Extrait
22 novembre 2010
En ce début de cycle je crois qu’il est intéressant de prendre les choses à partir de la naissance de la psychanalyse et c’est pourquoi j’ai proposé comme sujet l’hystérie et la névrose obsessionnelle dans leur actualité. Ce sont en effet les deux névroses fondatrices. Et pour répartir – je dirais assez obsessionnellement la question, je parlerai aujourd’hui de l’hystérie et, dans la seconde conférence qui aura lieu dans un an, je parlerai de la névrose obsessionnelle.
Interroger l’hystérie dans son actualité c’est d’abord interroger son histoire. Si l’hystérie fut repérée et traitée par Charcot, dans un premier temps, puis par Freud, elle n’en existait pas moins avant, et depuis fort longtemps. En fait cela remonte, pour ce qui est des premières traces, aux Égyptiens. On a découvert des papyrus, datant de 1900 avant J.-C., qui montrent comment était déjà repérée et traitée cette affection qu’est l’hystérie, qu’on n’appelait pas névrose bien entendu. Depuis les Égyptiens en passant par les Grecs, les Latins, Freud, Lacan, et plus près de nous Melman. Quelles sont les réponses apportées dans leur succès et leur insuccès ? Ces réponses nous enseignent sur le contexte psychique mais aussi culturel et social dans lequel elles s’inscrivent.
Le premier repérage a donc été daté dans le papyrus dit de Khau, papyrus qui remonte à 1900 av J.-C. Que trouve-t-on dans ce papyrus ? Une description d’affections propres à des femmes : l’une qui refuse de quitter le lit et de faire sa toilette, l’autre qui est malade de la vue et frappée de douleurs cervicales, une troisième qui souffre des dents et qui ne peut ouvrir la bouche, une autre encore marquée de douleurs diffuses. Des troubles qui, à première vue, n’auraient pas de lien entre eux. Les Égyptiens ont établi un lien dans cette diversité, faisant ainsi une première avancée structurelle, car ils rattachaient ces affections à une même cause, l’inanité de l’utérus. On ne le disait pas ainsi à l’époque, mais vous pouvez le résumer : il ne suffisait pas d’être femme, encore fallait-il l’être pleinement, ce qui a l’époque voulait dire être mère. Il s’agissait donc, à ses états physiques, de trouver une réponse physique. Cette réponse est tout à fait étonnante : elle passait à l’époque par la fumigation d’odeurs vaginales, en vue de rétablir l’humidité de l’organe. Et vous serez encore plus étonnés de savoir, comme le rappelle Charles Melman dans les Nouvelles études sur l’hystérie, que cette pratique a continué jusqu’au XXe siècle, sous la forme d’une plante dont on devait respirer les parfums, la valériane, qui était utilisée pour ses propriétés (par Hippocrate) pour guérir l’épilepsie, la danse de saint Guy, l’hystérie, jusqu’au cours de la SecondeGuerre mondiale où elle était censée apporter du calme et du repos à ceux qui avaient été traumatisés. Sur cette plante circulaient des phantasmes jusqu’en Italie où on la croyait sexuée : on pensait qu’il y avait une valériane mâle et une valériane femelle, vous voyez, une façon de rechercher un rapport avec ce qu’il en était du sexe. Dès la fin du XIXe on se demandait si cette plante était vraiment efficace, si elle n’était pas superflue, mais on notait en même temps qu’elle avait aussi une influence sur les chats, inverse de celle de l’homme, calmante sur l’homme mais euphorique sur les chats, ce qui veut dire qu’il n’y avait sans doute pas qu’une imagination qui circulait à propos de cette plante. Mais quant à guérir l’hystérie, disons que probablement ça avait calmé les choses et que s’il y avait un mieux-être, c’était à cause de ce qui entourait le fait d’utiliser cette plante… selon la personne qui la donnait ou le fait qu’on prêtait attention à la femme qui souffrait.
400 ans plus tard, on trouve un autre papyrus - on est donc en 1500 avant J.-C., qui reprend les mêmes indications, à ceci près qu’il ajoute un ibis de cire qui était le symbole masculin par excellence, le symbole du dieu Thot, un dieu mâle. Notre conception moderne du corps et de ses fonctions ne saurait s’appliquer à ces temps reculés de l’histoire. Il n’y avait même pas la notion d’organe comme nous la connaissons maintenant, on ne connaissait évidemment même pas la circulation du sang - découverte attribuée à W. Harvey en 1616, mais déjà connue au siècle précédent. Il s’agissait alors devant ces manifestations qui sortaient on ne savait d’où, de faire entrer quelque chose on ne savait où.
On retrouve cela encore 400 ans avant J.-C., chez Hippocrate qui introduit le qualificatif d’hystérie et, à la même époque, dans le Timée de Platon, on parle de façon très précise de cette affection. Je vous lis le passage :
Chez les hommes, ce qui tient à la nature des parties est un être indocile et autoritaire, une sorte d’animal qui n’entend point raison et que ses appétits toujours excités portent à vouloir toujours tout dominer. De même chez les femmes, ce qu’on appelle matrice ou utérus est pour ces mêmes raisons - c'est-à-dire la connexion avec la moelle appelée aussi substance germinative, un animal au-dedans d’elle qui a l’appétit de faire des enfants et lorsque, malgré l’âge propice, il reste un long temps sans fruit, il s’impatiente et supporte mal cet état. Il erre partout dans le corps, obstrue les passages du souffle, interdit la respiration, jette en des angoisses extrêmes et provoque d’autres maladies de toutes sortes.
Vous voyez donc cet utérus - mot non employé, qui va errer dans le corps. Ce qui souligne combien on était loin de cette notion d’organe, d’organisation du corps. De façon explicite, la solution proposée était l’engrossement pour apporter le calme à cet animal dévorant.
Ce rappel historique, jusque dans l’histoire antique, avant même d’aborder l’époque de Freud, a pour mérite de nous indiquer que l’hystérie, ça ne date pas d’hier. Et ce n’est pas demain qu’elle cessera, en dépit des efforts du DSM-IV pour la faire disparaître de la nomenclature où elle ne subsiste actuellement que sous le terme de trouble de la conversion.