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In topique n° 98

Topique

2007/1 (n° 98)

RĂ©sumĂ© :

Dans cet article, l’auteur, Directeur des Archives Sigmund Freud (Bibliothèque de Washington), revisite le cas du petit Hans, pour l’anniversaire des 150 ans de la mort de Freud. Hans a Ă©tĂ© soignĂ© pendant 4 mois environ de janvier Ă  avril 1908. Pendant que le père de Hans allait devenir son thĂ©rapeute, sa mère, violoniste, Ă©tait suivie par Freud. On peut considĂ©rer que la cure du « petit Hans Â» est la première d’une cure d’enfant, supervisĂ©e. Les hypothèses de Freud sur la sexualitĂ© infantile et sur les conflits inconscients pathogènes de la nĂ©vrose, reconstruits dans l’analyse de l’adulte Ă©taient alors validĂ©s par le compte-rendu de sa cure. L’article veut continuer l’enquĂŞte et la comprĂ©hension de ce cas. Grâce aux nouveaux renseignements sur le petit Hans, son dĂ©veloppement et sa famille, nous avons maintenant, depuis l’ouverture des Archives Sigmund Freud sur les entretiens de Max Graf (1952) et d’Herbert Graf (1959) jusqu’alors inaccessibles, un nouveau savoir qui dĂ©fie les premières formulations, ouvre des perspectives et soulève de nouvelles questions.

Le texte :

Le petit Hans (1903-1973) occupe une place importante dans l’histoire de la psychanalyse. Avant la publication de ce cas, le traitement analytique d’un enfant n’avait jamais Ă©tĂ© menĂ©. MalgrĂ© ses limites, le cas du petit Hans a conservĂ© l’esprit novateur, la naĂŻvetĂ© et la fraĂ®cheur de la première exploration des pensĂ©es, des Ă©motions et des fantasmes infantiles. Ă€ l’occasion de la cĂ©lĂ©bration du 150e anniversaire de la naissance de Freud (1856-2006), n’est-il pas pertinent de reconsidĂ©rer le cas du petit Hans ?

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Freud avait demandĂ© Ă  ses premiers confrères et Ă©tudiants de la SociĂ©tĂ© du Mercredi Soir d’observer leurs propres enfants et de prendre des notes sur leur dĂ©veloppement. Max Graf (1873-1958), un de ses plus proches partisans et un des tout premiers membres de la SociĂ©tĂ© du Mercredi Soir, suivit ce conseil. Il proposa Ă  l’examen de Freud les notes prises sur l’observation de son fils. Si la mère avait pris des notes, elles auraient, bien que diffĂ©rentes de celles du père, apportĂ© un complĂ©ment d’information. Lorsque le petit Hans eut dĂ©veloppĂ© la phobie des chevaux, son père et Freud imaginèrent une nouvelle mĂ©thode : le père conduirait le traitement chez lui, aidĂ© par Freud qui apporterait les principes analytiques, la connaissance, l’orientation et la « supervision Â», permettant au traitement de progresser jusqu’au succès. On peut regarder le cas du petit Hans comme la première analyse d’enfant supervisĂ©e et la première guidance analytique infantile. Les hypothèses de Freud sur la sexualitĂ© infantile et les conflits pathologiques de la nĂ©vrose, reconstruits dans l’analyse de l’adulte, furent confirmĂ©s par le cas paradigmatique du petit Hans. On ne pouvait pas accuser Freud de sĂ©lection, de suggestion ou de fabrication de donnĂ©es puisque le matĂ©riel clinique Ă©tait presque entièrement fourni par le père de cet enfant de 5 ans. La validation du traitement Ă©tait sur le plan scientifique et personnel primordial pour Freud au moment mĂŞme oĂą ses thĂ©ories Ă©taient traitĂ©es avec dĂ©rision par les mĂ©dias et l’AcadĂ©mie. MalgrĂ© la possibilitĂ© de cette confidence pourtant rassurante et la juste anticipation de l’opprobre publique, Max Graf a donnĂ© son accord pour publier le cas. Le petit Hans participait avec enthousiasme Ă  l’écriture des notes, allant jusqu’à dicter certains commentaires Ă  son père (Ed. frse Gallimard, p. 131). Il demanda, « Si j’écris tout au Professeur, n’est-ce pas que ma bĂŞtise passera bientĂ´t ? Â» (p. 61). ConsidĂ©rant « les soucis bien comprĂ©hensibles [que le père se fait] et ses premières tentatives d’explication Â» (p. 106), Freud posa : « Ce n’est nullement notre tâche de « comprendre Â» d’emblĂ©e un cas pathologique, ceci ne nous est possible que par la suite... Â» (p. 106). Et Freud, de façon enthousiaste et contradictoire, affirma : « aucun moment de la maladie n’est aussi favorable Ă  sa comprĂ©hension que son stade initial. Â» (p. 107).

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Après avoir rencontrĂ© Freud le 30 mars 1908, le petit Hans demanda : « Est-ce que le professeur parle Ă  Dieu ? Â». Cette idĂ©alisation omnisciente de Freud qu’il partagea probablement avec ses parents fut exprimĂ©e après que Freud lui dit : « Un petit Hans naĂ®trait un jour qui aimerait tellement sa mère qu’il serait par suite forcĂ© d’avoir peur de son père. Â» (p. 120).

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Après le divorce officiel de ses parents, Hans, jeune homme, lut le compte rendu de son cas ; il comprit qu’il s’agissait de lui et en discuta avec son père. On ne sait pas bien ce qu’il tira de son traitement avec Freud et son père, ni l’effet de la relation père-fils.

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Si Hans avait été intérieurement perturbé par la publication de son cas, cela aurait pu expliquer son embarras à propos des souvenirs de sa phobie ainsi que de son traitement à l’âge de cinq ans. Il n’est pas surprenant que le contenu du traitement conduit par son père ait été oublié. Effectivement, pour un enfant de cet âge, le manque de souvenirs de sa phobie, des interventions du père et l’absence de remarques de la famille sont difficilement compréhensibles. Quand Freud apprit que Hans n’avait à son adolescence, aucun souvenir de son analyse, il compara la perte de mémoire à l’oubli d’un rêve (p. 149). Un rêve est pourtant évanescent, or les symptômes phobiques ont duré pendant quatre mois.

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En fait, le petit Hans fut traité pendant quatre mois, de janvier à avril 1908. Lire le rapport de Freud, précisément celui du petit Hans, est un retour à l’enfance et à l’enfance de la psychanalyse bien avant les avancées théoriques majeures. L’histoire familiale, la perspective longitudinale, la publication de l’autobiographie du petit Hans et l’édition des entretiens confidentiels de Hans et de son père par Kurt Eissler que les Archives Sigmund Freud viennent d’ouvrir nous invitent à reconsidérer et à réévaluer ce cas classique. Ces entretiens sont sujets à tous les problèmes de transfert et de contre-transfert, aux distorsions causées par le temps et le vieillissement et à la qualité de la mémoire. Pourtant les entretiens avec Max Graf (1952) et Herbert Graf (1959) nous donnent des informations significativement convergentes et cohérentes avec d’autres Rapports sur l’instabilité de la mère du petit Hans. Stimulés et guidés par les données qui ont suivi, on a pu mettre au jour des aspects remarquables du cas qui n’avaient été que survolés depuis sa publication.

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De nouvelles perspectives contemporaines, enrichies par une vaste et précieuse littérature ont fait l’objet d’études intensives et de réflexions que l’on peut voir dans les communications et les échanges de cette table ronde. Remarquables par leur absence, beaucoup de faits méconnus ont pu être tirés à partir d’une très soigneuse étude analytique actuelle de ce cas.

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En 1909, Freud pensait que c’était seulement parce que l’autoritĂ© du père et celle du mĂ©decin Ă©taient rĂ©unies en une seule personne, qu’on pouvait appliquer la mĂ©thode analytique au traitement d’un enfant (une hypothèse similaire l’a peut-ĂŞtre influencĂ© dans son analyse d’Anna Freud). Un siècle plus tard, cette vieille hypothèse initiale souligne le contexte culturel, historique et analytique du rapport et des personnes impliquĂ©es. Actuellement nous avons de nouvelles informations concernant la mère du petit Hans, sa personnalitĂ© perturbĂ©e, son histoire familiale et sa relation tumultueuse avec son mari et ses enfants. Alors que le père devenait le thĂ©rapeute de son fils, Freud Ă©tait celui de la mère, Olga. Elle Ă©tait musicienne, violoniste, et partageait son talent et ses intĂ©rĂŞts avec son mari. Par les Entretiens on a appris que deux de ses frères se sont suicidĂ©s ; ceci nous a permis de confirmer son identitĂ© : elle est bien la personne mentionnĂ©e par Freud dans sa lettre Ă  Fliess du 7 juillet 1897 (D. Abrams, 2005). Freud parlait d’une jeune femme obsessionnelle dont les deux frères s’étaient suicidĂ©s et qui avait perdu son père Ă  l’âge de 11 mois (ce que confirme Eissler dans l’interview de Max Graf). Dans le compte rendu du cas, Freud dĂ©clara que : « Ă€ la suite d’un conflit dans sa jeunesse, sa jolie mère Ă©tait devenue nĂ©vrosĂ©e. J’étais en mesure de l’aider Ă  cette pĂ©riode... Â» (p. 141-142). Bien avant la naissance du petit Hans, le 10 avril 1903, Freud connaissait la personnalitĂ© et la dĂ©tresse de la mère. La perte d’objet, le traumatisme et le suicide prĂ©sents dans la vie de la mère, se retrouveront plus tard dans la vie personnelle du petit Hans.

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En 1898, Max Graf avait épousé Olga Honig, alors âgée de 21 ans. Lors des promenades qu’ils faisaient lorsqu’ils se fréquen-taient, il entendit parler du traitement d’Olga. Elle racontait à son futur mari chacune de ses séances avec Freud, ce qui était peut-être un signe avant-coureur du rapport que Max Graf ferait à propos de son fils. La fréquence et la durée de son traitement ainsi que les conséquences dans la vie du petit Hans sont restées inconnues. Fasciné par sa femme et le récit de sa cure, Max Graf rencontra Freud par son intermédiaire. Ils devinrent amis, à la fois sur le plan professionnel et social et prirent l’habitude de discuter dans leurs cafés favoris. Souvent invité à dîner chez les Grafs, Freud a vraisemblablement connu le petit Hans depuis sa naissance. Il devait être au fait des dons verbaux et musicaux du petit Hans ainsi que de son tempérament et de ses difficultés. Freud n’avait pas de penchant particulier pour la musique, ce qui ne l’empêchait pas d’assister à des opéras ni d’estimer le savoir et les échanges musicaux avec Max Graf. Graf était un intellectuel très doué, titulaire de deux doctorats, en musicologie et en droit. La musique imprégnait la culture de Vienne, la ville de Brahms, Bruckner, Strauss et Mahler. Freud était si impressionné par Max Graf qu’il lui donna son manuscrit inédit, Personnages Psychopathiques à la scène (1906) et l’encouragea à écrire le premier texte analytique sur l’opéra, les compositeurs et les compositions musicales. Freud avait gardé et publié en 1911 l’article analytique de Max Graf sur l’opéra de Wagner, Le Hollandais Volant. Max Graf a été un des premiers à rejoindre le nouveau groupe psychanalytique du mercredi soir, qui deviendra par la suite la Société Psychanalytique de Vienne. Il quitta le groupe en 1912, impressionné par Alfred Adler et ambivalent envers Freud et la psychanalyse. Déçue par Freud et l’issue de sa cure, mal à l’aise dans un mariage tumultueux et dans sa maternité, Olga Graf devint une amie et probablement une patiente d’Adler.

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Elle avait beaucoup de traits d’une « personnalitĂ© limite Â», pathologie pas encore diagnostiquĂ©e. Freud a encouragĂ© Max Graf Ă  se marier avec Olga, malgrĂ© les apprĂ©hensions de ce dernier. Elle Ă©tait particulièrement affolĂ©e et acariâtre dans sa relation avec sa fille Hanna, la petite sĹ“ur de Hans. Avant qu’elle soit enceinte de Hans elle avait fait une fausse-couche ; et les Graf avaient consultĂ© Freud après la naissance de Hans, au sujet de la conception d’un deuxième enfant. Les parents Ă©taient hĂ©sitants et Hanna semble avoir Ă©tĂ© conçue pendant une pĂ©riode de conflit conjugal intense. Olga Ă©tait dĂ©pressive après le coĂŻt, et elle avait probablement fait une dĂ©pression post-partum après la naissance de sa fille. Alors qu’ils espĂ©raient que ce nouveau-nĂ© allait renforcer leur mariage qui devenait de plus en plus fragile et morose, le contraire se produisit. Plus tard, il semble que Freud ait subi des reproches de Max, et la causticitĂ© d’Olga, sans doute pour l’influence qu’il a eu sur son mariage et l’encouragement Ă  agrandir sa famille. Dans son Entretien de 1959, Herbert Graf critiquait aussi Freud pour le conseil donnĂ© Ă  ses parents ; cet Entretien paraĂ®t avoir rĂ©activĂ© celui qu’il eut avec Freud après la lecture de son cas Ă  l’adolescence. Le mariage de ses parents se dĂ©faisait et ils se sĂ©parèrent après de longues annĂ©es de dĂ©saccord. Le divorce eut un impact diffĂ©rent sur les deux enfants.

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Alors que Hans « devenait un enfant joyeux, gai et aimable Â», il devint jaloux du nouveau nĂ© et inquiet de cet autre intrus avec qui il devrait partager sa mère ; d’autant plus que son rival de père couchait avec sa mère. D’autres bĂ©bĂ©s encore pouvaient sortir de la grosse boĂ®te symbolisant la mère enceinte. On peut voir maintenant que la grossesse, la naissance, la nĂ©gligence et le mauvais traitement d’Hanna ont pu dĂ©terminer la phobie de Hans. Il pouvait rĂ©pondre Ă  son père qu’il aimait sa petite sĹ“ur, puis dire clairement qu’il souhaitait qu’Hanna ne soit plus vivante ; il imaginait la jeter par-dessus le balcon. Sa mère lui avait confiĂ© la garde de sa petite sĹ“ur pour l’empĂŞcher de tomber, signe d’une protection maternelle dĂ©faillante. Or le petit Hans pouvait Ă  peine se protĂ©ger lui-mĂŞme. Les difficultĂ©s de la mère Ă  ĂŞtre suffisamment protectrice ont contribuĂ© Ă  l’insĂ©curitĂ© de Hans (Silverman, 1980). La projection de son propre dĂ©sir de mort envers sa sĹ“ur et sa mère Ă©tait liĂ©e Ă  son fantasme de mort – que la mère noie ses enfants. Le fantasme liĂ© Ă  la disparition et la mort de sa petite sĹ“ur est maintenant comprĂ©hensible. C’était un fantasme qu’il partageait avec la mère, qui Ă©tait extrĂŞmement ambivalente envers sa fille depuis sa naissance et probablement pendant sa grossesse. Le petit Hans disait Ă  son père qu’il ne pouvait pas supporter les cris de sa petite sĹ“ur. Quand son père niait qu’elle criait, le petit Hans rĂ©pondait « oui, elle crie quand maman lui donne une fessĂ©e Â». Les implications frĂ©quentes se rĂ©fĂ©rant au fait que la mère battait Hanna qui n’avait pas 18 mois – ce que l’on peut dater avec le rĂ©cit du cas – ont Ă©tĂ© oubliĂ©es pendant des annĂ©es (l’oubli persistant de la maltraitance du nourrisson peut ĂŞtre mis en relation avec le dĂ©placement paradigmatique de la sĂ©duction du trauma vers le fantasme inconscient, l’analyse de la rĂ©alitĂ© psychique du petit Hans, la fixation et l’idĂ©alisation de l’ère hĂ©roĂŻque de l’exploitation et la dĂ©couverte de la psychanalyse, etc).

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Le petit Hans avait le mĂŞme fantasme sadomasochiste de battre sa mère en utilisant le mĂŞme battoir Ă  tapis avec lequel elle le menaçait. Dans l’Entretien de Max Graf en 1952, il signala qu’Olga Graf se comportait convenablement avec son fils, mais qu’elle rejetait sa fille Hanna, peut ĂŞtre par jalousie. « Elle ne s’était jamais bien entendue avec la fille Â». En 1959, Herbert Graf confirmait que sa mère ne pouvait pas supporter un deuxième enfant. Olga Ă©tait plus aimante envers son fils qu’envers sa fille ou son mari. La relation mère-fille d’une extrĂŞme conflictualitĂ© et l’expĂ©rience traumatique d’Hanna, ainsi qu’une probable prĂ©disposition biogĂ©nĂ©tique avaient contribuĂ© Ă  l’effondrement mental d’Hanna et Ă  son suicide.

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L’observation de Freud, Ă©lĂ©gante et originale Ă©tait principalement interprĂ©tĂ©e dans le cadre de l’œdipe positif qu’il venait d’élaborer. Les structures psychanalytiques Ă©taient restreintes Ă  la thĂ©orie de la libido et Ă  la pulsion sexuelle, bien que les fantasmes, les pensĂ©es et les sentiments de l’enfant Ă©taient dĂ©jĂ  interprĂ©tĂ©s Ă  partir de multiples positions. Freud pesait l’importance de l’agression dans ce cas, et expliquait que l’angoisse du petit Hans : « Ă©tait due Ă  la rĂ©pression de ses tendances agressives (les tendances hostiles envers le père et les tendances sadiques envers la mère) Â». Le transfert et le contre-transfert du patient, du père et du superviseur n’étaient pas encore pris en considĂ©ration.

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Le conseil que Freud a donnĂ© au père au dĂ©but du traitement serait aujourd’hui considĂ©rĂ© comme inappropriĂ© : il lui a recommandĂ© d’expliquer Ă  son fils que l’affaire des chevaux Ă©tait une bĂŞtise, qu’il aimait beaucoup sa mère et qu’il voulait aller dans son lit. Les efforts de Freud pour expliquer Ă  Max Graf la rĂ©elle signification du contenu latent d’un symptĂ´me plutĂ´t que son contenu manifeste viennent peut-ĂŞtre du fait qu’il faisait partie de la SociĂ©tĂ© du Mercredi Soir. Cependant Max Graf Ă©tait encouragĂ© Ă  donner des interprĂ©tations prĂ©coces Ă  son fils, ce qui avait pour rĂ©sultat de l’angoisser. Le petit Hans ne comprenait pas les remarques de son père Ă  la fois sur le plan affectif ou intellectuel ; mais ni l’enfant, ni les parents, ni Freud ne nĂ©gligeaient la dĂ©tresse qu’exprimait le symptĂ´me. On conseillait au père d’éclairer son fils sur le fait que les femmes n’avaient pas de « fait pipi Â», mais pas Ă  donner des rĂ©ponses appropriĂ©es Ă  ses questions. Les deux parents Ă©chouèrent Ă  rĂ©pondre clairement et correctement aux questions et Ă  la curiositĂ© du petit Hans sur le sexe, la violence et le dĂ©saccord parental. On l’a laissĂ© dans la perplexitĂ© quant Ă  la diffĂ©rence anatomique des sexes, la fĂ©condation, la grossesse et la naissance. De plus, le cas du petit Hans Ă©tait discutĂ© dans l’intimitĂ© de la SociĂ©tĂ© du Mercredi Soir, oĂą le père tenait Ă  la fois le rĂ´le de participant, d’observateur et de collègue. Max Graf a rĂ©vĂ©lĂ© qu’il avait des problèmes relationnels avec son propre père, et trouvait en Freud l’image d’un père idĂ©al. L’identification de Max Graf Ă  Freud comme père et analyste a soutenu sa position de père et la cure de son fils. Le cadre et les limites du discours clinique n’existaient pas Ă  cette ère hĂ©roĂŻque du dĂ©but de l’exploration psychanalytique. L’expĂ©rience traumatique du petit Hans qui contribuait Ă  la rĂ©gression symptomatique aggravait ses conflits Ĺ“dipiens et tendait Ă  crĂ©er une confusion entre la rĂ©alitĂ© psychique et la rĂ©alitĂ© externe.

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L’organisation et le choix des informations, ce qui avait Ă©tĂ© omis, obscurci ou accentuĂ©, tout cela est d’un grand intĂ©rĂŞt. Freud voulait valider sa thĂ©orie de la sexualitĂ© infantile et du conflit Ĺ“dipien positif, comme cause dĂ©terminante dans la psychopathologie de l’enfant. Le plaisir de la masturbation obstinĂ©e du petit garçon, la demande faite Ă  sa mère de lui toucher le pĂ©nis, son intĂ©rĂŞt Ă  propos des « fait-pipi Â» des personnes et des animaux comme les chevaux et les girafes Ă©taient Ă©vidents. Sa masturbation confirmait la sexualitĂ© infantile.

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La masturbation Ă©tait condamnĂ©e par les deux parents et la mère le menaçait de faire couper son pĂ©nis par le docteur. Son père dĂ©clarait : « Si tu ne mets plus ta main sur ton « fait-pipi Â», la « bĂŞtise Â» cessera... mais tu veux le faire Â». Hans rĂ©pondait sagement, « mais vouloir, ce n’est pas faire, et faire ce n’est pas vouloir ! Â», le père rĂ©pliquait « ...pour t’empĂŞcher de le vouloir, ce soir tu dormiras dans un sac Â». Ses parents, conformes Ă  l’attitude culturelle de l’époque, trouvaient que la masturbation Ă©tait un acte pernicieux et punissable. Freud reste Ă©tonnamment silencieux quant aux menaces de punition des parents ; et, tout comme le père de Hans, il ne relève pas le mauvais traitement de la petite Hanna. Il a laissĂ© de cĂ´tĂ© le trauma extĂ©rieur, les conflits et agissements des parents au profit des conflits Ĺ“dipiens et des fantasmes inconscients de l’enfant. Voulant mettre en Ă©vidence les conflits du petit Hans, l’interprĂ©tation analytique a mis de cĂ´tĂ© l’interaction parents-enfant. Ce qui n’est pas non plus interprĂ©tĂ© est l’inĂ©vitable sous-produit de l’analyse, conduite par le père qui n’a pas d’expĂ©rience d’analyse thĂ©rapeutique ni de formation.

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Les girafes Ă©taient assimilĂ©es aux chevaux et elles portaient un nom qui pouvait reprĂ©senter facilement les Graf. Le fantasme de Hans sur les girafes et la petite toute froissĂ©e qu’il dessinait, communique ses conflits Ĺ“dipiens et ses tiraillements avec sa petite sĹ“ur ; mais ils peuvent reprĂ©senter les disputes parentales et de la petite sĹ“ur. Des problĂ©matiques prĂ©-Ĺ“dipiennes sont notĂ©es, comme celle de sa constipation prolongĂ©e, de son association inconsciente de la naissance avec la dĂ©fĂ©cation. Quand on le mettait sur le pot, Hans luttait pour contrĂ´ler son intestin, se fâchait, tapait des pieds avec rage et parfois se jetait Ă  terre.

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Ce comportement Ă©tait liĂ© au vacarme fait par les sabots des chevaux et de ceux qui tombaient, mais pas aux querelles parentales ou aux fureurs de sa mère. Les lavements, pĂ©nĂ©trations sexuelles et agressives trop excitantes, ont contribuĂ© au fantasme d’une mère phallique et castratrice. La confusion avec la sĂ©paration-individuation et l’autonomisation auraient pu ĂŞtre des facteurs dĂ©terminants dans la phobie du petit Hans. Les chevaux Ă©taient alors partout dans la ville, ainsi sa phobie avait tendance Ă  le garder Ă  l’intĂ©rieur de la maison avec sa mère. Sa mère a Ă©tĂ© dĂ©crite par son ancien mari comme une personne Ă©vitant les contacts sociaux et qui prĂ©fĂ©rait rester chez elle. La peur du petit Hans envers sa mère Ă©tait compensĂ©e par sa peur de l’agresser. Elle avait menacĂ© de l’abandonner ou de l’envoyer balader s’il la contrariait, comme lorsqu’il avait Ă©tĂ© attirĂ© par une petite fille. Dans son Ă©vitement phobique du monde externe, il Ă©tait restĂ© près de sa mère et s’était identifiĂ© Ă  elle ; il Ă©tait ainsi rassurĂ© de ne pas ĂŞtre rejetĂ© et de ne pas repousser sa mère.

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Bien que le traitement de petit Hans n’impliquât pas le jeu, il jouait Ă  ĂŞtre un cheval, Ă  hennir, Ă  trotter et Ă  donner des coups de pieds, et mĂŞme une fois Ă  courir vers son père pour le mordre. Hans avait jouĂ© une fois de plus au cheval en montant sur le dos d’une nouvelle bonne en criant « hue ! hue ! Â». Il lui disait qu’elle devrait se dĂ©shabiller complètement si elle n’obĂ©issait pas, une rĂ©fĂ©rence lĂ©gèrement dĂ©guisĂ©e de son voyeurisme- exhibitionnisme avec sa mère. Le rĂ´le des nounous et des bonnes de famille n’était pas Ă©clairci...

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Freud avait notĂ© que l’inquiĂ©tude du garçon avait Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©e par un rĂŞve angoissant quelques jours plus tĂ´t, il l’avait interprĂ©tĂ© pour se rĂ©fĂ©rer Ă  son angoisse sur le souhait de câliner sa mère et de dormir avec elle. Le cas du petit Hans nous apparaĂ®trait totalement diffĂ©rent s’il avait Ă©tĂ© Ă©crit Ă  partir d’une perspective complĂ©mentaire de la relation conflictuelle avec sa mère. Ses conflits avec elle Ă©taient en partie dĂ©placĂ©s sur son père, tout en maintenant son amour et sa convoitise pour elle. Son père Ă©tait Ă  la fois le protecteur contre sa mère et le rival principal pour la possession de la mère. Les problĂ©matiques dyadiques prĂ©-Ĺ“dipiennes avaient Ă©tĂ© principalement considĂ©rĂ©es comme Ă©tant des antĂ©cĂ©dents de l’organisation positive du complexe d’Œdipe. Le petit Hans confirmerait alors la reconstruction d’Œdipe de Freud Ă  partir de l’analyse d’adulte. Le complexe d’Œdipe nĂ©gatif n’avait pas encore Ă©tĂ© formulĂ© et son amour pour son père, ses identifications sĂ©lectives envers sa mère, Ă©taient en cours de reconnaissance : le petit Hans « montrait son affection aux petits garçons et filles de façon indiffĂ©rente Â»... Hans, comme le remarqua Freud, « Ă©tait un homosexuel (comme tous les enfants pouvaient l’être) Â», une affirmation clinique de la bisexualitĂ© humaine. Freud avait Ă©galement notĂ© que le père manipulait le pĂ©nis de son fils Ă  travers son pantalon, pour l’aider de manière ostensible Ă  uriner. Apparemment le père s’était autorisĂ© Ă  toucher le « fait-pipi Â» de son fils, mais il interdisait Ă  ce dernier de se toucher pour une autostimulation. Freud avait notĂ© qu’un tel comportement sĂ©ducteur pourrait influencer ultĂ©rieurement les tendances homosexuelles de l’enfant, mais il n’avait pas Ă©lucidĂ© les nuances du rapport mère-enfant, du rĂ´le du trauma, et du traumatisme causĂ© par la maltraitance du petit enfant qu’était Hanna. Ici, l’intĂ©rĂŞt de Freud Ă©tait diffĂ©rent car il voulait probablement protĂ©ger la confidentialitĂ©, la fragilitĂ© et la sensibilitĂ© d’Olga Graf qui avait Ă©tĂ© sa patiente.

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Notons que l’analyse de « L’homme aux rats Â» recouvre celle du petit Hans. Une comparaison des deux cas, de l’enfant et de l’adulte, est particulièrement instructive, bien qu’elle dĂ©passe l’objet de cet article. Une comparaison et un contraste dĂ©montrent la gamme et la profondeur extraordinaires des intĂ©rĂŞts et de la vision de Freud. Par exemple, les diffĂ©rentes dĂ©fenses des patients phobiques et obsessionnels-compulsifs sont clairement diffĂ©renciĂ©es. Bien que la fixation prĂ©-Ĺ“dipienne et la rĂ©gression du patient soient prĂ©sentes dans les deux cas, leurs diffĂ©rentes structures psychiques aboutissent dans diffĂ©rents symptĂ´mes et plus particulièrement dans le sadomasochisme de L’Homme aux rats. Le traitement analytique d’un enfant Ă©tait sans prĂ©cĂ©dent, et l’on se demandait si l’on pouvait analyser un enfant. Une analyse en profondeur de L’Homme aux rats Ă©tait une analyse partielle de la structure psychique de l’adulte. Freud Ă©tait son analyste plutĂ´t qu’un superviseur intermĂ©diaire, et les notes qui prolongent le rĂ©cit du cas sont de Freud.

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L’importance que le petit Hans donnait au père comme objet alternatif fut noté dans le commentaire de Freud et selon lui, le traitement avait rapproché le père et le fils. Les conflits du père comme parent, thérapeute, et mari de l’ancienne patiente de Freud n’ont pas été discutés dans le rapport. Le père, la mère et le fils étaient susceptibles d’avoir été des rivaux afin d’obtenir l’affection et l’aide thérapeutique de Freud. De cette position avantageuse, le petit Hans était non seulement le cas d’un enfant traité à travers l’un des deux parents, mais aussi celui des parents traités à travers un enfant. On pourrait dire que Freud a fonctionné comme un thérapeute familial original. Cependant le traitement du fils n’a pas fait avancer le traitement du père ni sa formation en tant qu’analyste. Max Graf n’est jamais devenu psychanalyste ou psychothérapeute bien qu’il ait donné des contributions analytiques intéressantes à la musicologie.

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Tandis que la mère reste en arrière-plan, comme dans tous les cas de Freud, son dysfonctionnement parental sĂ©vère, particulièrement avec sa fille Hanna, n’avait jamais fait l’objet d’un examen analytique minutieux. Ou plutĂ´t, Freud avait paradoxalement remarquĂ© Ă  l’origine : « Nous devons aussi prendre le parti de la mère de Hans, si bonne et si dĂ©vouĂ©e Â» (p. 109). La mère et le père « Ă©taient tombĂ©s d’accord d’élever leur premier enfant sans plus de contrainte qu’il n’était absolument nĂ©cessaire pour le maintien d’une bonne conduite Â» (p. 99). Toutefois, le petit Hans avait Ă©tĂ© tĂ©moin de l’agression physique et de la nĂ©gligence de sa mère envers sa petite sĹ“ur ; il avait Ă©tĂ© sĂ©duit et effrayĂ© par l’exhibitionnisme de sa mère dans la chambre et la salle de bain, et par sa dĂ©sapprobation concernant sa masturbation, par ses menaces d’abandon et de castration. L’exposition de sa mère nue Ă©tait liĂ©e Ă  la dynamique du fantasme du petit Hans de la femme phallique avec un « fait-pipi Â» cachĂ©, ou en relation avec le dĂ©ni du fantasme de sa mère au « fait-pipi Â» aussi Ă©norme que celui d’un cheval. Les rĂ©ponses inadĂ©quates de sa mère contenaient sa rage envers le père et la fille, elle l’exprimait en dĂ©truisant les papiers de son mari, et en donnant laxatifs et lavements Ă  Hans. Les parents se rejoignaient dans le refus de donner une explication appropriĂ©e sur l’anatomie et les fonctions urino-gĂ©nitales fĂ©minines. Le petit Hans se demandait comment les femmes faisaient pipi si elles n’avaient pas de « fait-pipi Â». L’ambiguĂŻtĂ© de sa mère, affirmant qu’elle avait un « fait- pipi Â» ne l’éclairait pas sur ce qu’elle avait en rĂ©alitĂ© (Rudnytsky, 1994). Ă€ cette Ă©poque, beaucoup de femmes occidentales Ă©taient ignorantes de leur propre corps, et souffraient d’une curiositĂ© sexuelle inhibĂ©e. Le petit Hans, confrontĂ© Ă  la douleur et au sang lors de la naissance d’Hanna, refusait d’admettre que le sang sortait de son « fait-pipi Â». Les aspects effrayants de l’accouchement n’étaient pas expliquĂ©s. Ni les parents ni Freud n’avaient clarifiĂ© de manière explicite que les femmes avaient une anatomie et des fonctions urino-gĂ©nitales diffĂ©rentes. Max Graf avait dit Ă  son fils que les femmes possĂ©daient un « fait-pipi Â» diffĂ©rent de ceux des hommes, mais il avait affirmĂ© juste un peu plus tĂ´t qu’elles n’en avaient pas. Ă©tant donnĂ© son talent musical, Olga Graf aurait pu envier son mari, car elle Ă©tait limitĂ©e dans cette culture par le statut infĂ©rieur et les opportunitĂ©s professionnelles moindres des femmes, juives de surcroĂ®t. On dit que peu avant la phobie de son fils, Max Graf, lors de la rĂ©union de la SociĂ©tĂ© du Mercredi Soir du 15 mai 1907, exprima l’idĂ©e que les Ă©tudes Ă©taient prĂ©judiciables aux femmes. Il se rĂ©fĂ©rait Ă  la colère de Wittels devant les femmes qui dĂ©siraient Ă©tudier plutĂ´t que d’avoir des rapports sexuels ; or nous savons maintenant qu’Olga Graf Ă©tait dĂ©primĂ©e après l’acte sexuel. L’envie et la colère d’Olga auraient pu ĂŞtre renforcĂ©es par la dĂ©valuation et la provocation de son mari, ainsi que par sa position privilĂ©giĂ©e dans cette sociĂ©tĂ© patriarcale. Que Freud n’ait pas ouvert le dĂ©bat sur le trauma, et du dĂ©passement rĂ©ussi du trauma du petit Hans, pose question. Certes chaque communication de Freud se centre sur un point principal parmi d’autres concurrents. Cela reste Ă©nigmatique dans la perspective première de Freud, centrĂ©e sur la sĂ©duction traumatique et son retour rapide Ă  l’importance de la sĂ©duction traumatique dans sa cĂ©lèbre reconstruction de la scène primaire du cas suivant, « L’homme aux loups Â». Le petit Hans avait probablement Ă©tĂ© tĂ©moin de la scène originaire, puisqu’il avait dormi dans la chambre de ses parents pendant ses quatre premières annĂ©es. Son père s’était violemment plaint du fait que son Ă©pouse câlinait son fils dans leur lit, affirmant que cette stimulation trop forte avait contribuĂ© Ă  la phobie de leur fils.

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En fait, Freud n’avait jamais vraiment abandonnĂ© l’importance du trauma psychique, et il Ă©tait conscient de l’abus sexuel sur l’enfant dans la culture. Freud l’avait pointĂ© dans le dĂ©veloppement du Moi de Hans, qu’on retrouve dans le rapport complexe Ă  la normalitĂ© dans les Ă©crits d’Anna Freud. Il avait Ă©tĂ© certainement impressionnĂ© par la capacitĂ© du petit Hans Ă  maĂ®triser, Ă  intĂ©grer et Ă  sublimer. Le petit Hans s’impliquait dans l’effort nĂ©cessaire pour faire l’analyse ; il devenait plus curieux, recherchant activement la cause et l’effet, et Ă©tait capable d’intĂ©grer tout cela. Lorsque son père le rĂ©primandait pour les vĹ“ux de mort pour sa petite sĹ“ur, Hans rĂ©pondait qu’il pouvait bien les penser. RĂ©primandĂ© pour sa masturbation, le petit Hans faisait la distinction entre penser et agir. Ă€ la diffĂ©rence de son père, il faisait la distinction cruciale entre la pensĂ©e et l’acte. Ă€ cet Ă©gard, Freud le soutint : « Bien jouĂ©, petit Hans ! Je ne pourrais souhaiter une meilleure comprĂ©hension de la psychanalyse de la part de n’importe quel adulte Â». Hans se servait de ses observations de « fait-pipis Â» pour diffĂ©rencier l’animĂ© de l’inanimĂ© : il en dĂ©duisait que seuls les ĂŞtres vivants urinaient. Il avait notĂ© le dĂ©ni, les rĂ©ponses Ă©vasives et l’hypocrisie dans l’information absente ou incorrecte donnĂ©e par ses parents. Il n’avait pas cru que c’était la cigogne qui avait apportĂ© Hanna, car il avait observĂ© que « le corps de sa mère avait grossi Â» et après « quand elle s’était levĂ©e, elle Ă©tait Ă  nouveau mince Â». On ne sait pas si son père continuait Ă  faire des interprĂ©tations alors que la phobie de Hans diminuait ou si les parents continuaient Ă  se faire des interprĂ©tations. Dans une rĂ©ponse Ă©nigmatique suite aux remarques de Jung au sujet de l’analyse et de la fidĂ©litĂ© du conjoint, Freud Ă©crivait le 2 fĂ©vrier 1910 : « J’aurais tenu l’analyse de sa propre femme pour absolument impossible. Le père du petit Hans m’a prouvĂ© que cela marche bien Â». (Freud avait alors indiquĂ© qu’il serait trop difficile dans ce cas de « surmonter le contre-transfert Â»). Parmi plusieurs implications, après l’analyse de son fils, Max Graf pourrait s’être identifiĂ© Ă  Freud et essayer de le remplacer comme analyste de sa femme, exacerbant ainsi les querelles de mĂ©nage et la dĂ©ception envers la psychanalyse.

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Hans pouvait avoir son propre jugement et Ă©valuation des motifs parentaux. Ses capacitĂ©s d’observation, d’acquisition, d’épreuve de rĂ©alitĂ©, et d’expression d’affect avaient progressĂ© pendant le traitement, en dĂ©pit de sa phobie. Quand le petit Hans en fut Ă  imaginer une solution Ă  ses conflits d’inceste en proposant que son père et lui Ă©pousent chacun leur propre mère, il n’avait pas eu peur de la prohibition et de la punition paternelles. Son père, soutenu et guidĂ© par Freud, tolĂ©rait la rivalitĂ© de Hans et de son agressivitĂ© envers lui et se montrait très bienveillant. La rivalitĂ© du père envers son fils se manifesta probablement Ă  l’occasion de la seule visite qu’ils firent ensemble chez Freud. Quand son père essaya de nier qu’il l’avait frappĂ©, le petit Hans affirma « que ce n’était pas vrai Â». Son père s’était souvenu alors qu’il avait donnĂ© un coup Ă  son fils, comme un rĂ©flexe, sans doute Ă  la suite d’une agression de ce dernier. Le père attribuait son comportement impulsif et agressif comme secondaire Ă  la provocation du petit Hans, mais minimisait et rationalisait sa propre responsabilitĂ©. La visite prĂ©vue chez Freud pouvait avoir provoquĂ© la jalousie du père. Freud resta alors centrĂ©, focalisĂ© sur les fantasmes Ĺ“dipiens du petit Hans, parlant peu de l’implication des parents dans la dĂ©tresse de leur enfant. La rivalitĂ© et la jalousie envers le petit Hans ont Ă©tĂ© vivement exprimĂ©es quelques annĂ©es plus tard lorsque le père Ă©crivit un article critique sur le travail de son fils, alors metteur en scène Ă  l’OpĂ©ra MĂ©tropolitain (de New york).

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Les fantasmes de Hans concernant le plombier étaient liés à l’intrusion des parents dans sa tête (par le père) et dans son corps (par la mère). De façon significative, dans le second fantasme du plombier, le parent-plombier lui avait finalement donné un grand équipement phallique symbolique qui l’a préparé à la réalisation mature de ses projets de vie adulte.

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Hans semblait être sur la voie d’un développement progressif sans interférence phobique (A. Freud, 1980). Son père et Freud avaient soutenu son désir de petit garçon de comprendre et d’être compris. Une alliance thérapeutique non verbalisée existait entre le patient, le parent et l’analyste-superviseur. À côté de l’interprétation et de l’éducation, l’inter-relation entre Freud, Max Graf et le petit Hans avaient grandement facilité le progrès de la cure. S’identifiant à son père, et marchant dans ses pas et ceux de son parrain, Gustav Mahler, le petit Hans s’était imprégné de la culture musicale de Vienne, et devenu adulte, Herbert Graf fut un prodige de la musique et de la dramaturgie, produisant et mettant en scène des opéras dans les années 20. Il est très probable que le traitement qu’il a eu enfant l’a aidé à mieux supporter plus tard les expériences traumatiques de la vie, en particulier plus tard les suicides tragiques de sa sœur et de sa première épouse. Son épouse était émotionnellement perturbée, se droguait et une longue histoire d’amour extra-conjugale aboutit à sa lente auto-destruction. Perturbé par le suicide de la mère de ses enfants, Hans et sa relation avec son propre fils mériterait une recherche plus approfondie. Il avait précocement réussi dans sa vie professionnelle et dans son deuxième mariage il a su trouver une vie personnelle et une condition parentale bien plus tranquilles et satisfaisantes.

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Nous ne savons pas ce que Freud avait pensĂ© du petit Hans, de la famille Graf, et de cette cure unique et aventureuse en dehors du rĂ©cit du cas et ses commentaires annexes limitĂ©s. Freud s’était appropriĂ© le cas du petit Hans pour illustrer la thĂ©orie structurale sans plus d’élaboration. Vers la fin de l’observation et bien qu’il pensait toujours que le petit Hans n’avait pas Ă©tĂ© intimidĂ© par ses parents, Freud avait suggĂ©rĂ© que « la maladie de Hans n’était pas plus sĂ©rieuse que celle d’autres enfants Â». La rĂ©gression avait Ă©tĂ© plutĂ´t focale que globale et Freud s’était brillamment interrogĂ© sur le bĂ©nĂ©fice du trouble. « Je peux en consĂ©quence me figurer qu’il fut salutaire pour notre Hans d’avoir cette phobie Â» (p. 195). L’intervention du père, la comprĂ©hension et l’aide de Freud avaient aidĂ© l’enfant Ă  affronter et Ă  relever les dĂ©fis dĂ©veloppementaux et sociaux rencontrĂ©s dans sa croissance, qui autrement n’auraient pas Ă©tĂ© valables (Ornstein, 1993). Freud avait notĂ© qu’il aurait parlĂ© Ă  Hans de l’existence du vagin et de l’acte sexuel, ce que le père avait Ă©vitĂ© de faire. Dans sa rĂ©flexion, Freud avait notĂ© qu’il y aurait davantage Ă  dire relativement Ă  la structure, au dĂ©veloppement et Ă  la diffusion d’une nĂ©vrose. « Mais l’histoire de la maladie de notre petit Hans est très courte, elle est, après son dĂ©but, aussitĂ´t remplacĂ©e par l’histoire de son traitement Â» (p. 191). Sa phobie avait Ă©tĂ© limitĂ©e dans le temps, comme sa portĂ©e et ses rĂ©percussions pathogènes. Freud, en accord avec la thĂ©orie psychanalytique, avait conclu le cas du petit Hans par la pathogenèse rĂ©gressive de la nĂ©vrose d’adulte qui s’enracine dans les conflits de l’enfant ; et par l’idĂ©e que l’enfant guĂ©rissant de sa phobie peut repartir de l’avant vers un dĂ©veloppement progressif. Freud avait Ă©clairĂ© et synthĂ©tisĂ© le cas, dans le contexte de la complexitĂ© et la difficultĂ© de la recherche et du traitement de cette cure originelle. Le petit Hans avait intitulĂ© son autobiographie (1972) « MĂ©moires d’un homme invisible Â» (Memoirs of an Invisible Man). Le titre peut marquer son identification Ă  Freud, le psychanalyste invisible qui occupa une place centrale dans son enfance, sa famille et sa culture. Ce qui est microscopique dans le commentaire de Freud est important Ă  cĂ´tĂ© de la vue macroscopique. La note de bas de page oĂą Freud mettait en relation l’angoisse inconsciente de la castration – Ă©veillĂ©e par la circoncision – et l’antisĂ©mitisme, Ă©tait un saut crĂ©ateur d’un cas individuel Ă  la culture, par ce prĂ©jugĂ© social dominant dans l’Histoire. Il y a, dans « Le petit Hans Â», quantitĂ© de contributions prĂ©cieuses comme celle-lĂ  pour la pensĂ©e analytique. En 1942, Max Graf avait remarquĂ© que Freud avait insistĂ© pour que le petit Hans soit Ă©levĂ© en tant que juif plutĂ´t que d’être baptisĂ© et Ă©levĂ© en chrĂ©tien ; ainsi la note de bas de page culturelle est-elle directement appropriĂ©e aux circonstances de ce cas.

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Notre but dans cette table ronde est surtout de poursuivre l’enquête et la compréhension du cas, pour en apprendre toujours davantage, en construisant sur la base analytique du passé. Les nouvelles données et connaissances sur le petit Hans, sa famille et son développement, maintenant disponibles, fournissent d’autres perspectives et font surgir de nouveaux questionnements. Nous entendons les mots et la musique à travers un siècle de psychanalyse, pendant que nous traitons des propositions et des formulations avec cette histoire d’un cas pionnier.

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Harold BLUM

BIBLIOGRAPHIe

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FIN PARTIESANN DEBUT ABSTRACT

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Notes