Introduction à une psychopathologie de l’enfant
(Extraits)
Marika Bergès Bounes
3 janvier 2011
Freud d’abord, puis sa fille Anna Feud et Mélanie Klein, vont prendre en compte les conflits de développement enfants/parents, qui évoluent – c’est la normalité – mais ces conflits peuvent se fixer dans la répétition et devenir anachroniques, et c’est la psychopathologie, la névrose infantile, la psychose. Lacan, lui, a très peu parlé de l’enfant, il s’est peu intéressé à l’enfant, sauf dans des lettres à Jenny Aubry – dont on parlera peut-être, si on a le temps.
Alors, traditionnellement et historiquement – je reste classique pour commencer– la psychopathologie ordinaire s’est constituée à partir de plusieurs courants. Elle cherche sa voix entre ces diverses tendances, qui continuent à former son cadre – le cadre de la psychopathologie – avec le risque de réduction que la prise en compte d’un seul courant pourrait constituer – et ça on va le voir sans arrêt – c’est-à-dire que selon le politique, selon les écoles, on va considérer que la thérapie de l’enfant passe soit par un médicament, soit par une rééducation, soit par une psychanalyse. Et la prise en charge des enfants, évidemment, est tributaire de la manière dont la psychopathologie se pense (enfin je vais vous dire ça un peu plus clairement, j’espère.) Donc, cette psychopathologie est plurifactorielle, pluridimensionnelle, mais, en fonction de certaines idéologies, de certains courants, donc, certains courants vont prendre le pas sur d’autres. Le débat sur l’autisme, par exemple, est illustratif de ce que je veux vous dire ; sans prendre cette affection, tantôt sur l’organicité – l’autisme aurait une origine organique, génétique – tantôt sur les anomalies cérébrales, tantôt sur une relation parents/enfant complexe. Donc selon les courants et les écoles, les parents sont tantôt accusés, tantôts innocentés. Les enfants autistes sont tantôt médiqués, tantôt rééduqués selon des procédés comportementalistes, tantôt à écouter. De toutes les manières, ce qu’on peut dire, c’est que même si l’étiologie d’une affection comporte une part génétique, ou neurologique, l’évolution dépendra du mode de prise en charge. Et c’est là que les psychanalystes ont leur place, puisqu’ils peuvent favoriser, par leur acte analytique et leur écoute, une position d’énonciation chez l’enfant. Par exemple, Mélanie Klein, dans le « casDick », a permis à cet enfant un accès au langage, par sa participation inventive à elle dans le jeu. Donc, quelque soit l’étiologie, de toutes façons, l’enfant est à écouter, et à écouter finement et précisément.
Donc ce débat sur l’autisme est particulièrement virulent, pris dans le politique, mais on verra qu’il y a d’autres circonstances où la place de l’enfant est en jeu et où les débats sont houleux : par exemple les enfants hyperactifs, par exemple les enfants en difficulté d’apprentissage où, selon que les parents vont consulter dans un lieu ou dans un autre, ils vont ressortir avec, pour leur enfant, un médicament ou une thérapie – je schématise mais quand même il y a des fois où c’est presque ça, en tout cas à Paris.
Alors, ces courants psychopathologiques, dont les implications épistémologiques, éthiques et pratiques ne sont pas minces, sont pourrait-on dire, au nombre de trois. Enfin, j’ai pensé à trois. Donc, le premier, c’est le courant médical – organiciste, génétique, chromosomique, héréditaire, infectieux. Les enfants trisomiques, par exemple, la souffrance périnatale etc. Le deuxième courant, qui fait couler beaucoup d’encre, c’est le courant de la pédagogie. L’enfant doit être éduqué pour devenir capable d’accepter les lois de la vie familiale, scolaire, sociale. Historiquement, l’école – qui est devenue obligatoire, évidemment – maintenant est conçue comme un micro-milieu qui prépare à la vie sociale. Les méthodes d’éducation sont devenues actives, faisant participer l’enfant, l’éveillant, au-lieu de le laisser dans une position passive, sous l’autorité de l’adulte enseignant. Le cadre de vie de l’école s’est adapté à l’enfant, devenu le centre de l’institution scolaire. Et actuellement – une étude intéressante l’a montré – l’école est devenue le lieu où l’enfant doit être heureux ; pas enseignés, ils doivent être heureux. Une récente étude trouve que les parents – pourtant très angoissés quant à la carrière scolaire de leur enfant (ils passent leur temps à se demander s’il ne va pas redoubler, s’il ne va pas… enfin bref) trouvent que l’école est trop facilement contraignante. Ils lui reprochent d’être dans la restriction de jouissance – qui est pourtant la condition nécessaire à l’accès aux apprentissages. Ça, c’est quand même intéressant. C’est-à-dire que, d’un côté, les parents sont très exigeants avec les enfants, et d’un autre côté ils considèrent que l’école est un lieu où ils doivent d’abord être heureux. Or c’est difficile d’être heureux et en même temps de se plier aux apprentissages obligatoires et nécessaires à partir du moment où on est en classe. On est un peu devant un paradoxe, là. Le troisième courant, c’est celui de la traumatologie. Donc vous savez que les enfants peuvent avoir des accidents domestiques, peuvent faire des chutes, se retrouver dans le coma ; ou bien il y a tout ce qu’on appelle la victimologie, c’est-à-dire l’enfant victime de la pathologie des parents, les enfants secoués, les bébés secoués, les enfants battus, les carences maternelles précoces et les abus sexuels.
Donc, grosso modo, on pourrait dire qu’il y a ces trois courants dans lesquels l’enfant est pris. Évidemment, il n’y a pas de cause unique. L’enfant est pris dans ces évènements de vie et doit faire avec. Comme les parents, d’ailleurs. Pris dans ces « causalités » qui, comme le disait Lacan, les font causer. C’est ça l’intérêt de la causalité, de faire des liens de cause à effet, ça fait parler les parents. Nous sommes tous pris dans les lois du langage, qui nous précèdent et qui nous fondent, et c’est là que la psychanalyse intervient.