Qu'un patient fasse défaut de sa présence à l’heure de la séance est dur à encaisser. Ce fait intangible que transmet la psychanalyse est que le lien - transférentiel de cure - en constitue l’essence. Il questionne d’entrée de jeu, dès la première séance la fin de la cure. Puisque en effet la question du patient quand à la disparition du symptôme qui l’encombre ne se résume-t-elle pas à cette seule interrogation de savoir quand sera-t-il guéri, quand sa cure sera-t-elle terminée ? C’est même pour cela qu’il vient faire une analyse, pour ne plus venir, pour savoir quand il pourra ne plus venir.
Il semble que la demande du patient induit une présomption temporelle de la réponse qu’il attend.. Elle viendrait prendre appui sur la connaissance du terme inéluctable. C’est un point remarquable à souligner : l’inconscient ne connait pas la mort. Ce sont les lapsus qui mirent Freud sur la piste de l’Autre scène. C’est dire que le patient qui s’inquiète du terme de la cure place sa question dans une erreur topologique. Puisque en effet l’objet de son tourment est un lieu : celui qu’il occupe et qui l’occupe quand il n’y est pas, la cause du désir qu’héberge l’inconscient. Un lieu donc, le lieu du réel.
Ce serait donc le déplacement subjectif d’un quanteur temporel : quand ?, à un quanteur topologique : où ? qui marquerait pour le sujet le premier progrès de la cure. Autrement dit la mise en place de la dimension de l’inconscient. Où encore, l’interrogation subjective qui passerait de la dimension de la connaissance à celle du savoir, de la demande au désir, de l’image à l’objet, de la réalité au réel.
Le lien transférentiel intéresse éminemment l’analyste. La question du désir de l'analyste n’est elle pas d'abord à considérer à l'aune de ce qui vient faire d'un individu un patient ? Puisque c’est bien de ce seul lien que s’entretient la clinique. Que le patient n’entre pas dans le transfert ou qu’il le quitte, qu’il quitte la clinique il redevient individu. Que représente pour un sujet, puisqu’un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, patient pour individu ? C’est d’abord une différence, celle par laquelle entre deux signifiants se donne à entendre un sens. C’est à dire un déplacement, au lieu du sens, à la croisé du symbolique et de l’imaginaire[1].
Pour un individu qui devient patient le déplacement subjectif premier relatif à sa cure porte sur cette nomination. Et la dimension réelle de ce déplacement vient s’inscrire pour lui dans le trajet qu’il fait vers le lieu de son analyse, le cabinet de son analyste. À bien y regarder n’est-ce pas ce même cabinet qui vient faire représentation du désir de l’analyste ? Puisque pour le sujet c’est le déplacement à l’analyste via le transfert, à l’adresse de l’analyste qui vient subsumer en un lieu unique les affections symptomatiques jusque là dispersées. Or l’adresse du patient à son analyste est aussi un transfert à l’adresse de son analyste avec l’ambivalence d’adresse qui équivoque analyste et lieu du cabinet. En cure l’analysant, le patient, du simple fait de parler fait exister un idéal qu’il tente de rejoindre. Il organise ainsi une adresse dont il se leurre. L’adresse de l’analyste en tant que lieu participe aussi de ce qui le cause.
Puisque le lien transférentiel se constitue de désir il n'y aurait pas de psychanalyste sans clinique, pour autant que le désir est à la psychanalyse ce que l’inconscient est au désir, le lieu réel où il gît. Il en serait donc de la psychanalyse comme d'un déplacement identitaire qui viendrait fonder chez l'individu la légitimité d’un lieu. Le cabinet participe de cette légitimation. Elle viendrait singulariser le particulier par le support de la relation transférentielle : le lien en partage avec son analyste qui fait d’un individu un patient.
C’est ce lien clinique qui fait la théorie[2]. Sans ce lien la théorie est une philosophie, une religion, une idéologie, une armée de concept, une frontière. Il semble que ce lien du patient à l’analyste offre à la théorie psychanalytique la possibilité d’un arrimage sans équivalent, sans précédent.
Qu’est-ce que la théorie psychanalytique ? C’est en fait l’analyse d’un témoignage en tant qu’il interfère. L’originalité de l’affaire tient au fait que le lien transférentiel autorise l’analyste à prendre en compte la subjectivité de son témoignage et non pas une tentative de sa réfutation. La psychanalyse accepte d’être l’imposture supposée d’une perturbation de l’analyse puisque la corruption réciproque du témoignage et de l’événement est précisément ce à quoi elle s’attache. Les concepts eux visent l’objectivité via l’abolition du sujet.
Et comme il n'est pas de lien sans lieu d'adresse et d'origine, le cabinet du psychanalyste présentifie ce lieu qui fait lien. La psychanalyse tient donc du lieu de désir qu'est le cabinet de l'analyste et dont on peut dire qu'il participe a minima du désir de l'analyste en tant que lieu nécessaire à l'établissement d'une clinique. La fin de la cure est un lieu, celui du cabinet de l’analyste par exemple. Le lien transférentiel semble alors céder, s’ouvrir à une nouvelle dimension.
La psychanalyse consacre le lien transférentiel de cure comme condition pathique de la découverte freudienne de l’inconscient. La théorie psychanalytique témoigne de ce lien. Ce lien singulier pour chaque patient est chaque fois le même. L’analyste ne s’y trompe pas qui y reste attaché et non pas au discours ordinaire, courant, au disque-ourcourant[3].
La relation non médiée du sujet à l’objet élabore le traumatisme, le Un. Lorsque c’est la relation du sujet à l’objet qui fait lien nous sommes dans la demande. Lorsque la relation du sujet au réel de l’objet fait lien nous sommes dans le désir c’est à dire la réalité, la castration : l’horizon est barré. Ce que l’analyse autorise c’est que ce soit le réel de la relation du sujet à l’objet, c’est la dimension essentielle de l’altérité, qui fasse lien de l’un à l’autre.
Stéphane Renard
[1] RSI, Jacques Lacan, Leçon du 11 février 1975, figure V-1 page 77, édition de l’A.L.I.
[2] « … la théorie de la psychanalyse et en même temps la clinique qui ne forme qu’une seule et même chose », Jacques Lacan, Le symbolique, l’imaginaire et le réel, 8 juillet 1953
[3] Néologisme de Lacan. Il désigne par là la parole qui tourne sur elle-même et ne cesse d’être le commentaire de son commentaire à l’infini. L’analysant y parle par emprunt à la pensée commune, qu’il y adhère ou la critique. « Encore » Jacques Lacan, 9 Janvier 1973 Il n’y est pas. Il est clair que, dans ce que j’ai appelé tout à l’heure le discours en l’écrivant presque en un seul mot, le disque-ourcourant…