Du 04 novembre 2013
… Je me suis posé beaucoup de questions au sujet de l’enseignement de ce soir. Si je savais parfaitement ce que je voulais vous dire, le titre me posait question. J’ai repris un travail auquel j’avais participé, un travail de Vassilis Kapsembélis. Vassilis Kapsembélis, c’est le médecin directeur du 13ème arrondissement. ...
Ça doit dater de quatre ou cinq ans, je ne sais plus exactement à partir de quand il y a eu ces lignes qui se sont mélangées entre le travail du psychiatre, le travail du psychologue, les psychothérapies, alors qu’il y a quelques années, c’était relativement séparé. Le psychiatre était un médecin, c’est lui qui prescrivait et c’est lui qui aussi lorsqu’il était dans le public ou même ailleurs, rédigeait les certificats d’internement et gérait les hospitalisations sous contrainte. Sinon il y avait des psychologues, des psychothérapeutes qui étaient installés, ou qui travaillaient dans les institutions. Mais dans les institutions, ils travaillaient généralement quand même sous une supervision du psychiatre, et les psychothérapeutes ou les psychologues en ville recevaient des patients soit adressés par leurs collègues.....et en général les psychologues en ville ne recevaient pas de psychotiques. Les psychotiques étaient un peu réservés soit aux secteurs, soit aux cliniques privées, mais c’était très séparé. Or je me suis aperçue en travaillant sur la spécificité du travail psychiatrique, que maintenant c’était aussi souvent la spécificité du travail psychothérapique...
Donc, ce que je voulais aborder avec vous ce soir, c’est la spécificité du travail avec le psychisme...
Une des particularités les plus étonnantes de la psychiatrie, c'est qu'il y a toujours eu très peu de travaux sur la spécificité de sa démarche thérapeutique..
Freud le dit et je crois qu’il rappelle que la pratique psychiatrique est peut être fondamentalement différente de toute autre pratique médicale. Qu’est ce qui sépare la pratique psychiatrique de la pratique médicale habituelle ? Dans toute pratique médicale, il y a un dispositif qui implique un dialogue à trois, le patient, son corps et le médecin. Le patient vient présenter une souffrance en rapport avec quelques parties du corps, à un appareil ou à un système qui ne semble plus effectuer l’habituel silence des organes. Le médecin dialogue avec le patient, il dialogue avec le corps, il l’examine. Il faut rappeler que devant l’examen du corps, en général le patient se tait. C’est peut être parce qu’effectivement avant on écoutait très soigneusement la respiration, ou parce qu’il pense qu’il vient de parler et à sa place c’est le corps. Il sait intuitivement que le dialogue qui commence à ce moment-là n’est plus le sien, que sa présence risque même de le gêner, que le médecin a besoin d’entendre et de voir quelque chose qui n’est pas tout à fait lui, le patient, tout en faisant partie de lui.
La spécificité du travail psychiatrique au sein des pratiques médicales consiste dans le fait que le dialogue peut difficilement être conçu dans le cas particulier de la psychiatrie, comme un dialogue à trois. L’appareil, la fonction avec lequel le médecin entre en relation est celui-là même qui est souffrant. En psychiatrie, il n’y a pas de corps, ou du moins on verra combien le corps est présent mais il est présent à travers le psychisme, et non pas séparé du psychisme.
La psychiatrie n’a eu de cesse que de chercher un moyen pour rétablir d’une façon ou d’une autre ce dialogue à trois qui lui fait défaut. On pourrait même considérer que c’est en trouvant la voie pour ce faire qu’elle a pu être fondée en tant que discipline médicale à vocation thérapeutique. C’est le sens de la révolution pinelienne, en affirmant que le fou n’est pas que fou, mais qu’il subsiste en lui une partie avec lequel le psychiatre peut dialoguer, et laquelle peut regarder avec le psychiatre, le fou en elle. Pinel jette les bases de toutes conceptions de psychothérapie au sens le plus large du terme, c.à.d. au sens de la possibilité de changer un psychisme à travers la rencontre avec un autre psychisme. Parce que c’est ça le travail. Qu’il soit qualifié de psychiatrique, de psychothérapique, c’est un psychisme qui va travailler avec un autre psychisme. Le psychiatre a à se rappeler qu’il y a quand même un corps, et d’ailleurs le patient va le lui rappeler, très souvent.
De ce progressif dépassement de la difficulté intrinsèque du travail psychiatrique, est sorti un enseignement qui apparaît comme central dans les définitions du travail psychiatrique, cet enseignement est d’autant plus important que les tendances actuelles de la formation du futur psychiatre en faisant de celle-ci une pratique médicale, en tout point semblable à celle des autres spécialités médicales, lui donne une brulante actualité. Soit on considère que la pratique psychiatrique est une pratique médicale de dialogue à trois comme les autres, et le troisième terme sera ici le cerveau, quel que soit le sens qu’on donne à ce terme. Dans ce cas on ne sait trop pourquoi il faut encore une psychiatrie. La psychiatrie a été longtemps unie à la neurologie. Le principal enseignement du progressif dégagement de la spécificité du travail psychiatrique est que face à un psychisme humain, le meilleur instrument d’évaluation et de changement est un autre psychisme humain. C’est exactement ce qui fait la spécificité du travail du psychiatre, c’est ce qui fait la spécificité du travail du psychothérapeute. Encore faut il formaliser la façon dont cet autre humain qui correspond à et ne coïncide probablement pas exactement avec la notion psychanalytique d’objet, devient cet instrument thérapeutique propre à la pathologie psychiatrique.
La psychiatrie n’a jamais réussi à se doter d’une théorie qui lui soit propre de cette rencontre, dont le terme générique est celui de la consultation. De cette utilisation donc d’un psychisme humain à des fins d’évaluation et de traitement d’un autre psychisme humain. Lorsqu’elle s’y ait essayé, on a parlé de psychiatrie humaniste. Angelergues a particulièrement bien développé cette problématique, en soulignant que c’est grâce à la psychanalyse, qu’une pensée du travail psychiatrique est devenu rigoureusement possible et en ajoutant que ce travail se base essentiellement sur les deux outils fondamentaux de tout travail psychique, l’investissement et l’identification.
La mise en place de la rencontre thérapeutique réside dans le fait que les professionnels du psychisme humain se proposent comme objet à investir au patient qui s’adresse à lui. La première conséquence est que la rencontre psychiatrique – c’est pareil pour le patient qui s’adresse à un psychothérapeute - doit aboutir à la mobilisation d’un investissement de la part du patient, ce qui répond à l’investissement du patient par le psychiatre. Ce point est capital. Toute la difficulté et tout l’intérêt du travail, c’est de savoir bien se situer. C’est de savoir s’engager pour son patient, mais pas non plus en faire un objet passionnel, ni trop loin ni trop près. De temps en temps il vaut mieux être un peu loin que trop près...
L’art du psychiatre consiste à bien mesurer l’économie de son offre....
Pendant très longtemps on était très assujettis à la notion de demande. On entendait dans les réunions… beaucoup en psychiatrie de l’adolescent, mais il n’a pas de demande, on ne peut rien faire, il n’y a pas de demande. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de demande qu’on ne peut rien faire, surtout quand il y a des risques de passage à l’acte importants. L’adolescent qui se cloitre au fond de chez lui, il n’a pas de demande, ça c’est sûr, sa famille peut n’en n’avoir pas tellement d’ailleurs, il n’en reste pas moins que quand on en a connaissance, il faut faire quelque chose, il faut aller le voir, il faut aller le chercher, il faut parfois aller le chercher de force. Il n’y aura pas de transfert, la famille ne sera pas très contente, et lui, de temps en temps ne sera pas très content non plus, n’empêche qu’il sera resté en vie. C’est toujours ce que je rappelle aux internes. L’essentiel si on veut avoir des parcours analytiques subtils et délicieux, c’est d’avoir gardé son malade, et d’avoir gardé son patient...
Il faut toujours se rappeler que la société à l’heure actuelle est très normative, peut être même plus qu’avant. Les familles sont normatives, quelle que soit leur origine sociologique, quelles soient de gauche, de droite, on a hospitalisé des gens près du gouvernement, et de droite et de gauche, je les ai toujours trouvé aussi normatifs les uns que les autres, personne ne m’a déclaré il faut que ma femme puisse s’exprimer. Donc on fait attention effectivement à protéger son patient, à le maintenir en vie et le maintenir en vie ça veut dire le maintenir dans une vie sociale et familiale.
Les caractéristiques du travail psychiatrique, c’est certainement l’évaluation comme on vient d’en parler, des enjeux de vie et de mort................