Dr Sandrine Calmettes
MTh1 Psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent
« L’observation clinique de l'enfant et de l’adolescent » (19/09/2022)
Ce que je vais vous présenter ce soir, c’est l’observation clinique chez l’enfant et l’adolescent.
Si je m’attardais un peu, sur ce qui, peut-être, vous paraîtrait une évidence, c’est que ça n’est jamais le cas et que tout au long de ma pratique… Les cours que je donne régulièrement me donnent l’occasion de réaffirmer un certain nombre de positions qui me paraissent importantes dans l’abord des enfants et des adolescents.
Je ne sais pas si vous avez lu le texte introductif de l’enseignement pour l’enfant [ES 1 Psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent], mais je vais en reprendre quelques lignes, parce qu’il donne un peu la visée de cet enseignement qu’on fait à plusieurs, il y a le Cours Magistral, que j’assure pour cinq séances, et puis il y a l’Enseignement Spécialisé où vous aurez davantage d’intervenants.
Dans ce texte, que nous avons concocté à plusieurs, il est écrit : « La clinique de l’enfant et de l’adolescent est une source d’enseignement à hauteur des interrogations et des incertitudes diagnostiques spécifiques à leur âge. Du fait de leur dépendance à leur environnement, des forces du changement lié à leur évolution, les repères structuraux comme la frontière entre le normal et le pathologique, ne cessent d’être réinterrogés. La psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent se doit d’être une vue attentive et large de leur dynamique personnelle et relationnelle englobant leur entourage familial, leur corps et leurs ressources dites cognitives. Cette approche permettra d’être au plus près des ressorts thérapeutiques possibles à mettre en œuvre, avec eux et leurs parents. L’écoute psychanalytique n’excluant jamais la possibilité d’une pluridisciplinarité des abords ».
Parce que dans le champ de l’enfant et de l’adolescent, contrairement à celui de l’adulte, on est souvent amené à travailler en complémentarité avec d’autres professionnels, que ce soient des orthophonistes, des psychomotriciens, des psychologues évidemment, des psychologues qui soient pour certains assurant les tests psychologiques puisque les psychiatres par exemple n’ont pas la formation adéquate pour faire pratiquer des tests psychologiques. Et puis, il y a aussi les assistantes sociales qui ont un rôle important dans les équipes de pédopsychiatrie et enfin, même s’ils ne font pas partie de l’équipe, on va quand même en parler, on est souvent amené à travailler avec des enseignants. Voilà, et moi par exemple, je me déplace souvent dans les écoles quand il y a des soucis avec un enfant, évidemment dans le respect du secret médical.
La notion de secret partagé que vous savez…, vous êtes au courant, un peu, de cette histoire de secret partagé ? – Étudiants Non
C’est-à-dire que les différents professionnels qui travaillent dans l’intérêt d’un enfant sont amenés à partager entre eux des éléments, et sous le sceau d’un secret, on dit « un secret partagé » ; mais il me semble qu’il y a toujours une réserve à avoir, comment dire, parce que, ce qui est le but de ces synthèses pluridisciplinaires dans un cadre « extra-soignant » dans le cadre de l’école, le but c’est l’intérêt de l’enfant et il ne s’agit pas d’aller reprendre tous les éléments qu’on a de la clinique mais bien plutôt de voir ce qui à l’école est problématique pour cet enfant. Et comment éventuellement les instituteurs peuvent avoir un autre regard sur l’enfant quand c’est compliqué pour elles ou eux.
Étudiant Excusez-moi, j’ai juste une question, est-ce que vous pouvez nous donner votre…
Vous voulez que je me présente ?
Étudiants Oui. Ça va plus nous parler]
Oui vous avez absolument raison, généralement je commence comme cela, mais comme je continuais après Marika Bergès-Bounes…
Je suis le docteur Sandrine Calmettes. Je suis pédopsychiatre et psychanalyste et j’ai travaillé beaucoup à Sainte-Anne. J’ai été médecin directeur du CMPP de la MGEN. Après j’ai dirigé quelques années un service de pédopsychiatrie avec un CMP, un hôpital de jour qui était à l’époque sous la houlette de la Fondation de la Croix Saint-Simon… et maintenant j’ai un cabinet en libéral et je fais dix heures par semaines au CMPP de la MGEN où je ne suis plus médecin-directeur...
Je vous disais donc que la question de la pluridisciplinarité des abords est vraiment importante et je reprendrai un peu plus avant… comment… c’est très important de savoir se positionner justement pour qu’il y ait une complémentarité des approches qui puissent œuvrer.
Mon thème ce soir, c’est l’observation clinique. Qu’est-ce que c’est qu’une observation clinique ?
Je vais prendre l’étymologie du mot « observer » parce que je trouve que cela donne un cadre assez intéressant à ce qu’on peut espérer d’une écoute attentive de l’enfant et des parents qui viennent consulter…l’enfant ou l’ado évidemment.
Le mot « observer » commence à signifier au XVIe siècle « considérer avec attention afin de connaître, d’étudier ». « Observer », c’est pris dans un temps, ça a une finalité. Il y a au moins deux temps. « Observer », c’est donc sans certitude sur la réalisation du temps, de « connaître ». On dit « considérer avec attention afin de connaître » mais ce n’est pas gagné d’avance.
Cette signification s’inscrit dans un champ sémantique antérieur dont elle ne peut que garder la trace et c’est ce champ sémantique étymologique qui rend compte au mieux de ce qui est attendu de l’observation clinique à mon sens.
Ce qu’est observare, c’est « porter son attention sur ». Mais c’est aussi « surveiller » et « moralement respecter », « se conformer », « se conformer à » ; et c’est formé de ob- qui donne la direction vers un objet et de servare qui veut dire « préserver », « sauver », « assurer ». Vous voyez comment une observation c’est tout sauf sans implication.
Vous savez de toute façon que quand on observe quelque chose, on fait partie du tableau. L’observateur fait toujours partie du tableau. Il ne peut pas espérer être d’une neutralité absolue. Mais néanmoins, « observer » c’est aussi « respecter » et « se conformer à ». Vous savez bien qu’on peut aussi « observer un traitement ». Cela veut dire qu’on va faire comme c’est écrit. On ne va pas inventer.
Je trouve que ça donne un peu un positionnement à la fois neutre, mais un peu scrupuleux.
En tout cas, c’est un procédé d’investigation qui ne recouvre pas l’expérience. C’est distinct de l’expérience. Et parmi les obligations que cela impose et j’insiste parce qu’avec les enfants et les adolescents ce n’est pas toujours facile, il y a à s’imposer d’observer les distances et de guetter ce qui va émerger chez l’enfant sans chercher à deviner ou à en trouver dans l’immédiat la signification.
« Observer », vous le voyez bien, ça donne du temps normalement. C’est pour cela que je parlais de la temporalité de l’observation. Il ne s’agit pas d’aller trouver trop vite. Comprendre trop vite. Ça peut arriver parfois, et en général ça ne donne pas des suites forcément heureuses. Parce que à ce moment-là, vous êtes un pas devant celui qui vient vous parler, et ça met les choses un petit peu à l’envers, si vous en êtes d’accord.
Quant à respecter les distances c’est vrai que c’est… chacun trouve sa façon et quant à moi, mais je suis bien loin d’être là seule, je vouvoie tous les enfants qui rentrent dans mon bureau y compris les tout petits. C’est devenu… je n’ai même pas à réfléchir… un enfant rentre dans mon bureau, je le vouvoie. Ça crée parfois certaine, comment dire, un certain embarras chez l’enfant. Il a parfois du mal à répondre « je » quand on s’adresse à lui avec un « vous », et parfois il va répondre « on a fait ça », comme s’il ne pouvait plus tout à fait adopter le « je ».
Évidemment on est amené à lui signifier que c’est bien à lui tout seul qu’on s’adresse même si on lui dit « vous » comme quand les adultes se parlent entre eux, mais voilà, ça a souvent… des effets surprenants… ça amène certains enfants à être… à se redresser si vous voulez et à parler comme jamais leurs parents ne les ont entendus parler. Ce n’est pas toujours, mais disons que ça promeut quand même l’enfant dans une place particulière. Et comme vous le savez, le milieu avec les enfants, les adolescents est un milieu extrêmement féminin. Et je crois, en tout cas moi… ça permet de ne pas être trop proche.
Et puis surtout, le vouvoiement, ça introduit un tiers. Quand vous dites « vous », vous êtes dans un pluriel, vous n’êtes pas dans un singulier que Lacan pouvait qualifier de tu-ant. Dans le tutoiement il y a une dimension tuante. Si vous voulez de « je » à « tu », il n’y a pas beaucoup d’écart. Le « vous » permet d’ouvrir un espace, y compris celui par rapport auquel l’enfant va répondre « on ». Vous voyez bien que de ne pas dire « je », de dire « on » ça lui permet de dire des choses de lui, sans être forcément à soutenir son énonciation d’un « je », qui viendrait l’engager beaucoup. Ça lui permet de parler tout en n’étant pas forcément complètement et radicalement impliqué dans l’échange.
Ce n’est pas que je sois prosélyte du vouvoiement, mais je peux vous dire que quant à moi cela me, cela soutient beaucoup mon approche de l’enfant. Et je trouve que ça laisse une place à l’enfant, il n’est pas… On dirait « tu » à l’enfant et « vous » aux parents. Là finalement tout le monde est un petit peu rangé de la même manière. Et généralement ils y répondent plutôt bien.
Parfois, mais c’est exceptionnel, les parents se sont un peu élevés contre mon vouvoiement en disant « mais comment voulez-vous que mon enfant vous parle avec confiance si vous le vouvoyez ? ». Comme s’il fallait qu’on soit proche, vous comprenez, pour parler. Comme s’il fallait qu’on soit presque collé. Mais non. S’il y a un espace neutre, il faut bien que quelque chose qui vienne marquer ça… ce n’est pas par la proximité avec l’enfant qu’on recueillera davantage d’éléments de sa part.
Il y a cette histoire de respect de la distance.
Il y a aussi avec cette étymologie d’« observer » et d’« observation ». Quand je vous ai dit qu’il y avait quelque chose de l’étymologie de préserver, sauver… préserver, sauver, assurer. Il s’agit de préserver chez l’enfant tout ce qui va être la notion de ses ressources. Un enfant, un adolescent qui vient consulter vient pour des difficultés. Le discours va tourner largement autour de ce qui fait problème. On va parler de ce qui va mal quoi. Et c’est important de préserver chez l’enfant ce qu’il en est de ses forces au contraire, vous voyez, de ses ressources personnelles. Faute de quoi, l’enfant est réduit dans l’échange à n’être qu’un pur défaut, à n’être que ce qui va mal. Heureusement que les enfants et n’importe qui d’ailleurs, ne se réduit pas, ni à son symptôme, ni à sa maladie.
Comme vous le savez, maintenant, parfois il y a des gens qui s’identifient à leur maladie. Ils peuvent dire « je suis autiste », « je suis schizophrène », « asperger »…, vous voyez, comme si leur maladie était devenue leur être. Mais heureusement qu’il y a un écart entre la personne et sa maladie.
Je crois qu’on a à préserver chez l’enfant ce qui chez lui l’aidera à dépasser ses difficultés.
Dans le mot « assurer » aussi, je crois qu’il faut qu’il ait l’assurance ou nous devons l’assurer, si vous voulez, qu’on défend quelque chose de ses ressources et qu’on ne va pas le réduire à son trouble. Je parle de trouble parce que, je ne sais pas si vous êtes au courant des classifications chez les enfants, mais il est beaucoup question de « troubles ».
En tout cas « sauver », le dernier du triptyque… le mot « sauver » : on n’est pas là pour sauver les enfants même si on aimerait tous pouvoir les délivrer de leur difficulté, mais on est là pour qu’ils s’aident eux-mêmes avec notre aide et avec l’aide des parents bien sûr.
Parce que, dans une observation clinique avec les enfants, les adolescents, comme je vous le disais, ils sont très dépendants de l’entourage familial. Souvent, ce n’est pas leur demande à eux de venir consulter, c’est la demande des parents. Et parfois, ce n’est même pas la demande des parents. C’est la demande d’une institution scolaire par exemple. Ça vient vraiment compliquer les histoires de transfert. Parce que vous venez là, mais ce n’est pas votre demande. Vous, venez là, parce qu’on vous a dit de venir là. Et vous attendez. Vous n’êtes pas impliqué comme ça. Comment est-ce qu’on va se débrouiller pour que les enfants, les adolescents et leur famille puissent un peu s’interroger, puissent prendre tout cela à leur propre compte sans qu’ils se sentent punis, voilà, punis à devoir consulter un psy dans une institution de soin ou dans un cabinet privé, c’est un peu délicat. C’est plus facile en cabinet privé parce que généralement le système « d’adressage » - je n’aime pas tellement ce mot - vous voyez, est plus nominal.
Et puis, ce sont rarement les écoles qui adressent directement dans le privé. Les écoles adressent plus volontiers dans les centres de soin, dans les CMP ou les CMPP. Ces institutions de soin vont recevoir une demande qui n’est pas adressée à une personne, prise déjà dans un transfert, vous voyez, liée à l’adresse. Les enfants, les adolescents arrivent à consulter dans un centre… ils disent « je viens au centre ». Et ils viennent consulter là, et puis ils attendent.
Ils n’engagent pas quelque chose, de demande. Ils sont là, ils attendent ce qu’on va leur dire. Un petit peu comme si parfois ils espéraient, pour les parents en tout cas, d’être chez le garagiste, et puis qu’on répare les défauts et puis qu’après on n’en parle plus. Mais c’est vrai que ça ne se passe pas comme ça. On n’a peu d’ordonnances en pédopsychiatrie qui permettent comme les antibiotiques de soigner les choses et puis que ce soit guéri derrière.
N’hésitez pas à poser des questions dans le fil de ce que je vous amène… si vous avez des questions ça ne me dérange pas. En tout cas, je vois que vous n’avez aucune question sur le vouvoiement. Parfois, ça crée quelques réactions, mais ce qui est intéressant c’est que l’enfant, il entend le pluriel quand même. Je suis en train de relire un peu, et j’ai un souvenir personnel d’un lieu où le Directeur d’un Conservatoire de musique qui s’était adressé à un enfant qui était monté sur une table en lui demandant de descendre lui avait dit : « S’il vous plaît, descendez de cette table ». Et cet enfant qui était devant un mur s’est retourné, il savait qu’il n’y avait personne, il savait qu’il était dos au mur. Et il s’est retourné pour voir s’il n’y avait pas quand même quelqu’un d’autre. Mais parce que le « vous », vous voyez, il ne pouvait pas l’entendre, que ça ne s’adressait qu’à lui. Il avait 4 – 5 ans, c’est vrai que c’était jeune. Mais vous voyez comment ça a une force de présence d’un tiers.
Je vous disais qu’il ne s’agissait pas de chercher à deviner ou à trouver dans l’immédiat la signification ou la réponse. Et ce n’est pas toujours très simple. Ce n’est pas toujours très simple parce que souvent on est dans une certaine situation, en particulier avec les adolescents : ils arrivent dans une espèce, presque, de situation d’urgence. Il faudrait que tout de suite, maintenant, il y ait quelque chose qui vienne dénouer la situation qui est explosive ou dramatique ou dangereuse, enfin. Et pouvoir prendre le temps, mais pouvoir aussi assurer qu’ils ne vont pas repartir sans rien, si vous voulez. Mais que c’est un premier temps : on reverra ça plus tard, et leur donner un autre rendez-vous ? : ça permet d’enclencher quelque chose aussi, où, justement, ils ne sont pas entièrement dépendants de vous. Est-ce que vous comprenez ça ? Parce que l’urgence, c’est comme quand on appelle au secours. Quand on appelle au secours, on appelle un sauveur. On est dans une position de détresse ou de désarroi qui fait qu’on ne pense pas qu’on puisse faire quoi que ce soit pour soi-même dans ces moments-là. De pouvoir mettre en œuvre, un petit peu, le temps de la réflexion et accepter ça aussi pour soi-même, de ne pas répondre à la demande, de ne pas répondre à l’urgence de la demande, ce n’est pas toujours facile, je veux dire y compris pour soi-même.
J’imagine que vous avez déjà entendu parler des trois temps logiques ? – Étudiants Non. - Ce n’est pas avec moi que vous les reprendrez précisément mais je pense que de toutes façons, durant tout votre enseignement vous allez en entendre parler assez régulièrement. En tout cas, les trois temps logiques que développe Lacan, il y a :
le temps pour voir ;
le temps pour comprendre ;
et le temps pour conclure.
Et vous voyez, qu’il y ait ces trois temps, c’est vraiment important.
Dans l’observation, on est dans le temps de voir, on n’est pas tout à fait dans le temps de comprendre.
Quant au temps de conclure, il n’est pas forcément indispensable non plus. La conclusion, vous savez bien que, souvent pour conclure il faut qu’il y ait un risque vital. Lacan, ces trois temps logiques, il les développe autour de… prisonniers… des prisonniers qui risquent leur vie. Evidemment, il s’agit qu’ils concluent, et vite. Vous voyez, ils vont même avoir une certitude anticipée parce qu’il y a un risque vital pour eux.
En dehors de tout pronostic vital engagé, quand un enfant, un adolescent vient vous voir, on a le temps et on n’est même pas obligé de conclure. C’est quelque chose que je développerai beaucoup avec vous quand on se verra sur les cinq séances : parfois il s’agit de suspendre son jugement diagnostic pour un enfant. Parce qu’avec le diagnostic que vous faites, éventuellement, vous allez fixer ses difficultés. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir d’idée de diagnostic. Cela ne veut pas dire que vous n’allez pas faire un repérage diagnostic. Mais parfois conclure sur un diagnostic, c’est quand même, fixer cette pente-là chez lui.
Je pense en particulier à la psychose, et parfois aussi à l’autisme. Il faut pouvoir distinguer, par exemple, ce que sont des traits autistiques, de ce que c’est l’autisme comme diagnostic. Il faut pouvoir distinguer les traits psychotiques, de ce que serait une structure psychotique. Parce que si on raisonne en termes structuraux chez l’enfant et chez le pré-adolescent, jusqu’à la puberté, jusqu’à l’irruption du sexuel, de la puberté, et la sexualité, jusque-là, je crois que c’est compliqué de parler de structure… Enfin c’est mon point de vue… on ne partage pas tous le même point de vue… Mais, autant il s’agit d’être attentif à tout ce qui serait d’une symptomatologie d’ordre autistique ou d’ordre psychotique... vous voyez, autant quel intérêt d’aller le coller du côté de la psychose ? Et moi, il me semble qu’en laissant les choses ouvertes, qu’en étant dans un certain crédit anticipateur pour l’enfant, c’est un mot que j’emploierai probablement beaucoup… Vous comprenez ce que veut dire un crédit anticipateur ?
Quand vous faites crédit à quelqu’un, vous lui accordez en quelque sorte le bénéfice du doute, vous lui faites confiance… Un crédit anticipateur, c’est ce que vous faite aussi au titre de l’avenir, vous voyez, que ce n’est pas seulement pour maintenant, c’est aussi pour plus tard. Et les enfants ont besoin d’un crédit anticipateur pour pouvoir se faire confiance à eux.
Quand un enfant apprend à marcher, si, quand il se casse la figure, les parents pensent « Oh ben c’est foutu, il ne marchera jamais quoi ». [Rires]. Non ce n’est pas comme ça que ça marche. C’est vrai qu’il est tombé mais enfin les parents lui ont fait déjà le crédit anticipateur, à leur enfant, que, bien évidemment, il va marcher. Et pourquoi est si importante cette histoire de crédit anticipateur ? Parce que les enfants qui ont des difficultés et qui ne sont pas dans l’évolution ordinaire, je ne vais pas dire normale, dans l’évolution ordinaire des autres, leurs parents ne savent plus quoi attendre de ces enfants ; ils sont coincés au niveau du crédit anticipateur. Vous comprenez, ils ne savent plus comment penser l’avenir de leur enfant. Alors que pour les autres, c’est normal qu’il parle, c’est normal qu’il marche, c’est normal qu’il apprenne à lire… Vous voyez, ils font un crédit anticipateur à leur enfant, et l’enfant s’appuie sur le fait que ses parents, eh bien oui, il va marcher quoi. Ce n’est pas parce qu’il s’est cassé la figure qu’il ne va pas marcher.
En tout cas cette image de l’enfant qui tombe et pour laquelle il s’agit quand même que les parents ne pensent pas que c’est foutu et qu’il ne va jamais marcher, c’est une image que j’emploie avec les parents d’adolescents, vous savez. Ceux qui disent, ces parents-là qui disent « mais alors vous comprenez, je ne peux plus lui faire confiance, il a fait si... ce n’est pas possible de lui faire confiance ». Mais comment voulez-vous que des ados qui, quand même n’ont pas tellement confiance en eux… comment voulez-vous qu’ils puissent s’appuyer sur eux-mêmes si en face d’eux ce n’est pas du crédit anticipateur qu’ils ont ? C’est du discrédit radical de tout. Ce n’est pas possible.
Et le pire, c’est que, comme vous le savez, les enfants, les adolescents aiment beaucoup leurs parents, même si ce n’est pas forcément ce qu’ils leur disent fréquemment à l’adolescence. Mais quand un ou une élève de Terminale ne fout rien et qu’il ou elle va entendre toute la journée : « Si tu continues comme ça tu vas rater ton bac », vous voyez, pas de crédit anticipateur. Quand j’entends ça dans mon bureau… il m’arrive de dire aux parents : « Mais vous savez, elle/il va vous donner raison… il vous aime assez pour vous donner raison ». [Rire]… mais c’est vrai, ils vont se sacrifier à la parole qui est énoncée : « Si tu continues comme ça tu vas rater ton bac ». Les ados ont du mal à obtempérer, ils vont continuer comme ça. Mais il vaut mieux leur laisser une chance d’avoir leur bac que déjà de les plomber.
Parce qu’on imagine en parlant du pire, vous voyez, que les adolescents vont réagir, face à ces perspectives si dramatiques, ils vont se « ressaisir » comme on dit. Mais de fait, ça ne se passe pas comme ça souvent et voilà pourquoi, pour moi, le crédit anticipateur est quelque chose de vraiment important et se décline avec les enfants et les adolescents, se décline aussi avec les adultes qu’on reçoit. Parce qu’il faut bien faire aussi l’hypothèse que ça va aller mieux tout de même, non ? et ça c’est une forme du crédit anticipateur. Et c’est un crédit qui n’a aucune garantie. Je veux dire qu’on n’est absolument pas persuadé que, d’ailleurs, l’enfant va toujours se mettre à marcher. Enfin vous voyez, c’est une position intime, mais qu’il ne suffit pas… enfin qui n’est pas assurée d’avance. C’est un pari. Et je crois qu’avec les enfants c’est important ; en tout cas, c’est important pour moi de faire le pari sur ce qui pourrait advenir ; on n’en sait rien, comme je vous disais, il n’y a aucune garantie là-dessus, mais au moins d’ouvrir cette perspective-là.
D’abord parce qu’aussi, vous allez entendre aussi beaucoup… je parle beaucoup de temporalité. Quand je vous ai dit qu’« observer » est déjà pris dans deux temps, c’est déjà quelque chose qui est déjà dans le mouvement. On n’est pas figé au présent de la difficulté. Il y a déjà quelque chose qui va se mettre en marche, si vous voulez, qui va se mettre en mouvement dans le temps. Et la question du diagnostic, c’est pour cela que je vous disais qu’il risque éventuellement de figer dans le temps, quelque chose au présent, sans ouvrir la possibilité d’une évolution favorable.
Cette histoire de temporalité est essentielle aussi parce que justement… Voyez ce qui est écrit dans l’argument pour les enseignements : on y parle des changements liés à leur évolution. Vous voyez, ce n’est pas : « ils vont évoluer les enfants, ils vont changer », ce n’est pas donné, la donne n’est pas fixée ; ce n’est pas comme si vous aviez déjà toutes les cartes en mains et vous n’avez plus qu’à les jouer.
Le temps, avec l’enfant et l’adolescent, il faut travailler avec. Et ça donne aussi un peu de jeu, vous voyez. Ça donne un peu de souplesse. Ça permet qu’on ne soit pas vissé au présent, à l’actuel du symptôme, mais qu’on puisse prendre le temps et de réfléchir et de mettre en œuvre certaines choses.
On n’a pas de garantie sur ce qu’éventuellement on espère pour l’enfant, en quoi on va faire en sorte que les parents et l’enfant puissent espérer aussi pour eux-mêmes. Mais s’il y a une chose qui est sûre, c’est qu’on ne peut pas savoir. Je ne sais pas si Mme Bergès-Bounes vous a parlé du non-savoir ? -- Non... – Si - Non ? Le non-savoir est une notion assez importante dans l’abord des enfants et des adolescents. Et il faut l’accepter d’emblée parce que c’est cela qui va donner le temps de voir et le temps de comprendre. Si vous savez déjà, vous n’avez plus besoin de rien, d’aller voir, ni de comprendre ; voilà, vous savez. Mais ça, ce n’est pas ce qui est le plus important. Cette place du non-savoir, elle est très importante à établir dans le contact et dans la relation avec l’enfant. Parce que si vous savez tout, si l’enfant a le sentiment que vous savez déjà tout, qu’est-ce que vous voulez qu’il vous raconte ? Vous savez, donc il n’y a plus rien à dire.
Et puis, un enfant est quand même très habitué à ce qu’on lui pose des questions. Mais souvent les questions qu’on lui pose, ce ne sont pas des vraies questions. A l’école quand la maîtresse pose une question à un enfant, elle a la réponse. Vous êtes d’accord ? - Acquiescements. Ce n’est pas une vraie question, c’est une fausse question. L’enfant est habitué à ce qu’on lui passe… pose des fausses questions. Souvent les parents posent des questions aux enfants dont ils connaissent la réponse, mais genre, ils voudraient que l’enfant réponde pour le tiers. Par exemple, en entretien, les parents peuvent poser des questions aux enfants pour qu’ils me racontent un truc qu’ils savent de leur enfant. Vous voyez, ce ne sont pas de vraies questions.
Et ce qui est important, c’est que l’enfant entende ce que vous lui posez comme question. Ce sont de vraies questions. Vous n’avez pas la réponse. Et puisque vous n’avez pas la réponse, ça montre que vous, vous ne savez pas mais que lui, il sait.
S’il y en a un qui veut savoir c’est lui, ce n’est pas vous.
Enfin, ceux qui ont déjà l’expérience de ce qui se passe avec les enfants, ceux d’entre vous qui l’ont, vous avez pu constater que souvent quand on s’adresse à un enfant…
Au premier entretien, je ne m’adresse qu’à l’enfant, en premier. Je ne laisse pas les parents dire un mot, même, parfois, je suis un peu sèche. Mais : non, parce que si les parents commencent à parler - c’est cela aussi la question du non-savoir -, une fois que les parents auront dit des choses, qu’est-ce que vous voulez que l’enfant ajoute ?, éventuellement il ne sera pas d’accord. S’il arrive à ne pas être d’accord, au premier entretien. Mais les parents vont parler avec vous par-dessus la tête de l’enfant, qui est dans une position d’objet si vous en êtes d’accord. Vous voyez : on parle de lui, éventuellement à la troisième personne. On sait très bien que quand on parle de « il » ou « elle », c’est une façon d’absenter la troisième personne. Je me demande d’ailleurs si Benveniste disait ne disait pas que la troisième personne, c’était une non-personne.
En tout cas, si vous parlez avec les parents en disant : « Alors il a fait ci, il a fait ça », lui, il assiste à un dialogue à son sujet sans être pris dans, sans être en place de sujet. Il n’est pas à une place de sujet.
C’est vrai, je mets des enfants un peu au boulot d’emblée. Il y en a qui ont du mal à y arriver mais ça fait partie de notre travail que de faire en sorte qu’il y arrive ou en tout cas, de voir jusqu’où c’est difficile pour lui. Parce que parfois, ils sont complètement sidérés et puis finalement, ils arrivent à parler et comme je vous disais, d’une manière qui n’était pas soupçonnable avant la consultation.
Mais si vous ne faites pas crédit à un enfant d’être capable de prendre sa place, de prendre la parole avec vous, ça ne viendra jamais, vous voyez, vous ne lui faites pas crédit. Ça ne va pas venir comme ça. Et là, vous lui faites crédit qu’il est capable d’en savoir un petit peu sur ce qui vient, sur pourquoi il vient en consultation.
Et, en général, pourquoi il vient vous voir ? Une fois sur deux, deux fois sur trois : « je ne sais pas ». Il a dit « je ne sais pas », sous-entendu « je ne sais pas, c’est ma mère qui sait » : vous voyez, c’est l’autre. Et parfois avant de répondre, d’ailleurs, ils se tournent vers leurs parents pour savoir « qu’est-ce que je dois répondre ? ».
Il faut accepter de ne pas savoir pourquoi l’enfant vient mais de continuer le dialogue avec lui. Voilà, puis après, petit à petit, éventuellement c’est à la fin de la séance, on va réussir à savoir pourquoi il vient. Les parents parfois sont assez embarrassés, parce que, comme ils sont quand même venus pour quelque chose, et puis finalement, on n’a même pas le temps d’en parler… parce qu’on a fait la place à l’enfant et pas à ce pourquoi ils venaient. Évidemment, il y aura quelques mots à ces sujets-là. Mais je veux dire : on a le temps, et de poser… chacun à sa place. En tout cas, cela me paraît vraiment important d’emblée. Ça ne marche pas toujours. Mais ça me paraît suffisamment important de faire ça pour prendre le risque que ça ne marche pas. Parce que quand c’est posé, la suite, elle est différente et cela, vous ne l’auriez pas eu autrement. Et je trouve que ça vaut la peine de prendre ce risque, éventuellement, que certains ne soient pas contents, mais de fait, ça n’arrive pas vraiment non plus.
L’idée, c’est que l’enfant puisse se manifester, s’exprimer autour de ses savoirs, qu’il a, lui, et éventuellement à son insu. Parce que bien sûr, on sait des choses à notre insu. Ça, vous allez l’entendre tout le temps.
Ce n’est pas vous qui êtes le porteur, ni le porte-parole de son savoir à lui ou de sa vérité à lui. Et cela, c’est fondamental. De la même façon, pourquoi je vous dis ça ?, parce que parfois, on a des enfants qui viennent en thérapie… et puis un jour, les parents arrivent et puis disent : « Il vous a dit qu’il voulait arrêter ? ». Moi je ne réponds pas. Je ne dis jamais ce que les enfants me disent ou pas quand je les vois seule. Mais ce que je réponds toujours, je dis : « Écoutez, je ne sais pas ce qu’il vous a dit, mais je ne vous dirai pas ce qu’il m’a dit. En tout cas, ce qu’il vous a dit c’est à vous qu’il l’a dit, ce n’est pas à moi » [Rires]. Non mais c’est vrai. Un enfant qui dit à ses parents qu’il veut arrêter sa thérapie, mais qu’est-ce qu’il cherche ? on ne sait pas. On ne sait pas s’il veut savoir si ses parents, eux, souhaitent qu’il continue ou pas. On ne sait pas si c’est une façon d’interroger ses parents sur « tu trouves que je vais mieux ? ». Parfois, il y a des raccourcis, si vous voulez, qui vont faire qu’un enfant va poser une question, où il va demander quelque chose. Mais vous savez bien, que ce n’est pas ce qu’on demande qu’on demande. Qu’il y a un au-delà de la demande.
Et moi, c’est assez clair, tant que l’enfant ne me l’a pas dit à moi, qu’il voulait arrêter, si c’est à ses parents, mais ça ne compte pas pour moi. Parce que ce n’est pas à moi que c’est adressé. Et j’explique toujours que personne ne peut être le porte-parole d’un autre. Déjà quand on parle, on n’est pas toujours bien compris. C’est vrai, et si vous répétez quelque chose qu’on vous a dit, je peux dire que l’écart entre l’« émetteur » et le « récepteur » ensuite ne fait que s’agrandir et être source de malentendu.
À propos de la parole, et de ce qui peut être dit ou pas dit : quand je reçois un enfant, je ne veux rien savoir, c’est ce que je vous disais, c’est le non-savoir. Je ne veux rien savoir qu’il ne sache pas que je sais. Est-ce que vous comprenez ? Si les parents me téléphonent, je ne veux rien entendre et je ne parlerai pas de l’enfant derrière son dos… C’est une question vous croyez ? [Rire]. En tout cas, je ne parlerai pas de l’enfant ou de l’adolescent derrière son dos. Je dirai aux parents « et bien écoutez, vous en parlez avec votre enfant puis vous viendrez avec lui éventuellement la prochaine fois ».
Mais sinon, comment voulez-vous qu’un enfant vous fasse confiance ? Non ?
Il ne sait pas ce qui se dit derrière son dos, il ne sait pas ce que vous allez dire non plus. Et parfois, il y a des situations un peu compliquées. Il y a effectivement des secrets de famille. Mais si vous le savez, vous savez quelque chose que l’enfant ne sait pas. Quand vous recevez seul un enfant, dans quelle position ça vous met ? Moi ça m’est arrivée, ça m’est arrivé à mon corps défendant comme on dit.
Il y a une femme qui prend rendez-vous pour elle, et qui vient me voir… je pensais que c’était pour elle… elle me dit « je viens vous voir pour ma fille, je voudrais que vous soyez son analyste ». Et elle me raconte une histoire de deuil, si vous voulez, dans la famille.
Il y a eu une maladie compliquée. Et elle ne savait pas si son enfant avait cette maladie ou pas. Je savais qu’il y avait des histoires. Enfin qu’il y avait quand même une épée de Damoclès possible au-dessus de la tête de cet enfant. Mais que l’enfant ne le savait pas. Et me voilà embarquée dans un suivi avec cet enfant. Avec un secret. Ce qui n’est quand même pas rien. La mère, elle, ne voulait pas non plus faire d’analyses pour savoir si… elle avait déjà perdu son mari et son fils, puis sa belle-mère, sa belle-sœur, enfin vous voyez, c’était l’hécatombe dans la famille. Elle ne voulait pas savoir si l’enfant, qui était encore là, allait être… allait avoir un cancer ou pas. Mais en tout cas, moi je me retrouvais avec une… avec ce secret-là. Et cette gamine, elle était plutôt brillante à l’école, sauf que comme par hasard, arrivée en première ou en terminale, je ne sais pas… elle fait de la génétique. Mais la génétique, elle ne comprenait rien, mais alors rien de rien. [Rire]. Vous savez, ce n’était pas un hasard. Mais moi, je savais ce que je savais, mais je ne pouvais… qu’est-ce que vous voulez que je dise ? Rien. Elle n’avait pas le gène, mais il a fallu des années et des années…ça été un suivi assez long. Et voilà, peut-être plus de dix ans après, elle a fait… elle l’a appris parce qu’elle ne le savait pas… et après, bien longtemps après, après avoir eu elle-même un enfant qu’elle pouvait difficilement… C’était compliqué d’investir un enfant, si vous n’avez pas, si vous avez ou pas, si vous avez transmis ou pas, qu’est que vous allez devenir ? Non, vous ne croyez pas que c’est difficile d’investir un enfant quand on ne connaît pas tout à fait ses chances de vivre ?
C’est pour ça que, parfois, vous savez quelque chose qui est important, parce que bien sûr que c’était important. Mais moi, j’étais complètement coincée. C’est-à-dire que même à la limite, parce que cette jeune fille, elle n’était pas sans savoir que quand il y a autant de décès dans une famille, ça pose question, non ? Les histoires de génétique, même sans avoir fait de génétique à l’époque à l’école, ça pose question. Peut-être que moi, ça me fermait mes oreilles à toutes questions parce que sinon je l’aurais accompagnée éventuellement, peut-être que j’aurais eu des idées qu’il aurait fallu que je réfrène par rapport à elle. Comme je vous disais, c’est compliqué d’être un pas en avant par rapport aux gens qui viennent vous voir. Et de comprendre trop vite ce n’est pas ‘top’, quoi.
Il y a d’autres situations où effectivement une adolescente vient me voir dans un…, je ne comprenais pas, parce que..., une famille dans laquelle ça se passait d’une façon dramatique avec des conflits incroyablement violents. Cette gamine pour moi, c’était une crème. Son père et sa mère c’était pareil. Je ne comprenais pas pourquoi, il y avait une telle ambiance dans une famille faite d’individus, si vous voulez, plutôt formidables. Je m’étonne auprès de la collègue qui m’avait adressé cette adolescente. Et elle me dit : « mais tu sais, il y a un gros secret de famille ». Mais elle ne me l’avait pas dit. Je ne lui ai pas demandé. Et voilà : j’étais finalement dans la même position de non-savoir que cette adolescente, vous voyez ; et ce n’est quand même pas du tout pareil quand c’est comme ça.
Parce que sinon, je ne sais pas comment vous dire, on est, avant, on n’est pas…, on ne suit pas… on dit « suivre quelqu’un », je crois que c’est pas mal ça. On le suit. On ne va pas le devancer. Parce que si on le devance, en fait, on le formate. Vous voyez, on le fait rentrer dans des rails, mine de rien.
C’est pour cela que je vous dis aussi que le diagnostic fait rentrer dans des rails parfois.
Étudiante À propos de ce que vous dites sur le non-savoir, effectivement, on l’a un peu abordé dans l’autre cours même si c’était sous un angle différent. Et moi, je voulais vous poser une question peut-être un peu inhabituelle. Mais, si on fait l’erreur, parce qu’avec la meilleure compréhension de l’importance du non-savoir… comme on est humain, si on fait l’erreur par moment de nous laisser échapper une interprétation personnelle, peut-être par un désir évidemment pas bien placé, par surestimation de notre possibilité d’aider. Ou si effectivement, on cède à la tentation de dire quelque chose comme dans ce que vous avez dit aux parents, comment d’après vous, on peut rectifier ce genre d’erreur dans la suite de l’analyse ? Si ça nous arrive, quelle est la bonne façon d’éventuellement rectifier ?
Est-ce que c’est quelque chose qui reste entre nous et nous ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui se joue aussi avec la personne ?]
Dr Calmettes C’est vrai que c’est une bonne question que vous posez là.
Dans le premier exemple que j’évoquais avec vous, de cette femme qui est venue voir, je vous ai fait un raccourci. Mais, elle m’a parlé de l’histoire, de son histoire. Elle m’a raconté ce qui lui était arrivé et après, elle m’a dit : « Je veux que vous suiviez ma fille, moi, j’ai déjà quelqu’un pour moi ». De toute façon c’était cuit. Comment faire avec ça ? on se débrouille. Et quand on est… pardon ?, « J’aurais pu refuser de prendre la fille » ?
Je ne suis pas sûre parce que, quand une mère a élu quelqu’un et qu’il y a des histoires de transfert qui sont en place, dans une famille qui est un peu traumatisée, on va dire… en tout cas, moi je n’aurais pas fait cela. À la limite, je préfère être sur la corde raide et me débrouiller, plutôt que d’adresser une fin de non-recevoir à quelqu’un qui a préparé les choses, vous voyez ? Elle n’aurait pas confié sa fille… je veux dire qu’on sentait, je ne sais pas pourquoi elle m’avait vue comme ça, que c’était quelque chose de très réfléchi, cela faisait des années qu’elle y pensait. […]
De toute façon on est amené à être maladroit parfois, on a des formulations… parfois, on ne s’entend même pas, parfois on s’entend. Par exemple, souvent on peut dire aussi : « Mais il faut que… ». Non mais attendez, pourquoi « il faut que » : on essaie de bannir de son vocabulaire, mais ce que vous chassez par la porte parfois revient par la fenêtre de manière déguisée, c’est ainsi. Vous savez que plus on s’interdit certaines choses, parfois, plus elles vont arriver. Il faut pouvoir, vous voyez, ne pas être trop psychorigide avec soi-même et puis de toute façon on travaille avec qui on est aussi. Cela ne veut pas dire qu’il faut être complaisant non plus, on ne va pas faire un mea-culpa non plus…
Étudiant - Dans ce cas avec cette jeune fille… quand était-il de sa demande à elle ? parce que, la mère est venue vous voir mais comment s’est fait le passage de la mère à la fille ?
- Le plus simplement du monde. Je crois aussi que la mère avait préparé le terrain pour la fille. Elle avait attendu. Elle avait mûri cette affaire. Et je crois qu’elle avait attendu, disait-elle, que sa fille soit prête. Ça ne veut rien dire. On n’est jamais prêt ou on l’est toujours. Vous voyez ce n’est pas… mais, c’était le moment en tout cas. En tout cas, ça s’est inscrit sur un très long cours… on ne s’est pas trop mal débrouillées, disons, avec ce début-là. Mais c’est pour vous dire que quand même… j’ai vraiment été embarrassée avec cela.
Et comme on est embarrassé aussi avec des histoires de diagnostic. Parce que parfois, on ne sait pas. On ne sait pas s’il est psychotique, pas psychotique. Il y a des éléments quand même… mais quand même. Et en fait, si on conclut, qu’il l’est ou il ne l’est pas d’ailleurs, peu importe, au moins, on se soulage de nos questions. Mais pour ma part, je préfère être sur la corde raide, à ne pas savoir, à être dans un espèce d’inconfort, mais au moins l’affaire n’est pas tranchée dans la tête par rapport au diagnostic. Et parfois, c’est bien de pouvoir porter l’inconfort plutôt que de le faire porter à celui qui vient, ceux qui viennent.
Est-ce qu’il y a d’autres questions ?
Étudiant - Bonsoir, on parle souvent du silence dans la cure pour les adultes. Selon vous, est-ce que le silence tient la même place ? Est-ce qu’on peut l’utiliser de façon similaire dans les cures avec les enfants et les ados ?
- D’abord, le silence, il a de moins en moins de place à l’heure actuelle. Non, mais c’est sérieux. Ça devient de plus en plus compliqué, le silence, pour beaucoup de personnes. Et avec les enfants et les ados c’est… il y a des gens différents. Moi, non, je ne suis pas très silencieuse, mais ça dépend. Par exemple… j’essaie, quand un enfant, un ado est en thérapie, même quand il vient avec ses parents, comme c’est l’enfant qui doit parler en premier, j’attends qu’il dise quelque chose, qu’il amène quelque chose. Ce n’est pas moi qui vais proposer… qui vais poser des questions, qui vais proposer le thème... En général, je demande : « vous voulez parler de quoi aujourd’hui ? » ou « je vous écoute » ou je ne sais pas quoi... Evidemment, il y en a qui vont dire : « je ne sais pas »… comme d’habitude… mais moi je leur dis : « quand on ne sait pas, on imagine ». Et c’est vrai, souvent les enfants, ils pensent que ce que vous attendez d’eux, c’est une réponse comme à l’école, pour avoir la bonne note. Il y en a qui se demandent : « mais qu’est-ce qu’elle attend de moi ? je ne sais pas quoi répondre parce que si ça se trouve, ça va être faux ». Ils préfèrent dire qu’ils ne savent pas, c’est plus facile que de se tromper. J’entends. Mais entre savoir et pas savoir, il y a « imaginer ». Quand on imagine, ce n’est ni vrai ni faux. C’est une possibilité. Cela fait partie de mes types de langage. Enfin j’entends quand on me répond « je ne sais pas », je dis « alors qu’est-ce que vous allez imaginer ? ». Il y en a, qui ne comprennent même pas. Il y a des gens pour qui : « je sais, ou je ne sais pas ».
« Imaginer ? », je dis : « oui on peut avoir des idées », ce n’est même pas que vous savez ou que vous ne savez pas, c’est à quoi cela vous fait penser ? »… Parce qu’il y a une chose qui est sûre… ce qui est très compliqué pour un enfant, je m’éloigne de l’observation clinique… c’est de « chercher », et pour des ados aussi, parfois, et même pour des adultes aussi. « Chercher », c’est ne pas savoir. Si on sait ou si on ne sait pas. « Chercher » c’est, ne pas savoir au départ mais c’est chercher à savoir, sans savoir si on va y arriver ou pas. Et vous voyez bien, les enfants qui n’ont pas la réponse à la question immédiatement, ils vont avoir tendance à dire tout de suite : « je ne sais pas ». Parce qu’au moins, ils ne seront pas dans cet espace de suspens terrible de ne pas savoir, s’ils vont savoir ou pas savoir. Et « chercher », il y a beaucoup d’enfants qui ne peuvent pas. Et je vais vous dire, c’est un vrai boulot pour eux.
Et moi il m’arrive de dire aux parents « écoutez, on s’en fiche si le résultat va être juste ou faux… juste vous leur donnez une bonne note, parce qu’ils ont cherché ». Parce que, quand un enfant accepte de « chercher », c’est pour toute la vie. Ce n’est pas pour tout de suite. C’est pour toute la vie que ça sert de « chercher ». Sinon, c’est soit, je sais tout de suite soit je ne sais pas. Et c’est compliqué la vie de ces enfants-là, parce qu’il y a des enfants très brillants qui sont comme ça, des très forts à l’école, parce qu’eux, il faut qu’ils sachent absolument. Mais « chercher », ils ne peuvent pas.
Je vais repartir de l’observation clinique et de ce qui en découle. Je vous ai parlé un peu de la pluridisciplinarité… C’est toujours autour des histoires de non-savoir. Quand on est dans ces réunions pluridisciplinaires, ces « synthèses », comme on dit. Je ne vous parle pas celles de l’école, mais des synthèses dans les institutions pour enfants. Chaque « observateur » ou chaque « professionnel » n’a pas le même regard sur l’enfant. Mais surtout, l’enfant peut être très différent avec un interlocuteur ou avec un autre. Sauf que, souvent, on pense : ce que l’enfant a été avec nous, c’est ça, sa vérité ; et si avec l’autre il est complètement différent, ça ne vaut rien. Un enfant qui est très agité à l’école, vraiment, qui met le foutoir, quand les parents apprennent ça, et qu’ils disent « je ne comprends vraiment pas pourquoi notre enfant il est comme ça l’école, à la maison il est vraiment très sage », 99 fois sur 100, les instituteurs ne croient pas les parents. Ils ne les croient pas, parce que ce n’est pas possible qu’il soit sage à la maison, s’il est comme ça école. Ce n’est pas possible.
Parfois si, c’est possible. Parce qu’il y a des enfants, dans le cadre familial rassurant, tout va très bien, mais à l’école, c’est l’angoisse absolue au milieu de tout le monde ; ils ne sont pas tellement assurés de leur existence, ils se sentent complètement dilués dans ce groupe, et ils se font remarquer. Ils se font remarquer pour exister. Évidemment, ils mettent l’école à feu et à sang. Plus ils sont fragiles, plus ils vont mettre l’école à feu et à sang. Mais à la maison, ça peut très bien se passer parce que, par exemple, ils sont collés à leurs parents, que les parents supportent ce collage et que les enfants sont tout le temps garantis de leur existence pour l’autre. Les enfants qui n’ont pas beaucoup de capacité à être seuls, à se soutenir seuls à l’école… l’école c’est un lieu d’une solitude pour les enfants, mais radicale !, ils ont beau être entourés, personne ne peut apprendre à leur place. Personne ne peut faire leurs devoirs à leur place… Bien qu’étant entourés, l’école est une expérience de solitude absolue. Et évidemment, ça peut en angoisser certains particulièrement. Il est possible qu’un enfant soit complètement agité à l’école parce qu’il est angoissé et complètement tranquille à la maison, éventuellement collé à ses parents. Mais ses parents, eux, n’ont pas fait attention qu’éventuellement c’était quelque chose qu’il ne soit pas capable de jouer seul. Ils ne voient pas ça forcément comme une fragilité de leur enfant. Et cette fragilité de leur enfant, elle va exploser à l’école. Et que pense l’école parfois ? C’est que l’école est « révélateur » des symptômes de l’enfant. Que s’il n’y a pas de symptômes à la maison, ce n’est pas qu’il n’y en a pas, c’est juste qu’ils ne se voient pas mais que l’école va « révéler » les symptômes. Ce n’est pas complètement faux de dire ça mais ce n’est pas complètement juste non plus. Parce que l’école peut être une expérience traumatisante et ça, ce n’est pas qu’un « révélateur » de symptômes, c’est que ça vient taper, là où il n’aurait pas fallu que ça tape.
Dans cette histoire de pluridisciplinarité et d’avoir le sentiment qu’on a le regard qui est… que ce qu’on a vu est indéniable… si un enfant met l’école à feu et à sang c’est objectivable, vous comprenez. Les instits nous disent « mais je n’invente pas ». On sait bien qu’elles n’inventent pas, mais parfois, elles ne sont pas très rassurantes non plus…
Au sein d’une même équipe… c’est une histoire que je raconte tout le temps parce que pour moi, on ne peut pas mieux faire comme histoire…, je reçois un enfant quand j’étais à la Croix Saint-Simon. Un enfant de deux ans et demi qui ne parlait pas. Les parents viennent très ennuyés. On leur a dit de venir parce que leur enfant ne parlait pas. Et cet enfant avait une prosodie incroyable. Ce n’est pas qu’il parlait, il ne parlait pas, il jargonnait, c’était incompréhensible, mais ça avait une mélodie exactement comme la langue que parlait sa mère. Sa mère n’était pas d’origine française. Elle parlait un créole extrêmement musical et on entendait le son du créole. Mais sa mère ne lui parlait pas créole. Elle était au téléphone tous les jours avec sa famille et elle parlait en créole. Le fils était exclu des échanges de cette mère avec sa famille… c’était comme si c’était une langue interdite pour lui, si vous en êtes d’accord. Il est témoin d’une langue avec laquelle on ne s’adresse pas à lui. Le père français voilà. Et cet enfant, on commence à discuter, il jargonnait… quand un enfant jargonne, on comprend ce qu’on veut. On relance la conversation sur une syllabe, sur un je ne sais pas quoi, on lui dit « ah oui », enfin bref, on discute. Et les parents me regardent, absolument sidérés que je parle à cet enfant. Parce qu’ils ne parlaient pas à l’enfant. Puisque l’enfant ne parlait pas, on ne va pas parler à un enfant qui ne parle pas.
Quand un enfant ne parle pas, il faut beaucoup lui parler. Et ils attendaient aussi que leur enfant se mette à parler de façon intelligible pour lui répondre ou lui parler. Mais tant qu’il jargonnait, ils ne comprenaient pas, ils ne relançaient rien… Mais ils me regardaient quand même…, peut-être qu’ils trouvaient que j’étais un peu folle, je ne sais pas… Et à un moment donné, je vois l’enfant qui était hyper bien campé sur ses jambes… il avait un corps… Les enfants qui sont en très grande difficulté, vous verrez, ils ne sont pas… il y a quelque chose qui ne va pas très bien… il y en a qui marchent sur la pointe des pieds, pour ceux qui sont très en difficulté… Il y a quelque chose du corps qui est marqué par les signifiants… Et lui, pas du tout…, un petit mec dense et présent physiquement, souriant, pas de fuite du contact oculaire, c’est quand même l’un des signes de l’autisme - ils ne peuvent pas regarder. Lui il regardait bien en face mais il ne parlait pas. Et à un moment, les parents étaient sur deux chaises côte à côte. Il fait le tour et il veut passer entre les parents. Les parents écartent leur chaise sans dire un mot et l’enfant passe au milieu. Il n’avait rien demandé. Les parents lui obéissaient au doigt et à l’œil. Mais pourquoi vouliez-vous que cet enfant parle ? On devinait tout ce qu’il disait. Les parents ne mettaient pas de mots. Ils auraient pu dire « tu veux qu’on s’écarte ? ». Non, voilà c’était opératoire, ça fonctionnait sur un mode opératoire.
J’avais une interne avec moi, puisque j’étais chef de clinique, qui assistait à mes consultations. Elle assistait aussi le vendredi après-midi à un groupe thérapeutique d’enfants dans lequel je propose cet enfant. Réunion de service. « Cet enfant est complètement autiste » disent mes collègues. Je dis « mais il n’est pas du tout autiste, moi j’ai une super relation avec lui ». Les mois passant, je raconte comment dans le bureau où j’étais, il y avait une armoire pleine de jouets, mais moi je ne travaillais pas avec les jouets. Et lui, comme il était venu dans ce bureau pour une autre occasion, il savait qu’il y avait des jouets dans le placard. Il va dans le placard, je lui dis : « non, ici on est là pour parler, on n’est pas là pour jouer ». Et il commence à provoquer un peu, c’est aussi une modalité de s’adresser à l’autre. Quand vous êtes là, à vouloir un peu, vous dites non et puis, il vient vous titiller parce qu’il essaie d’outrepasser ce que vous dites.
Et je me lève et je me mets devant l’armoire. Et ce môme, soi-disant autiste… parce que je ne le voyais pas comme ça, il se met à me pousser en rigolant… « Au secours, au secours »…, il rigolait. C’était un humour d’une finesse ! Il appelait à l’aide en rigolant pour qu’on l’aide à me pousser pour qu’il puisse avoir accès aux jouets. Pas du tout dans un truc de colère. Il aurait pu être furieux. Puisqu’il était tellement… est-ce qu’on pouvait dire tyrannique ?, je ne sais pas. Mais il arrivait à se faire obéir de ses sujets, comme un petit roi, ses sujets étant son père et sa mère. Là, vous voyez bien qu’il n’était pas sur ce mode-là. Il était sur un mode, pas vraiment de compromis, il voulait les jouets… c’était souple sa façon de réagir. Il n’était pas non plus à se détourner, parce que parfois les enfants quand ils n’ont pas ce qu’ils veulent, ils n’en veulent plus ; s’il y a un obstacle sur le chemin de ce qu’ils veulent, ils n’en veulent plus. Lui non. Il maintenait ce qu’il voulait, et d’une façon, je trouvais, particulièrement bien rigolote et adaptée.
Quelques mois plus tard… vous savez, il y a la comptine… le pouce va au marché, l’index achète un poulet, le majeur le fait cuire, l’annulaire le mange. Et qu’est-ce qui reste pour le petit kiki ? Rien du tout du tout, alors, il lèche le plat. Et, avec cet enfant, je fais ça avec lui. Quand j’arrive, qu’est-ce qui reste ? Il me répond « la tristesse ». Excusez-moi, un enfant qui nomme un sentiment, pour moi, ça ne peut pas être un enfant autiste. Ce n’est pas possible pour moi. Mais, le problème c’est que… et l’interne était folle de rage, parce qu’elle voyait ce qu’elle voyait quand elle était avec moi. Elle ne comprenait pas que les autres ne tiennent pas compte de ce qui se passait dans mon bureau. Mais je lui dis « c’est normal, en petits groupes ça ne fonctionne pas du tout pour lui, ça fonctionne parce qu’il est dans une relation duelle avec moi », parce que je ne sais pas, parce qu’on a eu une rencontre, allez savoir pourquoi…
Ce n’est pas parce que ça fonctionnait avec moi qu’il n’y avait pas de points de vulnérabilité particuliers et particulièrement forts dans sa rencontre avec d’autres enfants de son âge. Et dans un cadre où il n’était pas tout seul. Et chacun avait raison. Il avait des traits autistiques dans sa socialisation avec un retrait très important. Et puis, dans la relation duelle, ce n’était pas du tout la même chose. Pour moi, ce n’était pas un enfant autiste à proprement parler. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas des traits autistiques.… Cela permet d’intégrer ce que c’est qu’un enfant dans sa globalité. Parce qu’un enfant, il n’est pas que son symptôme évidemment, il est sa globalité. Ça va faire même que, pour un diagnostic particulier, il y a plein de déclinaisons possibles.
Je vais vous lire…, dans un livre de Luba Jurgenson, qui s’appelle Au lieu du péril, elle parle de la manière de donner un titre à ses textes. « Je n’ai presque jamais été capable de donner à un texte un titre qui n’existât déjà ». Elle n’arrive pas à inventer un nouveau titre pour ses textes. « Les titres sont pour moi des citations, mais comment se fait-il que l’on cite des textes que l’on ne connaît pas encore. Une de mes connaissances m’a dit que c’était parce que le nombre d’histoires, de titres, d’intrigues est fini. Elle a sans doute raison. Les motifs et les trames sont en nombre très réduit. Et c’est de leur combinaison que naît l’infini de la littérature ».
Vous voyez, c’est joli parce qu’il y a des choses qui sont finies et en même temps… il y a des combinaisons qui rendent l’affaire complètement infinie. Et elle continue : « c’est comme les symptômes, il y en a assez peu finalement, mais les maladies qu’ils signalent sont très nombreuses. Un mal de ventre peut être signe de mille choses. Or, nous avons tendance à nous fier à nos sensations. À croire que telle douleur qu’on a déjà éprouvée, désigne nécessairement le même mal ». Je pense que c’est par rapport au diagnostic… Il y a un repérage diagnostique mais il y a la manière dont cela va être infléchi, d’une manière ou d’une autre, chez cet enfant-là ou chez cet adolescent-là. Chez l’enfant, comme je vous disais, ce n’est pas fixé comme chez l’adulte. Même si heureusement, on a des capacités d’évolution, même adulte, sinon on ne ferait rien, sinon on n’aurait plus aucune marge de liberté. Mais disons qu’il y a des possibilités de mouvement justement pour un enfant. Et après la puberté, ce n’est plus tout à fait la même chanson.
En tout cas, cette histoire de cet enfant-là, je trouve que c’est très important de savoir ce que vous dit l’autre. En tout cas, là aussi, vous devez lui porter crédit. Parce que dans la place où il est, et avec le cadre qu’on lui propose… qui peut être un cadre avec d’autres enfants, avec une médiation comme la pâte à modeler,… cet enfant va éventuellement se montrer différent de la manière dont il se montre avec vous. Et que les deux sont vrais, ce n’est pas l’un contre l’autre.
On va passer aux questions, il est17, il y a 10 minutes encore.
Etudiant - Oui excusez-moi, je suppose que ce serait un long exposé, mais est-ce que vous pouvez rapidement dire en quoi la puberté est si déterminante pour la souplesse de l’évolution de l’enfant, et après moins qu’à l’adolescence si j’ai bien compris.
- Mais parce que c’est la rencontre avec le sexuel et que ça vient être décisif. Que la puberté, avec les changements corporels, avec les questions d’altérité telles qu’elles se posent, il y a un avant et un après elle. Je ne sais pas comment vous dire, et on rentre dans l’âge adulte avec quelque chose qui s’est cristallisé, disons, je ne sais pas si c’est le bon mot. En tout cas pour moi, c’est ce qu’il y a de plus déterminant. C’est à ce moment-là. Avec ce qui explique aussi un certain nombre de malaises que cette rencontre occasionne. Parce que c’est quand même une aventure qu’on ne mesure pas. On idéalise l’adolescence, c’est quand même une période hyper compliquée.
- Merci.
- Mais, il y a des choses incroyables qui se passent à la puberté. Mais on en reparlera bientôt quand je parlerai du corps pour le coup.
En tout cas, il faut que je commence la prochaine fois à vous parler de ce que c’est qu’une observation clinique écrite. Parce que ça a une certaine trame qu’il faut respecter. Et je trouve que c’est très important que vous ayez cela en tête. Pour pouvoir restituer éventuellement de manière « ordonnée » les observations que vous pouvez faire, des personnes que vous rencontrez… Il faut que je pense à commencer par ça et je vous parlerai aussi, un petit peu, de la place des tests psychologiques chez les enfants.
Qu’est-ce qu’il y a encore comme questions ? il n’y a pas de questions idiotes, je vous le dis… c’est même toujours intéressant les questions parce qu’on se rend compte, parfois, qu’on a été un peu vite fait et maladroit dans ses formulations.
Etudiant Oui, je me posais une question, quand vous avez parlé du non-savoir, et dans votre pratique notamment, où vous adressiez à l’enfant lors des premières séances, sans trop parler aux parents. Comment les parents, eux, se positionnent par rapport à ça ? Parce qu’eux viennent avec leurs demandes et généralement, ils se précipitent dans la parole. Comment faire place à l’enfant ?
C’est comme je disais, parfois, je peux être un peu sèche avec les parents s’ils ne comprennent pas. S’ils ne comprennent pas vite, que non, ce n’est pas à eux de parler.
Etudiant Et l’enfant comment réagit-il ?
Ça dépend… l’idée, c’est que quand même il prenne la parole. Que ça soit éventuellement une expérience déterminante pour lui. Et qu’en tout cas ce soit lui qui me dise. Parce que je ne sais rien. Que ce soit le premier à me dire quelque chose de lui… C’est pareil, moi j’essaie de ne pas lire les dossiers. Si on m’adresse un enfant ou si je reprends un suivi de quelqu’un qui est parti. J’essaie de ne pas lire les dossiers. Les gens arrivent en disant « vous avez lu le dossier ? ». Justement non. Parce que ça date, éventuellement, et puis la manière… ce qu’on va dire, même si on ne répète jamais pareil. Et c’est bien plus intéressant d’avoir le « témoignage »… : « vous en êtes où là maintenant ? ». Et puis, je suis quelqu’un de nouveau… Ça va être quelque chose de nouveau qui va être pris dans le transfert à l’égard de l’autre, enfin bref on ne va pas parler pareil. Et en tout cas il va être obligé de me parler. S’ils pensent que j’ai lu le dossier, ils vont me dire quoi ? Si je n’ai pas lu le dossier… éventuellement ils vont dire « il va falloir répéter ». Mais en fait non, ce n’est jamais une répétition. Une itération, mais ce n’est jamais un truc du pareil au même. Je dis parfois que je suis sèche avec les parents, parfois je rigole. Je leur dis « écoutez, ce n’est pas pour vous ici ». Enfin bref j’essaie de plaisanter un peu pour qu’ils comprennent… que c’est important que ce soit leur enfant qui parle. Il y a des parents, qui n’osent plus parler du tout…
Etudiant Ma dernière question, c’est sur la pluridisciplinarité dont vous parliez tout à l’heure notamment avec cet exemple où en groupe le petit garçon avait des traits autistiques et puis pas avec vous. Vous aviez une relation, voilà, vous fonctionnez bien. Comment, ensuite, au-delà de la synthèse, dans la pratique… ça s’opère… cette richesse qui s’explore, en tout cas, pendant le temps duel un moment… Est-ce qu’il y a quelque chose qui s’est produit, à ce moment-là, de sa position dans le groupe ?
Écoutez, c’est une histoire qui s’est mal terminée en quelque sorte. Parce qu’il est allé dans une école… l’instit avait décidé qu’il était autiste et je ne sais pas quoi, et elle a convaincu les parents d’aller je ne sais pas où avec des méthodes qui n’étaient pas tout à fait les mêmes que les miennes, ou celles en tout cas de l’équipe avec laquelle je travaillais. Et les parents sont partis. Ils ont été dans une discontinuité. Bref c’est aussi des histoires… je ne vais pas parler de l’histoire de ces parents. Il y a parfois des choses qui sont prises dans des discontinuités et qui vont se répéter. Évidemment, ce sont les enfants qui en font les frais. Et c’est aussi pour ça que, quand on reçoit un enfant qui a déjà été suivi ailleurs, il faut faire attention. Ce n’est pas facile d’accueillir quelqu’un… enfin… ça demande du boulot de poursuivre un travail qui a été commencé ailleurs et qui s’est interrompu sans s’arrêter. Quand les gens veulent partir c’est important qu’ils puissent arrêter quelque chose. Ça leur permettra éventuellement, soit de revenir d’ailleurs, soit d’aller inaugurer autre chose ailleurs. S’il n’y a pas d’arrêt, ça continue à courir. C’est pareil pour les enfants, les ados et les adultes. Sauf qu’un enfant qui a investi un lieu thérapeutique, si vous le faites changer sans le prévenir, après…, comment voulez-vous qu’il fasse confiance ?… Voilà il est venu, il y a quelque chose qui s’est établi avec vous et puis quasiment du jour au lendemain, il ne comprend pas ni comment, il va voir quelqu’un d’autre. C’est compliqué pour eux.
Comme les parents qui ont du mal à amener leurs enfants ; c’est surtout dans les centres de consultation. Comme c’est gratuit, enfin je ne sais pas, ce n’est peut-être pas bien de dire ça comme ça mais… en tout cas, il y a beaucoup d’absentéisme et c’est fâcheux et ça me fâche d’ailleurs.
C’est fâcheux pour le fonctionnement, c’est fâcheux pour ces enfants. Je dis souvent aux parents « mais comment voulez-vous que quelque chose puisse s’établir ici ? Comment voulez-vous qu’il fasse confiance ? » Il ne sait pas. Il va nous voir, moi ou d’autres. Une semaine et puis la semaine d’après non et puis après trois fois de suite et puis après pas pendant deux mois. C’est quoi ces discontinuités ? Comment c’est possible qu’un enfant établisse quelque chose ? Enfin, en tout cas moi je trouve que c’est compliqué. Surtout que souvent ça fait partie des axes qui sont difficiles pour un enfant, de pouvoir établir pour lui une continuité : une continuité dans le temps, une continuité dans l’espace, une continuité dans sa vie. Ce ne sont pas des choses innées tout ça. Le sentiment qu’on a, de la permanence de son existence, de sa continuité d’être. Tout cela, dans les difficultés psychiatriques ça n’existe pas. Dans la psychose ce n’est pas comme ça. Voilà, on va s’arrêter là.