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Leçon 7

Le président Schreber I

13 juin 2017

Extrait du séminaire

Marc Darmon

Ce soir, nous allons continuer notre exploration des Cinq psychanalyses de Freud, en nous intéressant au cas du Président Schreber. Alors ce n’est pas véritablement une analyse, puisque c’est un ouvrage essentiellement que Freud a examiné, en prenant en compte de façon tout à fait remarquable et passionnante – il y a beaucoup de plaisir à se replonger dans ces écrits fondamentaux – on va parler de langue fondamentale – et des écrits essentiels qui sont inépuisables. Nous allons essayer de retrouver quelles sont les lignes de force topologiques dans ce cas.

Alors je vous propose ce soir de relire le cas de Freud, le texte de Freud d’abord, et on prendra notre temps pour examiner les mémoires du Président Schreber. Et vous savez que le séminaire de Lacan étudié l’année prochaine, ce sera justement le séminaire sur les psychoses, sur les structures freudiennes des psychoses. Donc nous aurons toute l’année pour approfondir cette étude. Le séminaire d’hiver sera consacré plus spécialement au Président Schreber. Donc Charles Melman l’a intitulé : Visite chez le Président Schreber après nos derniers travaux. Donc, nous sommes conviés à présenter nos derniers travaux sur le Président Schreber.

Et ce soir, je vais rentrer dans le sujet et vous présenter ce texte qui se compose de trois parties. Il y a une partie sur l’histoire de la maladie, une deuxième partie sur les interprétations que Freud nous propose, et une troisième partie sur la structure des paranoïas : donc, la théorie de Freud sur les paranoïas.

Le texte du Président Schreber a été proposé par Jung à Freud. Il y a des lettres de Jung à Freud où il est question du Président Schreber, et Gustav Jung propose à Freud de lire ce texte et de l’étudier.

Freud est tellement sidéré par la proximité entre sa théorie de la paranoïa et ce que propose le Président Schreber, qu’il nous dit que finalement, il se demande si sa théorie n’est pas un délire, à moins que ce ne soit la théorie du Président Schreber qui constitue une théorie valable scientifiquement. Donc il fait ce rapprochement entre les deux. Enfin, en particulier, pour ce qui le concerne, le mouvement de la libido qui, dit-il, dans le développement de la paranoïa, est retournée dans le Moi. Donc, il décrit ce retrait de la libido sur le Moi qui explique la mégalomanie, et cela recoupe tout à fait ce que nous dit le Président Schreber dans ses mémoires, où il s’agit d’une histoire personnelle entre Dieu et lui, où ses nerfs étant particulièrement excités, il y a en quelque sorte un appel par ses nerfs excités à Dieu qui l’investit de ses rayons. Donc, en quelque sorte, il risque de faire une sorte de fuite des rayons divins qui vont donc dans le Moi du Président Schreber : investir ce Moi, en risquant de léser Dieu, en quelque sorte. Il y a ce mouvement des rayons divins que Freud analyse comme une condensation des rayons du soleil, des nerfs et des spermatozoïdes.

Alors, il nous donne une conception théologique de Dieu, qu’il divise en plusieurs étages. Et ce Dieu est constitué par une infinité de nerfs. Et c’est ce qui le différencie des humains qui sont composés de corps et de nerfs. Alors Dieu investit dans ses créations, dans ses créatures, et récupère ses nerfs au moment de la mort. C’est-à-dire qu’au moment de la mort, il y a une séparation du corps et des nerfs, et ces nerfs sont récupérés par l’instance divine. Voilà le système que développe Schreber dans son délire.

Alors quand il écrit ça, il a pris une certaine distance par rapport à ce délire, c’est-à- dire qu’il ne croit plus que les personnages qui l’entourent, les médecins, les infirmiers, les gens autour de lui sont des ... on a traduit ça par des hommes à la six-quatre-deux. À un moment de son délire, Schreber est le seul humain. C’est-à-dire qu’il y a un effondrement  à un moment, à une acmé de son délire, il y a un effondrement du monde, une catastrophe où il n’y a plus que Schreber. Et c’est un moment de son délire, et ensuite une stabilisation pourrait-on dire de son délire, où il prend une distance par rapport à cette conviction, et il conçoit que les êtres humains sont des êtres humains bien qu’il y ait eu un changement fondamental dans la structure du monde.

Alors on va présenter le Président Schreber. C’est un homme de loi.  Freud parle de son père qui est un grand homme. Son père, le Docteur Schreber a créé la gymnastique médicale en Allemagne, c’est un grand hygiéniste. Et puis au moment où Freud écrit, il y a beaucoup d’écoles, de centres qui reprennent les idées du père Schreber. Il y a eu des travaux sur le père Schreber. Vous savez qu’il est l’inventeur de véritables instruments de torture pour permettre aux enfants de se tenir droits par exemple. Donc, c’est un personnage tout à fait particulier, et on pourrait dire ... enfin Freud va jusqu’à dire que, pour son fils, on pourrait dire que c’est un dieu.

Alors dans la structure de la famille, Freud accorde une certaine importance au frère du Président Schreber : enfin, il se demande si c’est un frère aîné ou si c’est un frère cadet. Il pense que c’est un frère aîné qui au moment de la mort du Président Schreber a pris la place de ce père. Le Président Schreber avait 19 ans quand son père est mort et son père avait dans les 51 ans, je crois, quelque chose comme ça. Enfin, il est mort assez tôt. Mais Freud accorde une importance à ce double père, le frère et le père.

Alors ce qui est dit dans ce texte, c’est qu’en reprenant les mémoires du Président Schreber, il est dit que jusqu’à l’âge de 42 ans, il n’y avait aucun problème. C’est-à- dire que le Président Schreber menait une carrière brillante, avait une femme. Sa seule ombre au tableau, c’était qu’ils n’arrivaient pas à faire des enfants. Donc, il y a cette faille dans ce ménage qui n’était pas en quelque sorte béni sur ce plan.

Il y a un premier accès psychiatrique qui a lieu quand Schreber avait 42 ans. Et il se présente au Reichstag, il a une période de surmenage, et il se retrouve hospitalisé et traité par le professeur Flechsig qui le guérit de son hypocondrie d’une façon miraculeuse. Et la femme du Président Schreber a beaucoup apprécié ce professeur Flechsig. Elle avait même un portrait de lui sur son bureau. C’est dire que c’était un homme très apprécié et très investi par le Président Schreber et sa femme.

Freud fait l’hypothèse d’une sorte d’amour homosexuel qui s’est développé dans le transfert à Flechsig. Il est question de Flechsig dans des lettres de Freud à Martha. Flechsig était en quelque sorte un rival de Freud, vous savez que c’est un petit monde la psychiatrie.

Ce premier accès, dont on parle dans ses certificats d’hypocondrie, il s’en sort guéri. Et huit ans plus tard, il fait des rêves où il rechute en quelque sorte, il fait des rêves qui lui indiquent qu’il allait rechuter. C’est un avertissement dans les rêves. Il a une idée bizarre au coucher, dans un demi sommeil : il pense qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement. Cela ne correspondait pas du tout à ses idées de vie, ce qu’il savait de sa sexualité.

C’est comme ça que le délire commence. Freud parle d’un autre épisode qui a précédé le délire. Pendant quelques jours sa femme va en maison de repos. Elle le laisse seul et, à son retour, elle le retrouve complétement mal. Le Président Schreber explique que pendant cette période, il a eu pendant une nuit six pollutions. Et Freud interprète cet épisode comme un accès de fantasmes homosexuels qui ont été favorisés par l’éloignement de la femme.

Après, ça va très vite : le Président Schreber développe ce délire et se retrouve hospitalisé. Ce n’est pas Flechsig qui s’est occupé de lui cette fois-ci,  c’est le docteur Weber dont on a des certificats. Schreber  développe ce délire dont je vous ai déjà parlé, où il reçoit des messages par les rayons divins, messages en langue fondamentale, qui est un allemand archaïque. Il y a aussi des phénomènes assez étranges tels que des oiseaux parleurs qui lui serinent des phrases qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes et qui fonctionnent sur l’homophonie. Vous savez, c’est cette fameuse phrase où il y a Santiago Karthago, Ahriman, Ackerman… Donc, des phrases sans signification. Freud évoque ces oiseaux parleurs, en disant que visiblement il s’agit de jeunes filles, transposition de jeunes filles dont on dit habituellement que ce sont des oies, et qu’elles ne savent pas ce qu’elles disent. Et, pour Freud, ça ne fait aucun doute, il s’agit de jeunes filles, d’autant plus que ces créatures ouvrent les vestibules divins. Alors, l’expression « vestibule » renvoie pour Freud à l’anatomie, donc à une partie du vagin. On a un dieu qui présente une face, un dieu du bas, Ahriman, avec ses vestibules qui est un dieu de devant. Et puis il y a un dieu de derrière Ormuzd, qui représente une part masculine.

Qu’est-ce qui s’est passé ? Quelle est l’interprétation de Schreber de ce qui s’est passé ? Il s’est passé qu’il se fait persécuter par le vénéré professeur Flechsig, qui a donc été particulièrement aimé, apprécié, investi par Schreber.

Freud note que quand Schreber parle du professeur Flechsig, il fait la différence entre l’âme de Flechsig et le personnage réel. Il écrit ça après, mais il établit une différence entre ce qui est de l’ordre, dit Freud, de l’inconscient et ce qui est de l’ordre de la réalité.

Pour Freud le mécanisme était le suivant : il y avait l’amour homosexuel qui expliquait le délire, un amour homosexuel pour ce personnage paternel, le professeur Flechsig. Cela recoupe les théories de Freud à l’époque. Il nous dit qu’il s’est renseigné, il a demandé à ses élèves de lui apporter des cas, et immanquablement dans ces observations, il retrouvait ce mécanisme où l’homosexualité était, au premier chef, présentée comme le ressort de la paranoïa.

Alors, il y a cet amour homosexuel qui est nié. « Je l’aime, lui, un homme. » qui est transformé en « Je le hais. ». Je le hais parce qu’il me hait, donc c’est comme ça que Freud explique la persécution, par une transformation grammaticale de la phrase où, dans la paranoïa, ça joue sur le verbe : aimer/haïr. Dans les autres délires, il explique très précisément comment par une transformation grammaticale, la persécution, le délire érotomaniaque, ou le délire de jalousie se déploient.

Freud nous parle de refoulement. C’est intéressant de voir comment Freud dispose ses instruments théoriques dans ce cas. Il est un petit peu embarrassé, mais il finit par nous dire que le mécanisme de la paranoïa, c’est ce retrait des investissements libidinaux sur le Moi, c’est cette inversion de la phrase je l’aime en persécution, c’est-à-dire en haine venant de l’extérieur. Et il y a une phrase où il nous dit que ce qui est supprimé à l’intérieur revient par projection de l’extérieur. Cela m’a paru très éclairant quant au travail de Lacan à partir de ce texte où Freud a une appréhension du mécanisme de la forclusion sans qu’elle soit explicite.

Il y a une autre chose qui m’a intéressé dans cette relecture du Président Schreber, c’est que le délire se stabilise, en quelque sorte. Freud parle d’un délire qui conduit à la guérison du Président Schreber. Donc le délire se stabilise, sans qu’il soit question d’émasculation immédiate.

La solution du Président Schreber n’était pas d’accepter la féminisation pour avoir une relation homosexuelle passive ;  c’est ce qui était rejeté, mais ce rejet de l’homosexualité effective était transformé en acceptation de la transformation en femme pour avoir des enfants de Dieu. C’est-à-dire que ce qui est dans la perspective de son délire, c’est un accouplement avec Dieu où il occuperait une position féminine et passive. Et le but, c’est par exemple d’avoir des enfants de Dieu, des petits Schreber.

Ce délire une fois développé, une fois stabilisé, n’exige plus une émasculation immédiate, mais remet à plus tard la transformation. C’est-à-dire que Freud parle de mouvement asymptotique de sa transformation en femme et de la conjonction avec Dieu.

Ça m’a intéressé cette phrase, parce que Lacan va proposer avec le schéma I une écriture topologique rendant compte du cas du Président Schreber, mais dans une période stabilisée, si vous voulez. Le schéma I, c’est le délire tel qu’il est déployé et constitué. Et stable. Ce n’est pas ce qui se passe en décembre 1895 où le monde s’effondre. Eh bien, dans ce schéma I, vous avez la jouissance transsexualiste et cette transformation en femme qui soutient un mouvement asymptotique, c’est-à-dire que c’est quelque chose qui est la promesse.

Notes