Aller au contenu principal

EPHEP, le 07/02/2014

UNE INTRODUCTION A LA PSYCHOLOGIE POUR SERVIR A LA PRATIQUE

C’est que ce sont les faits isolés par les psychiatres au cours du 19ème siècle, les faits de la psychose ou des psychoses, qui ont mis progressivement les plus clairvoyants des psychiatres sur le chemin d’isoler progressivement les traits d’un X, d’un objet énigmatique, de quelque chose qui à partir à peu près de la Révolution française a commencé à être pris en considération à travers le fait qu’on s’est mis à consigner, à écrire avec soin les propos des patients. Cela a donc permis d’isoler progressivement les traits d’un X, c.à.d. d’un objet énigmatique, d’un objet qui faisait grandement question pour l’humanisme classique. Un objet isolé comme déterminant le sujet, comme commandant le sujet, comme ayant pour le sujet une fonction de détermination radiale. Et c’est nulle part davantage que dans la folie que l’on peut mesurer l’incidence de cet objet. Ces traits de l’objet dans la psychose, ces traits de l’X que la psychose révèle, ça posait une grande difficulté à l’humanisme classique… Ça me fait penser que certains d’entre vous certainement ont connaissance de cet ouvrage extrêmement fameux à juste titre, cet ouvrage d’Erasme, L’Eloge de la folie. Parce que quand Erasme écrit L’éloge de la folie, ce n’est pas la psychose. C’est autre chose, ce n’est pas exactement ce qu’on a commencé à étudier de près quand on a commencé à recueillir les faits de la psychose.

En tout cas il est, me semble-t-il, avéré que c’est à travers les faits d’abord de la psychose, que les psychiatres ont été amenés progressivement à isoler les traits d’un objet qui se révélait non seulement être en position de détermination du sujet, mais révéler ce sujet et l’autonomie de ce sujet comme une sorte d’illusion inversée fondamentale. C’est à dire que là où le parlêtre, là où l’animal parlant, le parlêtre comme le dit Lacan, là où cet animal parlant est déterminé fondamentalement par l’objet que la psychose permet si remarquablement de mettre au jour, et bien la tradition qui est la nôtre, tout particulièrement a produit concernant ce fait, une sorte d’illusion inversée qui est l’illusion que Descartes par ex. exprime admirablement, même si à certains égards il l’a partagé. Descartes qui écrit que « l’âme doit être comme un pilote en son navire ». Il est clair que la tradition classique du sujet dans son rapport au corps parlant, au corps, c’est qu’il doit commander le corps. Et ce que découvraient les psychiatres  d’abord avec la psychose, c’est que nous avions affaire à quelque chose – je l’appelle un X – dont les traits se caractérisaient par le fait que ils étaient des traits de détermination, de causalité à l’égard du sujet, d’une façon déterminante et contraignante. Voilà pourquoi je partirais des faits de la psychose........

Triade psychose, perversion, névrose : une distinction moins évidente aujourd’hui

Un mot sur cette tripartition, sur cette triade psychose, perversion et névrose. Ces termes, si je les prends en point d’appui, c’est que ça reste pour nous en psychopathologie des points d’appui extrêmement précieux, que nous devons au travail d’investigation de Freud et Lacan aussi, d’autres psychanalystes, d’autres psychiatres également. Ces notions restent des pivots et des références très importantes.

Il faut tout de même dire que ces trois termes sont aujourd’hui parfois, mais de façon suffisamment fréquente pour qu’on s’y attarde un peu, ces termes ne sont pas toujours aujourd’hui des références qu’ils ont pu l’être, même s’ils gardent leur poids et leur valeur. Mais il y a deux facteurs que nous aurons à interroger et qui font que cette tripartition tout en étant pertinente, elles n’ont plus toujours dans la clinique et dans le travail qu’on fait avec les patients, le même caractère d’évidence qu’à une certaine époque. J’isolerais au moins deux faits qui permettent d’éclairer cela.

Refoulement et modalités du refoulement

Tout d’abord le refoulement, et les conditions du refoulement. Le refoulement qui est une notion déterminante pour distinguer ce qu’il en est de la psychose, de la perversion et de la névrose, le refoulement ne connaît plus exactement les conditions qui ont été pendant longtemps celles de sa mise en place. On pourrait dire que le refoulement aujourd’hui a changé de modalité ou même a changé de statut. C’est une question que nous aurons à poser. Et donc si le refoulement ne peut plus être considéré comme un donné de base de l’éducation que reçoit un sujet dans nos sociétés contemporaines, et bien il en découle d’une manière qui ne nous surprendra pas, que la distinction entre névrose, psychose et perversion quelque fois peut par contre coup en être affectée. Aujourd’hui il n’est pas rare d’entendre des collègues, dont je ne me distingue pas nécessairement de ce point de vue-là, il n’est pas rare d’entendre à propos de tel ou tel patient dire il est border line, état limite, difficile à classer. Quelque fois ce n’est pas le cas, mais quelque fois il y a lieu de se poser des questions. Ce n’est pas sans rapport avec les modalités du refoulement et les changements affectant le refoulement aujourd’hui.

Déni des effets de l’objet

Il y a me semble-t-il un autre facteur qui nous rend cette distinction entre psychose, névrose et perversion, moins évidente aujourd’hui qu’elle a pu l’être. C’est ce que je vous proposerais de façon peut être provisoire, de désigner comme un déni individuel ou à l’échelle de nos sociétés, un déni des effets de cet objet qui a été progressivement isolé par la tradition psychiatrique et par la psychanalyse. Ce déni des effets de l’objet, de la manière dont nous sommes déterminés par cet objet, cette façon dont plus il devient évident que nous sommes et d’une façon parfois effrayante, une façon qui a de quoi angoisser, c’est pourquoi le déni est si important et même massif, plus nous sommes affectés par cet objet, plus ses effets nous sont sensibles et plus s’exerce à l’endroit de ces effets un déni qui peut être individuel, qui peut être à l’échelle des sociétés. Mais qui est aujourd’hui incontestable. Et ce déni peut porter aussi bien sur notre rapport à notre histoire, que sur notre  rapport - ce sont deux aspects d’une même question - au présent. Ce déni peut porter sur notre rapport au semblable, comme il peut porter sur notre rapport à la technique et à certains effets de la technique. Il me semble constatable que notre rapport au réel en psychopathologie notamment, doit tenir compte du fait que pour les sujets comme pour les sociétés contemporaines – je vous disais que le refoulement et les modalités du refoulement ont changé, et puis il y a aussi ce fait plus important qu’il a pu l’être du déni que j’évoquais à l’instant. Déni donc, à la mesure même, de façon dont les effets de cet objet s’imposent à notre attention. Plus ils s’imposent à notre attention, et plus il y a en retour un déni qui s’exerce à  leur endroit.

Je crois que ces deux conditions sont importantes à mentionner, pour souligner que la tripartition entre psychose, perversion et névrose reste un point fondamental pour nous, mais mérite d’être nuancé.

Ce que je vous dis là recoupe de façon très sensible ce que Mr. appelle la nouvelle économie psychique, et je crois que les deux éléments que je viens de mentionner participent de quelque chose de cet ordre.

Le sujet pris dans le discours de l’Autre

En manière au programme d’introduction au programme que je vous ai indiqué, et que je me propose de suivre, je voudrais vous dire quelques mots de ce qu’on pourrait appeler – parce que je vous ai dit, l’opposition entre le psychique, le somatique, ça induit plutôt en erreur qu’autre chose, c’est une complexité qui n’est pas très intéressante, ou une excessive simplicité, ça revient un peu au même qui conduit à des questions difficiles à poser ou mal posées - je voudrais vous proposer en dernier lieu aujourd’hui… je vous ai parlé de cet objet, je vous ai parlé du sujet, je vous ai parlé de psychose, perversion, névrose… D’où partons nous ? Je vous ai dit nous devons partir du langage, mais le langage d’où sort il ? C’est toujours le langage d’un corps qui parle. Le langage ça suppose un corps. Nous partons de là en psychopathologie. Nous partons d’un corps parlant. Je voudrais vous souligner à ce propos qu’au départ pour un sujet quel qu’il soit, il est assujetti, ce sujet – c’est pour ça que le terme est bienvenu en français – il est assujetti aux conditions qui sont celles que lui apportent la parole de l’Autre, le sujet au départ est assujetti à la parole qui lui vient de l’Autre, aux discours qui lui viennent de l’Autre, c.à.d. que nous partons toujours d’une situation où nous avons affaire à un sujet qui a tout d’abord été objet de la demande et éventuellement du désir d’un Autre, du désir de l’Autre. Cet Autre étant le plus concrètement qui soit, le plus souvent la mère. Ce que nous appelons le sujet, les éléments de langage qu’il perçoit tout d’abord et qu’il va isoler progressivement dans son rapport avec l’Autre, dans son rapport avec la mère par ex. et de façon très importante pour lui, les éléments de langage qu’il reçoit et dont il va isoler tout d’abord des scansions, des séquences, des rythmes, des tons, des modulations, et bien ces éléments auxquels à affaire le sujet, au commencement, aux tous premiers temps de sa vie, sont liés à un X, à quelque chose que l’enfant bien avant de pouvoir articuler un mot, de pouvoir parler, distingue très tôt. Il va identifier très tôt ces retours, ces répétitions, ces césures, ces traits qui en quelque sorte marquent son rapport à l’Autre.

Et son rapport à l’Autre en tant que l’enfant au départ, et c’est de là que nous partons quand nous avons affaire à des sujets en psychopathologie, puisqu’un… comme le disait un jour Czermak, la clinique des enfants ça concerne tout le monde, parce qu’un adulte, qu’est-ce que c’est d’autre qu’un enfant et que la manière dont en quelque sorte un sujet a pris en compte, accepté ou pas, l’enfant qu’il a d’abord été, le parti, ou les partis qu’il a pu prendre, relativement à cet enfant qu’il était. Or, cet enfant - et on peut le prendre aux tout premiers moments de la vie - cet enfant a d’abord été objet d’une demande de l’Autre, c.à.d. que son rapport à l’Autre et les traits qui marquent dans le langage de l’Autre, qui marquent ce rapport à l’Autre, les scansions, les rythmes, les répétitions, les modulations, le chant, la mélodie du discours de l’Autre, toutes ces scansions indiquent les traits d’un objet, objet que se trouve être le sujet humain d’une demande de l’Autre. C’est à dire qu’il est pris dans la demande de l’Autre, pas à n’importe quel titre, au titre d’objet. Tant mieux d’ailleurs qu’il y ait cette demande de l’Autre, voire ce désir. Mais tout d’abord il faut une demande, primordialement, et même une forte demande. Et du désir derrière, en quelque sorte au-delà de cette demande. Il faut cela pour qu’un sujet humain se tienne en vie et ensuite se maintienne en vie. C’est de là que nous partons.

Cette manière dont le sujet humain a été dès le départ, d’emblée, pris dans un discours de l’Autre, pris dans le langage de l’Autre comme objet, sera déterminante sur la façon dont – et ce n’est pas sans rapport dans la distinction entre psychose, perversion et névrose – cette manière dont le sujet aura été pris comme objet dans le discours de l’Autre, sera déterminante dans la façon dont ensuite se mettra en place pour ce sujet, la question de la demande et de son désir à lui, pour ce sujet.

Notes