que le langage de l’Autre et puis bien sûr le langage du sujet lui-même, un trou que le langage va pour ainsi dire border et qui fait qu’effectivement quand nous parlons, nous ne parlons jamais dans une pleine et complète maitrise de notre objet ou de notre sujet, de ce dont nous parlons. Nous sommes toujours, quand nous parlons, de quoi que ce soit que nous parlions, nous sommes toujours en train d’essayer de border quelque chose avec du langage, et si on borde quelque chose, c’est bien que, si l’on essaie de métaphoriser quelque chose, de le rendre par un langage plus ou moins approprié, adéquat, c’est bien qu’on tourne autour d’un trou...
Donc Lacan a cette énonciation au début de son séminaire sur l’angoisse, que l’angoisse c’est la question pour moi, pour le sujet, du désir de l’Autre. C’est très lié à la manière dont le corps est engagé au tout début de la vie, au principe de la vie, dans cette jouissance de l’Autre, cette demande, ce désir de l’Autre. Et la question est que veut cet Autre ? Qu’est-ce qu’il me veut ? Qu’est-ce qu’il attend de moi cet Autre ? Et ça, c’est la question que l’angoisse en quelque sorte, manifeste d’une façon qui peut être extrêmement marquée, extrêmement douloureuse, extrêmement difficile à vivre.
Par un autre côté, nous pourrions dire que nous retrouvons cette angoisse quand nous prenons les choses par le côté non plus du trou mais de l’objet, mais ils sont corrélatifs, puisque cet objet, cet objet que nous désirons, que nous poursuivons, l’expérience nous montre que nous n’en attrapons jamais ou presque jamais que des ombres, des substituts, des éléments un peu étranges, un peu baroques, bizarres, ce que nous rencontrons au titre de l’objet, c’est toujours un peu étrange, un peu bizarre, ce n’est jamais un objet simple, de satisfaction simple.
Et alors, ça, est ce que c’est angoissant, de n’attraper jamais de l’objet que des ombres plus ou moins bizarres, étranges ?
Il y a une corrélation, une relation mutuelle entre la dimension du moi ou la dimension de l’image spéculaire, puisque c’est pratiquement la même chose, il y a donc une corrélation entre la dimension du moi et la dimension de l’angoisse.
C’est au moment où nous sommes le plus sollicités par le désir, que nous sommes le plus dans la situation d’être captés et saisis par le moi et par l’image spéculaire.....
L’image du corps c’est l’image qui vient à la place de l’objet qui cause le désir du sujet, mon désir, l’image spéculaire vient à la place de cet objet, non pas pour le voiler, ce serait trop simple, si l’image était juste comme un voile qu’il suffirait de soulever pour voir l’objet. Non, l’image fait méconnaitre cet objet, c'est à dire qu’elle en produit une méconnaissance, ce qui est autre chose qu’un voilement...
Ce que nous pouvons dire, c’est que justement cette image tient pour autant qu’est refoulée, la jouissance qui est liée à l’objet qui cause le désir. En revanche, que le refoulement soit ôté ou levé, alors cet objet va en quelque sorte faire se défaire, faire se déliter l’image spéculaire, à des degrés divers, mais à des degrés qui peuvent aller jusqu’à pratiquement la dépersonnalisation ou la panique.