EPhEP, MTh3 - ES4, le 9/10/2017
A propos du discours du maître, je voudrais reprendre la question au point où je l'avais laissée la fois précédente. Le discours du maître c'est une question de langage. On part de la formule célèbre de Lacan: « le sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant ».
Qu’est-ce que cela signifie ? Que le sujet en quelque sorte est refoulé sous la barre de l’écriture. Il est barré, d'ailleurs, on l'écrit S barré. Il est barré par le signifiant. Lorsqu'il est barré par le signifiant, il s'exprime en se faisant représenter par le signifiant. Quand je vous parle, je ne suis pas sur le devant de la scène, je me fais représenter par les signifiants que j'énonce.
Le fait est que je suis représenté par un signifiant, qui sans doute n’est pas n'importe lequel. Pourquoi je ne dis pas n'importe lequel, parce que ce qui me représente, c’est ce qui fait un. Ce qui fait un, c'est ce que j'ai appelé le signifiant maître.
Quand je dis par exemple, "Bonjour comment allez-vous ?" La phrase "Bonjour comment allez-vous" est typiquement, une phrase qui fait référence au signifiant maître. "Comment allez-vous" il n'y a pas plus de référence au signifiant maître que dans cette phrase. « Allez », ça veut dire « marchez », ça veut dire être prêt à obéir à cet impératif qu'est le commandement, "Comment allez-vous ?" Donc, je suis représenté par cette phrase, par la dimension du signifiant maître.
Et auprès de quoi je suis représenté ?
Car, qui dit représentation, dit qu'on est représenté auprès de quelque autre, de quelque autre chose. Je suis représenté auprès du savoir qui entend en vous et en moi cette représentation.
Le savoir c’est-à-dire, votre savoir. Quand je vous dis "Comment allez-vous ?", votre savoir entend l'interpellation "Comment allez-vous ?" et, en quelque sorte, comme sujet, je me représente auprès de vous par rapport à votre savoir, et par rapport au mien, du même coup.
Mon adresse c'est à la fois une adresse à vous, mais c'est surtout, une adresse à l'Autre à travers vous.
Donc, si je dis la phrase "Comment allez-vous" qui est une phrase banale, que tout le monde s'adresse par politesse, c'est typiquement une phrase où nous sommes représentés, pour un Autre. Et cet Autre, c'est un savoir dans l'Autre.
Alors c'est un savoir dans l'Autre pour moi-même, un savoir pour vous, mais c'est un savoir dans l'Autre. Donc le discours du maître "ça marche", comme on dit aujourd'hui et même il y a des mouvements (politiques) qui prennent l'intitulé de "En marche". C'est le discours du maître dans sa forme, la plus je dirais, explicite "En marche !".
Car qu'est-ce que veut un maître, il veut qu'on marche, il veut même qu'on court. Regardez tous ces gens qui passent leur temps à faire de la course, ils passent leur temps à courir. Pourquoi courent-ils ? A votre avis pour qui et pourquoi courent-ils, sinon précisément par rapport aux commandements dont ils sentent la pression sur leurs frêles épaules et qui leur commandent non pas seulement de marcher, mais de courir.
Dans les parcs par exemple. Mais je n’ai rien contre la course à pied ! Mais en tout cas, il y a quelque chose de ce symptôme, ils courent, ça court. Ils courent pour quelque Autre, pour satisfaire quelque impératif.
C'est ça le discours du maître, ça marche, ça marche ! Ça marche à fond, à fond la caisse ! Il ne faut pas aller chercher des choses compliquées, je suis en train de vous expliquer des choses simples qui tiennent à notre usage du langage, du seul langage. Le discours du maître est un fait de langage ! Le signifiant maître, ça fonctionne, tout le temps. On est tous prêts à courir ! Et quand un mouvement s'appelle "En marche" alors là, on cavale !
Donc ceci pour vous dire, que le commandement vient du langage, du fait de son inscription dans le langage. Il n'y a pas de commandement en dehors du langage.
Les animaux ne connaissent pas le commandement, puisqu'ils sont hors langage. Alors qu’on ne dise pas que les pies parlent comme le Marquis de Newcastle, objecteur à l'époque de Descartes, les pies ne parlent pas, pas plus que les bonobos. Il y a un certain rapport au signe mais il n'y a pas de rapport au langage.
Alors quel est le destin du sujet par rapport à ce commandement ? C'est de savoir y faire avec ce qui s'impose à lui comme venant de ce commandement, et qui appelle dans l'Autre un certain savoir.
« Comment allez-vous ? » par rapport à celui qui vous commande d'y aller. On est tous commandés par le fait qu'il faut tenir, tenir debout, il y a quelque chose dans l'Autre qui vous commande dans l’idéal.
Si cet idéal fait commandement, il est bien clair que cet idéal nous commande.
Est-ce que en tant que cadre, j'ai mis la bonne cravate ?
Il y a l'idée d'un certain rapport à l'idéal, dans l'Autre, qui nous commande, c'est ça le discours du maître. Le signifiant S2 (signifiant second) c'est tout le savoir que nous refoulons, et qui fait que nous entendons, nous entendons très bien, lorsque quelqu'un nous dit « Comment tu vas ? ». On ne va pas lui répondre "ça ne va pas, ça ne va pas du tout." Parce que justement, ça ne se fait pas de répondre que « ça ne va pas ».
On est toujours dans l'idée répondre à un certain idéal est du côté du commandement lorsque quelqu'un vous demande "Comment ça va". Alors c'est vrai, il y a la réponse dépressive : « moi, ça ne va pas du tout ... ». Mais enfin, la réponse ordinaire attendue c'est "ça va". C'est à dire que ça colle avec le commandement.
La dimension du S1 est surtout articulé au libidinal, à la dimension phallique. Le libidinal là, c'est effectivement la dimension phallique, c’est-à-dire dans le « ça va » c’est la question "est ce que ça tient de ce côté-là ?".
Mais le S2 peut lèver le masque en faisant parler. S2 va dire qu'il est contre, que ça ne va pas. S2 c'est le symptôme.
Il va dire : « Ah ! Aujourd’hui j'ai mal aux dents, je suis malheureux …. ». S2 c'est ce qui répond précisément au commandement et qui n'est pas nécessairement en harmonie avec ce commandement, mais même pas du tout en harmonie, parce que entre S1 et S2 il y a une différence, une différence de place, comme entre ce qui commande et ce qui est Autre.
S2 c'est ce qui répond au commandement et c'est ce que vous dites. Vous dites « on tombe le masque ». Tomber le masque c'est simplement dire que du côté de S2 ça ne va pas, évidemment, ça ne va jamais, ou en tout cas, ça ne va pas si bien que ça. Ça, c'est le savoir, c'est le savoir inconscient. Le savoir inconscient c'est un savoir qui par rapport à cette frappe du commandement est un savoir qui rate. Cela rate, il y a du ratage. Donc effectivement, la relation de S1 à S2 n'est pas une relation harmonieuse, c’est une relation qui implique une certaine différence entre le commandement et le savoir, une dysharmonie foncière.
Alors ce savoir, j'ajoute une dernière notion, ce savoir, pourquoi est-il interpellé ?
Pour produire, le commandement s'adresse à un savoir qui est supposé produire un objet.
A partir du moment où vous êtes d'accord pour dire que ce savoir est supposé produire sous le commandement du signifiant maître, vous voyez de façon, je dirais intuitive, comment la structure du langage recoupe la structure sociale.
Certains sont dans des positions qui sont des positions de maîtrise dans l'antiquité, et puis il y en a d'autres, qui sont dans des positions de savoir, et ce n’est pas la même chose. C'est une chose de commander, c'en est une autre, de savoir-faire. Le savoir-faire est très précisément réservé, dans la société antique, à l'esclave. C'est lui qui sait, c'est lui qui fabrique les objets. Si vous lisez Aristote, vous verrez, dans « La politique » qu’il nous dit très clairement que ce sont les esclaves qui fabriquent les objets. La position de l’esclave, c'est de devoir, c'est de devoir fabriquer des objets pour son maître. Ce qui est assez logique, il n'y a pas grand-chose à expliquer, c'est très évident. Et quand il fabrique ces objets pour son maître, il est dans une position telle que lui-même n'a pas renoncé à ces objets.
Il va en verser une petite partie, une simple dîme, dit Lacan, il va fabriquer les assiettes, les couverts, le repas, etc., mais il va être dans une position par rapport à la jouissance, qui sera une position où il jouira pleinement de ce qu'il fabrique.
Ce qui veut donc dire que le maître lui, c'est la grande idée de Lacan, le maître lui, il est castré, c'est à dire que la jouissance il y a renoncé, il y a totalement renoncé et il en est radicalement séparé. Et le pire ou le mieux, qui prouve qu'il y a renoncé c'est qu'il est totalement aveugle sur la cause de son désir, sur l’objet qui le détermine. Alors il reçoit ces objets, il accepte, j'allais dire les présents de l'esclave, mais il a renoncé à la jouissance et c'est ce qui fait qu'il est dans une position de maîtrise.
Donc là, c'est assez clair : vous avez un discours qui renvoie à une structure sociale. Puisque ce discours est ancré sur des propriétés du langage, alors cette structure sociale fonctionne. Et cette structure sociale dont je vous parlais, c'est effectivement le discours du maître de l’antiquité. C'est clair. Pourquoi je dis que c'est l'antiquité parce que précisément, j'ai eu l'occasion de le dire la fois précédente, le discours a changé.
Nous ne sommes plus, sauf épisodiquement, sauf sur le plan du slogan, dans le discours du maître. Nous n'y sommes plus. Nous n'y sommes plus même s'il y a des gens qui organisent des partis comme "En marche", et qui s'appuient sur la légitimité du discours du maître. La grande innovation dans la « com » ça a été de dire : "vous voyez tout fout le camp, mais moi je suis capable d'incarner quelque chose de cet ordre, du discours du maître". Mais néanmoins, le discours du maître n'existe plus.
Alors pourquoi le discours du maître n'existe plus ? En tout cas, plus comme tel, parce que le discours capitaliste change la donne.
Pourquoi change-t-il la donne ?
Parce qu'il y a un quart de tour dans le discours : le S2 passe en S1, le S barré passe en petit a etc.
Il y a un quart de tour qui fait que, en position de commandement ce n’est plus le commandement lui-même qui commande, mais le savoir. Je vous ai dit « continue toujours plus à savoir !». C'est le savoir qui commande. Sa vérité au savoir, ce n’est plus le sujet, c'est le commandement. Porsqu’on dit que quelque chose est la vérité de quelque autre chose, cela veut dire qu’on explique un certain ordre de discours par ce qui le cause, je dirais, du point de vue des origines, du point de vue de son fondement.
L'origine du discours capitaliste, tel que Lacan l'envisage au début de son élaboration, c'est que le signifiant maître va commander au savoir d'être en position de commandement. Il va venir compléter en quelque sorte le savoir de la dimension de commandement. Cela explique que le S1 est sous la barre.
Le signifiant maître qui va inspirer cet impératif de savoir. Vous avez dit de façon très pertinente la fois précédente, que cet impératif de savoir on le retrouvait dans la science. Bien évidemment c'est dans la science qu'on le retrouve. La science comme outil au service de la production. Il est manifeste que le discours scientifique a pignon sur rue, et que les scientifiques demandent sans cesse plus d'argent pour la recherche. La recherche est considérée comme ce qu'il y a de plus noble dans le lien social et on ne cesse pas d'accumuler des connaissances.
Est-ce que ces connaissances sont neutres ? Elles ne sont pas neutres, elles sont utilisées dans la technologie. Elles sont utilisées dans la fabrication des objets. C'est à dire qu'elle continuent de servir à fabriquer des objets. Non seulement la science continue, mais elle propose de nouveaux objets. Toute la technologie moderne le montre.
Donc vous avez un savoir, un tout savoir, qui est en position de commandement. A quoi conduit-il ?
Il conduit les sujets à être traités comme des objets, :la force de travail.
Les sujets sont d'abord des objets, des objets sur un marché (ce que j’ai inscrit a). Et il y a un terme que Marx emploie qui est particulièrement évocateur, il parle de « l'homme-marchandise » à propos des salariés.
Qu'est-ce qu'un salarié sinon un « homme marchandise » ? C'est à dire un sujet revêtu d'une certaine valeur marchande. Lorsqu’on dit à un salarié : « vous allez vous présenter à votre premier entretien d'embauche il faut savoir vous vendre ». Vous connaissez ça ? Je n’invente rien. « Sachez-vous vendre ! », qu'est-ce que c'est, sinon précisément faire fonctionner cette dimension de l'objet pour soi même en tant que force de travail qui peut être évaluée et quantifiable. C'est ça se vendre. On est capable d'offrir un certain nombre de services au titre de sa force de travail, à celui qui nous recrute auquel on se vend comme une marchandise. Donc c’est l'homme-marchandise.
Vous avez l’exemple de cet homme marchandise dans le logo de Manpower c'est un dessin de Léonard de Vinci : un homme nu écartelé sur un cercle, c'est typique. Manpower ! Tout y est. Dans ces entreprises d'intérim on est dans la dimension de la marchandisation du corps et de l'esprit, et c'est ce que démontre le logo lui-même.
Alors évidemment, ce discours produit un sujet en position, en place, de production : vous voyez, S barré (voir schéma). Le problème de ce S barré c'est que le discours le produit, il produit des individus, des sujets, mais des sujets qui ont bien du mal à s'affronter à la structure qui est face à eux, du S2 qui leur commande de savoir, et qui leur commande de produire.
Lacan dans un premier temps, dans « L'envers de la psychanalyse » considère que le discours universitaire c'est le discours capitaliste. Et il considère que l'interprétation qu'il donne du discours universitaire, c'est l'interprétation qu'il peut donner du discours capitaliste. Alors je vous dis pourquoi : il s'adresse aux étudiants qui sont très excités face à lui, à Vincennes. Les étudiants l'interpellent sur le fait qu'ils veulent faire la révolution, car on est en 68. Lacan leur dit « vous êtes des a-studés », petit a, studés de studium, donc ils sont en position d'objet par rapport au système qui vous fabrique comme tels, pour le système marchand. Il jouait sur du velours, il y avait une réforme à l'époque, une réforme de l'université, qui a été instaurée en 68, je pense que c'était Edgard Faure, une réforme de l'enseignement universitaire qui créait les « unités de valeur ». Les unités de valeur, c'est typiquement un terme qui renvoie à cette dimension. Avoir une unité de valeur, être pourvu d'une unité de valeur, qu'est-ce que c'est, sinon être valorisé sur un marché. Alors, direz-vous : « mais c'est très loin du marché et l'université est totalement décalée du marché du travail ». Non, ce n’est pas décalé du marché du travail. Vous avez des super universités qui fabriquent des petits soldats pour la production qu'on appelle les « grandes écoles ». Qu'est-ce que c'est sinon précisément une façon de valoriser, de valoriser des hommes-marchandises. Et au fond l'université elle rêve de rejoindre dans ses idéaux ce que font les grandes écoles. Regardez ce que fait Polytechnique, HEC ou Dauphine, on fabrique du performant, du vendable, de l'efficace, de l'efficient comme on dit. En tout cas c'est ce qu'ils pensent faire.
Donc vous voyez que lorsque Lacan s'adresse aux étudiants en leur disant « voilà, vous vous êtes les unités de valeur », il parle à la fois du discours universitaire où le savoir est en position de commandement - on transmet du savoir - mais il parle aussi du discours capitaliste. Donc votre objection elle est juste. Pourquoi est-ce que on parlerait de la même chose, pourquoi utiliserait-on le même discours pour parler à la fois du discours universitaire et du discours capitaliste ? Cela a suscité la réflexion de Lacan, et il en est arrivé à se demander si cette formule S2/ S1 flèche petit a/ S barré était la bonne formule du discours capitaliste. Est-ce que c'est ça qui rend compte du discours capitaliste, est ce que c'est vraiment ça ?
La réponse c'est non.
Pas vraiment, parce qu’il y a quelque chose qui est tout à fait remarquable dans le discours capitaliste, qui est quand même son côté génial, il faut dire les choses, c'est que si vous regardez le discours du maître, il y a une forme d'impossibilité entre le maître et l'esclave, d'abord parce qu'il n'y a jamais d'accord entre celui qui commande et celui qui est commandé.. On le voit avec ce qui reste de discours du maître dans les institutions hospitalières où des syndicats ultra-revendicatifs opposent souvent un non de principe à ce qu’ils appellent la Direction.
Notamment il y a un problème entre S barré et petit a. Le problème pour le discours du maître c'est que le maêtre ne rejoint pas son objet, il ne sait pas ce qu’est son fantasme. C'est ce que dit Lacan. Donc il y a entre S barré et petit a, un impossible, il y a quelque chose qui est impossible, impossible à rejoindre, impossible à comprendre, impossible à entendre.
Est-ce que le capitalisme permet de casser cette logique de l'impossible ? La réponse de Lacan c'est oui. On peut casser cette impossibilité de structure dans le discours du maître ; la grande invention du capitalisme, c'est qu’il n'y a rien d'impossible, pour le dire de façon extrêmement rapide. Ce qui le montre dans les schémas que fait Lacan, ce sont les flèches qu'il met en place. Vous voyez il y a une flèche qui va de petit a vers S barré, donc l'objet petit a fait retour vers le sujet.
Alors vous allez me dire: « qu'est-ce que ça veut dire l'objet petit a fait retour vers le sujet ». Cela veut dire que le sujet le récupère, il en récupère les avantages !
Regardez la publicité pour les automobiles. Si vous regardez les chaînes d'information financées par la publicité vous avez un déferlement, un ruissellement d'objets qui sont supposés revenir au sujet. Le sujet c'est vous, c'est moi. C'est vous en tant que spectateur à la télévision. Vous êtes là, vous recevez l'objet, on vous dit de l'acheter, on vous dit que c'est le meilleur par rapport à l'autre etc.
Alors la vérité de ce sujet qui reçoit l'objet, sujet qui est supposé retrouver son fantasme - parce que qu'est-ce que fait le publicitaire sinon jouer sur le fantasme de tout un chacun, fantasme de puissance avec les grosses voitures, fantasme de beauté pour les femmes , le publicitaire joue à plein sur l'objet petit a – la vérité de ce sujet en position de commandement, c'est le signifiant maître. C'est le signifiant maître en tant qu'il va commander au savoir. Donc on retrouve un peu ce qu'il y avait là dans la première écriture mais écrit sous une autre forme. Le signifiant maître Il est caché, il est refoulé. Mais c'est toujours le signifiant maître qui commande au savoir. Voyez la flèche. La vérité est toujours cachée. C'est à dire qu'elle ne se dit pas frontalement. Elle est toujours cachée, même dans le discours du maître. La vérité du maître c'est le sujet. Il n'y a que des gens hurluberlus comme Lacan et votre serviteur, pour dire que sous l'apparence du commandement il y a le sujet, sous l'apparence du sujet il y a le commandement. Tout cela explique beaucoup de phénomènes contemporains.
Je vais vous lire quand même une citation à laquelle je tiens, on latrouve dans le Discours de Milan, qui est un discours prononcé en 1972 face aux italiens et aux étudiants italiens. Il fait une conférence à Milan où il reformule le discours capitaliste : « C'est pas du tout que je vous dis que le discours capitaliste ce soit moche c'est au contraire quelque chose de follement astucieux, de follement astucieux mais vouée à la crevaison. Enfin, c'est après tout ce que l'on a fait de plus astucieux comme discours, ça n'est pas moins voué à la crevaison. C'est que c'est intenable. C'est intenable dans un truc que je pourrais vous expliquer parce que le discours capitaliste est là vous le savez, une toute petite inversion entre le S1 et le S barré qui est le sujet, ça suffit à ce que ça marche comme sur des roulettes, ça marche comme sur des roulettes. Ça ne peut pas marcher mieux mais justement ça marche trop vite. Ça se consomme, ça se consume. Maintenant vous êtes embarqués, vous êtes embarqués ». On y est tous là-dedans je veux dire pas plus vous que moi ne sommes exemptés du rapport au discours capitaliste. Le seul problème c'est que ça risque comme on dit et c'est ce que pressentait Lacan, ça risque de ne plus marcher du tout. A un moment donné ça risque de poser quelques problèmes. Pourquoi, parce que ça se consomme, ça se consume.
Ici il y a une référence, une référence lointaine à Marx et à Bataille. Il y a deux idées qui sont à l'horizon de cette idée. C’est premièrement l'idée classique: vous allez me dire : « ça ne va pas marcher parce que les gens vont se révolter, ils vont faire la révolution ». C'était l'époque en 68, même en 72, ça explosait. Les gens ne vont pas supporter. Aujourd'hui il y a des gens qui prennent le flambeau de la révolution ou en tout cas s'inspirent d'un discours pseudo révolutionnaire et se disent insoumis, ils sont insoumis. Ils vont lutter contre l'aliénation capitaliste. Alors ça la révolution ça pourrait être une réponse sauf que le problème c'est que, Lacan répond à cette hypothèse en disant ceci, toujours dans le Discours de Milan..
« Tout ce qui se passe au niveau comme ça de ce qu'on appelle de la jeunesse est très sensible parce que ce que je pense c'est que si le discours psychanalytique avait pris corps il saurait mieux ce qu'il y a à faire pour faire la révolution. Naturellement il ne faut pas se tromper. Faire la révolution je pense que quand même, enfin vous autres, vous qui êtes là et à qui je m'adresse le plus, vous devez quand même avoir compris que ça signifie revenir au point de départ ». Alors là, revenir au point de départ ça veut dire très simplement que vous faites la révolution et que vous retournez au discours du maître.
Alors vous allez me dire : « mais qu'est-ce qui vous permet de dire ça, qu'on retourne au discours du maitre quand on fait la révolution ? » Ecoutez c'est très simple, regardez ce qui s'est passé depuis la Révolution française. La Révolution française a été formidable mais elle a abouti quand même, le déchaînement de l'appel à la liberté et ça a abouti à la Terreur et à Napoléon. Il y a une autre de révolution, que l'on est en train de commémorer cette année. Il se trouve que j'ai un proche qui y a participé de façon très active, la révolution de 17, la révolution russe. On était parti pour renverser le vieux monde et le résultat c'est d'abord Lénine et Trotski. Trotski avec des textes sur l'Etat qui sont quand même sans ambiguïté dans le registre de la coercition institutionalisée. En témoigne la façon dont il traite au début de la révolution et pendant à peu près une dizaine d'années les anarchistes makhnoistes en Ukraine. Il les liquide, c'est très simple. Ensuite ça s'aggrave avec Staline : là ce sont des millions de vies brisées et de morts : l’Archipel du Goulag. Donc la révolution, je veux dire quand Lacan dit c'est le retour au point de départ, il y a aussi un passage drôle et assez léger pour la lourdeur des enjeux: « c'est même parce que vous vous apercevez que c'est démontré historiquement à savoir qu'il n'y a pas de discours du maître plus vache qu'à l'endroit où l'on fait la révolution ». C'est vrai il n'y a pas de discours du maître plus vache. On coupe les têtes, on élimine les opposants, on envoie les gens au Goulag. Bref vous allez me dire que je suis un réac ; je suis un anti progressiste je vous le dis parce que je crois que malheureusement la logique du discours fait que si on s'insurge contre la dimension du maître on se prend la dimension du maître en pleine figure. Et on se la prend de façon souvent brutale. Donc voilà ce que je voulais vous dire. Récemment, les Printemps arabes l’ont en général bien illustré, sauf en Tunisie. C’est un déluge d’oppression et de feu qui s’est abattu sur les populations dans tout le monde arabe pour sa plus grande souffrance, sans parler d’Assad et de Daech, paroxysme de saloperies dans le registre du discours du maître. Je disais à un psychanalyste renommé, que dès le départ nous allions à la catastrophe. A l’époque je n’ai pas été entendu et on a même refusé que je publie un article dans ce sens sur un site psychanalytique bien connu. Il ne fallait pas désespérer Billancourt…
Il y a un certain nombre de penseurs de son époque que Lacan connaît. Il y a un penseur qui n'était pas loin de penser la même chose, un grand penseur qui est un penseur libéral, un libéral politique, pas marxiste qui s'appelle Raymond Aron qui a écrit un bouquin qui s'appelle « L'opium des intellectuels » et je vais vous lire un passage. C'est dans le chapitre Le mythe de la révolution : « pas plus que le concept de gauche, le concept de révolution ne tombera en désuétude ». Tout le monde y croit, « Les insoumis » y croient.
« Il exprime lui aussi une nostalgie qui durera aussi longtemps que les sociétés seront imparfaites et les hommes avides de les réformer. Non que le désir d'amélioration sociale n'aboutisse toujours ou logiquement à la volonté de révolution. Il faut aussi une certaine mesure d'optimisme et d'impatience. On connaît les révolutionnaires pour haine du monde et par leur désir de la catastrophe. Plus souvent les révolutionnaires pêchent par optimisme. Tous les régimes connus sont condamnables si on les rapporte à un idéal abstrait d'égalité ou de liberté. Seule la révolution parce qu’elle est une aventure ou un régime révolutionnaire parce qu'il consent à l'usage permanent de la violence semble capable de rejoindre le but sublime. Le mythe de la révolution sert de refuge à la pensée utopique. Il devient l'intercesseur mystérieux, imprévisible entre le réel et l'idéal. La violence elle-même attire, fascine plutôt qu'elle ne repousse. Le travaillisme, la société scandinave sans classe n'ont jamais joui auprès de la gauche européenne surtout française, du prestige qu'a gardé la révolution russe en dépit de la guerre civile, des horreurs de la collectivisation et de la grande purge. Faut-il dire en dépit ou à cause. Tout se passe parfois comme si le prix de la révolution était mise au crédit plutôt qu'au débit de l'entreprise ».
Vous comprenez la phrase: « tout se passe comme si le prix de la révolution était mis au crédit », donc les morts, « plutôt qu'au débit de l'entreprise ». On considère que la révolution est d'autant plus justifiée qu'elle a fait plus de morts.
« Nul homme n'est assez dénué de raison pour préférer la guerre à la paix". Cette remarque d'Hérodote devrait s'appliquer aux guerres civiles. Le romantisme de la guerre est mort dans les boues des Flandres, le romantisme de la guerre civile a survécu aux caves de la Loubianka. On se demande par instant si le mythe de la révolution ne rejoint pas finalement le culte fasciste de la violence. Au dernier instant de la pièce « le diable et le bon Dieu » Gœtz s'écrie: "voici le règne de l'homme qui commence. Beau début, allons Nasty je serai le bourreau et boucher, il y a cette guerre à faire et je la ferai" ».
Vous voyez que d'une certaine manière la pensée de Lacan est assez classique, il critique quelque chose qui est déjà dans l'air, « L'opium des intellectuels » ce n’est pas tout à fait cette époque mais c'est dans l'air. Et c'est je dirai une critique liée au libéralisme politique, c'est à dire un libéralisme qui prend ses distances par rapport à l'idéal révolutionnaire. Non pas pour critiquer la démocratie, tout au contraire mais pour montrer qu’il y a une antinomie entre la démocratie et la révolution. Je voudrais poser une question.
Si la révolution n'est pas possible, vous avez entendu ce que disait Lacan, il y a tout de même une issue dans le fait que les étudiants réfléchissent ou pourraient réfléchir autrement s'ils étaient introduits au discours psychanalytique. Ça c'est quelque chose qui mérite que l'on s'y arrête parce que ce qu'il est en train de nous dire Lacan, c'est qu'un certain rapport à l'objet pourrait nous faire envisager des changements sociaux que la révolution ne permet pas de nous faire envisager. Vous voyez l'idée ? Un discours très critique sur le capitalisme qui apparemment ne laisserait aucune porte ouverte ou porte de sortie par rapport à l'idéal révolutionnaire mais qui dirait: « quesi on réfléchit mieux à ce qui nous détermine comme sujet, à cet objet qui nous détermine comme sujet « il y aurait peut-être un moyen de faire changer les choses ». Mais alors quid de la solution ? Pour l'instant je ne vous en parle pas. Je compte vous développer cette dimension dans les cours suivants sur le discours psychanalytique.
Je voudrai faire un détour par je dirais, ce qui constitue la pointe extrême du capitalisme. La pointe extrême du capitalisme c'est me semble-t-il ce que l'on va appeler le discours libéral ou néolibéral. A propos du discours néolibéral la question est de savoir comment le situer par rapport à quel modèle rhétorique l’articuler. Ce discours néolibéral pour le dire de façon simple c'est une façon de justifier l'organisation politique et sociale dans laquelle nous sommes. La question est: « à quel modèle discursif renvoie-t-il ce discours néolibéral ? ». Si je vous dis que le modèle discursif du discours néolibéral c'est Marquis de Sade vous allez être choqués. Il y a un texte que je vous conseille de lire qui s'appelle « Français encore un effort si vous voulez être Républicains ». Prenez la citation et vous allez voir que c'est assez proche de ce que je suis en train de dire. La citation de Sade dans ce livre « Les égards pour la considération de la jouissance d'autrui détruiraient ou affaibliraient la jouissance de celui qui la désire ». Je répète : « les égards pour la considération de la jouissance d'autrui détruiraient ou affaibliraient la jouissance de celui qui la désire et il n'est question dans cet examen que de ce qui convient à celui qui désire. » Tout ce que je vous dis là, je l’écrivais il y a 30 ans dans l’Eclat du Jour et il y a des petits malins qui avaient lu mon article qui ont pondu des livres sur ce thème sans me citer. Dois-je les citer ?
Qu'est-ce que ça veut dire ? Si on suit la pensée de Sade : en tant que sujet venez à considérer que ma jouissance personnelle est propre. C'est ma jouissance et c'est seulement ma jouissance qui entre en ligne de compte dans mes choix. Donc Sade revendique on va dire une liberté totale pour l'individu désirant, une liberté totale. Lacan va résumer cette liberté de la façon suivante dans Ecrits dans l’article « Kant avec Sade ». Il a une formule absolument lapidaire qui résume tout Sade "J'ai le droit de jouir de ton corps, peut me dire quiconque, et ce droit, je l'exercerai sans qu'aucune limite ne m'arrête dans le caprice des exactions que j'ai le goût d'y assouvir". Vous pouvez dire « il exagère, Sade libéral, il fait de la provocation vous pourrez dire je suis en train de faire de la provocation ». C'est Lacan qui dit cela dans Ecrits dans « Kant avec Sade ». Lisez « Kant avec Sade » dans « Les écrits » vous trouverez cette citation. Donc l'idée elle est très simple: ça veut dire que d'abord Sade a un programme il le dit lui-même de dissolution morale, c'est à dire d'un point de vue clinique un programme de perversion généralisée. Vous allez me dire : « comment pouvez-vous prétendre une chose pareille, comment vous pouvez prétendre que un programme de perversion généralisée soit aussi le programme même du libéralisme ».
Je vais vous citer une phrase qui est d'un théoricien anarcho-capitaliste, David Friedman, un théoricien américain, très en vogue dans les années 70. Il dit : « l'idée centrale du libertarianisme est que les gens pourraient pouvoir vivre selon leurs désirs. Nous rejetons totalement l'idée que les gens doivent être protégés de force contre eux même. Une société libertarienne n'aura pas de lois contre la drogue, contre les jeux de hasard, contre la pornographie. »
On y est ! On y est ! Presque! C'était en 73 et il écrit ça dans un texte qui s'appelle « The machinery of freedom », la machinerie de la liberté qui a eu un grand succès aux Etats Unis à l'époque. Vous direz : "mais ça c'est l'anarcho-capitalisme. Ce n'est pas le libéralisme !. Sauf qu'il écrit ça en 73 et la libéralisation des mœurs elle est déjà là, elle est arrivée, la liberté de la pornographie, les jeux de hasard.
Toute la profusion des jouissances dans lesquelles nous sommes plongés c'est quelque chose qui s'est réellement produit. Il l’annonce en 73 et ça s'est réellement produit. Vous pouvez penser que je vais un peu loin, vous allez un peu loin ». Ce que je voudrais que vous entendiez c'est que l'idéologie du néolibéralisme est une idéologie qui laisse vraiment aux individus le droit de poursuivre leur propre bonheur et de juger rationnellement de leurs intérêts, d'être les instigateurs, de quoi ?
Si on généralise cette perversion, si on généralise cette façon de faire, qu'est ce qui se passe entre les individus dans ce type de lien social ? Quelque chose qui avait été parfaitement été vu par Marx: les individus sont dans ce type de lien social en compétition, ils sont en lutte les uns par rapport aux autres puisque précisément si on se situe uniquement du point de vue du sujet, il n'y a aucune raison pour que je respecte les autres sujets. Je suis en compétition avec eux pour la possession de la jouissance. J'utilise les autres dans le cadre de ce discours comme moyen de me procurer cette jouissance. C’est quelque chose qu’on observe dans la société, dans les entreprises, dans les associations et même dans les associations de psychanalystes où c’est le savoir qui est mis en fonction d’objet.. Lacan en parle en 1955 déjà dans son séminaire sur les psychoses, et à propos sans doute de l’atmosphère dans laquelle il évoluait déjà à l’époque, brutale, étouffante.
Donc ce que je veux vous dire c'est que ce néolibéralisme est un discours dont l'articulation fondamentale est une articulation perverse.
Qu'est-ce que je veux dire par perverse ? Qu'est-ce que je mets derrière la notion de perversion ? Vous le voyez, c'est très clair dans ce qu'il dit à propos de Sade, c'est l'idée d'une positivation de l'objet.
L'objet fait retour, on le positive. C'est l'objet de jouissance. Et cet objet positivé, ça peut être tout à fait une autre personne que je mets au service de ma jouissance, ça peut être un savoir, ou bien un objet plus strictement liés aux orifices.
Positivation de l'objet et évidement comme vous vous en rendez compte une façon d’éluder la dimension de la loi, la loi de la castration, la loi de renonciation à la jouissance, l'interdit de la jouissance dont je vous ai parlé la fois dernière à propos de Pascal et du Nom du Père. Tout ça est dénié. On n’est plus dans le champ de l'interdit de la jouissance. Elle devient en quelque sorte le cœur du réacteur libéral.
Et c’est ce qui s’est produit dans les associations de psychanalystes.
C'est quand même plus subversif de dire ça que de prononcer des discours supposés subversifs... à mon avis je trouve ça plus subversif.
Donc on va dire pour en arriver à ma conclusion, on peut dire que la morale sadienne est par excellence la morale du marché libéral. On peut penser que nous ne sommes pas dans le libéralisme aujourd'hui . Et c'est vrai qu’on a préservé un certains nombres de protections, notamment dans ce qu'on appelle le rôle de l'Etat Providence qui vient de maintenir, continuer de maintenir un minimum de tempérance dans cette idéologie néolibérale. Mais on est sur la voie d'un accomplissement. Donc il y a une tempérance mais cette tempérance elle est de plus en plus menacée. Et en tout cas là où il n'y a pas de tempérance dans ce registre de perversion c'est que l'ensemble des sujets du lien social sont impliqués dans ce processus. Vous, moi. C'est à dire que ça fait discours. Lacan dit dans L’envers que nous sommes tous les fils du discours ; cela signifie que nous sommes pris dans les effets du discours, tous sans exception, pour le meilleur et pour le pire. Qui aujourd'hui oserait publiquement contredire l'idée que finalement le but de son existence c'est son bonheur individuel, c'est sa jouissance au maximum ? S’il le fait, il n’est pas entendu. Le rapport à la jouissance est quand même surdéterminé par ce rapport au discours. La morale du marché libérale est donc une morale sadienne.
Alors qu'est ce qui montre que nous sommes bien dans le registre d’une morale sadienne: c'est la dureté des relations dans le monde du travail, c'est la dureté des relations dans le monde familial, dans le monde associatif. La « dureté absolue » comme le dit si bien Hegel dans les Principes de la Philosophie du droit à propos de la société civile moderne qu’il voit naître en Europe.
Allez voir un film que je vous conseille d'aller voir que j'ai vu avec horreur mais qui est un film à avoir parce que ça en dit long sur la dureté des relations familiales qui explosent aujourd’hui. C’est le film d'un russe, Andrey Zvyagintzev, un très grand réalisateur: « Faute d'amour». Vous avez dans « Faute d'amour » un couple qui se déchire. Et il se déchire comme souvent dans la clinique la plus ordinaire sur le dos de leur enfant, un enfant de dix ans et il y a une scène d'une violence insensée. Je n'ai jamais vu une scène aussi violente au cinéma, c'est d'une violence insensée où ils se renvoient la balle de la possibilité de s'occuper de l'enfant avec des mots extrêmement durs et l'enfant entend. L'enfant éclate en sanglots et toute l'histoire du film c'est qu'il va quitter le domicile familial et il va être perdu pour ses parents et il ne va jamais être retrouvé. Dans "Faute d'amour", il y a une relation d’une dimension sadienne entre les individus et en particulier à l'intérieur du couple qui est la dimension d’assassinat utilitariste de l’enfant. Et on le voit chez Sade, parce que les parents veulent tous les deux pouvoir jouir sans entraves de l’existence.Les parents n’hésitent pas à parler de cet enfant devant lui comme d’un déchet à éliminer, la mère surtout. C'est une dimension d'une violence inouïe. Cette violence, elle se retrouve souvent à tous les niveaux du lien social où la question de la jouissance et de la concurrence entre les individus se pose au-delà de la question de l'amour. Je vous parle de ce film « Faute d'amour »,vous « mais c'est la société russe » direz-vous. Moi je veux bien. Les russes sont effectivement dans une société qui a été brutalement libéralisée et ils vivent ce type de conflit dans les familles et à l'intérieur des rapports de travail. Evidemment, il m'est arrivé d'aller à Moscou auprès d’amis russes, j’ai constaté cette violence. Mais ce n’est pas seulement à Moscou, mais en France aussi. Et la clinique le montre. Donc cette violence n'est pas une violence je dirais purement contingente. Elle est liée à l'articulation d'un discours pervers.
J'avais écrit un article en 86 « libéralisme et morale sadienne », qui a été publié, c'était il y a trente ans. Je pense que ce que j'ai écrit il y a trente ans, malheureusement s'est réalisé de façon effective. Et j'avais écrit ça dans une revue éphémère qui a duré un an qui s'appelait « l'éclat du jour » qui était une revue de l'association lacanienne internationale, et je me dis en relisant cet article que les choses se sont produites effectivement comme je les avais vues et comme effectivement Lacan les voit dans « Kant avec Sade » en relation avec la façon dont il présente le discours capitaliste.
Alors la question évidement c’est quel type de rapport social est induit entre les individus et vous imaginez bien que le type de rapport social induit c'est ce qu'on pourrait appeler une précarisation du lien social. Le lien à autrui devient précaire. Donc tout un chacun est jetable comme le montre le film « Faute d'amour ». Tout un chacun peut être traité comme un objet, aussi bien à l'intérieur de la cellule familiale que dans le champ des rapports sociaux, associatifs, politiques, et donc en quelque sorte on est dans un registre qui est un registre de violence maximum.
Ce qui est intéressant à noter dans ce discours que j'ai écrit ici, c'est que cette circulation est une circulation infinie, c'est typiquement le symbole de l'infini. Ce n’est pas pour rien que Lacan l'a écrit comme ça avec le symbole de l'infini dans le circuit des flèches dont il illustre le discours capitaliste, celui de Milan. Cette écriture contient en elle-même le symbole de l’infini pour marquer le déni de l'impossible. Je crois que ce que je vous ai dit ce soir est relativement clair. Je pense que ce que je dis à partir de la clinique, je vous signale aussi ce film qui est aussi une réflexion sur la vie sociale en Russie : Léviathan ; il décrit ce qui se passe dans une société qui est traversée par la problématique de la corruption, dans des rapports de force d'une brutalité sans limite et où l'individu se trouve broyé par la structure sociale. Sans doute est-ce dans ce cas plus spécifiquement marqué par les structures sociales russes.