EPhEP, MTh4-ES14, le 09/04/2018
Je vais d’abord vous citer un article qui a longtemps prévalu dans le champ de l’expertise psychiatrique pénal qui est l’article 64 du code pénal de 1810. Il n’est certes plus d’actualité, mais seulement depuis 20 ans, mais il a quand même été le pilier fondateur de l’expertise psychiatrique en France pendant plus de 150 ans : « il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » Cet article 64 du code pénal de 1810 imposait aux tribunaux de juger la folie et de définir la frontière qui sépare le fou du criminel. Pour faire face à cette gageure, droit, médecine et justice ont réfléchi ensemble et évolué tout au long du 19ème siècle. Et je vais essayer d’étudier avec vous ces transformations qui trouvent un point d’appui à la fois dans la naissance de l’aliénisme et dans les transformations de l’institution judiciaire. Pour le dire rapidement, je vais essayer de montrer aujourd’hui que depuis le début du 19ème siècle on est passé d’une justice objective attachée aux faits criminels à une justice subjective concentrant son regard sur la personnalité dudit criminel tandis que la responsabilité pénale prend peu à peu une place centrale dans les problématiques judiciaires jusqu’à la question actuellement très débattue de la dangerosité et sur laquelle je reviendrai en fin d’exposé.
Je vais débuter par une étude des prémices de ce que l’on peut appeler une psychologie juridique et par une étude des fondements de la justice subjective à travers les premiers textes doctrinaux que sont le code pénal de 1791 qui marque une première étape dans l’observation de l’intention du crime, puis celui de 1810 qui fonde l’article 64 que je vous ai exposé au début.
Dans un deuxième temps à partir de 1820, la doctrine pénale développe une véritable réflexion conceptuelle étudiant la responsabilité pénale des aliénés et visant à mettre en place une justice morale qui punit la faute. Les juristes cherchent alors à déterminer les causes explicatives des actes criminels et s’intéressent à partir de là aux propos des aliénistes qui dans ces premières décennies du 19ème siècle développent la monomanie comme nosologie phare de la nouvelle science psychiatrique. Mais ce n’est qu’à partir des années 1880, troisième temps, que s’impose l’individuation des peines et la gradation de la responsabilité, tandis que la notion d’anormalité devient alors une problématique centrale en criminologie. La circulaire Chaumié promulguée en 1905 et sur laquelle je reviendrai tout à l’heure invite alors les experts psychiatres à chercher dans quelle mesure l’accusé peut révéler je cite : « des anomalies physiques, psychiques ou mentales justiciables d’une responsabilité atténuée.
Je vous propose donc une première périodisation de l’histoire de l’expertise psychiatrique pénale en France qui distingue trois modes de lectures successives du crime :
Une première période correspond aux mutations du regard porté sur la maladie mentale à la suite de la révolution française et dont le code pénal napoléonien de 1810 marque l’aboutissement. La 2nd période est marquée par l’avènement de la monomanie homicide sur la scène médicale, judiciaire, politique mais aussi sociale. Enfin 3ème période, après 1850 et jusqu’à la circulaire Chaumié de 1905 c’est la dangerosité sociale des aliénés mentaux criminels qui modifie la lecture du crime en lien désormais avec une lecture désormais organique de la maladie mentale qui détruit le socle épistémologique de la monomanie homicide.
Première période
La distinction entre prison et hôpital psychiatrique découle du principe d’irresponsabilité pénale des malades mentaux, qui se formalise avec le code pénal de Napoléon en 1810 (article 64 que je vous ai cité tout à l’heure que je vous re-cite : « il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l’action. »). Cet article a prévalu jusqu’à 1994 remplacé par l’article toujours en vigueur 122-1 du code pénal sur lequel je reviendrai. Cet article impose de tracer une frontière absolument stricte entre fou et criminel, mais la définition de cette frontière devient rapidement problématique. Le principe puise à des sources anciennes puisqu’il est déjà présent dans le droit romain puis dans le droit canon, dans la théologie de la faute et dans la philosophie morale. Il est même encore fait mention dans certains codes pénaux de l’adage « Furor Furore Punitur » qui signifie pour les non latinistes : « La punition de la folie c’est la folie elle-même » et cet adage justement justifiait cette dispense de punition pénale. Le principe est si ancien qu’il fait figure d’archaïsme au moment de sa rédaction en 1810, ne serait-ce que l’utilisation du terme « démence », déjà désuet sur le plan des conceptions médicales. Mais il est confronté au cours du 19ème siècle à une évolution médicale et judiciaire qui noue autour de cet article 64 la problématique contemporaine de la responsabilité.
Pour comprendre l’importance de ces mutations il faut revenir sur les principes du code pénal de 1810 et son contexte intellectuel. Ce code instaure un système pénal très fortement rétributif, autrement dit qui définit la peine comme une punition mesurée à l’aune de la faute commise. La peine est ainsi tournée vers le passé du criminel et non vers son éventuelle réinsertion. Juste en aparté : classiquement en droit on distingue trois fonctions d’une peine : une fonction rétributive consistant à punir un coupable pour ce qu’il a fait, une fonction dissuasive consistant à punir un coupable pour qu’il ne recommence pas ou pour que d’autres ne le fassent pas et une fonction réhabilitative consistant à l’aider à ne pas recommencer. Dans ce cadre si l’on ne juge pas les déments c’est parce qu’ils sont considérés comme incapables de l’intention constitutive de la culpabilité ; on peut les enfermer, ce qui est permis par la loi du 16 Aout 1790, mais on ne peut pas les punir dans le sens moral du terme. La responsabilité devient ainsi une condition préalable à toute action judiciaire comme l’affirme alors le grand pénaliste de l’époque qui s’appellait Ortolan. En 1835 dans un remarquable effort de définition conceptuelle, il s’exprime en ces termes : «La première condition de l’imputabilité du crime c’est la liberté, ce qu’il faut pour la responsabilité et par conséquent pour l’imputabilité c’est la connaissance du bien ou du mal, du juste ou de l’injuste de l’action. Il faut enfin qu’il y ait eu faute ou culpabilité ».
Certes laïcisé dans la définition des crimes, le code pénal de 1810 repose sur une anthropologie essentiellement spiritualiste qui s’impose au début du 19ème siècle et dont les conséquences concernant la définition de la responsabilité sont très importantes. Ces principes spiritualistes permettent en effet de définir une responsabilité morale qui découle de cette définition spiritualiste de l’homme. La liberté dont parle Ortolan est ainsi conçue comme une faculté de l’âme d’origine divine qui, comme telle, ne peut connaître d’altération. Elle est ou complète ou totalement abolie. De là, le caractère essentiel de la responsabilité pénale du début du 19ème siècle qui ne peut en aucun cas être graduée. Cet édifice théorique ne se lézarde qu’à la fin du 19ème siècle à partir des années 1880. Le code pénal de 1810 consacre le concept d’ « autonomie de la volonté » et précise la définition de l’intention comme constituant la moralité des actions. Par conséquent en 1810 les actes ne peuvent être punis que parce qu’ils ont été commis volontairement et consciemment. Le juge punit donc un accusé coupable c'est-à-dire auteur des faits, mais aussi responsable moralement. En tant que l’aliéné est privé de sa liberté par le fait même de son aliénation, il ne peut se prévaloir de la liberté et de l’intentionnalité d’un acte dont il serait lui-même responsable, raison pour laquelle on ne le juge pas et c’est pour cette seule raison.
La responsabilité en ce début du 19ème siècle est englobée dans la question de la culpabilité. On est coupable et responsable ou non coupable et irresponsable. Les responsabilités pénales des déments correspondent certes à un principe juridique ancien présent dès le droit romain, je vous l’ai dit « furor furore punitur » mais l’irresponsabilité pénale des déments rencontre en ce siècle post révolutionnaire une double évolution à la fois médicale et juridique. Alors qu’avant la révolution la folie se définissait comme un état exceptionnel abolissant la volonté et presque l’identité du malade, elle devient au 19ème siècle plus parcellaire, elle s’intériorise et s’inscrit dans la personnalité du malade. Comme l’a montré Robert Castel dans l’Ordre Psychiatrique, le problème de l’irresponsabilité des malades mentaux dépasse très largement la simple question administrative. Le fou a du mal à s’inscrire dans le nouvel ordre social structuré par la notion de contrat qui s’instaure après 1789. Il ne peut y avoir de contrat qu’entre deux parties libres. Seule la solution d’un traitement médical de la folie permettra de lui donner – à l’aliéné - un nouveau statut, celui de la tutelle, et c’est dans le cadre du processus de médicalisation de la folie que s’inscrit la problématique de l’irresponsabilité pénale.
Deuxième période
Les changements produits par ce nouveau code pénal de 1810 ne purent s’appliquer du jour au lendemain. Que devait-on faire du criminel, qui, en 1810 était reconnu dément ? Dans cette première moitié du 19ème siècle les institutions psychiatriques n’existaient pas. Il faudra attendre la loi du 30 juin 1838 préparée par Esquirol et relative aux internements psychiatriques qui obligeaient chaque département à se doter d’un lieu d’enferment et de soins spécialisés pour envisager un début de solution.
Mais la réflexion des aliénistes s’est enrichie à la fois sur la folie et sur ce qu’on a appelé les folies partielles. Et cette réflexion apparaît comme une étape fondamentale dans la découverte ultérieure de l’inconscient, qui ouvre une première brèche dans cette anthropologie classique de la volonté libre dont je vous parlais tout à l’heure.
La rencontre entre médecine et droit ne s’est pas faite sans heurts. Les juristes tentant de penser les problématiques médicales selon le droit et la loi en un travail d’incorporation progressive de la nouvelle science aliéniste. On peut parler d’aliénisme à partir de là. Mais les aliénistes, comme Esquirol en particulier, tentent à leur tour de parler le langage des juristes pour s’approprier l’expertise sur la responsabilité pénale des individus criminels.
La divergence se noue dans les années 1820 autour de la fameuse question de la monomanie homicide, c’est cette question qui est au cœur de la deuxième période. La doctrine des monomanies développée par Esquirol est issue de la manie sans délire de Philippe Pinel. Sa première systématisation apparaît en 1816 sous la plume de l’aliéniste Jacquelin Dubuisson dans son traité des Vesanies. La monomanie désigne, je le cite, « un délire portant sur un objet unique affectant soit le raisonnement, soit le sentiment, soit la volonté, tandis que les autres facultés conservent leur intégrité ». On voit là une première brèche dans la distinction auparavant absolument étanche entre aliéné d’un côté et homme libre de l’autre. Esquirol en a distingué plusieurs espèces : la monomanie intellectuelle, la monomanie affective, la monomanie instinctive qui ne touchaient qu’un des aspects de l’appareil psychique des individus, le reste étant parfaitement préservé. Il distinguait aussi des monomanies suivant l’objet du délire : l’érotomanie, la cleptomanie, la pyromanie et la célèbre monomanie homicide.
C’est cette forme de monomanie en particulier, la monomanie homicide qui suscite le plus de difficultés. Esquirol l’a définie ainsi : « La volonté est lésée, le malade hors des voies ordinaires est entraîné à des actes que la raison ou le sentiment ne déterminent pas, que la conscience réprouve et que la volonté n’a pas eu la force de réprimer. Les actions délictueuses sont involontaires, instinctives et irrésistibles. Néanmoins la conscience de l’acte et de sa moralité ou de son immoralité reste entière».
Cette maladie mentale, la monomanie homicide, dissocie donc volonté d’un côté et conscience de l’autre alors que précisément juristes et magistrats sont accoutumés à unir leur disparition dans l’aliénation mentale. Ce qui était le cas dans la première période dont je vous parlais tout à l’heure. Il était inimaginable aux juristes de pouvoir dissocier volonté de l’acte et conscience de l’acte sinon dans leur disparition mutuelle dans la folie. En vertu de cette doctrine de la monomanie homicide, les médecins aliénistes et Esquirol en tête, attaquent une série de décisions judiciaires concernant des crimes aussi atroces qu’inexplicables en avançant l’hypothèse d’une monomanie spécifiquement homicide et en arguant du fait que ces personnes ne devaient pas être en prison mais à l’hôpital. En tous les cas il s’est agit de crimes monstrueux. Par exemple celui de Salomé Gruise en 1817 qui assassine ses enfants, les fait cuire dans une potée aux choux avant de les servir à son mari. Je vous laisse seuls juges de l’interprétation. Mais aussi les procès de Marcelin Lecouffe qui avait tué une vielle femme pour une somme absolument dérisoire. Celui d’Antoine Léger assassin violeur et cannibale d’une fille de 12 ans. Celui d’Henriette Cornier qui en 1825 décapite sans motif la fille de sa patronne alors âgée de 19 ans. On a toujours eu des cas extrêmement célèbres, comme on les a encore aujourd’hui d’ailleurs, qui suscitent beaucoup de questions. Je ne vais pas rentrer dans le détail de ces cas ce n’est pas l’objet mais il faut surtout tenter de comprendre les enjeux de la polémique que ces affaires ont à l’époque absolument déchaînée.
Pour expliquer le succès de la monomanie homicide il faut mettre en contact cette hypothèse médicale esquirolienne avec le problème des crimes sans motif. En effet, parce qu’elle s’attache à la rationalité d’un comportement, l’institution judiciaire est particulièrement sensible aux étrangetés ou aux bizarreries criminelles et notamment aux crimes atroces dénués de motifs apparents. Crimes qu’elle appréhende très difficilement. La monomanie et en particulier la monomanie homicide en tant qu’elle est une véritable folie de l’acte et uniquement de l’acte permet de faire face à l’absence de motifs rationnels en en faisant le résultat d’une irrésistible impulsion morbide. Elle propose alors une véritable pathologisation du crime qui devient un problème médical et non plus une question de morale ou de justice.
Il s’est alors agi de coder médicalement les responsabilités. Michel Foucault a systématisé cette hypothèse dans une analyse - il faut le bien le dire, lumineuse bien que contestable, mais enfin j’y reviendrai - affirmant que le judiciaire et le criminel jouent un rôle central dans l’élaboration de cette science de la psychiatrie qui naît au début du 19ème siècle. La psychiatrie, nous dit Foucault, ne s’est pas faite en détaillant la démence ou la fureur mais a été remplacée par un problème nouveau, je cite Michel Foucault « celui des crimes qui ne sont précédés, accompagnés ou suivis d’aucun symptôme traditionnel reconnu, visible, de la folie et qui surgissait de ce que l’on pouvait appeler le degré zéro de la folie ». Foucault évoque ainsi la mise en place d’une pathologie du monstrueux qui réconcilie irrationalité du crime et déraison du criminel en inventant je le cite « cette entité absolument fictive - là je ne serais pas tout à fait d’accord avec lui – d’un crime folie, d’un crime tout entier folie, d’une folie qui n’est rien d’autre que crime ». Ce que pendant plus d’un siècle on a appelé la monomanie homicide et malgré toutes leurs réticences, les magistrats ont fini par accepter, l’analyse psychologique des crimes à partir de cette notion si étrange et pour eux si inacceptable.
La monomanie homicide serait ainsi l’équivalent inverse et tout aussi problématique de notre actuelle psychopathie ou de notre actuelle problématique autour du pédophile criminel. La responsabilité y est abordée à partir des notions de volonté, de conscience, d’intelligence et de liberté de l’acte c'est-à-dire à partir des facultés de l’âme dont le propre est d’être autonome par rapport aux actes et dont l’origine divine est réaffirmée dans ce que je vous disais tout à l’heure ; le code pénal de 1810 avec cette philosophie spiritualiste qui a présidé à son élaboration.
C’est ainsi que les trois piliers conceptuels du système de pénalité de 1810 l’imputabilité, la responsabilité et la culpabilité sont les traductions juridiques immédiates des termes pour le coup psychologiques, de liberté, de conscience et de faute. On aborde alors la question de la gradation de culpabilité en opérant une distinction majeure entre d’un côté la responsabilité et la culpabilité et de l’autre, entre conscience et faute en y mettant la brèche de la monomanie homicide. On en verra certes les effets qu’au début de la troisième République avec la circulaire Chaumié sur laquelle je reviendrai, mais c’est à partir du problème de la monomanie homicide, comme acte, à la fois volontaire et irrésistible que la question s’est posée.
En effet ce n’est vraiment qu’à partir de la fin du 19ème siècle que l’individualisation de la peine se renforce et qu’elle s’appuie sur les conceptions psychologiques et psychiatriques. Il s’agira dès lors de sonder l’état psychique des inculpés dans une perspective certes largement sociale mais qui vient interroger la manière dont le sujet appréhende son acte. Mais il n’en reste pas moins - et c’est vraiment là-dessus que je veux insister, que c’est la terrible querelle de la monomanie homicide qui a constitué le terreau de cette avancée majeure de l’histoire des délits et des peines qu’est l’individualisation des peines et leurs responsabilités pour le moins atténuées qu’on a pu mettre en place.
Troisième période
Après 1850 avec l’organicisme, c’est une nouvelle conception du corps et de la maladie mentale qui s’impose. La mise en place d’un corps, composé d’un ensemble d’organes qui tend à se fragmenter dans le cadre de la médecine anatamo-clinique marque une mutation profonde des représentations qui visent à inscrire les jeux des rapports entre corps et âme dans une perspective beaucoup plus déterministe.
C’est Jean-Pierre Falret qui en 1850 porte le coup de grâce à la monomanie dans son célèbre article De la non existence de la monomanie où il met en cause, je le cite « cette fragmentation de l’âme humaine en un certain nombre de forces distinctes susceptibles d’agir isolement. Jean Pierre Falret ajoute que l’hypothèse des monomanies provient d’une erreur de méthode, je le cite « soit que l’on parte à l’instar des philosophes de la division des facultés humaines admises en psychologie, soit avec les gens du monde, des romanciers, des poètes, on se laisse diriger dans l’étude de la folie par comparaison avec les erreurs et les passions de l’état normal. Dans ces deux directions diverses mais au fond très analogues de la science, on arrive tout naturellement et presque forcément en la croyance à la monomanie ».
Avec cet article, Jean-Pierre Falret renonce à la possibilité de la folie partielle tout autant que ponctuelle. Il n’y a donc plus de monomanie homicide, l’aliénation mentale s’inscrivant dès lors dans une chronicité dont on cherche à reconstituer le cours et dans une identité permanente qui fait de la maladie mentale une détermination biologique du corps.
Ce tournant médical qui inaugure suivant l’heureuse formule de Georges Canguilhem « une biologie des comportements humains » est également important pour les juristes. L’organicisme de la 2ème moitié du 19ème siècle tend à cantonner la question de l’irresponsabilité pénale au domaine de la physiologie et uniquement de la physiologie et fournit aux juristes une solution théorique très avantageuse en ce que cet organicisme permet un partage très clair entre activité juridique et activité médicale.
La Troisième République repense une justice laïque désormais débarrassée de son socle religieux et moral, bascule de la question de la rétribution - vous savez ces trois fonctions de la peine - vers la protection de la société. La psychiatrie va y prendre une place croissante en particulier autour du développement de l’individualisation des peines et de la mesure de la dangerosité des criminels. C’est alors l’élément moral du crime puis le psychisme des criminels qui tend à focaliser l’attention et détermine de nouvelles modalités pour fixer les peines.
Cette évolution entraîne une première forme de modulation de la responsabilité. C’est le sens de la circulaire Chaumié de 1905 du nom de son auteur Joseph Chaumié qui était Garde des Sceaux en 1905 et qui confirme la notion de responsabilité atténuée en invitant les experts psychiatres à rechercher dans quelle mesure l’accusé peut révéler, je le cite, des « anomalies physiques, psychiques ou mentales ne relevant pas de l’aliénation mentale au sens de l’article 64 ». Cette nouvelle définition d’une responsabilité psychique considérée dans le texte de la circulaire Chaumié comme une source de modération dans l’application des peines et qui s’applique à ceux qu’on considère alors comme des dégénérés s’articule assez difficilement avec l’ancienne responsabilité morale de l’article 64 dans la mesure où la faculté était ou entièrement abolie ou absolument conservée.
C’est pourtant elle qui s’impose près d’un siècle plus tard avec le fameux article 122-2 du code pénal de 1994 que l’on applique encore aujourd’hui. Je vous passe le texte complet de cette circulaire, mais sachez qu’il est le premier à poser la question des circonstances atténuantes, de la responsabilité limitée ou atténuée des auteurs de faits criminels. Je vous cite juste la fin de la circulaire car il me semble que c’est elle qui est la plus importante : «J’estime que la commission devra toujours contenir et poser d’office en toute matière les deux questions suivantes : Premièrement dire si l’inculpé était en état de démence au moment de l’acte dans le sens de l’article 64 du code pénal. Deuxièmement dire si l’examen psychiatrique et biologique ne révèle pas chez lui des anomalies mentales ou psychiques de nature à atténuer dans une certaine mesure sa responsabilité ». On a là dans la fin de la circulaire Chaumié de 1905 tout ce qu’il y a actuellement aujourd’hui dans les deux alinéas du code pénal qui définissent les modalités de l’expertise psychiatriques pénale en France encore aujourd’hui.
Au début du 20ème siècle le système asilaire est au moins aussi discuté que le système pénitentiaire. Alors que la population asilaire comptait environ 40 000 personnes en 1874, elle s’élève à 78 000 en 1926 après être passée par un cap de 100 000 en 1905 – a peu près -. La population traitée est passée de 50 000 à 106 000 dans les établissements de soins dont le nombre est passé de 102 à 116. Avec Marcel Gauchet on peut dire que la véritable époque du grand enfermement dont parle Michel Foucault dans l’histoire de la folie ne se situe pas au 17ème siècle, elle se situe véritablement à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. L’enfermement asilaire est pourtant vivement critiqué au sein même de la communauté médicale. L’échec du traitement moral en milieu fermé, l’idée selon laquelle on pouvait soigner un aliéné en l’immergeant dans une société construite totalement artificiellement et totalement coupée du reste du monde dans ces micros sociétés qu’étaient les institutions asilaires au début du 20ème siècle a échoué et a permis l’expérimentation de nouvelles formes de prise en charge : l’asile ouvert, la colonie, le placement familial qu’on connaît encore aujourd’hui.
Un psychiatre fut à la pointe de cette politique en même temps qu’il la théorisât. Il s’agit d’Edouard Toulouse dont la postérité est attachée à la création en 1922 du premier service ouvert de psychiatrie à l’hôpital Ste Anne. Pour Edouard Toulouse, je le cite « les récidivistes sont des anormaux dans une proportion qui n’est pas inférieure à 80% et le crime est un fait biologique comme la tuberculose ou les anomalies sexuelles. C’est à ce fait biologique qu’il faut tout ramener pour ordonner à l’égard de chaque malheureux anormal un jugement équitable, un traitement curatif et d’abord pour la collectivité des méthodes prophylactiques ». Edouard Toulouse milite ainsi pour la multiplication des dispensaires d’hygiène mentale et de prophylaxie afin de dépister les fous et les criminels avant qu’ils ne passent à l’acte car l’hôpital psychiatrique ouvert doit être le pivot de toute organisation prophylactique.
En attendant le développement de ces services ouverts - qu’on connaît encore aujourd’hui, pour l’instant - la plupart des psychiatres du début du 20ème siècle admettent d’une part qu’il n’y a pas de frontières nettes entre l’aliénation et la psychopathie. D’autre part que les conditions mêmes de l’expertise mentale sur les prévenus, les inculpés et les condamnés sont déplorables et c’est véritablement dans la France des années 1920 et 1930 que la psychiatrie légale s’implante véritablement et durablement dans le champ juridico-pénitentiaire. Un décret du 31 mars 1936 a notamment créé des services d’examens psychiatriques dans les prisons parisiennes de la Santé, de la Roquette et de Fresnes auxquelles vont collaborer les psychiatres nouvellement sensibilisés à la psychanalyse. C’est à partir de là que naît la grande école de l’expertise psychiatrique pénale en France. Le rapprochement entre les communautés médicales et judiciaires progresse sur ce thème avec la création au ministère de la justice d’un conseil supérieur de prophylaxie criminelle le 22 mai 1936.
J’ai quand même envie de garder un peu de temps sur la fin d’abord pour qu’on parle et pour que je vous parle des questions contemporaines de dangerosité dont je vous ai parlé donc je vais faire un peu vite sur cette partie que je voulais développer mais qui n’est pas forcément essentielle pour mon propos.
Dans la mesure où l’ensemble des textes depuis la circulaire Chaumié jusqu’aux lois de 1936 a organisé l’expertise psychiatrique pénale en France jusqu’aux grandes réformes de la fin des années 80 et jusqu’au début des années 90 avec toutes les polémiques qui s’en sont suivies. Donc je vais centrer mon propos là-dessus.
La dernière grande réforme du code pénal date de 1992 avec en effet l’abolition comme vous le savez et comme je vous l’ai dit de l’article 64 du code pénal de 1810 pour le remplacer par le fameux article 122-1. Il faut savoir que cette réforme du code pénal s’est étalée sur près de 20 ans. Puisque c’est en 1974 qu’est mise en place la révision du code pénal qui n’aboutira à la mise en place du nouveau code pénal qu’en 1992.Il était encore une époque où on prenait notre temps avant de pondre des lois, il semblerait que ce temps soit un peu révolu. Bref !
L’article 64 du code pénal de 1810 est remplacé par l’article 122-1 que je tiens à vous citer in extenso : « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Cela c’est l’alinéa 1.
L’alinéa 2 dit la chose suivante : « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime» …. « Ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime » L’alinéa 2 qui nous parle de la responsabilité atténuée. Quand on le lit comme ça qu’est-ce qu’on entend ?
On entend que sur la base d’un rapport d’expertise, la justice ou l’expert… Après je reviendrai, mais on va juste faire un aparté. Donc sur la base d’un rapport d’expertise où l’expert dit que le discernement de la personne en question était non pas aboli mais altéré et qu’elle a donc une conscience relative de ses actes et que donc elle est relativement punissable. On entend quoi ? A priori que la peine qui va être décidée par le juge tiendra compte de cette altération et ira plutôt dans le sens d’une modération de la peine. A priori c’est dans cet esprit que ça était écrit et que ça devait être fait et ça a abouti à tout l’inverse.
C'est-à-dire que les personnes pour lesquelles l’expert psychiatre décide d’une abolition totale du discernement sort du champ judiciaire définitivement et vont en hôpital psychiatrique. Où elles passent un certain nombre d’années, quand même des années, il ne faut pas le nier, au terme desquelles à partir d’un certain processus de soin, d’expertise psychiatrique etc. on peut envisager sa sortie de l’hôpital psychiatrique et la mise en place de procédés de soins ambulatoires etc. Lorsque la responsabilité est altérée et uniquement altérée qu’est-ce qu’on constate ? Que ça alourdit les peines en question. Dans la mesure où il ne sera plus jamais question à partir du moment où un expert psychiatre a dit qu’il était à la fois un peu fou et à la fois un peu normal que le moindre juge prenne la responsabilité de sortir quelqu’un de prison qui serait à la fois un peu fou et à la fois un peu normal. C’est là qu’on en vient à la question absolument essentielle du risque et de la dangerosité qui est inévaluable et surtout inassumable par qui que soit. Voilà j’ai fait un aparté, je vous en ai parlé tout à l’heure, mais c’est tellement flagrant dans cet alinéa 2 que je voulais vous en parler.
Bref, par rapport à l’article 64, l’article 122-1 n’a pas modifié en profondeur l’approche judiciaire des malades mentaux, la procédure reste la même, en cas d’abolition du discernement le magistrat instructeur rend une ordonnance de non-lieu qui ne signifie pas et là j’y tiens car c’est ce qu’on entend malheureusement le plus souvent dans les débats actuellement, l’ordonnance de non-lieu signifierait que ça n’a pas eu lieu. Non ! Une ordonnance de non-lieu ne dit pas que le crime n’a pas eu lieu, elle dit qu’il n’y a pas lieu à poursuivre. Ce qui n’est déjà pas la même chose. Parce que même si il y a une ordonnance de non-lieu le fou criminel en question n’ira pas en Assises pour avoir tué sa grand-mère ou deux infirmières dans un hôpital psychiatrique à Perpignan comme vous vous en souvenez il y a une dizaine d’années : Romain Dupuy avait décapité deux infirmières dans l’hôpital psychiatrique où il était soigné. Le juge a prononcé une ordonnance de non-lieu. Cet homme n’a pas été jugé pour ce qu’il a fait mais une ordonnance de non-lieu uniquement en pénal. C'est-à-dire, et comme toujours, il y a eu et il y aura toujours un procès civil, c'est-à-dire que même Romain Dupuy qui est considéré comme irresponsable pénalement de ses actes est considéré responsable civilement et peut être amené à réparer le tort fait aux victimes.
Le concept désormais désuet de démence laisse place à celui de trouble psychique ou neuro psychique, ce qui permet d’y inclure des actes médico-légaux, parce que cela arrive, pour des personnes qui ont une maladie d’Alzheimer ou qui ont des maladies neuro-dégénératives quelconques ou des accès d’épilepsie.
Ce texte fonde le nouveau mandat social et judiciaire demandé à l’expert psychiatre en France. Avec un certain nombre d’apories, d’ambiguïtés sur lesquelles il me semble important d’insister aujourd’hui. De manière générale, il ne faut pas beaucoup se leurrer. Quelle que soit l’époque l’expertise médico-légale a toujours été problématique, ça n’a rien de très neuf. Et c’est normal parce qu’elle pose à la fois le problème de la légitimité de la science dont l’expert se prévaut pour juger de ses conclusions au rapport et celui des éventuels écarts avec les normes sociales courantes. D’une manière générale, on va essayer de réfléchir à l’articulation entre le pénal, le judiciaire, le social et le psychiatrique dans l’expertise. Trois grands types d’interprétations sont proposés dans l’immense bibliographie qui a lieu sur le sujet depuis les travaux pionniers et magistraux de Michel Foucault.
Premier type d’interprétation : L’expert est compris comme l’objet d’une instrumentalisation de la part de l’institution judiciaire qui par ce biais s’approprie un mode de légitimation scientifique. Le juge en s’appuyant sur la science, ou pseudo science dirait Michel Foucault, de l’expert judiciaire prononce une sentence ou une non sentence, non pas en raison du code de procédure pénale, mais avec l’argument massue, scientifique.
Deuxième type d’interprétation : on y a vu réciproquement l’instrument d’une psychiatrisation de la justice dont le but serait la régulation des comportements déviants principalement par l’enfermement qu’il soit carcéral ou qu’il soit asilaire. Et dans ce deuxième type d’interprétation, on y a vu aussi le moyen pour la psychiatrie naissante du début du 19ème siècle de reconnaitre la légitimité de la science qu’elle a instaurée en s’appropriant le monopole du savoir sur la question de l’irresponsabilité pénale des malades mentaux. Le travail de Michel Foucault réconcilie en quelque sorte ces deux premiers types d’interprétation ; Celles d’une instrumentalisation de l’institution judiciaire et celle d’une psychiatrisation de la Justice. Michel Foucault montre, enfin essaie de montrer, que la collaboration du juge et de l’expert permet la formation d’un nouveau type de pouvoir qui échapperait à la fois à la Médecine et au Droit. C’est Foucault en effet qui a posé les jalons de cette histoire de ce point de rencontre entre les mutations des institutions répressives et l’histoire de la psychiatrie en la situant d’emblée au cœur de l’histoire des technologies de pouvoir et du lieu de pouvoir. Je le cite : « En admettant que l’expertise psychiatrique en matière pénale si on la reprend en ses origines historiques était un acte médical dans ses formulations, dans ses règles constitutives, dans ses principes généraux de formulations qui étaient absolument isomorphes au savoir médical de l’époque, c’est un certain type de pouvoir ni médical ni judiciaire qui est arrivé à coloniser et à refouler à la fois le savoir médical et le pouvoir judiciaire dans ce qu’il appelle lui-même un pouvoir de normalisation. Ca se sont deux interprétations très courantes, très classiques consistant à faire de l’expert psychiatre soit un auxiliaire du pouvoir répressif du juge, soit du juge un utilisateur complice d’une pseudo science pour se dédouaner de sa responsabilité de juge dans la sanction pénale qu’il inflige. Finalement, et ça c’est le troisième type d’interprétation que je vous propose - enfin je ne suis pas tout seul, tout de même - là n’est peut-être pas l’essentiel. L’organisation de l’expertise psychiatrique répond d’abord à un devoir de savoir et de rationalisation de l’incompréhensible. Les médecins experts apportent en effet autre chose que de simples théories puisqu’ils sont eux-mêmes des praticiens et par la relation qu’ils ont avec leurs malades essaient de donner de nouveaux moyens de penser et d’analyser l’intériorité. La pratique médicale initiée dans le cadre du traitement moral et inventée par Philippe Pinel laisse une place importante à l’interrogatoire et un rapport spécifique entre patients et médecins fondée sur la capacité de mettre en place une alliance thérapeutique et aussi sur la capacité à faire un récit de soi de la part du malade ou de l’expertisé. C’est cette compétence qui permet au médecin de jouer ce qu’il faut bien appeler le rôle d’enquêteur en matière morale. Raison pour laquelle les médecins-experts finissent toujours par examiner non seulement le corps des inculpés mais également le détail des actes de leur vie. Ainsi au fil des dépositions, l’information judiciaire finit par composer un véritable portrait intime de l’inculpé. Chaque dossier, dans le meilleur des cas, recèle une série de textes qui disent et qui redisent le crime, qui orientent le discours, délimitent des catégories, trient les criminels - oui, c’est vrai - et donnent place à une possible évolution des façons de les juger. Et c’est à partir du lent travail, des expertises psychiatriques pénales menées pendant presque 200 ans qu’a pu se mettre en place une individualisation des peines centrée sur la personne criminelle et après - c’est vrai, j’y reviendrai en fin d’exposé - sur leur potentielle dangerosité.
Sur cette question de l’individualisation des peines trois grandes sanctions peuvent être délimitées :
La première correspondrait à la définition du crime comme aliénation mentale entre 1820 et 1840 environ. Elle correspond aux importants débats qui agitent la presse et l’opinion autour de la question de la monomanie homicide dont je vous parlais tout à l’heure. Ces interrogations sont présentes dès les années 1820 dans la pratique judiciaire autour de ces fameux crimes sans motifs. C’est cette première période qui apparaît au premier abord comme un premier temps d’affrontement et qui correspond à une tentative d’assimilation du crime à la folie. C’est au cours de cette première période que les pénalistes incorporent progressivement les éléments médicaux à leur réflexion et qui infléchissent leur doctrine définissant la responsabilité pénale des accusés comme absence ou présence de la liberté et de la volonté. Faut bien imaginer qu’avant la grande querelle des monomanies homicides la question du droit était relativement simple c’était ce qu’on appelle aujourd’hui « les peines planchers » et qui étaient systématiques. Il n’y avait pas de discussion autour de l’articulation fine entre celui qui a commis l’acte et l’acte en lui-même. Un vol c’est tant, un crime c’est tant. Qu’il l’ait commis dans certaines circonstances ou pas, qu’il ait eu des raisons particulières de le faire ou pas, c’était une espèce d’automatisation des peines à laquelle malheureusement certaines personnes souhaitent revenir.
La deuxième scansion débuterait à partir de 1836 et marquerait la définition jusqu’aux années 1860 du crime comme perversité. L’année 1836 marque en effet un véritable basculement dans l’abord du crime et le changement de ton y est particulièrement net. A une aliénation qui offrait une interprétation positive du mal et qui permettait de placer les faits les plus affreux hors du ressort d’une volonté libre, on oppose une conception presque inverse faisant du crime le fruit de la responsabilité, de la perversité pardon, des hommes. Ce nouveau modèle s’appuie sur les arguments classiques affirmant la liberté humaine dans le mal, c'est-à-dire sur la responsabilité très poussée de l’individu dans le mal qu’il commet. Ce basculement est lié à deux affaires essentielles. L’affaire Lacenaire en 1835 qui a donné lieu à un film magnifique que vous avez peut être vu et qui s’appelle Les Enfants du Paradis et dans lequel on voit cette affaire Lacenaire. C’est le double assassinat en 1834 d’une veuve Mme Chardon et de son fils pour des raisons crapuleuses et surtout dérisoires. Mais c’est surtout l’incroyable attitude de ce M. Lacenaire pendant le procès qui a passionné les contemporains dans la mesure où il était dans une espèce de justification du crime comme étant la moralité suprême, dans une espèce de vision du surhomme nietzschéen avant l’heure. Et l’affaire Pierre Rivière que vous connaissez tous grâce au livre de Michel Foucault, qui a tué en 1835 son père, sa sœur et son frère mais qui a surtout écrit une longue confession – non ce n’est pas le bon terme, mais je n’en ai pas d’autre – en prison et qu’en effet a bien analysé Michel Foucault.
La troisième scansion après 1860 correspond à l’émergence d’une perspective criminologique. C’est autour de l’idée de dangerosité des aliénés mentaux criminels que la perspective se modifie. L’on note alors la naissance plus précise du statut d’expert et surtout de celui du criminel mais en même temps d’une confiance accrue à l’égard des médecins que l’on voit systématisée dans les affaires judiciaires. A cette période trois types de descriptions psychiatriques cliniques ont fortement marqué la psychiatrie médico-légale : Celle de Khalbaum en 1884 qui décrit l’héboïdophrénie comme une forme clinique de folie mortelle en insistant essentiellement sur la capacité qu’a l’héboïdophrénique - qui existe toujours en tout cas dans les classifications française – comme des folies permanentes du passage à l’acte. L’héboïdophrénie, c’est pour le dire très rapidement, une schizophrénie psychopathique. C'est-à-dire que c’est quelqu’un qui acte son délire plutôt que le vivre, de l’éprouver, ou de l’écouter ou de l’entendre, il acte en permanence son délire par des passages à l’acte médico-légaux systématiques. En 1887, André Anthéaume et Roger Mignot étudient la période médico-légale prodromique de la démence précoce. Travail à partir duquel Paul Guiraud introduit la notion de meurtre immotivé dix ans plus tard. Ce meurtre immotivé qui a tant fait parler de lui à la fin du 19ème siècle et début du 20ème dans un roman d’André Gide dans lequel l’auteur s’interroge en permanence. Le héros est dans un train, il y a un homme en face de lui et pendant toute la durée de son voyage en train, il se dit : « je le tue, je le tue pas ? ». Il n’a aucune raison de le tuer, il ne le connaît pas il ne l’a jamais vu. Il se dit « Je le tue, je le tue pas ? ». Je crois qu’à la fin il le tue.
Les grandes scansions de la psychiatrie médico-légale et de l’expertise psychiatrique pénale en France… j’aimerais juste finir sur les troubles actuels dans l’expertise psychiatrique pénale. Les enjeux contemporains de cette expertise en particulier autour de la question de la dangerosité. La dangerosité n’est pas une notion nouvelle, c’est une notion qui est très prégnante aujourd’hui mais qui n’est pas nouvelle. Elle a globalement été théorisée et pensée par Cesare Lombroso à la fin du 19ème siècle dans son livre « L’homme Criminel ». Cesare Lombroso expliquait la criminalité et ses mécanismes par deux concepts. Premier concept le déterminisme : le crime est pour Cesare Lombroso le résultat inexorable de causes à la fois exogènes ou endogènes. Pour Lombroso le crime a une explication anthropologique en étant la résurgence des instincts primitifs de l’homme. Il a aussi des causes exogènes dans la mesure où la cause sociologique du crime est essentiellement déterminée par le milieu de l’auteur qui a commis l’acte criminel. Le second concept fondamental de la criminalité chez Cesare Lombroso c’est l’irresponsabilité morale du délinquant. En effet selon lui raisonner en termes de responsabilité morale, de culpabilité, de libre arbitre est insensé aux yeux de la science criminologique qu’a essayé de mettre en place Cesare Lombroso puisque l’homme est déterminé dans ses gestes et ses pensées par sa morphologie ou par son milieu. Il n’y a plus de libre arbitre chez l’homme criminel tel que le conceptualise Cesare Lombroso. L’intervention de l’Etat contre le crime vise uniquement dans un but strictement prophylactique à supprimer les éléments exogènes pourvoyeurs de criminalité dans une perspective très médicale. On éradique le crime comme on éradique… il le dit : « la tuberculose ou les rats dans les villes » à partir du moment où l’on considère que certaines conditions sociales font émerger la criminalité d’un individu.
C’est à partir de là que Cesare Lombroso définit la notion d’état dangereux. Le délinquant au sens large chez Cesare Lombroso, c’est ce qu’il appelle un « microbe social » menaçant la santé de la collectivité. Il distingue à cet égard les criminels en cinq classes principales. Les trois premiers groupes sont les plus dangereux. Ils sont composés des délinquants qu’il s’agit purement et simplement d’éliminer. Les criminels-nés en tant qu’ils portent en eux les stigmates anatomiques, physiologiques, et psychologiques permettant selon lui de les reconnaître – c’est la fameuse phrénologie de Le Gall, les bosses etc. Les criminels aliénés comprenant les déments stricto-sensu et les fous moraux privés de sens moral ou ceux qu’il appelle les criminels d’habitude ou je cite «les récidivistes incorrigibles » contre lesquels il n’y a plus rien à faire – qu’on met actuellement en rétention de sûreté pour une période indéfinie, il faut bien le dire que c’est actuellement le cas. Les deux derniers groupes comprennent des délinquants moins dangereux qui selon Lombroso méritent l’indulgence et doivent être traités. Ce sont les criminels occasionnels et les criminels passionnels. La dangerosité, elle est déjà toute inscrite dans le travail de Cesare Lombroso. C’est un concept nomade. D’ailleurs ce n’est pas vraiment un concept parce qu’il est mal défini, c’est une notion nomade entre criminologie clinique et psychiatrique, mais cette notion n’en possède pas moins une étonnante capacité de reviviscence car elle revient en force aujourd’hui. Peut-être pas dans le sens stricto-sensu scientifique en tout cas pas en France, plus aux Etats-Unis, plus dans les pays anglo-saxons qui n’ont pas la même culture que nous mais au moins en tout cas dans le débat sur la politique criminelle.
La dangerosité est ainsi au cœur de la volonté de prévenir la récidive, voire les infractions avant même leur commission. Cette récidive qui constitue une sorte d’anomalie criminologique, un échec de la prison et – il faut bien le dire puisque les politiques s’en servent - un scandale politique. Si la peine punit le crime passé qui établit une culpabilité, la dangerosité implique un expert, chargé d’évaluer le risque d’un crime futur et l’existence d’un type d’institution au carrefour du champ médical et du champ carcéral prétendument chargé de le réduire ou de l’annuler. Et depuis une vingtaine d’années une succession d’affaires très médiatisées : l’affaire Francis Evrard, c’était en 2002, c’est un homme qui avait violé, qui avait passé 8 ans en prison et qui 2 semaines après sa sortie de prison a violé un gamin de 8-10 ans, et c’est cette affaire qui a suscité la création par Nicolas Sarkozy des lois de rétention de sûreté et des unités hospitalières spécialement aménagées. L’affaire Schmidt également du même tonneau et l’affaire Romain Dupuy dont je vous parlais tout à l’heure, du nom de ce schizophrène qui a décapité deux infirmières à l’hôpital psychiatrique. Il y a eu également une affaire à Grenoble d’un homme qui était hospitalisé en psychiatrie dans un hôpital psychiatrique à Grenoble et qui à l’occasion d’une permission, non d’une fugue pardon, d’une fugue ou d’une permission – j’ai un doute il faudra vérifier – est parti dans sa ville de Grenoble et a poignardé quelqu’un qu’il n’avait jamais vu, qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam et qui en est mort.
Cette succession d’affaires a suscité des débats extrêmement passionnés en France. Elle a fait apparaître deux nouvelles figures pourvoyeuses de ce qu’un anthropologue américain Stanley Cohen a proposé d’appeler des paniques morales ; d’un côté le pédophile ou le violeur récidiviste et de l’autre le fou criminel. Dans cette conjoncture la récidive est devenue un problème de société doublement intolérable en raison non seulement de la difficulté à trouver une solution technique satisfaisante à la récidive mais aussi et surtout moralement en raison de la nature du crime et de la qualité de la victime, figure également nouvelle du champ judiciaire : la victime demandant reconnaissance de son statut et légitime réparation.
Il s’en est suivi un remaniement considérable du mandat judiciaire de l’expertise psychiatrique et des relations d’interdépendance entre les différents champs dans lesquels l’expert psychiatre doit essayer de nager, il faut bien le dire. A cet égard la loi numéro 2008-574 qui a été votée le 25 février 2008 et qui est relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental cristallise bien un processus global mais inédit de lutte contre la récidive. Si la dangerosité est bien au centre du dispositif c’est pour mieux en distinguer deux dimensions exclusives : l’une criminologique, l’autre psychiatrique. Ainsi cette loi présente deux volets. C’est une loi qui est toujours d’actualité et qui détermine le cadre à partir duquel l’expert psychiatre et les différents acteurs du champ médico-judiciaire interviennent. Donc si cette dangerosité est bien au centre de ce dispositif c’est pour mieux en distinguer deux dimensions. Elle comporte deux volets portant sur les deux figures de la déviance posant problème : le délinquant sexuel d’un côté, le fou criminel de l’autre. Le premier volet de cette loi institue le placement, je cite « en ultime recours » en Centre Socio Médico-judiciaire de rétention de sûreté. Le second volet de cette loi qui a été assez peu discutée par la critique que n’a pas manqué de déclencher le vote de cette loi, critique qui s’est essentiellement focalisée, certes à juste titre, mais qui a oublié le reste sur la durée théoriquement indéfinie de la privation de liberté. Le second volet de cette loi c’est la comparution des fous criminels devant une juridiction évaluant l’imputabilité matérielle des faits, en dépit de l’irresponsabilité pénale qui a été jugée. Romain Dupuy par exemple, l’homme dont je vous parlais, il est passé au tribunal il y a eu un simulacre de procès. Cet homme est arrivé complétement sédaté par un traitement neuroleptique. Cette comparution a déçu absolument tout le monde. Une personne dont j’ai oublié le nom a fait un magnifique article où elle montrait bien ce Romain Dupuy, arrivant, quasiment incapable de parler, bavant à moitié tellement il était chargé de neuroleptiques. Les pauvres familles de ces deux infirmières n’ont eu aucune réponse à leurs questions, aucune. Le processus de deuil, de début de réparation à partir duquel on peut considérer que le travail peut se faire et que nécessiterait le passage du fou criminel aux Assises n’a pas pu avoir lieu : elles se sont heurtées à un mur. Ce procès a été une mascarade, bien que l’on dise que ça permettrait de mettre un visage sur un acte et de commencer un processus de deuil, je ne suis pas certain que ça puisse avoir cet effet là.
Au cœur de cette loi le rôle de l’expertise psychiatrique est décisif. La procédure visant explicitement à tenir compte des souffrances des victimes prévoit un représentant de l’Association nationale d’aides aux victimes est présent dans cette commission pluridisciplinaire régionale qui est chargée d’évaluer la dangerosité, au côté d’un Président de Chambre de Cour d’appel, du préfet de région, du directeur inter-régional du service pénitentiaire, d’un expert psychiatre, d’un expert psychologue et d’un avocat. Donc on est censé réunir dans ces commissions tous les intervenants du champ médical et judiciaire pour essayer d’évaluer la prétendue dangerosité du fou criminel ou du pédophile ou du violeur récidiviste. Mais dans cette mosaïque de l’expertise judiciaire la psychiatrie occupe une place particulièrement sensible et soumise à ce titre et c’est bien normal à de multiples critiques parfois contradictoires. D’un côté on aurait une prétendue omniprésence de l’expertise psychiatrique mais de l’autre un manque criant d’experts psychiatre. Il faut bien le dire, l’expertise psychiatre en France est passée de 1600 au début des années 2000 à 800 en 2008 et à dernier chiffre 470 ??. Donc en 15 ans c’est quand même ce qu’il faut bien appeler une hémorragie.
On aurait paraît-il un pouvoir sur la décision des juges d’un côté, mais on serait absolument faillible de l’autre, et faillible on l’est, il faut bien le dire, on l’est. Et il faut la revendiquer d’ailleurs cette faillibilité d’expertise. L’expert pour citer Irène Théry, ne bénéficie pas de l’aura de scientificité, d’objectivité et de technicité attachée aux expertises ou comptables ou à l’expertise balistique. Une balle a été tirée, elle s’est arrivée à 1,80 m ça a été une balle tirée d’un pistolet Beretta je ne sais pas quoi…nous c’est plus compliqué. Mais à l’inverse les questions que soulèvent en permanence l’expertise psychiatrique pénale montre qu’il serait plutôt lui le seul expert faillible par définition. Il ne peut être crédité de s’en tenir à une simple question de fait, il apparaît dans un rapport beaucoup plus problématique à la décision elle-même. Ce qui pose inévitablement la question de la frontière des compétences entre le juge et lui. Je trouve qu’Irène Théry elle synthétise parfaitement l’ambiguïté du rôle de l’expert psychiatre aujourd’hui en France. Et ses mises en questions deviennent particulièrement aigues dans un contexte où la frontière est très floue. Parfois c’est extrêmement simple de faire coller l’acte, le criminel et la relation d’imputabilité entre l’acte et le criminel. Quelqu’un entend des voix lui ordonnant de tuer sa grand-mère et il la tue, là on peut juger assez… et là encore ce n’est pas si simple parce qu’un schizophrène d’abord ne passe pas toujours à l’acte. L’immense majorité des voix qu’entend un schizophrène sont des voix qui lui intiment de passer à l’acte et il ne le fait pas systématiquement. Qu’est-ce qui fait qu’il passe à l’acte dans certains cas ? Qu’est-ce qui fait qu’il ne passe pas à l’acte dans d’autres ? Quel est le rapport ténu, singulier que le schizophrène entretient avec sa propre voix à un moment où l’on peut considérer que là, la voix lui intimant l’ordre de passer à l’acte, il n’a pu y résister, et parfois il y résiste. Le premier ordre, la première intimation de passage à l’acte chez un schizophrène ce n’est pas l’homicide, ce n’est pas d’aller tuer sa grand-mère ou d’aller tuer le passant c’est de se tuer lui-même. C’est d’abord ça que la voix lui intime de faire et qu’il fait d’ailleurs beaucoup plus souvent que de tuer quelqu’un d’autre.
Dans ce contexte-là, et dans un contexte où les effectifs de malades mentaux dans les prisons n’ont jamais été aussi élevés depuis le 19ème siècle, l’expertise psychiatrique pénale remplit de moins en moins le rôle de filtre visant à repérer les malades mentaux afin de leur donner les soins appropriés et elle n’assure plus la fonction de régulateur entre la prison et l’hôpital. Il y a tout un tas de raisons mais il y a aussi la responsabilité des experts qui entre en jeu. Pour des raisons que je ne m’explique pas trop, le nombre de rapports psychiatriques concluant à l’abolition du discernement est de plus en plus rare. Il était auparavant à peu près de 1% des expertises psychiatriques - parce qu’elle est obligatoire dans les procès pour Assises dans les meurtres, dans les crimes de manière général. Auparavant, 1% à peu près des meurtres étaient considérés comme irresponsables par les experts psychiatres et étaient suivis de mesures d’hospitalisation d’office dans les établissement psychiatriques ad-hoc. On est passé à 0,5% dans les années 80, et à entre 0,2 et 0,3% aujourd’hui.
Et il y a une tendance de fond même chez les experts psychiatres à responsabiliser les malades mentaux dans la mesure où – c’est ce qu’ils disent, je pense qu’ils ont tort – il est important dans le cadre du soin que l’on va après mettre en place avec lui de le rendre auteur de son acte. Je pense que c’est une erreur de fond. Je pense que le préalable au soin d’un fou ayant commis un acte médico-légal ne consiste pas à le rendre responsable de son acte mais à le rendre sujet de son acte ce qui n’est pas la même chose et ça ne doit pas systématiquement passer par un rappel du réel, c’est ce qu’ils appellent la fonction du réel de la sanction. Je n’y crois pas du tout. Bref ! Mais il y a toute une redéfinition de l’expertise psychiatrique et de ses enjeux, et du mandat à remettre en place dans des situations bien différentes où l’on fait appel à l’expert psychiatre. Il ne faut pas oublier que ces situations sont nombreuses : il y a l’expertise de garde à vue qui consiste à simplement savoir si l’état mental du sujet est compatible avec une garde à vue au moment de la garde à vue. Il y a l’expertise qui est la plus connue, qu’on appelle l’expertise pré-sentencielle durant l’instruction qui est censée répondre à ces fameuses 7 questions standardisées de l’article 122-1 : Etait-il ou non responsable de ses actes au moment de l’action ? Est-il accessible a une action pénale ? Mais l’on a aussi l’expertise post-sentencielle, celle qui vient en application des peines avec le juge d’application des peines pour déterminer si il est fou, s’il faut une obligation de soins par exemple. Il y a maintenant l’expertise des plaignants ou des victimes rendue obligatoire depuis la loi de 1998 et il y a l’expertise de dangerosité dont je vous parlais.
Cliniquement labile mais toujours intimement liée avec la question de la récidive et de l’ordre public, la dangerosité en psychiatrie apparaît moins en situation de faillite épistémologique comme une notion un peu ressource récurrente, originelle et dans une certaine mesure structurelle de la tentation criminologique d’une certaine psychiatrie. Cette notion de dangerosité s’enroule autour d’un nouveau paradigme de la peine qui tend à se mouler sur tous les autres : la dialectique du risque et de la précaution. Nous vivons nous dit Ulrich Beck dans son très beau bouquin qui s’appelle « La société du risque » une ère spéculative ou l’invisible danger qui nous environne créé je le cite « une communauté de la peur à laquelle répond un totalitarisme légitime de la prévention » Et à partir de là une rupture traverse la rationalité pénale dans un modèle individualisé on punit un coupable, comme je vous le disais, tantôt pour ce qu’il a fait, tantôt pour qu’il ne recommence pas, tantôt pour l’aider à ne pas recommencer. Les fameux modèles rétributifs, dissuasifs et de réhabilitation de la peine.
Mais dans un modèle de la précaution indissociable de la notion de dangerosité, l’identité criminelle n’est plus vue depuis l’individu en question mais depuis la catégorie à risque qu’il incarne. Il n’y a plus alors d’infraction mais une simple menace. Pour reprendre la phrase de Denis Sallas, nous ne partageons plus avec eux des significations communes, mais contre eux des risques anticipés. Et c’est cette situation paradoxale qui permet de rendre compte des jugements de valeurs diamétralement opposés, qu’on peut accoler à la question de la dangerosité dans un même champ professionnel dans le sens où elle est devenue le point de fracture de toutes les pratiques et de toutes les apories du nouveau mandat social qu’on exige désormais de l’expertise psychiatrique pénale.