EPhEP, le 6/10/2016
Nous nous revoyons aujourd’hui pour parler de l’enfant et des apprentissages scolaires.
Madame BOUNES expose deux cas cliniques montrant comment des enfants refusent les apprentissages de l’école, ces enfants exprimant clairement leur souffrance d’être séparés de leur mère et de la maison.
A contrario, Philippe Sollers, dans Mémoire, un vrai roman : « on est à la campagne, c’est l’été j’ai cinq ans. Ma mère est à côté de moi et me demande de déchiffrer et d’articuler une ligne du livre pour enfant. Le b.a.ba quoi. Il y a les lettres, les consonnes, les voyelles, la bouche, la respiration, la langue, les dents, la voix. » (Vous notez, hein, toute la sphère orale) « Comment ça s’enchaîne, voilà le problème. Et puis ça se produit ; c’est le déclic; ça s’ouvre, ça se déroule. Je passe comme si je traversais un fleuve à pieds, me voici de l’autre côté du mur du son, sur la rive opposée, à l’air libre. Et j’entends ma mère dire ces mots magiques « Eh bien, tu sais lire ! » là je me lève, je cours ou plutôt je vole. Je cours comme un fou. J’entre dans la forêt, n’arrêtant pas de me répéter « je sais lire, je sais lire ». Ivresse totale ; je sais lire, autrement dit : Sésame ouvre toi. Et la caverne aux trésors s’ouvre je viens de m’emparer de l’arme absolue. »
Alors lui, c’est l’inverse. C’est-à-dire qu’il a sauté à pieds joints dans la lecture avec le plaisir qu’on sait et il continue à écrire.
Alors je pense souvent à Sollers quand je vois des enfants qui justement ne veulent pas que la caverne aux trésors s’ouvre.
Pourquoi est-ce qu’ils refusent ce moment de complétude absolue, ce moment de plaisir où en effet ils s’emparent de la lecture, l’arme absolue comme il le dit ? Ce moment où, à l’entrée au CP, les enfants commencent à combiner les lettres pour en faire des mots puis des phrases et où ils entrent dans la lecture. Et le moment où ils vont lire leur premier livre.
Donc tout ça habituellement, ça passe inaperçu .Les parents s’en réjouissent, quelques fois s’en étonnent. Mais la plupart d’entre nous avons appris à lire, peut-être pas comme Sollers, parce qu’il a une façon de dire les choses un peu grandiloquente, mais en tout cas, en principe apprendre à lire ne pose pas de problème. Sauf pour certains enfants qu’on voit et qui sont nombreux et qu’on voit arriver dans ce qu’on appelle maintenant les Centres de référence du langage oral et écrit, qui sont des lieux dans les hôpitaux où arrivent les enfants en panne dans les apprentissages.
Alors en effet, qu’est-ce qu’apprendre pour un enfant, qu’est-ce qui est un jeu dans l’inscription scolaire de l’enfant dans la transmission par un enseignant ? Transmission vers un patrimoine accessible à tous puisqu’en effet, on rentre dans une langue qui ensuite va permettre ce qu’on appelle l’insertion professionnelle.
On sait bien comment les enfants qui n’apprennent pas à lire et à écrire – et c’est pour ça que c’est tellement important de les aider précocement – on sait bien comment ces enfants qui n’apprennent pas à lire ou à écrire, ou bien les « décrocheurs », ensuite, vers 15 ou 16 ans, vont se trouver rapidement marginalisés et vont avoir toutes les peines du monde à rentrer dans la vie professionnelle.
Donc cette transmission vers un patrimoine accessible à tous est une filiation au travers des lois de la parole et du langage. Apprendre, c’est s’inscrire dans une transmission, dans une histoire.
Avant d’apprendre à lire et à écrire, évidemment, l’enfant va parler. Il ne va pas apprendre à parler. Les enfants n’apprennent pas à parler, ce n’est pas un apprentissage. L’enfant est parlé avant sa naissance ; on parle de lui. Les petites filles, elles parlent déjà du bébé qu’elles auront plus tard. Donc l’enfant, il a déjà une place très, très tôt. La petite fille de trois ans qui parle de ses bébés , elle a déjà fait une place dans son histoire pour les enfants qui vont arriver ; donc l’enfant est parlé avant sa naissance, rêvé, espéré, nommé, nommé par les parents bien avant la conception. Donc il existe déjà et dès qu’il arrive il baigne tout de suite dans le langage qui circule autour de lui, langage qu’il va devoir s’accaparer. Il va falloir qu’il s’accapare le langage mais ce n’est pas un apprentissage.
Les enfants n’apprennent pas à parler. Ils apprennent à parler avec une orthophoniste quand il y a des difficultés justement de langage, dans ce qu’on appelle les retards de langage.
Donc, l’enfant va s’approprier les signifiants de l’entourage qui s’adresse à lui et qui parle autour de lui dans une langue qui a ses lois et ses codes.
Donc l’enfant ne peut pas parler n’importe comment.
Si jusqu’à trois ans à peu près on accepte ce qu’on appelle le langage bébé, (j’ai bobo ), à l’entrée à l’école, la langue va devenir la langue qu’il faut parler donc qui a ses lois, ses codes et petit à petit, l’enfant va les accepter. C’est ça, pourrait-on dire, l’apprentissage du langage s’il y en avait un : c’est l’acceptation des lois et des codes du langage.
Habituellement, les enfants entrent dans le langage avec plaisir. Ca leur fait plaisir qu’on les comprenne et ça leur fait plaisir de s’adresser. On voit bien comment les petits enfants sont très familiers, parlent facilement avec des gens qu’ils ne connaissent même pas.
Ce désir d’apprendre, de rentrer dans les codes, le plaisir à savoir, cela semble être précisément ce qui manque aux enfants qui ensuite auront du mal à entrer dans la lecture et dans l’écriture.
Cette curiosité, , ce désir de savoir il est en prise avec ce que Freud appelait les théories sexuelles infantiles. Cette curiosité, elle a sa source dans le désir que l’enfant a de savoir d’où il vient. Donc, elle est en lien avec la question des origines : d’où je viens, pourquoi je suis là, comment j’ai été fait, d’où je sors ; d’où viennent les bébés, toutes questions que habituellement, les enfants se posent autour de deux, trois, quatre ans. Donc ça, c’est la question autour des origines ; et ensuite vers cinq, six ans viennent, liées à la question des origines, les questions autour de la mort : et pourquoi on meurt, et pourquoi on n’est pas immortel. Et vous vous doutez bien que ces questions sont liées, c’est-à-dire que la question de la vie et de la mort, qui sont des questions essentielles pour tous, les enfants les posent très tôt, mus par ce désir de savoir, par cette recherche.
J’évoquais une fois précédente, « le petit Hans », qui passait son temps à poser des questions et que Freud appelait le jeune investigateur. Donc pourquoi est-ce que je ré-insiste sur ces TSI ? Parce ce qu’on va voir chez les enfants qui ont du mal à entrer dans la lecture et dans l’écriture c’est que justement ils ne veulent pas savoir. C’est-à-dire contrairement à l’enfant lambda qui pose des questions tout le temps - vous savez, l’âge des pourquoi : trois ans - ces enfants qui vont devenir des non lecteurs, ou des mauvais lecteurs, eh bien justement, ils n’ont posé aucune question et ça, c’est une chose qui revient tout le temps dans le discours des parents : il n’est pas curieux, il ne veut pas savoir ; alors évidemment quand on ne veut pas savoir comment on fait les bébés, pourquoi on est là, comment les parents ont eu envie d’avoir des enfants, eh bien le moment venu, on n’a aucune envie d’entrer dans les codes arbitraires de l’écriture et de la lecture. Donc ça c’est un premier point, qu’on retrouve toujours dans la clinique. Pas de plaisir à être curieux et aucun désir de savoir.
Qu’est-ce qu’on retrouve aussi chez ces enfants en panne de lecture et écriture, et ça, cela va être aussi tellement systématique que cela en est pathétique si je puis dire : c’est la difficulté de ces enfants a quitter la planète mère, à quitter la maison et à accepter un autre lieu que la maison qui s‘appelle l’école. Ca, c’est le deuxième point.
Cette difficulté à quitter habituellement la mère et plus largement la maison va de pair avec celle d’investir la maîtresse. Donc je ne veux pas quitter maman et je n’aime pas la maîtresse. J’ai vu des ribambelles de ces enfants en panne avec la lecture qui disaient ne pas aimer la maîtresse car « elle crie, elle me gronde ,elle a des chouchous, elle est moche, je la déteste ». Ce sont des enfants qui ne peuvent pas lâcher, être infidèles à la mère en quelque manière pour aimer une autre figure qu’elle. Et naturellement tout ce que cette maîtresse va véhiculer de savoir, ils n’en veulent rien savoir. Ils vous le disent d’ailleurs : je n’écoute pas en classe, je n’écoute pas la maîtresse…. Ils font de la figuration à l’école mais ils n’écoutent rien et pire ils ne veulent rien en savoir ; c’est-à-dire que ce n’est pas seulement une position passive, » je laisse passer le temps », c’est une position active d’opposition : je ne veux pas savoir.
Habituellement, ces difficultés scolaires on les repère surtout au moment du CP. Il faut ire que ce CP, c’est une véritable révolution pour les enfants ; c’est un véritable rouleau compresseur ; plus de doudou à l’école, plus de « totote », plus de maman ou de papa qui va les accompagner jusqu’à la classe. On laisse les enfants à la porte et on les récupère à la porte ; c’est-à-dire que là, la séparation d’avec la maison, elle est radicale.
Et pour certains enfants c’est une désolation. Plus de coloriage, plus de jeux, le CP c’est pur et dur. On va écrire.
On va écrire des lettres qui n’ont pas de sens, dont il faut apprendre la forme, qui portent un nom. Le A ça se fait comme ça et pas autrement ; donc pour certains enfants, cette imposition d’un code est insupportable. En tout cas, ça ne les intéresse pas ; ils ne veulent rien en savoir. Idem pour la lecture.
Donc on voit arriver des stratégies de résistance qui s’apparentent à des positions phobiques : ils ne veulent pas quitter la maison...
A l’aide d’un cas clinique, Madame Bergès Bounès montre qu cette phobie peut entraîner la peur des lettres qui deviennent des monstres. : le T par exemple, un monstre à la tête toute plate avec des yeux au bout comme un requin marteau … certains enfants veulent inventer leurs propres lettres sans passer par le code en vigueur. Ce sont donc des enfants difficiles à remettre sir les rails.
Je vous parle là d’enfants qui n’ont aucune difficulté spécifique. C’est-à-dire que ce sont des enfants comme vous et moi, qui n’ont aucune difficulté visuelle, aucune difficulté à prononcer. Les orthophonistes s’occupent d’enfants qui ont des difficultés à prononcer, à associer. Là, ce n’est pas du tout ça.
Ce sont des enfants intelligents qui ont décidé de ne pas rentrer dans le code.
Le problème, c’est que ces enfants qui ont des difficultés à lire, s’emparent rapidement de cette étiquette dyslexique pour expliquer qu’en effet ils sont en panne. Ils ont cette étiquette et je peux vous assurer que cette étiquette elle est difficile à faire bouger, car la dyslexie est comprise comme une maladie : il y a quelque chose dans leur cerveau qui ne marche pas comme les autres et donc il faut les aider de toutes sortes de manières.
Ce sont des enfants quine veulent pas savoir Ils ne sont pas curieux. Non seulement ils ne s’emparent pas du savoir mais ils laissent le savoir à l’autre, la plupart du temps à la mère. Et ces enfants ont toujours le même discours quand vous les voyez la première fois. Vous leur dites : « tu viens me voir pour quoi ?», C’est toujours la même réponse : « je ne sais pas, c’est ma mère qui sait », sous-entendu « moi, je ne suis pas concerné par ce qui se passe ». Donc ce sont des enfants qui sont psychiquement immobiles.
C’es ce que Lacan appelait la passion de l’ignorance. L’ignorance, c’est une passion à laquelle on est tous assujettis. Il y a des choses, c’est même le propre de la névrose, il y a des choses qu’on ne veut pas savoir. Si vous réfléchissez, vous allez savoir très vite ce que vous ne voulez pas savoir chacun de vous. On a tous nos points aveugles auxquels on tient. Et c’est ce que la psychanalyse d’ailleurs va permettre de venir débusquer.
Il ne faut pas avoir trop de vrais non lecteurs en thérapie parce que c’est assez éprouvant. Ce sont des enfants qui ne peuvent pas faire un transfert à la maîtresse parce qu’ils protègent ce qui se passe avec maman, de même ils ne peuvent pas faire un transfert avec un psychanalyste pour la même raison.
Ce qui nous avait intéressés quand on a vu arriver ces enfants non-lecteurs à Sainte-Anne, où j’ai longtemps travaillé, c’est qu’il y avait une différence considérable entre les garçons et les filles. C’est-à-dire qu’il y avait neuf garçons en panne scolaire pour une fille, ce qui est énorme. Les filles étaient beaucoup plus préservées et lorsqu’elles avaient des difficultés à apprendre à lire, à condition de mettre en place des aides très précocément pour elles, la lecture venait assez vite. Les non lectrices sont vraiment rarissimes.
Les filles, elles arrivent à entrer dans la lecture avec les thérapies, l’orthophonie etc. Les garçons non, ils continuent à résister et à se mettre en échec..
Pourquoi est-ce que les filles n’ont pas cette panne ? Cela nous a intrigués. On s’est aperçu que les petites filles, très vite, sont dans un plaisir à savoir. Elles sont facilement curieuses.
Elles posent des questions, le sexuel, pour parler des théories sexuelles infantiles, ça les intéresse très vite. Très vite, elles vont avoir des bébés. Elles ont pas de zizi d’accord, mais elles auront des bébés : elles font la substitution classique. Et puis très vite, elles sont dans une identification à la mère. Elles veulent devenir comme la maman et elles ne restent pas l’objet de la mère, comme les garçons qui restent complètement l’objet de la mère.
Très important : ces enfants qui ne veulent pas savoir ne veulent pas savoir parce qu’ils veulent rester l’objet de la mère. Ils ne veulent pas sortir de cette aliénation initiale et souvent, ce sont des enfants qui vous disent « je ne veux pas lire parce que je ne veux pas grandir, je ne veux pas grandir parce que je ne veux pas mourir.
En effet, six ans, c’est aussi le moment où les enfants comprennent que tout le monde va mourir et où ils cherchent des moyens pour rester immortels et pour rendre leurs parents immortels. Donc souvent lire équivaudrait à mourir et à faire mourir les parents. Vous comprenez que c’est drôlement dangereux. Alors ça, pour que les enfants arrivent à vous sortir cette équation, il faut des mois et des années de thérapie. Ils ne vous sortent pas ça la première fois, c’est rare.