Bienvenus dans cette première séance du module « Neurologie et neurosciences », un cycle de neuf séances. Aujourd’hui, une séance d’introduction, et je vais notamment vous présenter les fondements épistémologiques d’un modèle de dialogue possible entre la psychanalyse et les neurosciences et la neurologie.
[…] Le lundi 4 décembre, vous aurez l’intervention de Yorgos Dimitriadis, qui vous présentera le dialogue entre la psychopathologie, les neurosciences et la génétique. Le lundi 11 décembre, vous aurez une présentation de Léonor Mazières sur la lecture des articles scientifiques ; justement pour vous permettre d’avoir quelques codes. Pour pouvoir lire aussi la bibliographie qui correspond à ce module, qui est souvent constituée d’articles en anglais. Vous avez peut-être moins l’habitude de cette littérature. Ce sera une introduction aussi à une méthodologie de recherche et de bibliographie. Le jeudi 14 décembre, vous aurez un cours sur l’approche interdisciplinaire de la psychose, avec Sarah Troubé. Le samedi 16 décembre, vous aurez un cours assuré par un Professeur en neurologie, François Stefanescu, qui lui traitera d’abord des aspects neurologiques des accidents vasculaires cérébraux. Ensuite vous aurez le 18 décembre un cours de Stéphane Thibierge sur l’image du corps, entre neurologie et psychanalyse. Le 11 janvier, vous aurez une psychologue, Pascale Bruguière, qui va traiter cette fois des aspects psychologiques de la prise en charge des AVC, donc dans les prolongements du cours de neurologie de François Stefanescu. Ensuite le lundi 15 janvier, à nouveau un cours axé sur la neurologie, cette fois sur les traumatismes crâniens ; également avec François Stefanescu. Et le jeudi 18 janvier, il y aura une séance de conclusion, assurée par Catherine Morin, qui aura pour intitulé « Neurologie, neurosciences, psychanalyse : le cerveau parle-t-il ? ». Donc voilà en ce qui concerne l’organisation du planning de ces neuf séances.
Alors, en guise d’introduction, je vais vous proposer une réflexion sur les paradigmes épistémologiques qui peuvent sous-tendre le dialogue interdisciplinaire entre la psychanalyse et les neurosciences. Parce qu’avoir des connaissances en neurosciences et en neurologie peut constituer un atout pour ceux qui souhaitent pratiquer la psychanalyse ; et donc pour les futurs cliniciens que vous êtes ou déjà praticiens, je ne sais pas.
J’aimerais vous sensibiliser dans cette introduction au fait que le dialogue interdisciplinaire, même s’il est riche de possibilités pour la clinique, peut dans certains cas être la source de confusions méthodologiques ou, pire encore, dans certains cas, d’une forme de réductionnisme, où en fait l’une des deux disciplines viendra en fait subsumer l’autre et la subordonner. Donc l’enjeu de cette séance va être de préciser quels sont ces risques de confusions épistémologiques qui peuvent constituer en fait un écueil du dialogue interdisciplinaire. L’idée va être à la fois de préciser ces écueils, ces risques mais aussi de vous introduire un paradigme de dialogue entre la psychanalyse et les neurosciences qui puisse garantir en fait les spécificités et la singularité de chaque discipline ; tout en permettant de concevoir en fait un point d’intersection possible.
Je vais me référer notamment à un modèle introduit par le psychanalyste François Ansermet et le neurobiologiste Pierre Magistretti (je ne sais si vous avez déjà entendu parler de ces auteurs ?) qui ont proposé de concevoir la plasticité cérébrale comme un point d’intersection entre la psychanalyse et les neurosciences. Et en conclusion, si le temps le permet, nous pourrons également aborder comment ce paradigme de dialogue implique des enjeux éthiques majeurs qui présentent donc un intérêt pour la pratique clinique.
Est-ce que vous avez des questions sur l’organisation de ce module ? Oui ? [Question inaudible de la salle.] Alors je suis Jessica Tran The, je suis maître de conférences à l’Université de Caen. Je suis psychologue clinicienne aussi en psychiatrie adulte en région parisienne. Je travaille à la fois sur un service de psychiatrie intra-hospitalier et un CMP. Et j’enseigne la psychanalyse, la psychologie clinique et la psychopathologie, et je suis chercheur au sein d’un laboratoire de neuropsychologie de la Mémoire humaine, à Caen. Donc c’est un laboratoire INSERM ; notamment où nous suivons des sujets qui étaient présents dans les attentats du 13 novembre à Paris. Dans ce laboratoire a été mise en place une étude longitudinale sur l’étude et les conséquences à long terme des événements traumatiques ; donc sur la mémoire singulière, enfin individuelle, et collective. Et mes travaux de recherche portent sur le dialogue entre psychanalyse et neurosciences, notamment autour du concept de trace mnésique ; et sur la clinique de la psychose, avec notamment l’application du dialogue interdisciplinaire à l’étude de la schizophrénie. Voilà en ce qui me concerne.
Donc, juste avant de nous pencher sur les fondements épistémologiques de ce modèle de dialogue interdisciplinaire, avec l’idée que ce paradigme, ou ces questionnements épistémologiques pourront vous accompagner ensuite tout au long du Module, lorsque des spécialistes de différentes disciplines viendront vous présenter des notions plus spécifiques.
Dans un premier temps, je vais essayer de préciser quelles sont les difficultés préalables qu’il convient de prendre en compte dans toute entreprise d’instaurer un dialogue entre la psychanalyse et la biologie de façon générale ; que ce soit les neurosciences ou la neurologie. Et en particulier, on va voir qu’en fait la constitution de la psychanalyse comme une discipline autonome, qui a des fondements épistémologiques propres, a dès ses débuts imposé à Freud une réflexion sur ses conditions de possibilité d’un dialogue interdisciplinaire avec la biologie. Donc cette question du dialogue interdisciplinaire, elle est même au cœur de la naissance de la psychanalyse. Et on va voir aussi quels sont tous les paradoxes inhérents à ce souci chez Freud de créer une discipline indépendante et autonome vis-à-vis de la biologie. Donc petit retour historique aussi sur les conditions épistémologiques de naissance de la psychanalyse.
Ensuite on verra que les avancées scientifiques des dernières décennies, avec notamment cet avènement du champ des neurosciences, qui occupent une place majeure dans le paysage scientifique contemporain… Ces avancées ont introduit une reconfiguration du rapport entre la psychanalyse et la biologie ; puisque la biologie d’aujourd’hui n’est plus celle de la fin du XIXe siècle, à laquelle Freud avait notamment été formé dans ses études de médecine, de neurologie. Et donc on pourra aussi rapidement étudier une première tentative de dialogue entre la psychanalyse et les neurosciences avec tous les travaux de l’Association internationale de neuropsychanalyse qui a été fortement influencée par les travaux, et les positions aussi théoriques, d’Éric Kandel qui a été prix Nobel de médecine en l’an 2000 pour justement ces travaux expérimentaux qui ont permis de mettre à jour les mécanismes neuronaux de la plasticité cérébrale. Donc premier essai, première tentative de dialogue entre la psychanalyse et les neurosciences autour de ce paradigme qui donc a été baptisé du terme de « neuropsychanalyse ».
Ensuite, je vous présenterai le paradigme dont je vous ai parlé, fondé sur l’idée d’une intersection possible entre la psychanalyse et les neurosciences, développée par Ansermet et Magistretti, à partir du constat commun que l’expérience s’inscrit et laisse une trace : que l’on conçoive cette trace comme trace psychique, trace mnésique du point de vue de la psychanalyse ou que l’on conçoive cette trace comme trace synaptique du point de vue des neurosciences. Donc constat commun que l’expérience s’inscrit et laisse une trace.
Et donc, si tout va bien, après avoir détaillé les modalités de ce nouveau paradigme épistémologique de dialogue interdisciplinaire, on pourra esquisser un peu quels sont les enjeux éthiques ouverts par ces recherches ; et notamment les enjeux pour la pratique clinique : avec en particulier l’idée que les enjeux ouverts par ce dialogue interdisciplinaire autour de la plasticité contribuent à mettre l’accent sur la singularité des réponses possibles du sujet, au-delà des facteurs qui le déterminent : qu’ils soient environnementaux, génétiques, sociaux, etc. Avec une conséquence assez importante donc pour la pratique clinique en ce qui concerne cette question du dépassement du déterminisme et de l’accent mis sur la réponse du sujet au-delà des différents facteurs qui le déterminent.
Voilà pour le déroulé de ces 2h30.
Pour commencer, on va revenir un peu à l’histoire de la naissance de la psychanalyse, pour passer en revue les positions freudiennes relatives au dialogue entre la psychanalyse et la biologie. Alors… Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est que dès ses débuts, l’enjeu de Freud a été de forger une discipline, la psychanalyse, qui aurait une identité à part entière relativement aux champs connexes qui lui préexistaient ; notamment la biologie, mais aussi la philosophie. Et en fait, la rencontre entre la psychanalyse et les autres disciplines déjà constituées comme la biologie a d’abord été marquée sous la plume de Freud d’une forme d’interdit sur le plan épistémologique, qui peut être à l’origine de certains paradoxes, qui seraient inhérents à toute tentative ultérieure de faire dialoguer la psychanalyse et les autres disciplines. Donc, on va voir un petit peu quel est ce paradoxe.
Est-ce que vous avez entendu parler d’un texte de Freud qui s’appelle L’Esquisse d’une psychologie scientifique ? Oui ? Est-ce que quelqu’un peut me dire un petit peu quel est le projet de Freud dans ce texte, qui est en fait un texte que Freud a écrit en 1895 et qu’il n’a jamais voulu publier de son vivant ? Est-ce que quelqu’un sait un petit peu de quoi il s’agit dans ce texte ? [Réponses inaudibles.] Alors, je répète ce que vous dites pour que tout le monde entende : donc l’idée qu’un jour les processus psychiques pourraient être expliqués, vous disiez, par ?... Par la neurologie. Tout à fait.
Mais c’est même plus que cela, puisque Freud en fait est donc neurologue de formation, il a fait ses études en médecine, et il travaille en 1895 avec Joseph Breuer auprès de ses patientes hystériques. Et dans ce texte, il avait pour ambition de développer une théorie du fonctionnement du système nerveux central, du cerveau, qui permettrait d’expliquer les processus psychopathologiques en jeu dans l’hystérie. Donc si vous ouvrez ce texte, vous avez des dessins, des schémas de neurones, de comment l’information circulerait d’un neurone à l’autre. Et Freud cherchait à expliquer à la fois par ces processus neuronaux le fonctionnement psychique normal mais aussi pathologique et notamment les processus en jeu dans l’hystérie, en décrivant le fonctionnement des neurones. À l’époque cette théorie de la communication entre les neurones a été fondée sur des spéculations, puisque les techniques, notamment les microscopes de l’époque, ne permettaient pas encore d’avoir une connaissance précise du fonctionnement du système nerveux. Alors pour vous donner une idée, pour situer du point de vue historique ces spéculations de Freud relatives à la théorie des neurones : à peu près à la même époque, vous avez deux neurologues, Camillo Golgi en Italie et Santiago Ramón y Cajal en Espagne, qui discutent pour savoir si les neurones seraient des cellules séparées les unes des autres ou alors seraient un amas continu, Golgi appelait ça un système réticulaire, comme un arbre, avec différents embranchements ; puisqu’à l’époque on ne pouvait pas voir au microscope si les neurones étaient des cellules distinctes les unes des autres. Donc il y avait différentes théories, spéculatives, qui s’opposaient.
Vous voyez, au vu de toutes ces connaissances assez limitées de la biologie de son époque, notamment limitées par les moyens d’exploration technique, de cette fin du XIXe siècle, Freud va être, dans une certaine mesure, obligé d’abandonner ses spéculations relatives à la théorie des neurones. Donc il va refuser d’achever et de publier son manuscrit, puisqu’il considère que la biologie de son temps est encore trop précaire pour rendre compte déjà du fonctionnement psychique normal et encore plus du fonctionnement psychique pathologique.
C’est à la suite de cet abandon de l’écriture de L’Esquisse qu’il va se mettre à rédiger son premier ouvrage majeur qui est donc L’Interprétation des rêves, qu’il commence à écrire en 1897, et à cette occasion, il se met en quête des fondements qui pourraient servir d’assises épistémologiques au développement d’une discipline nouvelle qui sera la psychanalyse. Il y a vraiment un acte de naissance épistémologique de la psychanalyse, avec cet abandon de l’écriture de L’Esquisse. Et Freud avait l’ambition de proposer avec la psychanalyse une théorie qui permette non seulement d’expliquer les processus psychiques normaux et pathologiques mais aussi de concevoir une technique thérapeutique pour traiter notamment les névroses, comme l’hystérie et la névrose obsessionnelle.
Et à partir de l’Interprétation des rêves, on voit Freud dans ses textes abandonner toute référence à une localisation anatomique des processus psychiques. Si vous ouvrez précisément L’Interprétation des rêves, il parle de lieu psychique, il parle de système : inconscient, préconscient ; mais à aucun moment il ne cherche à localiser ces systèmes psychiques dans des zones du cerveau. Donc il abandonne cette idée d’une localisation cérébrale, au profit de l’introduction de concepts qui seraient exclusivement psychologiques.
Par ce geste d’émancipation vis-à-vis de la biologie et de l’anatomie, Freud fonde une discipline nouvelle, la psychanalyse, qui fonctionnerait de façon autonome vis-à-vis des autres champs du savoir, comme la biologie ou aussi la philosophie. Et donc Freud dote cette discipline d’un fondement épistémologique qui lui est propre, avec aussi tout un édifice théorique qu’il va construire petit à petit, qui va s’appeler la « métapsychologie ». La métapsychologie qui désigne l’édifice théorique, conceptuel de la psychanalyse. Puisque la psychanalyse a un versant théorique, mais aussi un versant pratique en tant que technique thérapeutique.
Alors, est-ce que vous avez des exemples de déplacements conceptuels entre les premiers travaux de Freud dans L’Esquisse et sa théorie des neurones et les concepts métapsychologiques de L’Interprétation des rêves ? Est-ce qu’il y a comme ça des déplacements qui vous viennent à l’idée ? C’est un texte que vous n’avez jamais étudié, L’Esquisse ? Les collègues ne vous en ont pas du tout parlé ? Alors… Il y a notamment un déplacement du côté de ce que Freud concevait comme l’excitation neuronale, la charge électrique qui traversait les neurones (dans L’Esquisse), qui va se déplacer… À votre avis, ça va donner naissance à quoi ? Tout à fait : le concept de libido ; donc d’énergie psychique. Freud va s’intéresser aux investissements de la libido dans son point de vue économique de la métapsychologie. Mais la libido garde un petit peu cette trace du concept quantitatif d’excitation nerveuse de L’Esquisse. Même si… Freud dit qu’on ne peut pas mesurer quantitativement la libido ; mais qu’en tout cas, on peut comparer ses quantités d’investissement. Il y a comme ça un déplacement, même si Freud conserve cette référence à un principe quantitatif, économique d’une énergie qui serait en jeu dans l’appareil psychique.
On voit aussi, par exemple, que la localisation anatomique va être abolie, mais se déplacer du côté de ce que Freud appelle le point de vue topique de la métapsychologie. Point de vue topique : qui s’intéresse à la partition de l’appareil psychique en différents systèmes, système du point de vue de la première topique : système inconscient, préconscient et conscient, ou aussi à différentes instances si on se situe du point de vue de la deuxième topique, avec le moi, le ça et le surmoi, qui seraient des instances psychiques, mais sans que Freud ne cherche plus à les localiser dans des régions cérébrales précises.
Donc vous voyez, il y a quand-même un saut épistémologique qui s’opère du concept d’excitation nerveuse à celui de libido, et de la localisation anatomique à la topique métapsychologique.
Une fois ce saut épistémologique accompli, Freud va en fait mettre en garde ses disciples contre ce qu’il appelait le risque de subordination que pourrait entraîner toute tentative de soumettre la psychanalyse à l’épreuve des autres disciplines. Au point que dans un premier temps la biologie et la philosophie vont apparaître à Freud comme les deux dangers qui pourraient menacer l’autonomie de l’épistémologie psychanalytique. Et donc il va jusqu’à soutenir que la psychanalyse devrait se garder de toute velléité interdisciplinaire. Notamment dans une lettre à Jung, du 30 novembre 1911, Freud affirme que, je cite : « Cette subordination de la psychanalyse à la biologie serait aussi répréhensible qu’une suggestion à la philosophie, à la physiologie ou à l’anatomie cérébrale. » Vous voyez, il emploie quand-même le terme de « répréhensible » pour qualifier ces velléités de dialogues avec la biologie, la philosophie, la physiologie ou l’anatomie cérébrale, une position assez forte, dans sa correspondance, avec l’idée qu’en fait la psychanalyse aurait à se constituer comme une discipline à part entière, autonome, sans modèle exogène qui lui vienne de l’extérieur, et à partir d’une épistémologie propre qui ne serait pas empruntée aux sciences naturelles ou à la philosophie.
Dès lors, pour Freud, le biologisme et le philosophisme seraient, en fin de compte, les deux impasses, les deux dangers, opposés mais solidaires, qui pourraient menacer cette autonomie de la psychanalyse ; au point que certains commentateurs des textes de Freud, comme Paul Laurent Assoun, parlent d’une forme de « nationalisme épistémique » du père de la psychanalyse, qui justement aurait fait défendre jalousement les frontières de cette jeune science, de cette jeune discipline qu’il venait de créer, afin qu’elle conserve son indépendance et son autonomie, relativement aux autres champs du savoir.
Donc première parole de Freud, quand-même assez catégorique sur les dangers du dialogue interdisciplinaire.
Mais parallèlement à cette méfiance à l’égard de tout rapprochement interdisciplinaire, avec ce risque de venir annihiler les spécificités de l’épistémologie psychanalytique, Freud a quand-même, de façon à la fois publique, dans ses textes édités, mais aussi dans sa correspondance, continué à nourrir en un sens l’espoir qu’un jour les avancées de la biologie pourraient venir confirmer sa théorie des processus psychiques inconscients. Et au sein du corpus freudien, on peut observer qu’il y aurait deux paroles qui coexisteraient : avec notamment une seconde parole, relative à la possibilité d’une information mutuelle entre la psychanalyse et les sciences connexes. Il y a un texte de 1913 qui s’appelle L’Intérêt de la psychanalyse, où Freud avance d’abord qu’il existerait un intérêt majeur pour des disciplines comme la psychologie, la biologie ou la philosophie à intégrer dans leurs champs les conséquences de la découverte des processus psychiques inconscients par la psychanalyse. Déjà, premièrement, première main tendue aux autres disciplines avec l’idée que la philosophie, la biologie auraient un intérêt à intégrer les découvertes de la psychanalyse dans leurs champs.
Mais en 1920, dans un texte majeur, Au-delà du principe de plaisir, texte que vous connaissez sans doute, Freud pousse son ambition de dialogue interdisciplinaire bien au-delà, puisque, au sujet d’un dialogue possible entre la biologie et la psychanalyse, il va considérer que même si l’état des connaissances scientifiques de son époque l’a conduit à différer la possibilité de ce dialogue, en fait ce dialogue serait souhaitable et même nécessaire dans l’avenir. Donc ce qu’il écrit dans Au-delà du principe de plaisir : je vous lis la citation : « Les insuffisances de notre description… », c’est un texte où Freud introduit notamment des spéculations d’ordre biologique, relatives à la pulsion de mort, avec l’idée qu’au sein même des premières cellules, dans l’évolution des êtres vivants, il y aurait ce constat que les organismes meurent de causes internes. Freud se livre à toute une série de spéculations biologiques et donc il écrit : « Les insuffisances de notre description s’effaceraient sans doute si nous pouvions déjà mettre en œuvre à la place des termes psychologiques les termes physiologiques ou chimiques. La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées. Nous devons nous attendre à recevoir d’elle les lumières les plus surprenantes. Et nous ne pouvons pas deviner quelle réponse elle donnerait dans quelques décennies aux questions que nous lui posons. »
Voyez, dans cet extrait, Freud diffère le dialogue interdisciplinaire au jour où les progrès de la biologie seraient suffisants pour permettre cette interaction avec la psychanalyse.
Vous pouvez donc voir que chez lui il existe, de façon simultanée, à la fois une mise en garde contre les risques de subordination de la psychanalyse à d’autres disciplines, mais aussi, en parallèle, un réel vœu relatif à l’éclairage mutuel entre la psychanalyse et la biologie. Ainsi, au-delà de l’intérêt que la biologie aurait à intégrer dans son champ l’hypothèse de l’inconscient, elle pourrait en retour, c’est une thèse assez forte que Freud avance en 1920, éclairer, en retour - de ses lumières les plus surprenantes -, apporter voire des réponses essentielles à la théorie psychanalytique.
Freud n’exclut pas qu’un jour la psychanalyse puisse se nourrir des avancées de la science, même si cet éclairage mutuel ne doit pas s’apparenter à une hiérarchisation des disciplines. L’idée, ce n’est pas que la psychanalyse puisse un jour être subordonnée à la biologie ; mais qu’en tout cas il puisse y avoir un éclairage mutuel avec des lumières que la biologie pourrait apporter à la psychanalyse.
Enfin, pour clore ce petit rappel historique, ce qu’il faut noter, c’est que cet espoir, nourri par Freud au sujet d’un éclairage mutuel entre la psychanalyse et la biologie est quand-même teinté d’un autre paradoxe, puisque, bien que Freud l’appelle de ses vœux, souhaite ce dialogue, dans un même mouvement il le diffère ; puisqu’il repousse, il dit « à quelques décennies » le jour où les progrès de la science rendront possible cette rencontre. Donc, même si dans la pensée freudienne les bases d’un dialogue interdisciplinaire sont esquissées, ce dialogue n’en est pas moins repoussé dans un avenir incertain, puisque Freud en fait remet à plus tard cette tâche laborieuse. Et même on peut dire qu’il a laissé à ses successeurs le soin de s’atteler à cette besogne de venir, comme il dit, pallier les insuffisances de sa description, grâce à un recours à des concepts physiologiques. Puisque Freud considère que ce dialogue ne sera pas possible tant que la biologie elle-même n’aura pas connu des progrès intrinsèques, une forme de révolution à l’intérieur même de sa discipline.
Voilà en ce qui concerne ce petit rappel historique sur les conditions épistémologiques de naissance de la psychanalyse. Alors aujourd’hui on peut dire que tous ces progrès de la biologie que Freud avait espérés semblent s’être accomplis, notamment avec l’avènement de cette branche de la biologie qui est baptisée du terme de « neurosciences ». Neurosciences, c’est un terme qui est apparu à la fin des années 60, pour désigner plus spécifiquement la branche de la biologie consacrée à l’étude du système nerveux, à différentes échelles : à l’échelle des régions corticales par exemple, mais aussi à l’échelle des cellules qui composent le système nerveux, donc les neurones. Et donc cet avènement des neurosciences est aussi caractérisé par l’essor… par des révolutions sur le plan technique et notamment l’essor des techniques d’imagerie cérébrale qui ont permis d’accroître les connaissances du fonctionnement physiologique, normal et pathologique, du cerveau.
Finalement on peut considérer que ces progrès scientifiques sans précédents, depuis la fin des années 1960, auraient pu aboutir à la réalisation du vœu freudien, de ce dialogue nouveau entre la psychanalyse et la biologie, biologie qui serait dès lors devenue mature et apte au dialogue avec la psychanalyse. Mais paradoxalement, l’avènement des neurosciences s’est accompli dans un premier temps simultanément à une forme de clivage entre les neurosciences, la biologie et la théorie psychanalytique.
Dans un premier temps, en fait, on peut considérer que l’épistémologie réductionniste et expérimentale des neurosciences est apparue hostile à la psychanalyse ; alors que Freud, qui lui était fidèle au positivisme de son temps, de la fin du XIXe siècle, avait au contraire pensé sa théorie des processus psychiques dans un cadre à l’origine strictement physicaliste. Mais de façon paradoxale, donc, l’avènement des neurosciences, dans un premier temps, a quand-même conduit à une forme de clivage, voire une hostilité entre la psychanalyse et la neurobiologie. Donc cela, notamment, a culminé pendant les années 1980. Si vous regardez par exemple le livre de Jean-Pierre Changeux, L’Homme neuronal, vous avez là la thèse, l’affirmation d’une réduction stricte de tous les processus psychiques, comportementaux à des processus neuronaux. Donc avec l’idée, au contraire, que les neurosciences pourraient subsumer toutes les sciences qui autrefois s’étaient intéressées aux comportements ou à l’esprit humain.
On peut dire que ce clivage a culminé en 1980 avec L’Homme neuronal. Mais tout de même, progressivement, notamment à la fin des années 1990, il y a eu les premières tentatives d’instaurer un dialogue entre la psychanalyse et les neurosciences ; d’abord à partir d’un premier modèle, qui a été en fait un modèle de réunion entre ces deux disciplines, au sein d’une nouvelle discipline englobante qui a été baptisée « neuropsychanalyse ». Je ne sais pas si vous avez déjà entendu ce terme ? En fait, c’est la démarche, la naissance, l’invention de la neuropsychanalyse… C’est un mouvement qui a consisté à rechercher des données neurobiologiques qui permettraient de venir démontrer dans une certaine mesure certains concepts psychanalytiques. Donc l’ambition très forte de venir démontrer, prouver certaines conceptions freudiennes, voire de les localiser au sein de structures cérébrales précises, à l’image de la thèse soutenue par Gérard Pommier, dans un livre de 2004, qui s’appelle Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse. Vous avez là cette ambition de venir en fait prouver la psychanalyse par le recours aux neurosciences. Tout ce courant, cette discipline créée et baptisée « neuropsychanalyse » s’est développé d’abord à New-York, puisqu’en 1990 un groupe de psychanalystes new-yorkais avait entrepris de se réunir tous les mois, notamment à l’Université de Columbia, pour mettre en place des recherches interdisciplinaires entre la psychanalyse et les neurosciences. Ça a été une première, impulsée notamment par Arnold Pfeffer, qui était à l’origine de ce terme. Et d’un point de vue épistémologique, l’enjeu de ce groupe de travail était en fait de supprimer les barrières entre la psychanalyse et la biologie, avec l’ambition de constituer une discipline nouvelle : ambition forte d’un point de vue épistémologique, avec cette création d’une discipline nouvelle qui permettrait de réunir les deux précédentes : psychanalyse et neurosciences, qui seraient réunies dans un ensemble unifié.
Il y a eu plusieurs débats sur le terme à trouver ; mais ils ont choisi en anglais ce terme qui est traduit par « neuropsychanalyse ». Et ce mot va aussi devenir le titre d’un journal interdisciplinaire, qui existe aujourd’hui encore, dirigé par Marc Solms. Il est accessible en ligne. Ce journal de neuropsychanalyse, toujours actif, publie des contributions toujours dans ce but de venir asseoir sur des fondements expérimentaux certains concepts psychanalytiques comme le refoulement. Si cela vous intéresse, je vous invite à regarder un petit peu ces publications.
Ce qu’il faut retenir, c’est que la neuropsychanalyse a… [Intervention dans la salle.] Oui ? C’est l’International Journal of Neuropsychanalysis, il est en anglais. Vous avez des contributions de chercheurs internationaux. Et ce qui unifie ce journal, c’est la volonté de mettre en place des protocoles expérimentaux, toujours empiriques, pour venir prouver ou éclairer certains concepts psychanalytiques. Donc il y a vraiment une assise empirique, expérimentale de toutes ces publications. Comme le serait en fait un journal de médecine ou de neurosciences.
En fait, ce qu’il faut retenir, c’est que la vocation de la neuropsychanalyse a d’abord été de mettre en place une première approche intégrative qui réunirait la psychanalyse et les neurosciences au sein d’une nouvelle entité. C’est quand-même une démarche louable au sens où elle a constitué la première main tendue de la psychanalyse vers les neurosciences d’une certaine façon, là où dans les années 1980, ce qui dominait était plutôt une forme d’ignorance, voire de mépris mutuel.
Mais la neuropsychanalyse cherche à utiliser les méthodes et les techniques ouvertes par le développement des neurosciences, par exemple l’imagerie cérébrale, pour les appliquer à l’analyse de certains processus psychiques, et à l’étude de certains comportements et notamment de certains comportements pathologiques. L’idée est d’essayer d’identifier les structures neuronales qui seraient impliquées notamment dans la psychopathologie. Cet objectif, c’est l’objet de la neuropsychanalyse… mais c’est aussi la limite de cette démarche puisque la neuropsychanalyse cherche par exemple à explorer quels pourraient être les fondements neurobiologiques du mécanisme de refoulement ; et notamment dans quelle région de l’hippocampe pourraient se localiser les traces refoulées. Donc, vous voyez, c’est un projet à la fois ambitieux, mais qui du point de vue épistémologique présente certaines limites ; puisque Marc Solms, le directeur de ce projet, considère que, en fait, cette démarche est la seule qui puisse donner une objectivité scientifique à la psychanalyse… qui, sans cette référence expérimentale, se réduirait à une simple étude de la subjectivité, dépourvue d’assise scientifique. Donc il y a même l’idée pour ces chercheurs que la psychanalyse doit avoir recours aux neurosciences ; pour ne pas péricliter, d’une certaine façon.
Alors, à votre avis, du point de vue épistémologique, quelles sont les limites de ce paradigme de dialogue interdisciplinaire ? [Réponses inaudibles de la salle.] Alors, oui, par exemple… D’accord…
— Étudiante 1 : On apporte un modèle théorique ; ça va conditionner les observations qu’on va mener et donc on risque de passer à côté d’autres choses qui auraient pu être intéressantes.
— Oui, ça c’est vrai, puisque dans ces démarches on met en place des protocoles empiriques, qui cherchent donc par exemple à tester… je ne sais pas… : est-ce que dans la schizophrénie on aurait une plus grande activité, par exemple, de certaines régions cérébrales que chez les patients non schizophrènes ?, par exemple : on teste, on fait un groupe avec des patients schizophrènes et un groupe contrôle. Mais vous dites : on se ferme la porte de se laisser influencer par d’autres méthodes. En effet, puisqu’à chaque fois, ces protocoles empiriques cherchent à tester une hypothèse. Donc soit elle est vérifiée, soit elle ne l’est pas. C’est une limite. Mais… Oui ?
— Étudiante 2 : Comme il s’agit de deux disciplines, que là on veut en faire une nouvelle, alors qu’elles sont différentes, est-ce que… Vous avez dit justement, c’est que Freud lui voulait qu’on s’inspire de la biologie pour expliquer ses hypothèses psychanalytiques.
— Oui, tout à fait. Finalement de deux disciplines, on n’en a plus qu’une, ce qui conduit à nier en fait les spécificités de la psychanalyse. Freud, justement, lui, ce qu’il disait, c’est qu’il ne voulait pas que la psychanalyse soit subordonnée à une autre discipline. Oui ?
— Étudiante 3 : Du coup, on a l’impression de revenir à ce dont vous parliez au début : c’est-à-dire au fait de revenir à quelque chose de très biologique, de localisé dans le cerveau…
— Exactement. De plus, c’est quand-même un retour à l’époque d’avant la psychanalyse où Freud cherchait à localiser les processus psychiques dans des lieux, des localités cérébrales. Donc, ce qui est important, c’est que, même si ç’a été une première tentative de réinstaurer un dialogue qui était totalement rompu entre la psychanalyse et les neurosciences, en fait dans ce paradigme de la neuropsychanalyse, il y a quand-même une négation de l’autonomie épistémologique de la psychanalyse ; puisqu’en fait dans la neuropsychanalyse, la psychanalyse se trouve subordonnée à un idéal de rationalité scientifique, celui des neurosciences, qui ont leur propre méthodologie fondée notamment sur l’expérimentation et le caractère reproductible d’un protocole de recherche. Donc l’idée, c’est que dans la neuropsychanalyse, la psychanalyse n’est plus autonome ; elle se trouve, justement, subordonnée à une épistémologie qui lui est extérieure et à une autre méthode, qui n’est pas la sienne mais qui serait la méthode expérimentale des neurosciences. Là où, au contraire, la psychanalyse a pour objet la singularité, c’est-à-dire l’étude du sujet dans toutes ses spécificités. Et la psychanalyse, par essence, serait non reproductible. Cela, ça renvoie à un critère dont vous avez peut-être entendu parler, le critère de Popper, selon lequel la psychanalyse n’est pas falsifiable, au sens où elle n’est pas reproductible. Est-ce que vous avez déjà entendu parler de ce critère épistémologique de Karl Popper ? Oui, est-ce que quelqu’un sait expliquer ce quoi il s’agit ? Non ?
Karl Popper était un épistémologue, qui a écrit notamment La Logique de la découverte scientifique, paru en 1934 à Vienne. Il a cherché à établir un critère pour démarquer la frontière entre science et non-science. Pour distinguer ce qui serait scientifique et ce qui ne le serait pas. Donc lui, le critère qu’il introduit, c’est le caractère de falsifiabilité des énoncés scientifiques. La falsifiabilité, pour lui, c’est le fait que, pour qu’un énoncé… soit dit falsifiable, il faut qu’il puisse, d’un point de vue logique, exister un autre énoncé, ou une série d’énoncés, d’observations, qui lui soient contradictoires. Par exemple, si je prends l’énoncé « Toutes les pommes sont vertes », quel serait l’énoncé issu d’une observation qui pourrait falsifier mon premier énoncé ? Si je dis « Toutes les pommes sont vertes », qu’est-ce qu’il me faut comme observation pour pouvoir démentir en fait, réfuter cet énoncé ? [Réponse dans la salle inaudible.] Par exemple, tout à fait. Voilà. Là, c’est plus qu’un énoncé, un objet réel, donc une pomme rouge, c’est une observation qui vient réfuter mon énoncé « Toutes les pommes sont vertes ». Donc, en fait, « Toutes les pommes sont vertes » est un énoncé qui du point de vue empirique est falsifiable. C’est-à-dire qu’il existe, il peut exister, même si vous n’avez jamais vu de pommes, à partir du moment où vous dites « Toutes les pomme sont vertes », vous savez que si jamais vous observez une pomme qui n’est pas verte, vous avez réfuté l’énoncé initial. Donc dans sa structure, cet énoncé est falsifiable, parce qu’il existe un énoncé qui lui est contradictoire. Voyez, Popper dit : « Un énoncé est falsifiable si la logique autorise l’existence d’un énoncé ou d’une série d’énoncés d’observation qui lui sont contradictoires », c’est-à-dire qui le falsifieraient, s’ils se révélaient vrais. Vous voyez, vous n’êtes même pas obligés d’avoir vu une pomme rouge pour considérer que l’énoncé « Toutes les pommes sont vertes » est falsifiable. Dans ce contexte, l’idée est que toute proposition théorique, pour être scientifique, doit se confronter à une forme de tribunal par l’expérimentation, avec l’idée que le but du chercheur ne va plus être dès lors de prouver ses énoncés, mais au contraire de chercher à les réfuter. Du point de vue épistémologique, c’est quand-même une thèse assez forte, assez audacieuse. Dès lors pour Popper, un énoncé est scientifique non pas s’il est vrai mais s’il est falsifiable. C’est le critère en fin de compte de la science, de la démarcation entre science et non-science, pour Popper ; il y a d’autres épistémologues qui ont proposé d’autres critères.
Alors, à votre avis, est-ce que la psychanalyse, au sens du critère de Popper, est scientifique ? Non ? Pourquoi ? [Commentaire de la salle inaudible.] On ne peut pas la réfuter… Donc l’idée c’est qu’en fait on ne peut pas trouver d’énoncés qui s’ils étaient observés viendraient en fait démentir les énoncés de la psychanalyse. Est-ce que vous avez des exemples ? Parce que là comme ça, c’est un petit peu abstrait. [Commentaire de la salle inaudible.] Ah… Il n’y a pas de groupe témoin quand on fait une analyse, mais on pourrait quand-même imaginer que les énoncés que l’on déduit par exemple d’une cure psychanalytique puissent être réfutables, falsifiables. Mais vous dites ? L’inconscient n’est pas réfutable, c’est ça ? Oui. Alors ça pourrait être quoi ?
Un énoncé ? … La psychanalyse dit qu’il existe des processus psychiques inconscients. Que pourrait être un énoncé qui viendrait réfuter, ou une observation, qui viendrait réfuter cet énoncé ? Déjà, l’existence de processus psychiques conscients ne vient pas réfuter l’existence de processus psychiques inconscients. C’est une critique qu’on fait souvent à la psychanalyse, qu’en fin de compte, déjà, la psychanalyse interprète souvent les résistances contre elle-même, contre la psychanalyse, comme des défenses contre notre propre inconscient. Donc c’est une forme de biais qu’ont dénoncé certains, en disant : bon, voilà, on ne peut pas s’attaquer à la psychanalyse car dès qu’on s’attaque à la psychanalyse, on nous répond que ce sont nos propres résistances contre nos propres motions pulsionnelles inconscientes. En effet, cela touche une forme de réalité, car au sens du critère de Popper, la psychanalyse n’est pas réfutable. Elle n’est pas réfutable car il n’existe pas d’énoncés qui pourraient venir, par leur observation, contredire l’existence de processus psychiques inconscients. Ce n’est pas parce que, par exemple, vous avez montré qu’un processus psychique, que vous pensiez inconscient, est devenu conscient… si vous mettez en évidence le fait que quelqu’un peut se rappeler un souvenir qui était inconscient, et bien ça ne va pas réfuter l’idée qu’il existe une trace psychique inconsciente. Vous voyez : il n’y a pas d’énoncé possible qui puisse réfuter cette idée de l’existence de processus psychique inconscient.
Les énoncés de la psychanalyse ne sont pas réfutables ; et en plus la psychanalyse, en tant que méthode et technique thérapeutique, n’est pas reproductible. C’est un point important ; puisqu’une théorie scientifique, pour être scientifique à part entière, doit pouvoir être reproduite. D’ailleurs vous voyez souvent, par exemple dans Science ou Nature, un article disant « Voilà, on a découvert tel gène qui était incriminé dans l’autisme », et ensuite vous trouvez un autre article qui va faire la même expérience, le même protocole expérimental, avec une autre cohorte, et qui va dire « Ah bien non, nous on a trouvé que le gène qui pouvait être incriminé dans l’autisme, ce n’était pas celui-ci, c’était un autre ». Et tout cela, à partir de méthodes statistiques. Mais ça reste de la science, au sens de l’acception contemporaine de ce terme, puisque ce sont des protocoles de recherche qui sont reproductibles. C’est-à-dire que n’importe qui, à condition d’avoir les moyens suffisants, peut refaire l’expérience et voir s’il trouve ou non les mêmes résultats. Et c’est ainsi que vous avez des articles qui sont repris parfois dans les médias qui font la une de certains journaux, et qui, en fait, 5 ans, 10 ans après, vont être démentis par une autre expérience qui va trouver, avec le même protocole, des résultats contradictoires. Donc cela, ça arrive tout le temps dans le champ des neurosciences. C’est ce qu’on appelle la science aujourd’hui.
Alors que la psychanalyse, en tant qu’elle porte sur un sujet pris dans sa singularité, n’est pas reproductible. C’est-à-dire qu’on ne peut pas vérifier si par exemple les interprétations que l’on fait à un patient seraient efficaces pour un autre. On ne peut pas reproduire ça puisque chacun est unique et singulier. Donc en tant que telle, la psychanalyse, comme technique thérapeutique, n’est pas réfutable. Et au sens du critère de Popper, ce n’est pas une théorie scientifique.
Et justement, la neuropsychanalyse a eu l’ambition de donner une assise scientifique à la psychanalyse. Elle a essayé… a créé cette nouvelle discipline qui, elle, serait régie par les exigences de la méthode expérimentale… et donc qui deviendrait une science selon le critère de Popper. La neuropsychanalyse, certes, donne des assises scientifiques à la psychanalyse, au sens où elle lui permet de se soumettre au critère de Popper, mais en fait, d’un point de vue épistémologique, vous voyez : cette tentative relève d’une réunion entre deux disciplines qui vient, certes, pourvoir la psychanalyse de fondements scientifiques mais elle opère une dénaturation des fondements épistémologiques mêmes, qui fondent la psychanalyse ; notamment le fait d’être une technique thérapeutique fondée sur la singularité. Et la neuropsychanalyse cherche à appliquer en fait des critères issus d’une autre épistémologie que la psychanalyse : les critères de la méthode expérimentale à une technique thérapeutique qui est fondée, elle, sur l’étude de la singularité.
Vous voyez : là vous avez une forme d’écueil possible, une illustration des risques que peuvent comporter les tentatives de faire dialoguer la psychanalyse avec les neurosciences. Et notamment le risque qu’a comporté cette approche de création d’une discipline unifiante, qui serait la neuropsychanalyse. La neuropsychanalyse affirme tout à fait l’existence de processus psychiques inconscients mais elle cherche à les fonder du point de vue empirique. Et dans cette démarche, dans cette ambition, la neuropsychanalyse opère ce qu’on appelle une réduction de la psychanalyse à un autre champ. La réduction, c’est l’idée que… par exemple, Jean-Pierre Changeux dit : avant on pensait qu’il y avait des comportements qui faisaient partie de l’esprit humain, mais en fait tout ça, on peut l’expliquer en termes de processus neuronaux. L’idée de réduction en épistémologie c’est le fait que certains phénomènes complexes puissent être expliqués grâce à un autre niveau de description des phénomènes. Vous voyez, le niveau psychique qui serait expliqué à partir du niveau, matériel, de la biologie et des processus neuronaux.
La neuropsychanalyse opère une réduction de la psychanalyse aux neurosciences. L’idée n’est pas de critiquer cette démarche comme illégitime, puisqu’elle a pu constituer une première tentative de dialogue interdisciplinaire. Mais c’est que ce paradigme en tant qu’il repose sur un modèle épistémologique de réunion a donc comme danger de venir annihiler les spécificités de la démarche psychanalytique, qui repose sur cette expérience singulière et non reproductible. Donc, à terme, la neuropsychanalyse conduit en fait à subordonner la psychanalyse aux neurosciences et elle nie d’une certaine façon l’autonomie, la singularité de la psychanalyse que Freud s’était efforcé de fonder en abandonnant sa référence à la biologie, à l’anatomie. Donc retour en arrière par rapport à cet axe d’émancipation épistémologique de Freud, qui fonde la psychanalyse comme autonome par rapport à la biologie.
Alors, la neuropsychanalyse, fondée sur ce paradigme de réunion, a constitué une première tentative de faire dialoguer la psychanalyse et les neurosciences, mais depuis, d’autres travaux ont cherché à mettre au jour des modèles épistémologiques distincts et à réfléchir notamment à la possibilité d’une rencontre entre la psychanalyse et les neurosciences qui n’implique pas ce réductionnisme, ce risque du réductionnisme. Et donc sans subsumer une discipline à l’autre, sous l’autre disons, et sans subordonner la psychanalyse à la biologie.
Il y a d’autres paradigmes épistémologiques qui ont vu le jour, notamment à partir des recherches sur la plasticité cérébrale de Kandel, Prix Nobel de médecine en 2000. Et à partir des travaux de Kandel, François Ansermet qui est psychanalyste et Pierre Magistretti qui est neurobiologiste ont dans les années 2000 proposé un autre modèle de rencontre interdisciplinaire. Ils l’ont exposé notamment dans leur premier livre commun qui s’appelle À chacun son cerveau. Plasticité neuronale et inconscient, qui est paru chez Odile Jacob. Dans ce livre, ils ont exposé un modèle de dialogue interdisciplinaire qui contrairement à la neuropsychanalyse, ne reposerait pas sur un paradigme de réunion, mais sur un paradigme d’intersection, c’est-à-dire un modèle qui prenne acte de cette hétérogénéité radicale entre la psychanalyse et les neurosciences, qui auraient chacune leur épistémologie propre et autonome ; mais cela tout en cherchant à réfléchir à la possibilité de concevoir un point d’intersection, un point de rencontre entre ces deux disciplines. Notamment point de rencontre autour de la question de l’inscription de l’expérience sous forme de traces ; et donc à partir de ces travaux sur la plasticité cérébrale.
Donc constat commun, d’une certaine façon, c’est l’hypothèse d’Ansermet et Magistretti…, constat commun à la psychanalyse et aux neurosciences, que l’expérience s’inscrit et laisse une trace que l’on pense, cette trace, être une trace mnésique du point de vue de la théorie freudienne, ou que l’on pense, cette trace, comme une trace synaptique du point de vue des neurosciences.
Alors, en psychanalyse, comment Freud pense-t-il l’inscription de l’expérience sous forme de trace ? Est-ce que c’est quelque chose que vous avez vu ? Comment… je pense que vous avez eu quand-même quelques cours qui parlent de la psychanalyse. La psychanalyse conçoit que l’expérience s’inscrit dans l’appareil psychique. C’est au fondement même de l’idée de l’inconscient et du refoulement. Comment est-ce que Freud pense cette inscription des traces laissées par l’expérience ? Pardon ? [Interactions inaudibles avec la salle.] Les rêves, oui, pourquoi dans les rêves aurait-t-il inscription d’une certaine trace ? C’est le cas… Le rêve témoigne de cette inscription. Oui ? Les traumas aussi ? Mais pour prendre l’exemple du rêve, pourquoi est-ce que le rêve témoigne de l’inscription de l’expérience sous forme de traces psychiques ? Il y a des mouvements ? Dans quel sens ?
Alors… Un rêve c’est quoi, de façon pragmatique et purement descriptive ? C’est quoi un rêve ?... mais là c’est très compliqué… De façon très simple, c’est quoi un rêve ? Le matin quand vous vous réveillez, en général… Je vais reprendre ce que les personnes disent pour que tout le monde entende avec le Zoom. Je posais la question de comment Freud conçoit l’inscription des expériences sous forme de traces et quelqu’un dans la salle a dit : « Et bien par exemple avec le rêve ». Donc ma question est d’abord : qu’est-ce qu’un rêve d’un point de vue phénoménologique ? Si vous devez décrire… C’est quoi un rêve ?
— Étudiante 4 : Ce sont les activités oniriques.
— Oui, le rêve c’est une activité onirique, oui, mais si on doit le décrire concrètement, qu’est-ce qu’un rêve ? Voilà, tout à fait : ce sont des images. Donc Freud dit que dans le rêve, il y a des représentations. Par exemple, un de ses patients dit : « Voilà, j’ai rêvé d’une femme brune, un peu âgée ». Et le patient rajoute : « … mais attention, ce n’est surtout pas ma mère ! ». Ok. En tout cas, il y a une image : la représentation d’une femme. Ok. Donc, le rêve, Freud dit, ce sont des images. En effet. C’est ce qu’il appelle « le contenu manifeste du rêve ». Et le travail d’interprétation va mettre en évidence que derrière ce contenu manifeste, derrière ces images du rêve, il y aurait quoi ? Un contenu latent, tout à fait, qui serait composé par quoi ? Donc… Par exemple… [Echanges inaudibles avec la salle.] Donc Freud conçoit que derrière le contenu manifeste du rêve, il y aurait, derrière les images du rêve, un contenu latent, Freud parle aussi des « pensées du rêve », qui serait notamment constitué par des représentations refoulées. Vous voyez… Par exemple, Freud parle du rêve « de l’injection faite à Irma » ; il dit que dans son rêve, il est dans une réception, il voit sa patiente Irma qui est une jeune femme, il lui demande d’ouvrir la bouche, et il associe… Il voit qu’elle a une infection, il pense qu’il y a sans doute des compresses qui ont été oubliées lors d’une opération. C’est là tout le contenu manifeste du rêve. Il voit Irma et lui demande d’ouvrir la bouche. Et dans le contenu latent, Freud, en associant à partir de ces images du rêve, va faire le lien, va se rappeler que dans son rêve, Irma se comporte comme si, dit-il, elle portait un dentier. Comme une femme pudique qui n’a pas envie d’ouvrir la bouche parce qu’elle veut cacher le fait qu’elle porte un dentier. Et il associe cela avec l’image de sa gouvernante quand il était petit et qui portait un dentier. En associant, il dit aussi que ça lui fait penser à sa femme qui, il dit, n’a pas une très belle dentition — ce n’est pas très gentil pour Martha, mais en tout cas ce sont les associations que Freud évoque dans ce rêve de l’injection faite à Irma. Donc vous avez une représentation, une image dans le rêve, consciente puisque Freud, quand il se réveille, se rappelle son rêve : c’est l’image d’Irma. Derrière la représentation de Irma, se cachent notamment des références, que ce soit à la gouvernante de Freud quand il était petit, ou à sa femme. Vous voyez : une représentation, une image du rêve cache une représentation, vous dites, en effet, refoulée, inconsciente, qui est découverte par le travail d’interprétation.
Mais tout cela, on considère, en effet, que ce sont des traces mnésiques au sens où Freud a construit cette image d’Irma dans son rêve, par condensation des représentations à la fois de sa patiente, de sa femme, de sa gouvernante, etc. Donc il y a bien dans le rêve un travail du rêve qui va déguiser les représentations inconscientes en représentations conscientes, qui va les travestir ; puisque l’idée, c’est de camoufler le désir du rêve pour ne pas alerter la censure, pour ne pas conduire au réveil. Mais vous voyez que ce travail de déguisement se fait toujours à partir de traces psychiques qui sont déjà là. Ce sont des traces laissées par des expériences et par la perception du monde extérieur. Donc, en effet, toute la théorie du rêve de Freud présuppose une théorie de la trace. Enfin, du point de la psychanalyse freudienne… Par exemple, vous ne pouvez pas rêver d’un Centaure si vous n’avez jamais vu un cheval et un être humain. Donc le Centaure, c’est une représentation qui va associer un être humain à un cheval ; mais encore faut-il que vous ayez réellement perçu au moins un être humain et un cheval, pour pouvoir associer ces deux représentations. Le rêve sans cesse réassocie des traces mnésiques. Et le travail du rêve est de les réassocier, de les travestir au point que l’on ne puisse plus reconnaître les traces psychiques initiales, puisque le but est de camoufler, de travestir le désir inconscient.
En effet, vous avez un lien, dans toute la théorie freudienne du rêve, avec la métapsychologie de la trace. Mais concrètement, comment est-ce qu’on… ? Freud a essayé de décrire notamment l’inscription des premières traces mnésiques dans l’appareil psychique. Est-ce que vous vous souvenez ? Oui ? [Réponses inaudibles de la salle.] Tout à fait, donc dans différents systèmes… Oui… Alors, le sens est perdu ; en même temps il s’associe avec ces traces justement… Je pense que vous faites référence à ce que Freud justement décrit dans L’Interprétation des rêves à partir de son schéma de la perception, où il propose de concevoir sous cette forme l’inscription des premières traces mnésiques, stockées dans ce qu’il appelle un « système de mémoire » qui va devenir le système inconscient, où ensuite certaines de ces traces pourraient être investies par le système préconscient/conscient, et devenir conscientes ; enfin présentes dans notre conscience. Puisque pour Freud, toutes les traces psychiques sont stockées ; rien ne se perd dans l’appareil psychique ; mais en même temps, heureusement que tout n’est pas conscient en même temps. C’est ce qu’il appelle « l’attention », c’est le fait d’investir certaines traces psychiques qui vont venir au premier plan de notre scène psychique conscientes.
Alors, à partir de quelle expérience est-ce qu’il va proposer de concevoir cette inscription ? Je suis certaine que vous en avez déjà entendu parler, notamment sur les expériences précoces. À quoi est-ce qu’il va s’intéresser ? Est-ce que vous avez déjà entendu parler de l’expérience de satisfaction du nourrisson ? Oui ? Donc, c’est l’idée chez Freud que le bébé, lorsqu’il est confronté pour la première fois à un état qu’il appelle de détresse, d’Hilflosigkeit, c’est-à-dire une forme de détresse, de mal-être inaugural, puisque le petit enfant, le nourrisson est en proie à des excitations internes, comme la faim qu’il ne peut pas réguler seul… Le nourrisson seul ne peut pas satisfaire ses besoins. Et que va-t-il se passer quand le nourrisson est en proie à cette poussée d’excitation interne avec l’apparition des grands besoins ? Qu’est-ce qu’il fait en général le bébé à ce moment-là ? Il hurle. Voilà. Freud dit : il pleure, il crie, donc dans une première tentative d’évacuer cette excitation interne à l’extérieur. Freud dit qu’au début le nourrisson lorsqu’il crie, qu’il pleure, il n’y a pas encore cette dimension d’adresse à l’autre ; elle va s’acquérir avec le temps. Dans un premier temps, pour Freud, c’est juste un réflexe physiologique de tentative de décharger cette excitation qui l’envahit.
Et normalement, si tout va bien, quand le bébé pleure, que se passe-t-il ? : la mère ou le père ou la gouvernante, ou la baby-sitter, peu importe, en tout cas un adulte : Freud l’appelle le Nebenmensch, l’adulte « proche », bien au courant des besoins de l’enfant, va venir et si tout va bien satisfaire le besoin de l’enfant : le nourrir, que ce soit par l’allaitement, la mère qui donne le sein, ou le père ou quelqu’un d’autre qui peut donner un biberon à l’enfant.
Pour Freud, il y a là une expérience première de satisfaction, puisque l’enfant passe d’un état de déplaisir, qui était caractérisé par ce besoin et cette détresse qui l’avaient envahi, à un état de plaisir parce qu’une fois qu’il a obtenu le lait, ses besoins physiologiques sont régulés ; et il y a ce que Freud appelle « satisfaction » et « prime de plaisir ». Pour Freud, vous le savez sans doute, le principe fondamental de régulation de l’appareil psychique, c’est le principe de plaisir. C’est ce qui est déterminant. C’est ce qui fait qu’il y a un refoulement ; notamment lorsqu’une représentation est source de déplaisir pour une certaine partie de l’appareil psychique.
Dans la première expérience de satisfaction, l’idée, c’est que le plaisir qui accompagne l’état de satisfaction du besoin va induire l’inscription de certaines traces, issues des représentations, des perceptions externes, qui avaient été associées à cet état de plaisir. C’est-à-dire que simultanément à cette sensation de plaisir qui envahit l’enfant au moment de la satisfaction de son besoin, l’enfant, qu’est-ce qu’il va percevoir autour de lui comme représentation ? Le plaisir, c’est une perception interne, mais ce plaisir va s’accompagner simultanément de perceptions externes, perceptions extérioceptives, des différents sens. Qu’est-ce que l’enfant peut percevoir à ce moment-là, par ses cinq sens ? Par exemple ?... Voilà : il peut entendre les paroles de la mère, tout à fait, la voix de la mère ; le toucher, tout à fait ; donc il peut percevoir par le toucher la peau de la mère ou du parent. Quoi d’autre ? L’odeur, exactement. Donc tous les sens sont convoqués ; à la fois la vue : il voit, que ce soit, Freud va dire, comme modèle de la trace première, l’image du sein, mais aussi le visage de la mère ; la voix de la mère ou du père ; le toucher ; l’odeur. Donc toutes ces perceptions extérioceptives accompagnent le sentiment interne de plaisir. Et ce sont ces perceptions externes qui vont s’inscrire dans l’appareil psychique. Alors que pourtant ce n’est pas le sein qui satisfait le besoin. Qu’est-ce qui satisfait le besoin ? Strictement parlant… Le lait tout à fait. Donc l’objet du besoin, c’est le lait ou la nourriture ; mais dès lors l’objet du désir et l’objet de la pulsion, cela va être, non pas cet objet biologique, mais l’objet perçu qui avait accompagné la satisfaction. Vous voyez, ce qui préside à l’inscription des premières traces, dans la théorie freudienne, c’est le plaisir ; s’il n’y a pas de plaisir, il n’y a pas d’inscription. Ce qui va s’inscrire, c’est toute une série de perceptions que Freud dit contingentes ; parce qu’en fait ce peut être le sein, ça peut être aussi l’image d’un doudou (si les parents lui ont en même temps donné une peluche), ce peut être la voix du père… Vous voyez : tout ce qui va s’inscrire à ce moment-là, c’est contingent. C’est soumis au hasard des modalités de cette première expérience. Alors que l’objet du besoin, lui, n’est pas contingent. Il est nécessaire. Il n’y a pas d’aléatoire possible. Ce qui va satisfaire l’enfant, physiologiquement, c’est le lait. Si vous lui donnez de l’eau, ça ne va pas satisfaire son besoin physiologique d’être nourri.
Donc, c’est là la description freudienne de l’inscription des premières traces mnésiques à partir de ce que Freud appelle « l’expérience première de satisfaction du nourrisson », qu’il décrit donc dans L’Interprétation des rêves ; puisqu’à l’occasion du travail sur le rêve, c’est là qu’il va mettre en évidence et proposer cet édifice conceptuel d’une métapsychologie de la trace ; là qu’il va proposer un cadre conceptuel pour décrire l’inscription des traces psychiques, des traces mnésiques dans l’appareil psychique.
Mme Jessica Tran The, « Quel paradigme épistémologique pour un dialogue entre psychanalyse et neurosciences ? », enseignement du samedi 7 octobre 2023
transcription : Rodolphe Viémont
relecture : Christine Le Moult et Anne Videau