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EPhEP, le 25/01/2016  

La question c’est : est-ce que la psychanalyse de l’enfant a des spécificités ou bien est-ce qu’elle se traite comme la psychanalyse de l’adulte. Toutes les écoles analytiques n’ont pas la même position là-dessus. Pour certaines écoles analytiques la psychanalyse de l’enfant, c’est une sous psychanalyse. C’est un peu moins bien. Oui, c’est un peu moins bien inutile de vous dire que je ne suis pas d’accord. Je vous dirai pourquoi je ne suis pas d’accord parce que je trouve que la psychanalyse d’enfants c’est extrêmement délicat, compliqué, l’enfant est tout le temps en mouvement, est en développement, et donc je trouve que c’est encore plus compliqué qu’une psychanalyse d’adulte. Et je trouve aussi que les psychanalystes d’adultes devraient tous à un moment donné aller faire un peu de psychanalyse avec des enfants. D’abord ça leur permettrait de comprendre qu’est ce qu’un enfant et deuxièmement ça leur permettrait de se mettre en prise directe avec la névrose infantile, celle qui nous mène tous, celle dont Freud nous a parlé. Voilà.

Alors à mon avis, les maîtres mots de la psychanalyse de l’enfant sont :

- formation de l’inconscient,  ça jusque-là on est dans du connu ;

- équivoque si on veut être lacanien ; on est aussi dans du connu.

- transfert

- et il y a un mot que j’ajouterai en psychanalyse de l’enfant c’est : corps ; le corps.

Parce que dans la rencontre avec un enfant, ce n’est même pas la peine de faire de la psychanalyse, il suffit de rencontrer un enfant, vous voyez bien à quel point le corps est toujours sur le devant de la scène. Les enfants nous étonnent toujours pas leurs trouvailles, ils font des jeux de mots, ils ont toujours des tas d’idées, ils passent librement d’un sujet à un autre, mais surtout ils nous étonnent avec leur corps et leur motricité, débordant de sexualité et de jouissance. Un enfant qui rentre dans un cabinet de psychanalyste, il demande, immédiatement à aller faire pipi, à boire, à manger ; il commence à ouvrir les meubles, les tiroirs ; ils allument les lampes, ils cassent les vases de fleurs si par hasard vous en avez laissé un dans la pièce, ils s’emparent d’objets, ils crient, ils tapent du pied, ils font un vacarme absolument invraisemblable. Ils pleurent, ils parlent, vous avez des pipis caca prout sans arrêt. Autrement dit on pourrait dire qu’ils sont des actes - on pourrait appeler ça des actes quand même - qui mettent en avant le plaisir des orifices. Tous les orifices sont excités. De l’obscène… oui j’ai oublié les crottes de nez qu’ils mangent, enfin, voilà. Donc il y a toujours de l’obscène. A partir du moment où un enfant rentre dans un cabinet d’analyste on est devant de l’obscène ou du réel ; je pense qu’on pourrait dire que c’est du réel. C’est le réel du corps qui se manifeste à nous tout de suite. Et le psychanalyste d’enfants passe son temps à se laisser surprendre par cette gabegie orificielle, sexuelle - c’est toujours sexuel- ou ils peuvent se masturber aussi, je vous dis tous les orifices sont en éveil. Donc une gabegie orificielle sexuelle et bruyante adressée on ne sait pas à qui, mais en tout cas tout le monde en prend dans la consultation. Alors ce qui est drôle c’est que assez souvent les parents disent « mais vous savez il n’est pas toujours comme ça je ne sais pas ce qui lui prend aujourd’hui ». Évidemment. C'est-à-dire qu’assez vite les parents voudraient un peu calmer le jeu, et ne parlons pas de ces enfants, qui se roulent par terre, il faut avoir un cabinet sans rien sinon… si vous avez des coussins ils les balancent à travers la pièce, et de toute façon si vous n’avez pas d’objets dans la pièce, les enfants ont toujours des objets avec eux, vous l’avez remarqué. Donc ils arrivent avec un doudou, des cartes Pokémon, des billes… enfin ça dépend des modes évidemment, des bonbons, ils ont toujours des chewing-gums, des tas de choses… et si par hasard ils n’avaient rien - des marrons à l’automne-  et si par hasard ils n’avaient rien dans la poche, ils vont dans le sac de maman et alors là c’est le festival aussi. C'est-à-dire que ils sont à la fois dans une monstration avec leur corps et une - comment je vais dire ça - une monstration aussi avec les objets qui est absolument impressionnante. Donc ces objets ils peuvent simplement être montrés ou lancés ou cassés. C'est-à-dire que les papiers sont déchirés,  les vases sont cassés, les lampes sont allumées et éteintes voilà. Autrement dit il peut aussi y avoir cette agressivité envers les objets et puis toute la nourriture. Donc irruption des formations de l’inconscient, activité du signifiant parce qu’au beau milieu de tout ce tapage évidemment, nous, qu’est ce qu’on fait ? On écoute quand même ce qu’ils disent quand par hasard ils parlent. Parce que quelques fois c’est uniquement un vacarme avec onomatopées, ou bien ils sont des chevaliers, enfin bon… Mais enfin on écoute quand même si par hasard ils diraient quelque chose. Donc, en vérité, c’est pour ça que la psychanalyse de l’enfant est à mon sens plus difficile que la psychanalyse d’adulte. C’est qu’il faut être d’une vigilance absolument permanente. Ce ne sont pas du tout les associations d’idées comme chez les adultes évidemment, mais ce sont des choses qui arrivent. Je vous donne un exemple. Je vois depuis… oh je sais plus… allez 6 mois, un enfant qui n’arrive pas à rentrer dans la lecture et dans l’écriture donc il a 6 ans et quelques. Il arrive, il passe la porte il me dit « je t’aime, caca ». C’est systématique. Donc il se promène entre les je t’aime et le caca. Je ne sais pas si c’est le sien ou le mien ou le nôtre. Enfin bref. En tout cas ce qui est sûr c’est que ces deux termes,  « je t’aime », « caca », ça soutient son transfert à moi. Par où ça passe, je n’en sais rien, on ne sait pas tout hein, mais en tout cas ça soutient le transfert. C’est un enfant qui n’est jamais assis, il est toujours allongé en train de lancer des tas de choses, mais, il est en train de rentrer dans la lecture et dans l’écriture, et j’allais dire à son corps défendant, en tout cas au milieu de beaucoup de tintamarre. Mais son transfert passe par ces deux termes chaque fois.

Donc crudité chez l’enfant, obscénité du corps de l’imaginaire, puisque le corps c’est de l’imaginaire, donc ces enfants ce qu’ils nous montrent c’est de l’imaginaire et notamment aussi dans le signifiant actuel le symptôme très à la mode depuis un an à peu près, le symptôme chic si vous voulez, ce sont les crises. Les enfants font des crises. Alors ils font des crises à la maison, à l’école, qui débordent les parents. Et là aussi le corps est complètement en avant. Ce sont des enfants …comment faire pour tenter d’introduire un tout petit peu de symbolique ? C'est-à-dire que lorsque l’imaginaire est prégnant à ce point-là et que l’enfant se complet à ce point là dans l’imaginaire, comment introduire du symbolique. Autrement dit, pour le cas de mon petit gamin « je t’aime caca », lui il est complètement dans le corps, et il refuse les lois de la scolarité qui évidemment le mettent en prise avec le symbolique. Et ça, il n’en a absolument pas envie parce que le symbolique, ça veut dire contrainte, castration symbolique, acceptation des règles, renoncement à sa toute-puissance, alors vous imaginez bien que pour des petits enfants comme je vous les décris, renoncer à leur toute-puissance ce n’est vraiment pas possible. Ils ne sont pas dans le sacrifice ceux-là. Et donc nous, on apparaît comme celui qui tente de mettre un tout petit peu de symbolique dans une situation où l’imaginaire est déchaîné, et où les parents voudraient quelquefois quand même que ça cesse. Mais, je ne sais même pas vraiment, car tout le monde est complice. Je peux vous raconter quelque chose que j’ai vu cet après-midi. Une consultation de cet après-midi. C’est un enfant de presque 5 ans qui a beaucoup de mal à aller à l’école. Alors le matin pour ne pas aller à l’école - vous allez me dire tout ça c’est banal, mais bon - il ne veut pas se lever, il ne veut pas se laver, il ne veut pas se brosser les dents, il ne veut pas s’habiller. La semaine dernière où il faisait très froid, il voulait partir en short, sans anorak. Enfin tous les prétextes sont bons évidemment pour ne pas aller à l’école et pour bloquer la mère (parce que la plupart du temps c’est quand même la mère qui est aux premières loges) et pour bloquer la mère le matin pour être en retard à l’école et être au fond, ce qu’il a fini par dire, c’est qu’il n’a pas envie d’aller à l’école. C'est-à-dire que lui il voudrait bien rester avec sa mère toute la journée. Il n’aime pas sa maîtresse parce qu’elle crie. Et donc son rêve, c'est-à-dire c’est là qu’on voit à quel point ces enfants ne veulent pas quitter l’imaginaire, son rêve c’est de rester toute la journée avec maman. Alors que dit maman, elle ? Elle dit : c’est le dernier. Je l’ai allaité jusqu’à deux ans et demi, et la nuit il dormait avec nous …

Donc jusqu’à l’âge de 3 ans cet enfant a été en contact étroit avec le corps de sa mère. Moi je comprends qu’il n’ait pas envie de le quitter pour aller à l’école, se frotter aux petits camarades, au fait qu’il va falloir apprendre à lire et à écrire il n’en a aucune envie. Donc c’est compliqué d’intervenir habilement si je puis dire dans ces situations tellement caricaturales… Donc vous voyez bien que le corps de cet enfant évidemment il a été immédiatement érotisé. Il a tout de suite été cet enfant dans une érotisation extrême avec le corps de sa mère qui ne le lâchait pas. Et d’ailleurs c’est un enfant qui va tout le temps tripoter son corps. Il passe son temps à aller mettre ses mains dans ses seins - encore maintenant il a presque 5 ans. Il lui prend le visage pendant que je leur parlais, ça avait l’air de les intéresser beaucoup (rires)… il prenait le visage de sa mère, il le mettait en face du sien et il l’embrassait sur la bouche. Et moi je me disais voyons, voyons, comment est-ce que du symbolique va pouvoir s’introduire dans ce couple mère-fils où vraiment je suis l’enquiquineuse franchement. On est venu me voir, mais au fond personne n’a envie que les choses changent.

Alors qu’est ce qu’il dit lui pendant toute la consultation ? « Je veux partir ». Toute la consultation il a dit « je veux partir », « j’en ai assez » ; il passait son temps avec la main sur la porte. Évidemment il n’avait aucune envie d’être là non plus. De même qu’il n’a pas envie d’aller à l’école, il n’a pas envie d’aller voir quelqu’un. Parce que évidemment c’est l’école qui se plaint. C’est pour ça que les enfants nous arrivent toujours, quasiment toujours, à l’âge scolaire. Parce que tous ces comportements familiaux, tant que ça reste dans la famille, ça ne gêne personne, tout le monde en profite. C’est lorsque l’école arrive, alors à l’école c’est du symbolique quand même, donc lorsque l’école arrive, l’école dit : « ah ben là ça ne va plus ». Et donc les familles consultent, mais avec une envie de consulter modérée. Habituellement.

Donc alors, à tout seigneur tout honneur, vous avez du en entendre parler dix mille fois et vous l’avez probablement lu, la première psychanalyse d’enfant c’est Freud et le petit Hans, et quant à Lacan il a très peu écrit sur la psychanalyse d’enfants. Il a de nombreux d’élèves qui ont écrit : Dolto, Mannoni, etc., mais lui-même il a écrit très peu de choses. Donc finalement on se débrouille.

Alors première analyse d’enfant : une phobie chez un petit enfant de 5 ans qui a permis à Freud de donner les grandes lignes du traitement au père de cet enfant puisque vous savez que Freud n’a vu cet enfant qu’une fois. Il voyait son père qui toutes les semaines venait lui apporter ce qu’il appelait les aveux de son fils. Les aveux. C’est un terme particulier quand même. Et ces aveux confortèrent Freud dans l’importance de la sexualité infantile. Ce qu’il appelle : ces impulsions sexuelles et ces formations édifiées par le désir que nous « défouissons » chez l’adulte avec tant de peine de leurs propres décombres. C’est pour ça que je vous disais tout à l’heure que les psychanalystes d’adultes feraient bien de voir quelques enfants en analyse de temps en temps ; ça leur permettrait de « défouir » le désir dans les décombres.

Donc vie sexuelle de l’enfant sur laquelle on ferme d’ordinaire adroitement les yeux ou que l’on nie de propos délibéré, dit Freud. Cette sexualité infantile est visible dans les symptômes et aussi dans les comportements normaux de l’enfant, et également ce réel du corps, ce dont je vous parlais tout à l’heure, cette primauté du corps, de la jouissance et de l’hyperactivité. Dans des symptômes qui sont en effet l’hyperactivité, les troubles du sommeil, les énurésies, les difficultés scolaires, etc. Ou les troubles de l’alimentation aussi. Alors la curiosité sexuelle de Hans autour de son fait-pipi fait de lui, comme le dit Freud, un investigateur. Elle le rend apte à de véritables connaissances abstraites, dit Freud, qui déjà lie la curiosité sexuelle à la curiosité intellectuelle. Autrement dit, pour désirer plus tard, pour avoir envie d’apprendre, pour vouloir savoir, il faut avoir été curieux des choses sexuelles quand on est petit. C’est ce que Freud a appelé- vous avez dû en entendre parler aussi- les théories sexuelles infantiles. Ces fameuses théories sexuelles infantiles, l’invention, la curiosité intellectuelle sont indispensables à la connaissance du monde. On sait bien que les enfants qui n’ont pas de théories sexuelles infantiles, les autistes par exemple, ils ne veulent rien connaître du monde. C’est-à-dire que pour avoir envie de savoir comment le monde marche, il faut se laisser aller à ces théories sexuelles infantiles.

Donc Hans a confirmé les théories de Freud sur la névrose infantile, le complexe d’Oedipe et les questions sur la différence des sexes. Alors ces questions ce sont toujours les mêmes du temps de Freud et maintenant : d’où viennent les enfants, d’où est-ce que je viens ? Qu’est-ce qui se passe entre un homme et une femme ? Très tôt les enfants se posent ces questions. Freud appelle Hans « notre jeune libertin ».

Est-ce que la sexualité est aussi importante que du temps de Freud où elle était très refoulée? Parce que maintenant c’est vrai que la sexualité elle est partout. Il y a des images absolument partout, les enfants peuvent voir le corps d’une femme ou d’un homme assez vite par exemple. Mais il n’empêche que ces théories sexuelles infantiles on les retrouve bien évidemment parce que c’est quelque chose qui ensuite va s’articuler au fantasme, et on les retrouve… je vous donne deux exemples.

Une petite fille de 2 ans et demi qui dit « j’ai grande moi ! Je voudrais être un garçon, je voudrais avoir un pistolet. » C’est d’un classique …

Un autre que j’ai en cure ; un petit coquin. Alors lui il a 7 ans et demi, il est en CE1 et depuis 6 mois il a des phobies. Une phobie à la limite de la phobie scolaire. Lui aussi il ne peut plus quitter la maison sans pleurer, il faut que sa mère l’accompagne partout ; il ne peut plus aller à la cantine, il vient déjeuner avec maman ; il ne peut plus aller à la piscine et je ne sais plus trop bien ce qu’il faisait comme autre activité, il ne veut plus y aller et il reste avec maman. Donc 4 mois de thérapie, on discute, on parle, il parle bien comme souvent les enfants phobiques d’ailleurs et un jour, il arrive et il me dit : « j’ai réussi à enlever le bout de scotch avec maman. J’en ai marre de la coller. Maintenant je préfère être avec mes copains. » Donc comme il faisait de l’humour avec son bout de scotch, moi je fais de l’humour aussi et je lui dis : « ben dis donc il y en a un qui doit être content c’est ton père ! » Un peu cash quand même … mais en même temps quand on lit l’histoire du petit Hans on comprend que la phobie c’est d’abord sexuel, donc bon, je ne risquais pas grand-chose … alors, est-ce que c’est une interprétation de ma part ? Est-ce que c’est une suggestion ? Est-ce que c’est une invention ? Est-ce que c’est les trois à la fois ?... Bref en tout cas c’est vrai que quand il m’a parlé du bout de scotch enlevé je lui dis donc « il y en a un qui doit être content de retrouver sa femme -je lui dis de retrouver sa femme- c’est ton père. » ….

Alors il est vrai que moi je me suis beaucoup interrogée sur mon intervention, je me suis dit : si tu n’avais rien dit, est-ce qu’il aurait quand même sorti tout ce sexuel ou pas…je ne sais pas. C’est toujours compliqué de savoir à quel moment intervenir, de quelle manière, sans que ce soit de la provocation, ou qu’il n’y ait pas de violence. En tout cas là je dois dire que, que ce soit de la suggestion ou de l’invention ou de l’interprétation, ça a mobilisé la famille pendant tout un temps, toute une semaine en mettant le savoir sexuel sur le devant de la scène et en faisant complétement tomber les symptômes phobiques. C’est-à-dire que maintenant il revient à la cantine, il revient à la piscine, il va à l’école… terminée la phobie. 

Voilà donc, je ne sais pas si le sexuel a changé depuis Freud, ou l’importance du sexuel, je ne sais pas, je trouve qu’assez souvent je me trouve devant des enfants qui ont des problématiques où le sexuel est vraiment plus que présent.

Alors se profile dans le texte de Hans la question de séduction traumatique de l’enfant par l’adulte qui a interrogé Freud dans sa clinique avec l’hystérie et à laquelle il a renoncé pour mettre en place le fantasme inconscient de l’enfant à partir du rêve et de la réalisation hallucinatoire du désir dont le modèle est la succion. C'est-à-dire que Freud dit que lorsque l’enfant tète le sein de la mère et lorsque le sein de la mère n’est plus là, il l’hallucine. Il le rêve. Et il dit que c’est le début de la pensée. Cette hallucination à partir du sein qui manque, autrement dit c’est ce qui manque qui oblige l’enfant à se représenter ou à désirer, on peut le dire comme on veut. Ce que Lacan va reprendre tout le temps. Chez Lacan, le manque, il est omniprésent. Mais chez Freud c’était déjà là puisque c’est ce qui manque qui va faire que l’enfant va penser et désirer.

Alors ces hypothèses sur la sexualité infantile étaient choquantes, révolutionnaires à l’époque, en rupture avec l’opinion où l’enfant était toujours une victime innocente livrée à l’adulte. Le refoulement est social, individuel, est-ce que c’est toujours le cas aujourd’hui ? Est-ce que la sexualité infantile est toujours refoulée ? Est-ce qu’elle est déniée ? Qu’est-ce qu’on en voit actuellement ? Je vous disais que moi je ne vois pas - enfin je ne vivais pas du temps de Freud- mais je ne vois pas tellement de différence ; je trouve que la sexualité chez l’enfant est très présente et se manifeste souvent dès la première fois.

Alors ces théories sexuelles infantiles, appelées TSI, rendent compte d’un savoir de l’enfant instauré par le fonctionnement des pulsions, autrement dit ces TSI elles prennent leurs racines dans le corps, dans le pulsionnel, et elles s’articulent ensuite à une théorie que se fabrique l’enfant et que l’enfant va mettre en mots. Donc dans ces théories sexuelles ce qui est important c’est de considérer qu'elles plongent leurs racines dans le pulsionnel, dans le corps, et qu’elles vont s’articuler à une théorie de l’enfant que l’enfant va mettre en mots. Et c’est ce qui fait de nous, de chacun de nous, des chercheurs. C’est ça qui nous mène, c’est notre théorie sexuelle infantile qui continue à nous mener jusqu’à notre dernier souffle, cette curiosité qui fait qu’on a envie de savoir, qu’on a envie d’apprendre, le contraire de la méconnaissance de ce que Lacan appellera « la passion de l’ignorance » parce que c’est vrai qu’il y a des enfants qui n’osent pas savoir. Mais chez les bons petits névrosés comme nous, nous nous sommes des chercheurs pour la vie, toujours à la recherche de l’énigme de l’acte qui nous a mis au mot. Qu’est-ce qui fait qu’on est là ? Qui a voulu que chacun de nous soit là, quel est l’acte qui a présidé à notre naissance. Autrement dit qu’est-ce qui a manqué à nos parents pour qu’ils aient envie d’avoir un enfant. Au fond, pourquoi ils ne se suffisaient pas l’un l’autre ? Qu’est-ce qui leur a manqué pour avoir envie qu’un enfant naisse d’eux ? Et qu’est-ce qui nous a manqué à nous pour qu’ils aient envie de nous faire un frère ou une sœur ? Ça, c’est la question que se posent tous les enfants qui viennent d’avoir un petit frère ou une petite sœur … s’ils ont eu envie d’avoir un autre enfant, c’est que moi je ne suffisais pas. Je ne leur suffisais pas. Alors qu’est-ce qui me manque puisque je ne leur suffis pas ? On trimballe ces questions, si je puis dire, toute notre vie. Et dans toutes les occurrences de notre vie,  professionnelle, familiale… Donc ces questions -évidemment elles ne prennent plus cette forme- mais c’est toujours « qu’est ce qu’il a de plus que moi celui-là ? », enfin toutes les jalousies ordinaires, et pourquoi je ne suis pas à la première place et pourquoi je ne suis pas le premier, etc. Donc, toutes ces questions, les théories sexuelles abordent toujours la question du manque et du désir, le savoir du corps articulé à la question sexuelle et au fantasme.

Donc j’ai beaucoup insisté sur le corps, dans la psychanalyse de l’enfant parce qu’à mon avis c’est vraiment, c’est quelque chose d’aveuglant et on ne peut pas faire de psychanalyse d’enfant si on ne s’intéresse pas au corps. De toute façon on ne peut pas faire autrement : il est là, il nous déborde, il nous aveugle. Alors évidemment, les enfants on ne va pas les allonger trois fois par semaine, c’est bien évident. Encore qu’il y a des gamins qui se mettent spontanément sur le divan. J’en ai beaucoup ! Ils disent « est-ce que j’enlève mes chaussures ? » - enfin pas tous, mais certains demandent s’ils enlèvent leurs chaussures et ils se mettent à discuter allongés. Enfin on ne les voit pas trois fois par semaine allongés… c’est ce qui fait dire à certains que la psychanalyse pour enfants ce n’est pas vraiment de la psychanalyse, que c’est une thérapie. Quelques fois en effet c’est ce qu’on arrive à faire et c’est déjà pas mal si je puis dire.

Donc, on peut dire aussi que la psychanalyse d’enfants dans l’histoire est apparue plus tardivement que la psychanalyse des adultes, pas pour Freud, mais elle est apparue surtout avec les élèves de Freud : Mélanie Klein, Anna Freud, Dolto, Mannoni. Cette psychanalyse d’enfants, il y a un autre écueil qui est toujours important : elle a toujours été et elle est toujours tiraillée entre l’éducatif et le psychanalytique. Elle est toujours tiraillée entre le temps de la psychanalyse et le temps du scolaire, prise dans les demandes normatives des parents. Les parents arrivent et disent : « il ne travaille pas bien en classe, débrouillez-vous pour qu’il travaille bien » ; « il fait pipi au lit, débrouillez-vous pour qu’il s’arrête ; il vient nous rejoindre toutes les nuits dans notre lit, débrouillez-vous… donc voilà on est là toujours devant les demandes normatives des parents qui n’ont la plupart du temps rien à voir avec la demande de l’enfant qui lui n’en a pas. Comme je vous le disais tout à l’heure pour notre petit bonhomme, il n’a aucune envie de quitter le corps de sa mère lui. Aucune envie. Aucune envie d’aller à l’école et comment lui donner envie de rentrer dans les contraintes scolaires ? Ce qu’il va lâcher du corps de sa mère c’est tellement plus important et précieux pour lui que les contraintes scolaires, que évidemment on comprend qu’il s’accroche à son imaginaire. Donc en psychanalyse d’enfants ça, ça fait partie aussi des choses très compliquées, c'est-à-dire la demande des parents n’est pas du tout celle de l’enfant qui lui n’a aucune demande. Comme je vous le disais tout à l’heure, l’enfant que j’ai vu tout à l’heure il n’avait qu’une idée c’était partir. Il n’avait aucune envie d’être là. Aucune. C’est même rare que des enfants vous disent « Ah moi je veux absolument revenir ! ». C’est rare. Il faut les apprivoiser, les amadouer, leur dire qu’ils ne sont pas là pour perdre… on ne le leur dit pas comme ça d’ailleurs, mais en tout cas on leur dit qu’on va les revoir, qu’on va faire connaissance… Les enfants n’ont aucune envie de consulter. Aucune envie. Comme le disait Jean Bergès, l’enfant est le maître de la jouissance.

Dans la famille, c’est l’enfant qui est le maître de la jouissance. C’est lui qui fait tourner toute la famille en bourrique. Comme cet enfant qui fait que la mère tous les matins est en retard à son travail par exemple. Évidemment, c’est à son insu, mais il s’organise pour que toute la famille tourne autour de son symptôme. Lacan disait : « la jouissance ça va de la chatouille à la grillade », c'est-à-dire c’est quelque chose qui fait plaisir mais de temps en temps ça peut être aussi extrêmement violent.

Alors pour vous montrer à quel point les enfants n’ont pas envie de consulter, à quel point ils sont toujours dans une non-demande, j’ai toujours deux exemples parce qu’ils sont tellement beaux.

Il y a en a un qui est l’exemple d’un enfant qui vient parce qu’il est agité. Il rentre dans la pièce et il me dit : « touche pas à mon agitation, hein ! » J’étais prévenue avant même qu’il se soit installé, il m’avait déjà dit que je n’avais pas intérêt à toucher à son agitation. Et un autre qui était amené par ses parents parce qu’il fallait continuer à lui mettre des couches, parce que sinon à l’école il faisait caca dans sa culotte, etc. Lui aussi il arrive et il me dit : « et qu’on ne parle de caca ici ! » alors que les parents étaient là exactement pour ça. Donc c’est vous dire à quel point les enfants n’ont aucune demande et le disent. Soit ils le disent aussi clairement que ce que je viens de vous dire, soit ils ne sont pas là. Donc ils ont envie d’aller aux toilettes, ils prennent le portable de maman et commencent à jouer… enfin ils ne sont jamais là, dans la pièce ils sont toujours ailleurs. Il faut qu’ils aillent boire un verre d’eau, ils ont toujours quelque chose à faire ailleurs et ils ne sont pas là physiquement. Ou bien ils sont là physiquement, mais ils font un tel tapage que c’est difficile de parler avec les parents. Donc ils ont une façon de dire qu’ils ne sont pas concernés par la demande des parents qui est souvent impressionnante. Et nous…  on se dit voyons, voyons, comment on va aborder cette question avec l’école qui fait la première demande en disant que quelques fois, si ça continue cet enfant va être éjecté. Donc première demande de l’école relayée par les parents qui sont un peu inquiets et par un enfant qui n’en a rien à faire de ces demandes accumulées, mais qui lui, continue à mener sa petite vie à sa manière, c’est-à-dire que tout est possible pour lui. L’impossible est quelque chose qui n’existe pas pour les enfants. D’ailleurs vous le voyez bien quand ils jouent, ils sont donc dans un imaginaire - et le propre de l’imaginaire c’est que tout est possible. Dans l’imaginaire il n’y a pas de limite. Il n’y a pas ces contraintes symboliques qui nous empoisonnent, mais qui en même temps font qu’on peut vivre en société bien sûr. Donc pour ces enfants tout est possible et ils le démontrent et ils démontrent aussi qu’ils ne veulent pas que cet impossible du symbolique existe. Ils veulent continuer à être dans un imaginaire, une absence de limite qui en tant que telle est impossible.

Alors ce qui est compliqué c’est évidemment en psychanalyse de l’enfant, premièrement de ne pas tomber dans la demande des parents qui nous demandent toujours de les redresser, de les calmer, de les corriger, c’est ça que j’appelle les demandes normatives des parents, il faut qu’il soit correct ; et en même temps d’écouter ce que l’enfant aurait à dire ou pas à dire justement par cet impossible qu’il nous manifeste. Ce qui est compliqué aussi c’est de faire tout de suite à l’enfant, quel qu'il soit, le crédit qu’il est un sujet. C'est-à-dire qu’il a quelque chose à dire, même si ça ne passe pas encore par des mots, ou si c’est balbutiant. Cet enfant, il a quelque chose à dire. Et à partir du moment où on suppose, où on lui fait le crédit, on lui fait l’hypothèse qu’il est un sujet et qu’il va pouvoir dire quelque chose, eh bien l’enfant se met à parler. Tant qu’on les considère comme des sujets à rééduquer, à canaliser et à calmer ils n’ont rien à dire évidemment. Mais à partir du moment où vous leur laissez un espace où la parole va pouvoir advenir, sous n’importe quelle forme si je puis dire, cet espace là ils vont s’en servir. Ça suppose d’avoir mis les parents dans une autre pièce ou de leur avoir dit d’aller boire un café à l’extérieur, c’est encore mieux. Ce n’est pas pour supprimer les parents, mais quand les parents sont au café en face, plutôt que dans la pièce d’à côté, la thérapie pour l’enfant se déroule de façon beaucoup plus libre. Parce que les enfants ont toujours l’impression qu’on les écoute, qu’on les regarde, qu’on les surveille. Donc les parents sont au café, et à ce moment-là l’enfant peut commencer à dire ce qu’il a à dire. Ce qui est important aussi - enfin là je reviens un peu en arrière - ce qui est important c’est de pouvoir écouter dans le discours des parents à quelle place ils ont mis cet enfant. Autrement dit, est-ce qu’il est inscrit cet enfant dans la famille, dans la généalogie ? Ou est-ce qu’il se promène comme ça, est-ce qu’il erre, sans place pour lui. Autrement dit, avant même qu’il soit né, puisque c’est comme ça que ça se passe, avant même qu’il soit né, les enfants ont une place. Avant même que les parents aient envie d’avoir un enfant. Toutes les petites filles rêvent d’avoir un bébé plus tard, elles savent déjà comment elles vont l’appeler. Cet enfant il est déjà là. Et cet enfant donc, il est important de savoir si oui ou non il a une place… il y a peu de gens qui m’avaient écoutée l’année dernière… je vous cite un exemple parce qu’il est très beau je trouve. L’exemple d’une mère qui amenait sa fille du milieu- enfin il y avait une fille aînée, un garçon et la fille du milieu- et elle me dit pour expliquer les difficultés de cette fille, « vous comprenez » (elle devait avoir 8 ans cette petite fille) « vous comprenez, c’est compliqué pour elle : entre la reine du bal -qui est sa sœur aînée, et le roi du pétrole -qui est le garçon de 4 ans- elle… »  et là, la mère, impossible de trouver des mots pour qualifier cette fille du milieu. Il y avait la reine du bal, il y avait le roi du pétrole, et au milieu il n’y avait rien. Il y avait un blanc. Et la mère s’est surprise, c’était intéressant parce qu’elle s’est rendue compte qu’elle n’avait pas de mots pour parler de cette fille. Donc, c’est bien, parce que évidemment, on peut reprendre les choses après.

Alors actuellement, dans notre contexte socio culturel européen, influencé par les États-Unis, est-ce que la psychanalyse de l’enfant est toujours possible ? Ça, c’est une question.

Dans la folie - comment est-ce qu’on appelle ça… la folie des mesures actuelle, il faut tout mesurer, dans l’exigence de transparence actuelle il faut tout savoir, tout mesurer, les enfants ont des carnets pour tout… Il faut faire des tests, il faut faire des bilans… donc est-ce que la psychanalyse de l’enfant a encore une place dans cette donne politico sociale qui provoque des réponses de plus en plus médicales ? Donc les enfants sont handicapés maintenant, quand ils ne savent pas lire… Les enfants qui ont du mal à lire et à écrire il faut qu’ils aillent à la maison département des personnes handicapées, la MDPH, avec tous les bilans et ils reçoivent un tampon : handicapé. Les enfants turbulents, j’utilise le terme de turbulent, mais maintenant le terme c’est TDAH, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ça, c’est la dernière mouture. Donc on est passé de l’enfant turbulent de Wallon, qui était un enfant normal, Wallon disait : un enfant turbulent, c’est un garçon. Voilà, c’était la définition de l’enfant turbulent. C’est un garçon qui s’agite et ça s’arrêtera à l’adolescence. Ça n’est pas une maladie puisque ça s’arrête à l’adolescence. Donc là on est passé de l’enfant turbulent à l’enfant hyper kynétique puis au TADA, ça c’était les troubles de l’hyperactivité avec déficit de l’attention, et maintenant au TDAH, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. C'est-à-dire que maintenant ce n’est même plus la peine d’être agité pour être un TDAH. Le problème étant que à partir du moment où vous êtes diagnostiqué TDAH, eh bien on vous donne de la ritaline. Voilà. Alors les enfants qui ne travaillent pas bien en classe sont devenus des handicapés et les enfants agités sont devenus des enfants à médiquer avec de la ritaline. En France, 3 à 5% des enfants, actuellement, ont de la ritaline. Pas parce qu’ils sont agités ! Parce qu’ils ne travaillent pas bien en classe, parce qu’ils sont déprimés, parce qu’ils sont inhibés, enfin c’est un fourre-tout incroyable, toutes les difficultés des enfants sont sous ce vocable TDAH et je peux vous dire qu’il y a des filières qu’il faut absolument éviter dans Paris quand on est un enfant… alors là aussi ce sont les écoles qui les diagnostiquent. La maîtresse dit « celui-là c’est un agité », donc ce sont les maîtresses qui envoient dans les filières où au bout du compte il y aura de la ritaline et les parents souvent sont bien démunis, et nous n’en parlons pas. C’est-à-dire comment faire entendre à ces familles que l’enfant qui s’agite, qui n’écoute rien en classe, qui est toujours sur un pied en train de regarder par la fenêtre et de distraire ses petits camarades, il faut écouter ce qu’il a à dire au lieu de lui donner une pilule tous les jours. C’est très compliqué. D’autant que la Haute Autorité de Santé a donné des directives de bonnes conduites à tenir. Alors les bonnes conduites, c’est qu’en effet, à partir du moment où on est diagnostiqué TDAH, on a de la Ritaline. Ritaline qui a quand même des inconvénients, c’est-à-dire que ça donne des troubles digestifs, des troubles cardiaques. Il y a une courbe de croissance qui ne se fait pas normalement, sans parler de l’addiction dont on ne sait pas si oui ou non il va y en avoir. Donc c’est compliqué de faire de la psychanalyse comme je vous le disais quand l’enfant arrive de certaines filières.

Marika Bergès Bounes

Notes